Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

AE – La division générale (DG) a conclu qu’une personne ne quitte pas volontairement son emploi au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) lorsqu’elle refuse de prolonger un lien d’emploi qui est sur le point de prendre fin – Lorsqu’elle a rendu cette décision, la DG s’est appuyée sur la décision de 1994 rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Cecconi – Toutefois, la DG a ignoré les modifications ultérieures à la Loi sur l’AE – Plus précisément, la DG n’a pas appliqué l’article 29(b.1).

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] D. M. est le prestataire en l’espèce. Il a présenté une demande de prestations régulières d’assurance-emploi après avoir travaillé pendant 16 semaines dans le cadre d’un programme de perfectionnement des compétences. Au cours de ce programme, il a travaillé pour un grand détaillant alimentaire.

[3] La Commission a rejeté la demande du prestataire. Plus précisément, la Commission a exclu le prestataire du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle a décidé qu’il n’était pas fondé à quitter volontairement son emploiNote de bas de page 1. À la suite de la demande du prestataire, la Commission a révisé le dossier, mais elle a maintenu sa décision initiale après révision.

[4] Le prestataire a ensuite eu gain de cause lorsqu’il a interjeté appel de la décision de la Commission devant la division générale du Tribunal. En bref, la division générale a conclu que le prestataire avait refusé de prolonger son lien d’emploi qui tirait à sa fin, ce qui est différent du fait de quitter volontairement son emploi au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

[5] À titre de membre de la division d’appel, je dois maintenant trancher l’appel de la décision de la division générale interjeté par la Commission. Plus précisément, la Commission fait valoir que la division générale a fondé sa décision sur une décision désuète rendue par la Cour d’appel fédérale et qu’elle a ignoré les modifications ultérieures à la Loi sur l’AE. La Commission soutient également que je devrais rétablir l’exclusion qu’elle avait imposée au prestataire.

[6] Je suis plutôt d’accord avec les arguments de la Commission. J’accueille donc l’appel. Voici les motifs de ma décision.

Questions en litige

[7] Pour en arriver à cette décision, j’ai répondu aux questions suivantes :

  1. La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des articles pertinents de la Loi sur l’AE?
  2. Dans l’affirmative, le prestataire est-il exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi aux termes de l’article 30 de la Loi sur l’AE?

Analyse

[8] Pour avoir gain de cause à la division d’appel, la Commission doit démontrer que la division générale a commis au moins une des trois erreurs possibles prévues par la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS)Note de bas de page 2.

[9] En l’espèce, je me suis penché sur la question de savoir si la décision de la division générale comportait une erreur de droit. Toute erreur de droit peut justifier mon intervention dans cette causeNote de bas de page 3.

[10] Si j’estime que la division générale a commis une erreur, la Loi sur le MEDS me confère alors des pouvoirs pour corriger cette erreurNote de bas de page 4.

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des articles pertinents de la Loi sur l’AE?

[11] Oui, la division générale a commis une erreur de droit en l’espèce.

[12] Aux termes de l’article 30 de la Loi sur l’AE, la partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle a quitté volontairement son emploi sans justification. La division générale a noté à juste titre qu’il s’agit d’une analyse à deux volets. Tout d’abord, la Commission avait l’obligation de prouver que le prestataire avait quitté volontairement son emploi. Le cas échéant, le prestataire avait alors l’obligation de prouver qu’il avait été fondé à le faire.

[13] En l’espèce, les parties conviennent que le prestataire avait l’option de continuer de travailler après les 16 semaines du programmeNote de bas de page 5. Selon la Commission, le refus du prestataire de continuer de travailler signifie qu’il a quitté volontairement son emploi.

[14] Toutefois, la division générale a plutôt conclu qu’une personne ne quitte pas volontairement son emploi au sens de la Loi sur l’AE en refusant de prolonger un lien d’emploi qui est sur le point de prendre fin. Lorsqu’elle a rendu cette décision, la division générale s’est appuyée sur la décision de 1994 rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c CecconiNote de bas de page 6.

[15] Cependant, en s’appuyant sur cette affaire, la Commission soutient que la division générale a ignoré les modifications ultérieures à la Loi sur l’AE. Plus précisément, la division générale n’a pas appliqué l’article 29(b.1) de la Loi sur l’AE, qui prévoit ce qui suit :

29 Pour l’application des articles 30 à 33 :

[…]

b.1) sont assimilés à un départ volontaire le refus :

(i) d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où son emploi prend fin [...].

[16] Je suis d’accord. Cette disposition s’appliquait aux faits en l’espèce, et la division générale a commis une erreur de droit en n’en tenant pas compte.

[17] Entre parenthèses, je note que les observations des parties devant la division générale portaient sur le deuxième volet de l’analyse : le prestataire était-il fondé à quitter son emploi lorsqu’il l’a fait?

[18] Il aurait été préférable que la division générale ait informé les parties du fait que sa décision pourrait plutôt porter sur le premier volet de l’analyse et qu’elle avait, de sa propre initiative, rendu une décision qui était possiblement déterminante en l’espèce. L’appui de la division générale sur l’arrêt Cecconi semble plutôt avoir été une surprise pour les parties.

Question en litige no 2 : Le prestataire est-il exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi aux termes de l’article 30 de la Loi sur l’AE?

[19] Oui, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi aux termes de l’article 30 de la Loi sur l’AE.

[20] J’ai déjà établi que la division générale avait commis une erreur de droit en l’espèce. J’ai maintenant décidé de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre pour les raisons suivantesNote de bas de page 7 :

  1. Le dossier d’appel est complet puisque les parties ont déjà eu pleinement l’occasion de présenter leur preuve et leurs arguments.
  2. J’ai examiné l’ensemble du dossier d’appel et écouté l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale. Par conséquent, il n’y a guère d’avantages à renvoyer l’affaire devant la division générale.
  3. La Loi sur l’AE et la Loi sur le MEDS forment un système décisionnel dont l’objectif est de rendre des décisions rapidementNote de bas de page 8.

[21] En ce qui concerne l’analyse à deux volets énoncée ci-dessus, le premier volet consiste à savoir si le prestataire a quitté volontairement son emploi. La question pertinente est la suivante : le prestataire avait-il le choix de rester ou de partirNote de bas de page 9? De toute évidence, la réponse est oui. Le prestataire aurait pu continuer de travailler pour son employeur s’il en avait décidé ainsi. Par conséquent, la Commission a satisfait à son obligation de prouver la première partie du critère juridique.

[22] Le prestataire doit maintenant établir qu’il était fondé à quitter son emploi lorsqu’il l’a fait. Il peut être difficile de prouver ce fait. Le prestataire doit établir que, compte tenu de toutes les circonstances de son cas, il n’avait d’autres solutions raisonnables que de partirNote de bas de page 10. L’article 29(c) de la Loi sur l’AE prévoit un certain nombre de circonstances pertinentes que le Tribunal doit prendre en considération dans des cas comme celui-ci, mais je peux également tenir compte d’autres circonstances pertinentes.

[23] En l’espèce, le prestataire fait valoir qu’il avait dû quitter son emploi parce qu’il travaillait dans un environnement toxique. Dans cette optique, il affirme que sa supérieure tenait constamment des propos inappropriés sur son cousin et qu’elle le rabaissait devant les autres. De plus, le prestataire a été impliqué dans un accident de travail qui n’a pas été traité avec le sérieux qu’il méritait, et les autres membres du personnel ont lancé des rumeurs à propos de la façon dont la copine du prestataire dictait ses quarts de travail.

[24] Je compatis avec le prestataire. Toutefois, pour établir l’existence d’une justification, les personnes qui sont dans la même situation que le prestataire ont généralement l’obligation de tenter de résoudre les conflits de travail ou de démontrer des efforts pour se trouver un autre emploi avant de quitter celui qu’elles occupent déjàNote de bas de page 11. En l’espèce, le prestataire n’a fait aucune de ces choses.

[25] Je reconnais que le prestataire a déclaré que sa supérieure et les gérants du magasin étaient tous amis, et qu’il était donc inutile de discuter avec l’un d’entre eux. Toutefois, le prestataire travaillait pour une très grande entreprise, et il a été prouvé qu’il aurait pu déposer ses plaintes à un gérant, à un gérant adjoint, à une personne des ressources humaines qui était sur place ou même à une personne du programme d’aide aux employésNote de bas de page 12. Néanmoins, le prestataire avait déjà décidé de quitter son emploi. Il n’a donc pas envisagé ces possibilités.

[26] Il convient de souligner que la décision du prestataire pourrait bien avoir été raisonnable compte tenu de toutes les circonstances. Toutefois, le prestataire n’a pas établi une justification au sens de la Loi sur l’AE. Par conséquent, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi aux termes de l’article 30 de la Loi sur l’AE.

Conclusion

[27] Dans cette décision, j’ai conclu que la division générale a commis une erreur de droit. J’ai également décidé de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre : le prestataire a quitté volontairement son emploi sans justification. Par conséquent, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi aux termes de l’article 30 de la Loi sur l’AE.

[28] L’appel est accueilli.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 29 mai 2019

Téléconférence

Rachel Paquette, représentante de l’appelante

D. M., non représenté

Dispositions juridiques pertinentes

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

  1. Moyens d’appel
  2. 58 (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :
    1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
    2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
    3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
  3. • • •
  4. Décisions
  5. 59 (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.
  6. • • •
  7. Pouvoir du Tribunal
  8. 64 (1) Le Tribunal peut trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur une demande présentée sous le régime de la présente loi.

Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale

  1. Principe général
  2. 2 Le présent règlement est interprété de façon à permettre d’apporter une solution à l’appel ou à la demande qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.
  3. Conduite informelle
  4. 3 (1) Le Tribunal :
    1. a) veille à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent […].
  5. • • •

Loi sur l’assurance-emploi

  1. Interprétation
  2. 29 Pour l’application des articles 30 à 33 :
  3. […]
  4. b.1) sont assimilés à un départ volontaire le refus :
    1. (i) d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où son emploi prend fin,
    2. (ii) de reprendre son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où il est censé le reprendre,
    3. (iii) de continuer d’exercer son emploi lorsque celui-ci est visé par le transfert d’une activité, d’une entreprise ou d’un secteur à un autre employeur, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment du transfert;
  5. c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
    1. (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,
    2. (ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,
    3. (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
    4. (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,
    5. (v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,
    6. (vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,
    7. (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,
    8. (viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,
    9. (ix) modification importante des fonctions,
    10. (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,
    11. (xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,
    12. (xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,
    13. (xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,
    14. (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.
  6. Exclusion : inconduite ou départ sans justification
  7. 30 (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas [...].
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