Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelant travaillait pour X une entreprise de produits de verre. L’employeur affirme que l’appelant a été congédié à la fin octobre 2018 pour avoir aspergé de l’alcool dans les airs et créé une boule de feu à son poste de travail. L’employeur affirme de plus qu’il s’agissait d’un geste dangereux pour la santé et la sécurité des employés autour et que le lien de confiance était brisé. L’appelant de son côté affirme s’être défendu de l’intimidation constante et du harcèlement d’un collègue.

[3] La Commission de l’assurance-emploi a déterminé que l’appelant avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi). Elle l’a donc exclu du bénéfice des prestations.

Question en litige

[4] Le Tribunal doit déterminer si l’appelant a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.

Analyse

[5] De façon générale, l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi) prévoit qu’un prestataire qui perd son emploi en raison de son inconduite n’est pas admissible au bénéfice des prestations.

Question en litige : L’appelant a-t-il perdu son emploi en raison de sa propre inconduite?

[6] Chaque cas est un cas d’espèce et doit être analysé selon ses faits particuliers. En matière d’inconduite, le fardeau de preuve repose sur la Commission qui doit démontrer selon la prépondérance des probabilités que la preuve supporte l’inconduite reprochée (Crichlow A-562-97).

[7] Pour les raisons qui suivent, je conclue en l’espèce que l’appelant n’a pas perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.

A-t-il commis les gestes reprochés?

[8] Avant de pouvoir déterminer si certains gestes ou comportements constituent de l’inconduite, je dois d’abord me poser la question si les actes reprochés ont bel et bien été commis par l’appelant. En effet, pour que le Tribunal puisse conclure à l’inconduite, il doit disposer des faits pertinents et d’une preuve suffisamment circonstanciée pour lui permettre, d’abord, de savoir comment l’employé a agi et, ensuite, de juger si ce comportement constituait de l’inconduite (Meunier A-130-96).

[9] Je note en l’espèce que la lettre de congédiement fait état de deux comportements dangereux, soit mettre le feu dans du matériel inflammable et vaporiser de l’alcool inflammable dans les airs et y mettre le feu provoquant un nuage de feu près du visage d’un employé. Lors de son témoignage, l’appelant a décrit en détails les gestes qu’il a posé et qui ont mené à son congédiement. Il affirme avec certitude qu’il n’y a eu qu’un événement. Il confirme avoir vaporisé dans les airs un produit avec forte concentration d’alcool tout en allumant son briquet. L’appelant indique que le produit en question contient de l’alcool à 99% et est utilisé par les employés de la chaine de montage de verre trempé à l’usine. Il admet donc avoir posé ce geste qui a causé une flamme dans les airs. L’appelant admet avoir été lui-même surpris de la flamme et avoir tout de suite cessé son geste au bout d’une fraction de seconde.

[10] J’accorde un poids significatif au témoignage de l’appelant et j’accepte qu’il n’y a eu qu’un incident qui a mené au congédiement de l’appelant et qu’il consiste à avoir fait une flamme dans les airs à l’aide de son briquet et d’un produit hautement inflammable. L’appelant admet avoir commis ce geste.

Est-ce que les gestes reprochés constituent de l’inconduite au sens de la Loi?

[11] Le mot «inconduite » n’est pas défini comme tel dans la Loi, mais les tribunaux ont établi au fil de la jurisprudence des principes servant de guide aux décideurs. Il s’agit largement d’une question de circonstances (Bedell A-1716-83). Pour en arriver à une conclusion d’inconduite, le Tribunal doit analyser les faits et en arriver à la conclusion que le manquement reproché est d’une telle portée que son auteur pouvait normalement prévoir qu’il serait susceptible de provoquer son congédiement (Locke, 2003 CAF 262; Cartier, 2001 CAF 274; Gauthier, A-6-98).

[12] J’accorde un poids important au témoignage de l’appelant. Il a expliqué sa version des faits de façon claire, logique et cohérente, sans apparence d’exagération ou d’embellissement. Ses explications m’ont permis de comprendre les circonstances et le contexte entourant l’incident du 25 octobre 2018.

[13] L’appelant indique d’abord qu’il n’y avait personne près ou autour de lui lorsqu’il a posé son geste. Il a décrit son lieu de travail et la table de huit pieds de large qui le séparait de son collègue vers qui il a posé le geste en plus de quelques pieds supplémentaires entre la table et le collègue. Sans dire que son geste ne comportait aucun danger, il indique tout de même qu’il n’y avait pas d’autres produits inflammable autour qui auraient pu prendre en feu.

[14] J’estime que d’avoir pris son briquet et vaporiser un liquide inflammable dans les airs causant une flamme est sans équivoque répréhensible. L’appelant a admis ne pas être très fier de son geste et qu’il a d’ailleurs lui-même eu peur en voyant la flamme. L’utilisation de feu sur les lieux du travail serait qualifié d’imprudent de façon générale. Il l’est d’autant plus dans un milieu où se trouvent des produits inflammables, même si l’appelant affirme que ces produits n’étaient pas près de lui. Les conséquences de ses gestes auraient de toute évidence pu être beaucoup plus grave. L’appelant a certes eu une conduite répréhensible en agissant de façon non réfléchie et sous le coup de la colère en envoyant cette flamme dans les airs. Cependant, une conduite répréhensible ne mène pas automatiquement à une conclusion d’inconduite (Locke, 2003 FCA 262).

[15] Dans l’affaire Canada (Procureur général) c Hastings (2007 CAF 372), la Cour réaffirme les principes de Tucker, A-381-85 sur la notion d’inconduite et la nécessité que l’élément psychologique soit présent. Ainsi la Cour a établi qu’il « (…) y a inconduite lorsque la conduite du prestataire est délibérée, c’est-à-dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels. Autrement dit, il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié. »

[16] Je me suis donc posé la question si l’appelant a agi délibérément lorsqu’il a créé une flamme dans les airs avec un produit inflammable et son briquet le 25 octobre 2018, il risquait de perdre son emploi.

[17] Sur cet aspect fondamental de la notion d’inconduite, je ne suis pas satisfaite que dans ses circonstances bien précises, l’appelant pouvait normalement prévoir que son comportement serait susceptible de provoquer son congédiement. L’état d’esprit de l’appelant est pertinent dans la présente analyse (Locke, 2003 FCA 262).

[18] Le contexte entourant les gestes de l’appelant est d’une importance cruciale. L’appelant a démontré, à l’aide de son témoignage, mais aussi de preuve vidéo et captures d’écran qu’il était victime d’humiliation suite à la publication sur la chaine You Tube d’une vidéo le montrant dans une situation embarrassante et dégradante. Il a été mis en preuve que la vidéo s’est propagée sur les réseaux sociaux de façon exponentielle et des produits dérivés affichant le visage de l’appelant avec des propos dénigrants ont même été créés. L’appelant a témoigné avec émotion du fait que cette « campagne de salissage » gratuite à son endroit a littéralement gâché sa vie. Au quotidien il est reconnu en public et fait rire de lui.

[19] Au travail, l’appelant indique avoir aussi été reconnu et que la plupart des employés se sont moqué de lui à son arrivée, mais qu’un collègue en particulier (Jonathan) l’a pris en grippe et l’a continuellement harcelé en lui répétant des phrases de la vidéo de You Tube. L’ensemble des collègues ont cessé de se moquer de l’appelant après quelques jours, mais Jonathan a continué sans relâche. L’appelant a décrit que plusieurs fois par jour, Jonathan passait derrière l’appelant et vaporisait la solution d’alcool au niveau du fessier de l’appelant en l’humiliant verbalement. L’appelant affirme avoir enduré ce comportement avec difficulté et malgré tout avoir demandé à Jonathan d’arrêter à de nombreuses reprises, en vain. L’appelant a témoigné à l’effet que le 25 octobre 2018, suite à l’annonce d’un diagnostic de cancer terminal d’un de ses amis de longue date, il était atterré en revenant de sa pause du midi. Lorsque dans l’après-midi Jonathan a répété son geste de vaporiser l’alcool au fessier de l’appelant, ce dernier a craqué, s’est mis en colère et a réagi spontanément en vaporisant lui aussi la solution d’alcool, mais devant son briquet, causant l’incident décrit précédemment.

[20] Il me parait évident que l’appelant était extrêmement irrité, qu’il vivait un moment de grande détresse dans sa vie personnelle et qu’il a perdu ses moyens. Je suis d’avis, à la lumière de la preuve disponible que l’employé du nom de Jonathan a poussé l’appelant à bout. Rien ne rend acceptable le geste de l’appelant. Cependant, le contexte et l’état d’esprit dans lequel il se trouvait ne permettent pas de conclure que ses gestes étaient conscients, insouciants ou délibérés. Au contraire, la conduite de l’appelant démontre qu’il a perdu contrôle de ses propres gestes. J’accepte que cette perte de contrôle émane du fait qu’il ait été victime de harcèlement verbal et physique en plus d’humiliation constante de la part d’un collègue. Il me parait évident que ce geste spontané de colère était complètement irréfléchi et survenu alors que l’appelant lançait un cri du cœur pour qu’on le laisse tranquille. Il ne s’agit pas d’un geste posé avec l’intention de causer délibérément des problèmes.

[21] La Commission soutient que pour se défendre du harcèlement subi, l’appelant avait d’autres solutions que de faire un nuage de feu. Avec respect, je constate que la Commission soit confuse entre le test légal de l’inconduite et du départ volontaire. L’appelant n’a pas en l’espèce à démontrer qu’il n’avait aucune autre solution pour expliquer sa conduite. Le fardeau incombe plutôt à la Commission de démontrer que les gestes commis constituent de l’inconduite.

[22] J’accorde par ailleurs à la Commission que l’appelant aurait dû se plaindre du harcèlement qu’il vivait à son employeur. Il a admis lui-même ne pas avoir déposé de plainte. Il a cependant expliqué que l’employeur aurait dû être au courant du comportement de Jonathan puisque les patrons se trouvent juste au-dessus de son poste de travail avec une grande fenêtre laissant tout entrevoir de ce qui se passait. Il affirme de plus qu’il était embarrassé de la situation et trop orgueilleux pour se plaindre. Bien que dans un monde idéal l’appelant aurait dénoncé son harceleur, une victime ne peut pas être rendue coupable de ne pas s’être plaint à temps. Le stigma relié aux victimes de harcèlement est réel et souvent une barrière à la dénonciation. Dans tous les cas, il importe de rappeler que la question n’est pas d’analyser la conduite de l’appelant par rapport au harcèlement vécu, mais bien d’analyser le geste qui a mené à son congédiement et déterminer s’il s’agit de l’inconduite.

[23] J’estime que de façon générale, une personne qui manipulerait du feu de façon non sécuritaire sur les lieux du travail constitue un manquement à une obligation de sécurité implicite au contrat de travail. Cette personne devrait donc s’attendre à ce que ces gestes soient susceptibles de mener au congédiement. En l’espèce, j’estime cependant que ce n’est pas le cas puisque l’état d’esprit de l’appelant était tel que les gestes ayant mené à son congédiement n’étaient pas conscients, délibérés ou intentionnels (Mishibinijima, 2007 CAF 36).

[24] La Commission conclue que parce que l’appelant a lui-même allumé son briquet et vaporisé de l’alcool, son geste était volontaire et délibéré. La Commission n’a pas expliqué pourquoi elle en est arrivée à conclure que la conduite de l’appelant était volontaire et délibérée. Je ne suis pas convaincue que le fait de poser un geste soi-même signifie automatiquement que le geste était conscient délibéré ou intentionnel.

[25] L’appelant a agi sous l’effet de la colère, de la tristesse et du désespoir. Comment une personne aussi perturbée par le harcèlement vécu au quotidien en plus de l’annonce de l’état de santé de son ami pouvait réellement avoir en tête les conséquences possibles de ses gestes sur son emploi ? Je dois tenir compte de l’état psychologique de l’appelant lorsqu’il a manqué à de jugement en vaporisant l’alcool sur la flamme de son briquet.

[26] Bien que je ne cautionne aucunement le geste dangereux de l’appelant sur son lieu de travail, la Commission ne m’a pas convaincue selon la totalité de la preuve et sur la balance des probabilités, que le geste reproché à l’appelant constitue de l’inconduite au sens de la Loi. Ayant eu le bénéfice du témoignage de l’appelant, que je qualifie de crédible, l’élément psychologique du test en matière d’inconduite n’a pas été démontré.

Conclusion

[27] L’appel est accueilli.

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

21 juin 2019

En personne

A. M., appelant
Jérémie Dhavernas, représentant de l’appelant

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