Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Le prestataire a quitté volontairement son emploi sans justification.

Aperçu

[2] Le prestataire a quitté son emploi, sous prétexte que, comme il devait effectuer des heures de travail excessives pendant le poste d’après-midi, il s’endormait en rentrant du travail, ce qui était dangereux. L’employeur exigeait que les employés fassent des heures de travail supplémentaires pendant le poste d’après-midi en haute saison, mais le nombre d’heures requises par jour dépendait du nombre de commandes à exécuter. La Commission a tranché en faveur du prestataire dans sa décision de révision.

[3] L’employeur a interjeté appel de la décision de révision de la Commission, affirmant que le prestataire n’avait pas rempli un formulaire qu’il pouvait utiliser pour révoquer son consentement à faire des heures de travail excédentaires. Parce que le prestataire avait signé un consentement écrit à des heures de travail excédentaires qui stipulait qu’il pouvait révoquer le consentement en donnant un préavis de deux semaines à l’employeur, la Commission a reconnu que le prestataire avait quitté volontairement son emploi sans justification.

Questions en litige

[4] Le prestataire a-t-il quitté volontairement son emploi?

[5] Dans l’affirmative, le prestataire était-il fondé à quitter volontairement son emploi en raison d’un nombre excessif d’heures de travail?

Analyse

[6] Les prestataires sont exclus du bénéfice des prestations d’assurance-emploi s’ils quittent volontairement un emploi sans justification (Loi sur l’assurance-emploi, art 30(1)). La Commission doit prouver que le prestataire a volontairement quitté son emploi. Ensuite, le prestataire doit établir qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi en démontrant que, dans les circonstances, le départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas (Green c Canada (Procureur général), 2012 CAF 313; Canada (Procureur général) c White, 2011 CAF 190).

Première question en litige : Le prestataire a-t-il quitté volontairement son emploi?

[7] Je conclus que le prestataire a quitté volontairement son emploi.

[8] Dans sa demande de prestations, le prestataire a précisé que la raison pour laquelle il ne travaille plus est qu’il a démissionné de son emploi. L’employeur a délivré un relevé d’emploi portant le code «&nbspDépart volontaire » comme raison justifiant la production du relevé. Comme il n’y a pas de différend concernant la façon dont le prestataire a quitté son emploi, je conclus que le prestataire a quitté volontairement son emploi.

Seconde question en litige : Le prestataire était-il fondé à quitter volontairement son emploi en raison d’un nombre excessif d’heures de travail?

[9] Je n’estime pas que le prestataire a démontré qu’il était fondé à quitter son emploi en raison d’un nombre excessif d’heures de travail.

[10] Le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi si son départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas, compte tenu de toutes les circonstances, notamment des conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité, et un excès d’heures supplémentaires ou la non-rémunération de celles-ci (Loi sur l’assurance-emploi, art 29(c)(viii)).

[11] Dans sa demande de prestations, le prestataire a noté que l’employeur lui demandait de travailler pendant des postes de travail de 12 à 14 heures et qu’il devait faire 50 kilomètres de route pour rentrer chez lui, ce qui fait qu’il s’était endormi au volant à plusieurs reprises. Il a dit qu’il rentrait souvent chez lui en voiture entre trois heures et quatre heures du matin et qu’il s’était endormi au volant à deux reprises sur le chemin du retour. Le prestataire a déclaré qu’il avait décidé de démissionner de son emploi au lieu de mettre sa vie en danger.

[12] L’employeur a expliqué que les postes d’après-midi prenaient souvent fin plus tard que prévu et qu’il pouvait arriver que les employés quittent le travail à une heure du matin. Toutefois, l’employeur a produit une copie d’un document intitulé [traduction] «  Détails de l’employé » montrant les détails de la rémunération du prestataire, dont les heures normales de travail effectuées pour la période allant du 6 janvier 2017 au 1er mars 2019. L’employeur a déclaré que la colonne du document intitulée [traduction] «  Heures normales  » montre les heures de travail effectuées par le prestataire au cours d’une période de deux semaines qui ne sont pas des heures supplémentaires. Le document montre que le nombre le plus élevé d’heures normales de travail que le prestataire a effectuées pendant une période de deux semaines était de 88, soit en moyenne 44 heures par semaine.

[13] Le document contient également une colonne intitulée [traduction] «  Heures normales 2  » qui fait état de 44 heures dans la période de deux semaines commençant le 13 octobre 2017. L’employeur a déclaré que ce chiffre pouvait être lié aux vacances, mais il n’en était pas certain. Le nombre d’heures figurant dans la colonne «  Heures normales  » pour la même période est de 40,50.

[14] Le prestataire a déclaré que ses heures de travail augmentaient régulièrement. Il a dit que, lorsqu’il a commencé à rentrer chez lui à trois heures et à quatre heures du matin, il a failli avoir des accidents. Le prestataire a déclaré que l’employeur ne cessait de promettre que les choses allaient s’améliorer. Lorsqu’il lui a été demandé s’il pouvait démontrer de quelque façon que ce soit qu’il avait fait un nombre excessif d’heures de travail au-delà des 40 à 44 heures que les employés effectuaient normalement selon l’employeur, le prestataire a déclaré que, lorsqu’il parlait d’heures excessives, il faisait allusion à ce que son corps pouvait tolérer, et son corps lui disait qu’il ne pouvait pas rester éveillé.

[15] Bien que je sois convaincue que le prestataire habitait à une bonne distance de son ancien lieu de travail, ce qui rendait peut-être son déplacement difficile en pleine nuit, je ne suis pas d’avis que le prestataire effectuait un excès d’heures de travail ou d’heures supplémentaires, ou que ses conditions de travail compromettaient sa santé et sa sécurité.

[16] J’accorde plus de poids au document «  Détails de l’employé  » produit par l’employeur qu’à l’affirmation du prestataire selon laquelle il effectuait des heures de travail excessives. J’estime que le document constitue un registre objectif des heures de travail effectuées par le prestataire. Je tire cette conclusion parce que la rémunération brute indiquée dans le document est la même que la rémunération assurable indiquée dans le relevé d’emploi délivré par l’employeur avant que le prestataire ne présente sa demande de prestations.

[17] Je reconnais qu’il y a une différence de 160,75 heures entre le nombre d’heures assurables figurant dans le relevé d’emploi et le total des heures bihebdomadaires selon le document «  Détails de l’employé ». Toutefois, même si le nombre exact d’heures assurables était les 2&nbsp334 heures figurant dans le relevé d’emploi, soit un nombre supérieur au total des chiffres indiqués dans le document «  Détails de l’employé », le nombre moyen d’heures par semaine serait de 43,2. J’estime que ce nombre est conforme aux 40 à 44 heures de travail normalement effectuées par les employés selon l’employeur, et qu’il ne s’agit pas d’un nombre excessif, comme le qualifie le prestataire.

[18] Bien que l’employeur se soit dit incertain quant aux 44 heures figurant dans la colonne «  Heures normales&nbsp2 », laissant entendre que ces heures pouvaient être liées aux vacances, je juge raisonnable la thèse de l’employeur. Je tire cette conclusion parce que le total des heures indiquées dans les deux colonnes s’élève à 84,50 pour la période de deux semaines, ce qui cadre avec la déclaration de l’employeur selon laquelle les employés travaillent normalement de 40 à 44 heures par semaine.

[19] Je juge intéressées et exagérées les déclarations du prestataire sur le fait de devoir effectuer des heures de travail excessives et de rentrer souvent chez lui en voiture à trois heures, à quatre heures ou à cinq heures du matin. Invité à préciser les heures du poste d’après-midi, le prestataire a déclaré que le poste commençait à 15 h 30 et pouvait se terminer aussi tard qu’à quatre heures ou à cinq heures du matin. Prié de dire s’il avait déjà fait ces heures de travail, il a répondu que oui, et que cela lui était arrivé plus d’une fois. Interrogé précisément sur le document produit par l’employeur qui montre que le nombre le plus élevé d’heures de travail qu’il a effectuées au cours d’une période de deux semaines était de 88 heures, le prestataire a marqué une pause. Il a ensuite dit qu’il savait qu’il avait travaillé à différentes occasions jusqu’à quatre heures du matin, et il a ajouté qu’il ne comptabilisait pas ses heures, mais que d’autres employés en témoigneraient aussi.

[20] Encore une fois, j’accorde plus de poids au document de l’employeur «&nbspDétails de l’employé  » et j’estime que le prestataire n’effectuait pas un nombre d’heures de travail supérieur aux heures normales de travail. Je conclus donc que, si le poste d’après-midi commençait à 3 h 30 [sic], il ne se pouvait pas que le prestataire rentre chez lui à trois heures, à quatre heures ou à cinq heures du matin en raison de l’heure à laquelle son poste de travail se terminait.

[21] Le prestataire a déclaré avoir demandé à l’employeur de lui permettre de travailler pendant le poste de jour seulement, mais l’employeur a répondu qu’il ne pouvait pas lui offrir cette mesure d’adaptation sans une note du médecin. Le prestataire a dit que son médecin trouvait ridicule de rédiger une note pour ce qui est essentiellement de la fatigue. Comme on laisse entendre que le prestataire était tout simplement fatigué et qu’il n’avait pas de problème de santé l’empêchant d’effectuer les heures normales de travail d’un poste d’après-midi, je juge raisonnable la suggestion faite par l’employeur au prestataire d’essayer de dormir le jour afin qu’il puisse rester éveillé la nuit. J’estime à tout le moins que, si le prestataire n’avait pas réussi à s’adapter au fait de travailler pendant le poste d’après-midi, il aurait dû chercher un autre emploi avant de démissionner.

[22] Même si le prestataire avait effectué ce qu’il disait être des heures supplémentaires excessives, je n’estime pas qu’il s’en trouvait fondé à quitter son emploi au moment où il l’a fait. L’employeur a dit que, si un employé choisissait de ne pas faire d’heures de travail supplémentaires, il lui suffisait de se présenter au service des ressources humaines (RH) pour remplir un formulaire indiquant qu’il ne voulait plus faire d’heures supplémentaires. Or, le prestataire n’a pas rempli l’un de ces formulaires et n’en a même pas fait la demande. L’employeur a ajouté que, si le prestataire était revenu au service des RH, il aurait été invité à remplir le formulaire indiquant qu’il ne souhaitait plus faire d’heures supplémentaires.

[23] L’employeur a produit une copie d’un document intitulé [traduction] «&nbspConsentement écrit à des heures de travail excédentaires » que le prestataire a déclaré avoir lu avant de signer, malgré le fait qu’il ne se rappelait pas quand il l’avait signé. Selon ce document de consentement, le prestataire consent à travailler à l’occasion jusqu’à 60 heures par semaine, selon les exigences de l’employeur. De plus, le document de consentement confirme que le prestataire [traduction] «  sait qu’il peut révoquer son consentement à faire des heures de travail excédentaires en donnant un préavis écrit de deux semaines à l’employeur ».

[24] Le prestataire a fait valoir que, étant donné que la date du consentement avait été modifiée et qu’il n’avait pas paraphé la modification comme l’avait fait la représentante de l’employeur, le consentement n’était pas [traduction] «  authentique  » et ne devait pas se voir accorder de poids. Il a soutenu que l’absence de ses initiales à côté de la modification signifie qu’il n’y a pas consenti.

[25] La témoin de l’employeur qui a signé le document de consentement a déclaré qu’elle avait apporté la modification à l’année, remplaçant 2015 par 2016. Elle a déclaré que la date corrigée, soit le 7 janvier 2016, correspondait au premier jour d’emploi du prestataire et que le document faisait partie de son orientation. Elle a soutenu qu’il n’était pas nécessaire que le prestataire paraphe la modification, parce que la modification a été faite en sa présence et qu’il avait déjà signé le document.

[26] Je ne suis pas d’accord avec le prestataire quand il laisse entendre que, parce qu’il n’a pas paraphé le changement d’année dans la date du consentement, le document n’est pas valide. Le prestataire a confirmé que son premier jour de travail était le 7 janvier 2016. Il a confirmé avoir lu et signé le consentement. J’accepte l’explication de l’employeur selon laquelle le fait d’avoir écrit 2015 au lieu de 2016 était une erreur, et je juge cette explication raisonnable parce que le prestataire a commencé à travailler pour l’employeur le 7 janvier 2016. Par conséquent, j’accorde beaucoup de poids au document.

[27] Je juge intéressé l’argument du prestataire selon lequel l’absence de ses initiales à côté de l’année modifiée dans le document signifie qu’il n’a pas consenti à la modification. J’estime que, qu’il ait consenti ou pas à la modification de la date, en signant le document, il en acceptait le contenu, d’autant plus que sa signature est précédée des mots [traduction] «  approuvé par :  ». De plus, je conclus que le prestataire n’aurait pas pu lire et accepter le contenu du document le 7 janvier 2015, soit un an avant de commencer à travailler pour l’employeur.

[28] Compte tenu de l’analyse qui précède, je conclus que, si le prestataire estimait qu’il effectuait un nombre d’heures de travail supérieur à ses heures normales, il aurait pu, au lieu de démissionner quand il l’a fait, remplir le formulaire mentionné dans le document «  Consentement écrit à des heures de travail excédentaires  » pour révoquer son consentement à faire des heures de travail excédentaires.

[29] Le prestataire a renvoyé à une décision du juge-arbitre du Canada sur les prestations (décision CUB) à l’appui de son argument selon lequel l’obligation de travailler pendant le poste d’après-midi compromettait sa santé et sa sécurité. Dans l’affaire Kearney, décision CUB 44565, le prestataire effectuait un excès d’heures supplémentaires, travaillant parfois 70 heures par semaine et parfois jusqu’à 26 heures sans pause. Le juge-arbitre a conclu que l’employeur créait un milieu de travail intolérable et que le prestataire, qui était chauffeur de camion, représentait un danger pour lui-même et pour les automobilistes. J’estime que la situation du prestataire en l’espèce diffère de celle qui est décrite dans la décision CUB, car j’ai conclu qu’il n’effectuait pas d’heures de travail excessives et je ne suis pas d’avis que ses conditions de travail étaient à l’origine de l’éventuel danger qu’il représentait pour lui-même ou pour les automobilistes quand il s’est endormi au volant.

[30] Enfin, le prestataire a fait valoir que l’appel interjeté par l’employeur constitue un abus de procédure et a demandé des dommages-intérêts punitifs de 50 ;000 $ et des dommages-intérêts généraux de 4 800 $, soit l’équivalent de trois mois de prestations d’assurance-emploi. Je ne suis pas d’accord sur l’argument du prestataire et je ne suis pas non plus en mesure d’accorder sa demande de dommages-intérêts.

[31] La Loi sur l’assurance-emploi prévoit que le prestataire ou l’employeur du prestataire peut demander à la Commission de réviser sa décision (Loi sur l’assurance-emploi, art 112(1)) et, s’il se croit lésé par la décision de révision de la Commission, interjeter appel de la décision devant le Tribunal de la sécurité sociale (Loi sur l’assurance-emploi, art 113). Je ne suis pas d’avis que l’appel de l’employeur, qui donne des motifs clairs de ne pas être d’accord sur la décision de révision de la Commission, constitue un abus de procédure; j’estime plutôt que l’employeur a exercé un droit qui lui était accordé sous le régime de la Loi sur l’assurance-emploi.

[32] En ce qui concerne la demande de dommages-intérêts du prestataire, je n’ai pas le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts.

[33] Je conclus que, parce que le prestataire n’a pas démontré qu’il était fondé à quitter son emploi au moment où il l’a fait, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Conclusion

[34] L’appel de l’employeur est accueilli.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 5 septembre 2019

Téléconférence

M. S., appelant

B. K., prestataire

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