Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] Le Tribunal accueille en partie l’appel dans le dossier AD-18-522 mais rejette l’appel dans le dossier AD-19-322.

Aperçu

[2] L’appelant, V. B. (prestataire), a travaillé comme chauffeur de camion pour l’employeur jusqu’au 4 mai 2012. Le 19 avril 2017, l’employeur a émis un relevé d’emploi indiquant que le prestataire avait reçu un montant de 69 144 $ à titre de paie de règlement judiciaire. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission), a avisé le prestataire que la somme reçue à titre de salaire perdu et paie de vacances était considérée comme une rémunération et serait déduite de ses prestations du 19 août 2012 au 27 avril 2013.

[3] La répartition des montants a généré un trop-payé au montant de 11 522 $. Le prestataire a demandé la révision de cette décision mais la Commission a maintenu sa décision initiale. Le prestataire a interjeté appel de la décision découlant de la révision auprès de la division générale du Tribunal.

[4] La division générale a déterminé que la somme d'argent reçue par le prestataire constituait une rémunération aux termes de l’article 35 du Règlement sur l'assurance-emploi  (Règlement sur l’AE) et que cette rémunération devait être répartie selon l’article 36(9) du Règlement sur l’AE.

[5] La permission d’en appeler a été accordée par le Tribunal. Le prestataire fait valoir que la division générale n’a pas considéré son argument considérant l’application de l’article 46.01 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE). Il soutient également que la division générale a erré en considérant la somme reçue comme de la rémunération au sens du Règlement sur l’AE puisque la somme a été versée en échange d’une renonciation à son droit à la réintégration. Il soutient finalement que la division générale a commis un manquement au principe de justice naturelle lorsqu’elle a permis à la Commission d’apporter une argumentation supplémentaire, après audience, sans lui permettre une réplique.

[6] En date du 14 février 2019, alors que l’audience de son appel avait été suspendue, le prestataire a présenté à la division générale une demande en modification ou annulation de la décision de la division générale en vertu de l’article 66 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), laquelle a été rejetée le 12 avril 2019.

[7] La présente décision concerne le dossier AD-18-322, soit l’appel de la décision de la division générale, et le dossier AD-19-522, soit l’appel du rejet de la demande en annulation ou modification de la décision de la division générale.

[8] Le Tribunal accueille en partie l’appel du prestataire.

Questions en litige

[9] Est-ce que la division générale a erré en rejetant la demande d’annulation ou de modification du prestataire présentée en vertu de l’article 66 de la Loi sur le MEDS?

[10] Est-ce que la division générale a erré en concluant que le montant versé au prestataire n’avait pas été versé en échange de la renonciation à son droit d’être réintégré?

[11] Est-ce que la division générale a refusé d’exercer sa compétence en ne considérant pas l’argument du prestataire concernant l’application de l’article 46.01 de la Loi sur l’AE?

[12] Est-ce que la division générale a commis un manquement au principe de justice naturelle lorsqu’elle a permis à la Commission d’apporter une argumentation supplémentaire, après audience, sans permettre au prestataire de répliquer?

Analyse

Mandat de la division d’appel

[13] La Cour d’appel fédérale a déterminé que la division d’appel n’avait d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le MEDS.Note de bas de page 1

[14] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure.

[15] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l'appel.

Remarques preliminaires

[16] Le Tribunal a procédé à l’audience des dossiers AD-18-522 et AD-19-322 en l’absence de la Commission puisqu’il était convaincu qu’elle avait été avisée de la tenue de l’audience, le tout conformément à l’article 12 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Question en litige no 1 : Est-ce que la division générale a erré en rejetant la demande d’annulation ou de modification du prestataire présentée en vertu de l’article 66 de la Loi sur le MEDS?

[17] Le Tribunal est d’avis que ce moyen d’appel est sans fondement.

[18] Le prestataire fait valoir que la division générale a erré en droit dans son interprétation de l’article 66 de la Loi sur le MEDS. Il soutient qu’elle a basé sa décision de rejeter sa demande en annulation ou modification uniquement sur la base qu’il ne présentait pas de faits nouveaux. Il fait valoir que l’article 66 de la Loi sur le MEDS permet également à la division générale d’annuler ou de modifier sa décision si elle est convaincue que la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait.

[19] L’article 66 de la Loi sur le MEDS prévoit ce qui suit :

Modification de la décision

66(1) Le Tribunal peut annuler ou modifier toute décision qu’il a rendue relativement à une demande particulière :

a) dans le cas d’une décision visant la Loi sur l’assurance-emploi, si des faits nouveaux lui sont présentés ou s’il est convaincu que la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait;

b) dans les autres cas, si des faits nouveaux et essentiels qui, au moment de l’audience, ne pouvaient être connus malgré l’exercice d’une diligence raisonnable lui sont présentés.

[20] La disposition qui précède reprend essentiellement le libellé de l’ancien article 120 de la Loi sur l’AE, et prévoyait ce qui suit :

Modification de la décision

120 La Commission, un conseil arbitral ou le juge-arbitre peut annuler ou modifier toute décision relative à une demande particulière de prestations si on lui présente des faits nouveaux ou si, selon sa conviction, la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait.

[21] Le critère pour déterminer si des « faits nouveaux » ont été présentés au sens de cette disposition est établi depuis longtemps. La Cour d’appel fédérale, se référant à la disposition qui a précédé à l’article 120, dont le libellé est essentiellement le même — a déclaré ce qui suit:Note de bas de page 2

[…] Les « faits nouveaux », aux fins du réexamen de la décision du juge-arbitre recherché conformément à l’article 86 de la Loi, sont des faits qui se sont produits après que la décision a été rendue ou qui ont eu lieu avant la décision mais n’auraient pu être découverts par une prestataire diligente et, dans les deux cas, les faits allégués doivent avoir décidé de la question soumise au juge‑arbitre.

[22] La division générale a correctement déterminé que les documents présentés par le prestataire ainsi que les motifs qu’il a fournis à l’appui de sa demande d’annulation ou de modification de la décision rendue par la division générale, n’étaient pas des « faits nouveaux » selon les critères de l’arrêt Chan.

[23] Il est vrai que la division générale semble avoir appliqué erronément l’article 66(1)(b) de la Loi sur le MEDS en concluant qu’elle n’avait pas à déterminer si les faits présentés étaient essentiels compte tenu de sa conclusion à l’effet que les faits n’étaient pas nouveaux. Dans le cas d’une décision visant la Loi sur l’AE, l’article 66(1)(a) prévoit que le Tribunal peut annuler ou modifier toute décision qu’il a rendue si des faits nouveaux lui sont présentés ou s’il est convaincu que la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait.Note de bas de page 3

[24] Le Tribunal est cependant d’avis que le prestataire n’a pas démontré que la décision de la division générale a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait. Tel que souligné par la division générale, les documents ainsi que les motifs que le prestataire a fournis à l’appui de sa demande d’annulation ou de modification ne font que réitérer les faits qu’il a déjà présenté à la division générale avant qu’elle ne rende sa décision ou sont non-pertinents afin de décider de la question de la répartition de la rémunération aux termes de la Loi sur l’AE.

[25] Il est bon de rappeler que l’objectif de l’article 66 de la Loi sur le MEDS n’est pas de permettre à un prestataire de plaider à nouveau son appel devant la division générale alors qu’une décision a déjà été rendue.

[26] Ce moyen d’appel est rejeté.

Question en litige no 2: Est-ce que la division générale a erré en concluant que le montant versé au prestataire n’avait pas été versé en échange de la renonciation à son droit d’être réintégré?

[27] Le Tribunal est d’avis que ce moyen d’appel est sans fondement.

[28] Le prestataire fait valoir que le montant reçu a été versé à titre de renonciation à son droit de réintégration et qu’il ne constitue pas une rémunération en vertu de l’article 35 du Règlement sur l’AE et, pour cette raison, il n’a pas à être réparti en vertu de l’article 36 du Règlement sur l’AE. Il fait valoir que la réintégration a été ordonnée par le Tribunal administratif du Travail (TAT), et non proposée par l’employeur, et que celui-ci a refusé de se conformer à l’ordonnance du TAT.

[29] Pour déterminer si la somme d’un règlement représente des revenus ou non, il est important de se rappeler les principes de base. Tout d’abord, le paragraphe 35(2) du Règlement sur l’AE prévoit que la rémunération qu’il faut prendre en compte pour vérifier s’il y a eu l’arrêt de rémunération inclut « le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi ».

[30] Une somme reçue en échange de la renonciation au droit d’être réintégré n’est pas considérée comme une rémunération et elle n’est pas répartie. Trois exigences doivent cependant être respectées, notamment l’existence du droit à la réintégration, la demande de réintégration, et la somme est payée pour compenser la renonciation à ce droit.Note de bas de page 4

[31] Le prestataire soutient que la preuve devant la division générale démontre clairement qu’il a reçu la somme en échange de la renonciation au droit d’être réintégré.

[32] Le prestataire se fonde sur les nombreuses procédures qu’il a instituées demandant à être réintégré et sur la décision du TAT du 2 octobre 2014, qui a ordonné sa réintégration, ordonnance qui, selon lui, n’a pas été respectée par son employeur. Il souligne que l’employeur lui a plutôt écrit une lettre afin de l’aviser de sa réintégration mais également de sa mise à pied immédiate faute de travail pour lui.

[33] Suite à la décision de la TAT du 2 octobre 2014, le prestataire a présenté une requête pour quantum dans laquelle il a demandé au TAT d’ordonner à l’employeur de lui verser une indemnité équivalente au salaire dont il a été privé pour la période du 26 avril 2012 au 14 juin 2016. De plus, étant donné la difficulté de réintégration dans son emploi depuis l’ordonnance du 2 octobre 2014, il a demandé au TAT de la modifier et de lui accorder une indemnité de 42 432 $ pour perte d’emploi.

[34] Dans sa décision en date du 12 août 2016, le TAT conclu que, suite à la réception de la lettre de l’employeur, le prestataire n’avait pas entrepris d’autres démarches en vue d’être réintégré dans son emploi. De plus, le TAT conclu que le chauffeur qui a remplacé le prestataire a été mis à pied le 16 mai 2014, et que le prestataire aurait subi le même sort. Le TAT a jugé que la mise à pied du remplaçant n’était pas un moyen utilisé par l’employeur pour éviter de réintégrer le prestataire. Le TAT a accordé au prestataire la somme de 69,144.980 $ pour perte de revenu pour la période du 20 août 2012 au 16 mai 2014, et les intérêts courus sur cette somme en date du 12 août 2016. Il a cependant refusé d’accorder au prestataire une indemnité pour perte d’emploi.

[35] Les parties, insatisfaites de la décision du TAT sur la requête en quantum, ont respectivement déposés une demande de révision. L’audience est alors fixée au 7 avril 2017. Le jour de l’audience, les parties en viennent à une entente laquelle prévoit le versement complet au prestataire de la somme de 69 144,80 $ (moins les déductions à la source, soit 35% d’impôts) «  en paiement complet et final de la décision rendue par le juge administratif Pierre Cloutier, en date du 12 août 2016 ».

[36] Pour le Tribunal, il est manifeste que le montant reçu par le prestataire n’a pas été payé pour compenser la renonciation au droit à la réintégration.

[37] L’entente intervenue entre les parties fait spécifiquement référence au paiement de la décision de la TAT du 12 août 2016, qui prévoyait le versement de la somme de 69,144.80 $ pour perte de revenu pour la période du 20 août 2012 au 16 mai 2014, et les intérêts courus sur cette somme en date du 12 août 2016. De plus, étant donné la difficulté de réintégration dans son emploi depuis l’ordonnance du 2 octobre 2014, le prestataire a lui-même demandé au TAT de la modifier et de remplacer l’ordonnance de réintégration par une indemnité de 42 432 $ pour perte d’emploi, laquelle lui a été refusée. Finalement, l’entente intervenue entre les parties n’indique aucunement que l’employeur verse la somme au prestataire afin qu’il renonce à réintégrer son emploi.

[38] Le prestataire avait le fardeau de prouver devant la division générale, selon la prépondérance des probabilités, que le montant représentait autre chose que des revenus provenant de son emploi.

[39] À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que la division générale a correctement jugé que le montant n’avait pas été versé au prestataire à titre de renonciation à son droit à la réintégration de son emploi.Note de bas de page 5

[40] Tel que souligné par la division générale, la décision du TAT du 12 août 2016 à laquelle réfère spécifiquement l’entente est claire et précise sur le montant alloué et le motif du versement.

[41] Le Tribunal en vient à la conclusion que la décision de la division générale sur la question de la répartition de la rémunération du prestataire repose sur les éléments de preuve portés à sa connaissance, et il s’agit d’une décision qui est conforme aux dispositions législatives et à la jurisprudence.

[42] Ce moyen d’appel est rejeté.

Question en litige no 3 : Est-ce que la division générale a refusé d’exercer sa compétence en ne considérant pas l’argument du prestataire concernant l’application de l’article 46.01 de la Loi sur l’AE?

[43] Devant la division générale, le prestataire a fait valoir qu’il n’a pas à rembourser les versements excédentaires puisqu’il s’est écoulé plus de trente-six mois depuis son licenciement ou la cessation de son emploi pour lequel la rémunération a été payée et que le coût administratif pour la détermination du remboursement est vraisemblablement égal ou supérieur à sa valeur, comme le prévoit l’article 46.01 de la Loi sur l’AE.

[44] La division générale a reconnu que la Commission n’avait pas exprimé d’avis sur l’application de l’article 46.01 de la Loi sur l’AE, et par le fait même, sur l’exercice de de son pouvoir discrétionnaire, mais ne s’est pas spécifiquement prononcée sur la question soulevée par le prestataire. Elle a donc refusé d’exercer sa compétence.

[45] Le dossier devant la division d’appel étant incomplet, il y a lieu de retourner le dossier à la division générale afin qu’elle décide de la question soulevée par le prestataire concernant l’application de l’article 46.01 de la Loi sur l’AE.

Question en litige no 4 : Est-ce que la division générale a commis un manquement au principe de justice naturelle lorsqu’elle a permis à la Commission d’apporter une argumentation supplémentaire, après audience, sans permettre au prestataire de répliquer?

[46] Le prestataire invoque un manquement à un principe de justice naturelle puisque la division générale a permis à la Commission d’apporter une argumentation supplémentaire, après l’audience, sans lui permettre d’y répondre.

[47] Le Tribunal a déjà souligné à plusieurs reprises l’importance pour la division générale de faire preuve de prudence lorsqu’elle demande des arguments supplémentaires après audience à l’une des parties sans permettre à l’autre partie de répliquer. Une telle démarche peut donner ouverture à un motif d’appel par la partie qui se sent lésée.Note de bas de page 6

[48] Le prestataire a toujours fait valoir devant la division générale que le montant reçu avait été versé à titre de renonciation à son droit de réintégration et qu’il ne constituait pas une rémunération en vertu de l’article 35 du Règlement sur l’AE et, pour cette raison, il n’avait pas à être réparti en vertu de l’article 36 du Règlement sur l’AE.

[49] Le Tribunal constate que les précisions demandées par la division générale, après l’audience du 1er mai 2018, concernait la répartition de la rémunération par la Commission. La Commission a réitéré sa position exprimée dans la pièce GD4, laquelle était accessible pour le prestataire depuis le 5 juillet 2017, soit bien avant l’audience devant la division générale.

[50] Le Tribunal est donc d’avis que la division générale n’a pas fait défaut d’observer un principe de justice naturelle.

[51] Ce moyen d’appel est donc rejeté.

Conclusion

[52] Pour les motifs ci-dessus mentionnés, le Tribunal accueille en partie l’appel dans le dossier AD-18-522 et rejette l’appel dans le dossier AD-19-322.

[53] Il y a lieu de renvoyer le dossier AD-18-522 à la division générale afin qu’elle décide uniquement de la question soulevée par le prestataire concernant l’application de l’article 46.01 de la Loi sur l’AE.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparution :

2 août 2019

Vidéoconférence

V. B., appelant

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