Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli. J’estime que l’appelant n’a pas quitté volontairement son emploi. J’ai également examiné si l’appelant avait perdu son emploi en raison de son inconduite, et je conclus que ce n’est pas le cas. Il en résulte que l’appelant n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi (AE).

Aperçu

[2] L’appelant (prestataire) a travaillé comme conducteur de camion de livraison. Un jour, au travail, il a eu une dispute avec un collègue qui a porté son employeur à croire que le prestataire avait quitté son emploi. Le prestataire soutient qu’il n’a pas quitté son emploi, mais que l’employeur l’a empêché de retourner au travail. Le prestataire a présenté une demande de prestations d’AE, toutefois la Commission de l’assurance-emploi du Canada a déterminé qu’il était exclu du bénéfice des prestations parce qu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification. La Commission a maintenu sa décision après révision. Le prestataire interjette maintenant appel de cette décision auprès du Tribunal de la sécurité sociale.

Questions en litige

[3] Question en litige no 1 : Le prestataire a-t-il volontairement quitté son emploi?

[4] Question en litige no 2 : Si oui, le prestataire était-il fondé à quitter volontairement son emploi?

[5] Question en litige no 3 : Si le prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi et qu’il a plutôt été congédié, était-ce en raison de son inconduite?

Analyse

[6] La Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) comprend deux notions distinctes qui mènent à l’exclusion du bénéfice des prestations : le départ volontaire et l’inconduiteNote de bas de page 1. Les deux notions sont liées, car la question de savoir si la perte d’emploi est attribuable au congédiement de l’employé pour cause d’inconduite ou à la décision de l’employé de quitter son emploi peut ne pas être claire. Comme la question de droit en litige concerne une exclusion, je peux tirer une conclusion fondée sur l’un ou l’autre des deux motifs d’exclusionNote de bas de page 2. Autrement dit, lorsque le motif de la cessation d’emploi du prestataire n’est pas clair, j’ai compétence pour déterminer si la cessation d’emploi est fondée sur un départ volontaire ou une inconduite puisqu’il importe peu que l’employeur ou l’employé ait pris l’initiative de mettre fin à la relation employeur-employé, car les deux questions se rapportent à une exclusionNote de bas de page 3.

[7] Il incombe à la Commission de démontrer que le prestataire a quitté volontairement son emploi; si la Commission ne réussit pas à démontrer que le prestataire a quitté volontairement son emploi, il lui incombera de démontrer que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 4.

Question en litige no 1 : Le prestataire a-t-il volontairement quitté son emploi?

[8] Au moment de déterminer si une partie prestataire a volontairement quitté son emploi, la question à laquelle il faut répondre est la suivante : l’employé avait-il le choix de conserver ou de quitter son emploiNote de bas de page 5?

[9] Le prestataire a travaillé comme conducteur de camion de livraison. Il a présenté une demande de prestations d’AE en date du 3 mars 2019. Il a mentionné sur son formulaire de demande initiale qu’il avait été congédié le 1er mars 2019 parce que la responsable des ventes de son employeur lui a dit de partir immédiatement, sans quoi elle appellerait la police. Il a soutenu qu’il ne pouvait plus retourner au travail en raison de cette menace.

[10] Le prestataire a expliqué sur son formulaire de demande initiale qu’il était allé travailler le vendredi 1er mars 2019, et qu’il avait rencontré un collègue qui avait fait des commentaires qui avaient causé une dispute verbale. Le prestataire a mentionné qu’il s’était sorti de la situation et était retourné dehors pour préparer son camion en vue des livraisons et aller chercher un café. Il a soutenu que lorsqu’il est retourné dans l’usine, l’employé qui avait pris part à la dispute parlait avec la responsable des ventes, et la responsable des ventes avait dit au prestataire qu’il devrait quitter, sinon elle appellerait la police. Le prestataire a soutenu qu’il avait quitté les lieux et qu’il avait communiqué avec le propriétaire le lundi suivant, qui avait eu l’impression que le prestataire avait quitté son emploi. Le prestataire a soutenu qu’il avait expliqué la situation à l’employeur et qu’il avait dit qu’il n’avait pas quitté son emploi, et que l’employeur avait dit qu’il examinerait la question et qu’il communiquerait avec lui. Le prestataire a dit ne plus avoir eu de nouvelles de l’employeur, et qu’il était consterné par cette situation, car il n’avait eu aucun problème avec cet emploi avant cela. Le prestataire a mentionné qu’une fois qu’on l’avait menacé d’appeler la police, il sentait qu’il ne devrait pas retourner sur le lieu de travail.

[11] La Commission a parlé au propriétaire de l’entreprise de l’employeur le 9 avril 2019. Le propriétaire a affirmé que le prestataire avait quitté son emploi, et qu’il n’avait pas été congédié. Il a mentionné qu’il n’était pas présent le 1er mars 2019, mais que trois employés lui avaient dit que le prestataire avait quitté son emploi et qu’il avait dit qu’il terminerait la journée, mais qu’il ne reviendrait pas. Le propriétaire n’était pas certain si le prestataire avait fait une déclaration au sujet de son départ avant ou après la menace d’appeler la police, alors il a transféré l’appel de l’agente ou l’agent de la Commission à la responsable des ventes qui était impliquée dans la situation du 1er mars 2019.

[12] La responsable des ventes a parlé à la Commission et a mentionné que le prestataire est venu dans son bureau en criant et qu’il avait dit : [traduction] « Je m’en vais », et qu’il était parti. Elle a dit qu’elle avait [traduction] « eu l’impression que le client avait quitté son emploi », mais qu’il était revenu plus tard avec un café à la main et qu’il continuait de crier. La responsable des ventes a mentionné que le prestataire avait dit qu’il ne ferait rien de ce qu’elle lui disait de faire, et qu’il terminerait la journée, mais qu’il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il revienne lundi. La responsable des ventes a mentionné que le prestataire avait continué de crier et qu’il s’approchait du collègue avec qui il s’était disputé initialement, alors elle est intervenue et a dit qu’elle appellerait la police s’il ne partait pas.

[13] La Commission a parlé au prestataire le 9 avril 2019, après avoir parlé à l’employeur. La Commission a noté que la version des faits de l’employeur était assez semblable à celle du prestataire. La Commission a demandé au prestataire s’il était allé dans le bureau et avait parlé à la responsable des ventes après la dispute avec son collègue et qu’il avait dit [traduction] « Je m’en vais », et était parti. Le prestataire a confirmé que cela était exact. La Commission a ensuite demandé si le prestataire était retourné environ 30 minutes plus tard et s’il était allé dans le bureau, là où discutaient la responsable des ventes et l’autre employé. Le prestataire a répondu que cela aussi était vrai, et a dit qu’il avait essayé de parler avec l’employé pour expliquer la situation, mais que l’autre employé ne voulait pas écouter. À ce moment, le prestataire a dit que la responsable des ventes lui avait dit de partir, sinon elle appellerait la police. La Commission a déclaré que l’employeur a pensé que l’affirmation du prestataire, « Je m’en vais », voulait dire qu’il quittait son emploi, ce qui n’était pas l’intention du prestataire. La Commission a mentionné que dire « Je m’en vais » est l’équivalent de [traduction] « dire à l’employeur que vous avez démissionné », et a aussi noté que le comportement qu’il avait adopté sur le lieu de travail était inacceptable.

[14] Le 20 avril 2019, la Commission a rendu une décision dans laquelle elle concluait que le prestataire était exclu du bénéfice des prestations d’AE parce qu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification. Le prestataire a demandé une révision le 12 avril 2019, et a mentionné que ses propos ont été pris hors contexte et que la Commission s’est appuyée sur un faux témoignage de l’employeur. Le prestataire a aussi mentionné qu’il n’avait dit à personne qu’il quittait son emploi, et qu’il avait des messages textes de son employeur qui prouvaient qu’il était surpris par la déclaration selon laquelle il avait quitté son emploi. Il a mentionné qu’il avait eu une courte dispute avec un collègue et qu’il avait décidé de se sortir de la situation en allant dehors, mais que lorsqu’il était retourné, on l’avait menacé d’appeler la police. Il a dit que la menace de se faire arrêter lui avait fait peur.

[15] Le prestataire a présenté au Tribunal des copies des messages textes échangés entre lui et le propriétaire; ces messages montrent qu’il a communiqué avec l’employeur le 7 mars 2019 à 13 h 07 pour s’informer au sujet de l’indemnité de départ. L’employeur a répondu qu’il n’était pas admissible à une indemnité de départ parce qu’il avait démissionné. Le prestataire a répondu qu’il n’avait [traduction] « jamais quitté son emploi », et qu’il voulait plutôt faire ses livraisons, mais qu’on lui avait dit de quitter les lieux, sinon la responsable des ventes appellerait la police. Le prestataire a dit à l’employeur qu’il ne reviendrait pas au travail pour risquer d’être arrêté. L’employeur a répondu qu’il [traduction] « examinerait la question » et a ajouté : [traduction] « Tu as dit que tu terminerais la journée de vendredi et ne reviendrais pas lundi. Cela correspond à un départ ». Le prestataire a répondu qu’il [traduction] « n’avait jamais dit cela ».

[16] La Commission a parlé au prestataire le 21 mai 2019 pendant le processus de révision. Le prestataire a expliqué qu’il avait demandé une journée de congé le 1er mars 2019, mais qu’on lui avait dit qu’il devait travailler parce que l’autre chauffeur-livreur était en congé ce jour-là. Le prestataire a affirmé qu’il était entré dans l’entrepôt et qu’un collègue, qui était son supérieur parce que le gestionnaire était congé, lui a dit de parler à la responsable des ventes dans le bureau concernant une livraison. Le prestataire a mentionné qu’il avait répondu : [traduction] « Je ne lui demande rien », et qu’il s’est dirigé vers le bureau. À l’audience, le prestataire a affirmé que la responsable des ventes était la seule personne dans le bureau et qu’il avait donc pensé qu’il était évident qu’il allait lui parler, et qu’il faisait une blague. Le prestataire a mentionné à la Commission que le collègue avait ensuite dit : [traduction] « Alors pourquoi es-tu venu travailler alors [juron]? ». Le prestataire a dit qu’il était surpris et qu’il a dit : [traduction] « Quoi? » Ce à quoi le collègue a répété son affirmation. Le prestataire a dit avoir ignoré cela et s’être dirigé vers le bureau, mais qu’il était frustré et a dit : [traduction] « Je m’en vais ». Il a déclaré que la responsable des ventes était dans le bureau et qu’elle ne savait pas ce qui s’était passé avec la dispute. Le prestataire a ajouté qu’il avait l’habitude de blaguer avec ses collègues, et a affirmé qu’il reconnaissait qu’il n’avait pas géré la situation aussi bien qu’il aurait pu, mais qu’il croyait qu’il était préférable d’aller à l’extérieur et de se calmer au lieu d’aggraver la dispute avec un collègue.

[17] Le prestataire a dit à la Commission qu’il avait ensuite quitté le bureau pour aller dehors, mais que le collègue lui avait demandé de venir lui parler, et le prestataire a dit qu’il ne voulait parler à personne et s’est dirigé vers l’extérieur. Le prestataire a mentionné que le collègue lui a de nouveau demandé de venir, et qu’il n’avait pas répondu, et que le collègue avait crié un juron. Le prestataire a dit qu’il s’était rendu à sa voiture, et avait conduit jusqu’à un restaurant pour acheter un café, où il a pensé qu’il devrait aller se calmer à la maison. Il a toutefois décidé de continuer et de finir sa journée parce qu’il avait déjà préparé son camion, et il est donc retourné au travail. Le prestataire a mentionné qu’il était retourné dans l’entrepôt et que le collègue parlait à la responsable des ventes. Le prestataire a mentionné qu’il avait essayé de parler au collègue et d’expliquer qu’il avait seulement fait une blague, mais le collègue ne voulait pas discuter de cette question. Le prestataire a mentionné que la responsable des ventes lui avait alors dit de partir, sans quoi elle appellerait la police.

[18] Le prestataire a mentionné qu’en plus du collègue et de la responsable des ventes, deux autres employés étaient aussi présents à l’entrepôt. L’employeur a obtenu les déclarations de l’un de ces employés, ainsi que de la responsable des ventes et du collègue qui a pris part à la dispute. Le prestataire a affirmé que l’une des déclarations vient du fils du propriétaire, et qu’elle n’est donc pas, d’après lui, indépendante. Il a ajouté à l’audience que l’employé neutre qui aurait été en mesure de donner une évaluation équitable des événements n’avait pas fourni de déclaration.

[19] La déclaration du 27 mars 2019 a été formulée par le fils du propriétaire et mentionne que le prestataire était arrivé au travail avec un retard d’une heure et demie et qu’il n’avait pas appelé ni envoyé de courriel pour aviser de son retard. Les dates de l’incident sont incorrectes, puisqu’il est noté qu’il s’est produit le 29 février 2019. Le témoin dit que le prestataire avait posé une question au collègue impliqué dans l’incident, et que le collègue avait répondu que le prestataire devrait demander à la responsable des ventes. Le témoin a ajouté que le prestataire avait répondu : [traduction] « Je ne réponds à personne aujourd’hui, j’ai terminé ». Le témoin a aussi mentionné que le collègue en question avait demandé au prestataire s’il avait quitté son emploi et que le prestataire avait répondu : [traduction] « Je ne sais pas ».

[20] La responsable des ventes a rédigé une déclaration le 9 mai 2019 qui disait qu’elle avait laissé un message au prestataire à 8 h le jeudi 28 février 2019 pour lui demander s’il rentrerait au travail parce que son quart de travail commençait à 7 h 30. Elle a mentionné que lorsqu’elle a parlé au prestataire, elle lui a dit qu’il devait appeler s’il devait être en retard ou s’absenter, et il a dit qu’il ne voulait pas composer avec cela et il lui avait raccroché au nez. Elle a dit qu’il était arrivé et avait pointé à 8 h 48. Elle a aussi déclaré qu’il y avait eu une deuxième situation où le prestataire lui avait raccroché au nez parce qu’il ne voulait pas écouter un changement de trajet. Elle a ensuite dit que le vendredi 1er mars 2019, le collègue impliqué dans la situation avait dit au prestataire d’aller vérifier s’il y avait des instructions spéciales pour la journée. Le témoin a mentionné que le prestataire était entré dans le bureau et avait dit qu’il [traduction] « ne supportait plus cette merde » et était sorti. Le témoin a mentionné que le prestataire était retourné peu de temps après et qu’il avait dit qu’il finirait la journée, mais qu’il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il revienne lundi. Le témoin a affirmé qu’elle avait dit au prestataire de ne pas se donner la peine et de partir, sans quoi elle appellerait la police.

[21] Le collègue impliqué dans l’incident a écrit une déclaration le 22 mai 2019, mentionnant que l’incident s’était produit le 28 mars 2019, et que le prestataire était en retard d’une heure et demie et qu’il n’avait ni téléphoné ni communiqué avec eux. Le collègue a mentionné que lorsque le prestataire était passé devant lui dans l’entrepôt, le collègue lui avait demandé de vérifier auprès de la responsable des ventes si un bon de commande était prêt à être ramassé et que le prestataire lui avait répondu : [traduction] « Je n’ai pas à répondre à qui que ce soit ». Le collègue mentionne que le prestataire était sorti précipitamment et que lorsqu’il lui avait demandé où il allait, il avait dit : [traduction] « J’en ai fini avec ça ». Le témoin a mentionné que 20 à 40 minutes plus tard, le prestataire était revenu et avait dit qu’il finirait sa journée, mais de ne pas s’attendre à ce qu’il revienne.

[22] Le propriétaire a aussi fourni une déclaration signée, bien qu’il n’était pas présent sur le site le 1er mars 2019. Il affirme qu’il avait demandé aux employés de rédiger des déclarations immédiatement, mais que la majorité d’entre eux étaient trop occupés ou ont oublié, et que donc certaines dates ou certains détails pourraient être incorrects. Le propriétaire mentionne que malgré les incohérences, il est facile de brosser un tableau de ce qui est arrivé le [traduction] « 28 février 2019 ». L’employeur mentionne qu’il aurait congédié le prestataire si le prestataire n’avait pas quitté son emploi, pour inconduite ou manquement aux devoirs, mais il soutient que le prestataire a fait plusieurs déclarations selon lesquelles il [traduction] « s’était congédié lui-même ».

[23] La Commission a rendu une décision révisée le 29 mai 2019 dans laquelle elle maintenait sa décision selon laquelle le prestataire était exclu du bénéfice des prestations d’AE parce qu’il avait quitté son emploi sans justification. Le prestataire a déposé un avis d’appel le 17 juin 2019, mentionnant qu’il était en désaccord avec l’hypothèse selon laquelle il avait quitté son emploi. Le prestataire a soutenu n’avoir [traduction] « jamais dit à personne que je quittais mon emploi et on m’a dit de partir sans quoi on appellerait la police ». Le prestataire a affirmé qu’il a un [traduction] « mauvais caractère » et qu’il est préférable de se sortir des situations lorsqu’il sent qu’elles vont dégénérer.

[24] Le prestataire a présenté une autre lettre au Tribunal le 5 juillet 2019 qui fournissait un compte rendu détaillé des événements du 1er mars 2019 tels qu’il se les rappelait. Le prestataire reprend l’essentiel de ce qu’il a dit à la Commission le 21 mai 2019, notamment le fait qu’il a dit : [traduction] « Je m’en vais ». Il ajoute que le collègue impliqué dans la situation lui a demandé s’il quittait son emploi et qu’il a répondu : [traduction] « Je ne sais pas, je t’aviserai », avant de sortir dehors pour se calmer après la dispute. Le prestataire a affirmé que lorsqu’il est retourné, la responsable des ventes parlait avec le collègue, et que lorsqu’il a essayé d’expliquer au collègue qu’il faisait seulement une blague, il est devenu évident que le collègue ne l’écouterait pas. Il a mentionné que la responsable des ventes avait dit : [traduction] « et tu m’as raccroché au nez il y a deux jours aussi, et ne me fais plus ça, et maintenant va-t-en! ». Le prestataire a soutenu qu’il a essayé de répondre, mais que la responsable des ventes lui a dit de partir ou qu’elle appellerait la police. Le prestataire a répété qu’il n’avait pas démissionné, et qu’il n’avait jamais reçu de mesure disciplinaire pour un écart de conduite au travail.

[25] À l’audience, le prestataire a fourni une preuve qui était cohérente avec ce qu’il avait mentionné à la Commission et avec le contenu de sa lettre du 5 juillet 2019. Il a mentionné avoir dit à la responsable des ventes : [traduction] « Je m’en vais », et avoir dit au collègue qu’il ne savait pas s’il quittait son emploi et qu’il [traduction] « l’aviserait ». Le prestataire a dit que la dispute était rapidement devenue vive et qu’il avait appris en composant avec des enjeux de gestion de la colère que la meilleure façon d’aborder les problèmes est de se sortir de la situation. Le prestataire a affirmé qu’il aurait pu arrêter et parler au collègue et peut-être désamorcer la situation, mais qu’à ce moment il sentait qu’il était préférable de quitter les lieux. Le prestataire a mentionné qu’ayant appris qu’une lettre avait été rédigée sur le lieu de travail afin de donner la directive aux employés d’appeler la police s’il revenait sur les lieux, il ne pouvait pas retourner au travail, alors il a envoyé un message texte au propriétaire de l’entreprise. Le prestataire a mentionné qu’il n’avait pas eu de réprimandes ni de problèmes précédemment à cet emploi et qu’il s’entendait bien avec tout le monde, alors il a été surpris lorsqu’un collègue l’a injurié et lui a demandé pourquoi il s’était donné la peine de se présenter au travail. Le prestataire a aussi affirmé qu’il n’avait pas dit : [traduction] « Je vais terminer la journée, mais ne vous attendez pas à ce que je revienne lundi ».

[26] J’ai passé en revue le relevé d’emploi; l’employeur a inscrit le code E comme motif de la cessation d’emploi, ce qui signifie que le prestataire a quitté son emploi. La Commission soutient que le prestataire a quitté son emploi lorsqu’il a dit : [traduction] « Je m’en vais », et qu’il a quitté le lieu de travail. Elle soutient que le prestataire a changé d’idée et qu’il a décidé de terminer sa journée, mais qu’il a quitté son emploi une deuxième fois lorsqu’il a dit à l’employeur de ne pas s’attendre à ce qu’il revienne le lundi.

[27] Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi. Le prestataire n’a pas quitté son emploi lorsqu’il a dit : [traduction] « Je m’en vais ». Son travail consistait à conduire un camion de livraison, et bien qu’il ait été frustré et ait quitté le lieu de travail, j’estime que cette déclaration était insuffisante pour montrer qu’il avait l’intention de quitter son emploi et aurait pu tout aussi bien vouloir dire qu’il avait l’intention d’aller dehors. Le prestataire est retourné au lieu de travail quelques minutes après être allé acheter un café et a continué à préparer son camion en vue de sa journée de livraisons, ce qui n’appuie pas le fait qu’il voulait quitter son emploi. En ce qui concerne la déclaration selon laquelle l’employeur ne devait pas s’attendre à ce qu’il revienne le lundi, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle n’a pas été faite. Le prestataire a affirmé que cette déclaration n’avait pas été faite, et il a présenté une preuve directe à cet égard, ce que j’estime un témoignage vraisemblablement plus exact que les déclarations de la responsable des ventes et du collègue impliqué dans la situation, parce qu’il m’a été fait directement et est cohérent avec les déclarations du prestataire tout au long du processus d’investigation.

[28] J’ai examiné les déclarations des témoins et j’estime qu’elles ne sont pas des éléments de preuve solides en raison de nombreuses incohérences. Les déclarations sont incohérentes en ce qui a trait aux dates des événements, mais également au contenu des conversations. Je note également que les déclarations des trois employés mentionnent que le prestataire était en retard au travail du même délai et qu’il n’avait pas avisé l’employeur de son retard. Ce sont dans ces trois déclarations qu’un retard a été mentionné pour la première fois, puisqu’aucun retard n’avait été mentionné dans la recherche de faits initiale ou après révision, et le prestataire conteste cela, car il soutient que les employés confondent les situations ou ont menti. Je privilégie la preuve directe du prestataire parce que la preuve m’a été présentée directement et j’ai été en mesure de remettre en cause la preuve et d’en vérifier le bien-fondé, ce qui n’est pas le cas avec les déclarations écrites. Pour cette raison, j’ai accordé peu de poids aux déclarations signées des témoins et du propriétaire.

[29] Je tiens pour avéré que le prestataire n’avait pas le choix de conserver son emploi une fois que la menace d’une intervention de la police a été proférée; par conséquent, j’estime que le prestataire a été congédié.

Question en litige no 2 : Si oui, le prestataire était-il fondé à quitter volontairement son emploi ?

[30] Étant donné que j’ai déterminé que le prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi, cette question est sans objet.

Question en litige no 3 : Si le prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi et qu’il a plutôt été congédié, était-ce en raison de son inconduite?

[31] Pour les besoins de la Loi sur l’AE, l’inconduite a été définie comme étant une « inconduite délibérée » dont la partie prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle pourrait entraîner son congédiementNote de bas de page 6. Le concept d’inconduite délibérée n’implique pas qu’il soit nécessaire que le comportement fautif résulte d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 7. Pour déterminer si l’inconduite pourrait mener à un congédiement, il doit exister un lien de causalité entre l’inconduite reprochée au prestataire et son emploiNote de bas de page 8, ce qui signifie que la conduite doit avoir été commise par une partie prestataire alors qu’elle était à l’emploi de l’employeur, elle doit constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail et doit avoir causé la perte de l’emploiNote de bas de page 9.

[32] Je note que les déclarations signées des témoins provenant des trois employés disent toutes que le prestataire était en retard d’une heure et demie et au travail et qu’il n’avait pas appelé pour motiver son retard. Le prestataire a affirmé qu’il était au travail à l’heure le 1er mars 2019 et que les employés confondent des situations différentes. Plus précisément, il a fait référence à la responsable des ventes qui avait mentionné qu’il était en retard et qu’il lui avait raccroché au nez lorsqu’ils parlaient. Il a affirmé qu’il y avait eu une situation où il conduisait dans de mauvaises conditions météorologiques et que la responsable des ventes l’avait appelé pour lui donner des instructions quant à son trajet, mais il lui avait dit qu’il devait y aller car il ne pouvait pas parler et conduire et lui avait raccroché au nez. Il a soutenu qu’elle n’avait pas mentionné avoir été fâchée à ce sujet avant le 1er mars 2019, alors il croit qu’elle s’est sentie offensée pendant un bon moment avant cet incident. Il a soutenu que la journée en question, il était à l’heure et a pointé dans un horodateur à 7 h. Le prestataire a affirmé qu’il n’y a pas de processus officiel pour savoir si les travailleurs seront en retard ou absents, mais qu’ils doivent généralement appeler au bureau pour aviser du problème. J’estime que, selon la prépondérance des probabilités, le prestataire n’était pas en retard le 1er mars 2019 et qu’il n’existe pas de preuve qu’un historique d’absentéisme ou de retards aurait eu des répercussions sur sa cessation d’emploi.

[33] La Commission a soutenu que le motif qu’a donné le prestataire pour expliquer qu’il était contrarié et fâché était qu’il n’avait pas le goût d’être au travail ce jour-là, ce qui, soutient-elle, n’est pas une raison pour agir avec hostilité. Je ne suis pas d’accord avec la qualification par la Commission de la raison du prestataire pour expliquer qu’il était [traduction] « contrarié et fâché ». Le prestataire a mentionné qu’il avait demandé congé ce jour-là et qu’on lui avait dit qu’il devait travailler, et a dit qu’il ne voulait pas particulièrement être au travail le 1er mars 2019. Cependant, le témoignage du prestataire est cohérent quant au fait qu’il n’y avait pas de problème jusqu’à ce qu’il fasse une blague à un collègue qui a déclenché une dispute et a fait qu’il a perdu son sang‑froid et a dû quitter le lieu de travail.

[34] Le prestataire a affirmé qu’il était stupéfait d’avoir été congédié. Il a mentionné que lorsqu’il a commencé l’emploi, il a signé certains documents, mais qu’il ne sait pas si l’employeur avait un code de conduite officiel. Il a dit qu’aucune formation n’avait porté sur un code de conduite ou sur les politiques de l’entreprise quant à la conduite. Il a dit que bien que le collègue impliqué dans les événements n’avait pas l’habitude d’utiliser des jurons sur le lieu de travail, l’environnement était convivial et qu’ils [traduction] « blaguaient » tous. Le prestataire a mentionné qu’il avait une bonne relation avec ses collègues, et qu’il ne sait pas ce qui s’est passé le 1er mars 2019. Il a affirmé qu’il est possible que le collègue impliqué dans la dispute passait une mauvaise journée, mais que la façon dont il lui avait répondu l’avait fâché et obligé à prendre des mesures pour désamorcer la situation.

[35] L’inconduite n’est pas définie dans la Loi sur l’AE, et la question de savoir si elle s’est produite repose essentiellement sur une [traduction] « question de circonstances »Note de bas de page 10. J’estime que compte tenu des circonstances en l’espèce, je ne peux pas conclure que la conduite du prestataire constituait une inconduite. La conduite adoptée par le prestataire est la suivante : il a eu une dispute avec un collègue, puis a quitté les lieux le temps d’une courte pause. Je ne peux pas conclure qu’il a manqué à son devoir en prenant une courte pause en dehors du lieu de travail ni en ayant une dispute. Aucun élément de preuve ne montre que le prestataire a enfreint une politique de l’entreprise, et bien qu’il admette avoir eu une dispute avec un collègue, il ne semble pas que le prestataire était l’agresseur dans cette situation, toutefois les deux parties commençaient à être de plus en plus agitées et le prestataire a pris la décision de s’éloigner. J’estime que le prestataire ne savait pas ni n’aurait dû savoir qu’il pourrait être congédié pour avoir quitté le lieu de travail pour aller acheter un café ou pour avoir eu une dispute avec un collègue. De plus, le prestataire n’a pas d’antécédents de mesures disciplinaires et n’aurait pas pu s’attendre à ce que cet incident isolé mène à son congédiement.

[36] Ces cas exigent de mettre en équilibre plusieurs facteurs, ce qui est illustré dans le long compte rendu du dossier documentaire de cette décision. J’estime que la Commission ne s’est pas acquittée de son fardeau puisqu’elle n’a pas réussi à démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, le prestataire avait fait preuve d’inconduite. Je suis consciente des commentaires de la Cour à ce sujet :

Vu les conséquences sérieuses qui y sont associées, une conclusion d’inconduite doit être fondée sur des éléments de preuve clairs et non sur de simples conjectures et hypothèses. En outre, c’est à la Commission de prouver la présence de tels éléments de preuve, et ce, indépendamment de l’opinion de l’employeurNote de bas de page 11.

[37] Je note que le prestataire a présenté au Tribunal une copie de la décision qu’il avait reçue du ministère du Travail de l’Ontario, qui avait tranché que le prestataire n’avait pas quitté son emploi et n’avait pas commis d’inconduite. Je mentionne ce document parce que le prestataire y a fait référence à l’audience; il est toutefois à noter qu’il n’a pas d’incidence sur ma décision. La décision du ministère est fondée sur son interprétation de la Loi sur les normes d’emploi, 2000, du gouvernement provincial, tandis que ma décision est fondée sur les dispositions et la jurisprudence en lien avec la Loi sur l’assurance-emploi du gouvernement fédéral.

Conclusion

[38] L’appel est accueilli. Je conclus que le prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi. J’ai aussi examiné la question de savoir si le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite, et j’ai conclu que ce n’était pas le cas.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 30 juillet 2019

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S. M., appelant

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