Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] H. H. est le prestataire en l’espèce. Il a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi (AE) régulières en octobre 2018. Toutefois, la Commission de l’assurance-emploi du Canada a déterminé qu’il n’était pas fondé à quitter volontairement son emploiNote de bas de page 1.

[3] Le prestataire a contesté la décision de la Commission à plusieurs reprises, mais il n’a pas eu de succès jusqu’à maintenant. Toutefois, la Commission accepte maintenant que j’accueille l’appel. Les principales questions qu’il me reste à trancher sont celles de savoir si je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, et dans l’affirmative, si je devrais maintenir l’exclusion du bénéfice des prestations d’AE du prestataire.

[4] J’accueille l’appel et je rends la décision que la division générale aurait dû rendre : l’exclusion que la Commission a imposée au prestataire et levée. Voici les motifs de ma décision.

Questions en litige

[5] Afin d’arriver à ma décision, j’ai examiné les questions suivantes :

  1. La division générale a-t-elle commis des erreurs de fait pertinentes?
  2. Devrais-je rendre la décision que la division générale aurait dû rendre?
  3. Devrais-je maintenir l’exclusion que la Commission a imposée au prestataire?

[6] Le prestataire a aussi prétendu que la division générale avait fait preuve de partialité. Toutefois, pour les motifs décrits ci-dessous, j’ai décidé de réévaluer le cas du prestataire. Par conséquent, je n’ai pas besoin d’examiner la question de la partialité de la division générale.

Analyse

[7] Avant que je puisse intervenir dans ce dossier, le prestataire doit me convaincre que la division générale a commis au moins l’une des trois erreurs possibles décrites dans la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDSNote de bas de page 2).

[8] En l’espèce, je me suis penché sur la question de savoir si la division générale avait fondé sa décision sur une erreur importante concernant les faits de cette affaire. Il est important de noter que ce ne sont pas toutes les erreurs factuelles qui peuvent justifier que j’intervienne dans une affaireNote de bas de page 3. Par exemple, je ne peux pas intervenir dans une affaire parce que la division générale a commis une erreur concernant un détail qui n’est pas pertinent. Toutefois, je peux intervenir si la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait qui contredit clairement la preuve ou qui n’est appuyée par aucun élément de preuveNote de bas de page 4.

Question en litige no 1 : Est-ce que la division générale a commis des erreurs de fait pertinentes?

[9] Oui, la décision de la division générale contient des erreurs de fait pertinentes.

[10] Aux termes de l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), la partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle a quitté volontairement son emploi sans justification. En l’espèce, il ne fait aucun doute que le prestataire a quitté volontairement son emploi. L’objectif de la division générale était plutôt de tenter de déterminer s’il était fondé à quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

[11] Il peut être difficile de prouver ce fait. Le prestataire devait établir que, compte tenu de toutes les circonstances de son cas, il n’avait d’autres solutions raisonnables que de partirNote de bas de page 5. L’article 29(c) de la Loi sur l’AE prévoit un certain nombre de circonstances pertinentes que le Tribunal doit prendre en considération dans des cas comme celui-ci, mais je dois également tenir compte d’autres circonstances pertinentes.

[12] En l’espèce, le prestataire travaillait pour une entreprise de services alimentaires qui menait ses activités à partir d’un grand établissement d’événements et de loisirs. Il était un employé salarié et n’avait pas droit à la rémunération des heures supplémentaires. Il devait plutôt obtenir des congés supplémentaires. Tout compte fait, le prestataire était un employé extrêmement dévoué et loyal.

[13] Au fil des années, toutefois, le prestataire a dit que sa charge de travail est devenue intolérablement lourde. L’entreprise de son employeur a pris de l’expansion, ce qui signifie qu’on exigeait plus de lui. De plus, à mesure que d’autres employés quittaient l’entreprise, le prestataire se faisait souvent demander de s’occuper de leurs tâches, ce qui signifie qu’il avait de plus en plus de responsabilités. Selon le prestataire, la situation s’est aggravée à un point tel qu’il était incapable de prendre tous ses congés, et encore moins d’utiliser les heures qu’il avait accumulées en faisant des heures supplémentaires.

[14] La division générale ne s’est pas montrée particulièrement sensible à la situation du prestataire. La division générale a déterminé que le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi lorsqu’il l’a fait. Plus particulièrement, la division générale a déterminé que le prestataire avait accepté [traduction] « volontiers » des tâches supplémentaires. La division générale a aussi déterminé qu’au lieu de quitter son emploi, le prestataire aurait pu choisir l’une des solutions raisonnables suivantes :

  1. il aurait pu demander d’être rémunéré pour les heures supplémentaires qu’il avait accumulées;
  2. il aurait pu discuter de ses préoccupations avec son employeur;
  3. il aurait pu attendre de trouver un autre emploi avant de quitter celui qu’il avait.

[15] Le prestataire soutient que la division générale a eu tort de tirer ces conclusions. Par exemple :

  1. il n’a jamais dit qu’il avait accepté [traduction] « volontiers » toutes ces tâches supplémentaires;
  2. le prestataire avait demandé d’être rémunéré pour ses congés inutilisés et ses heures supplémentaires, mais on lui a refuséNote de bas de page 6;
  3. le prestataire a demandé que quelqu’un soit embauché pour l’aider, mais on a aussi refusé de le faireNote de bas de page 7;
  4. en se fondant sur son expérience, la diminution de la rentabilité de l’entreprise de son employeur, et la vague récente de mises à pied, le prestataire savait que sa charge de travail deviendrait encore plus lourde dans les mois qui suivraient sa démission. Le prestataire sentait qu’il ne pouvait plus attendre pour démissionner, car il voulait minimiser les répercussions sur l’entreprise de son employeur et aussi ménager sa santé.

[16] Sauf le respect que je dois à la Commission, sa concession n’est pas tout à fait claire à la lecture de ses observations écritesNote de bas de page 8. Toutefois, à l’audience devant moi, la Commission a reconnu que la division générale avait commis les erreurs de fait alléguées par le prestataire dans sa demande à la division d’appel.

[17] Je suis d’accord avec elle. La décision de la division générale était fondée sur les conclusions figurant au paragraphe 14 ci-dessus. Toutefois, la division générale a tiré ces conclusions importantes sans preuve ou compte tenu de la preuve contradictoire (décrite ci-haut). La division générale a aussi omis d’aborder les contradictions concernant la preuve, ce qui constitue une autre erreurNote de bas de page 9.

[18] Par conséquent, je n’ai aucun pouvoir d’intervenir en l’espèceNote de bas de page 10.

Question en litige no 2 : Est-ce que je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre?

[19] Oui, il est approprié en l’espèce de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[20] D’une part, la Commission m’a encouragé à renvoyer l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience. La Commission a soutenu qu’il y avait d’autres éléments qui auraient dû être examinés avant de décider si le prestataire était fondé à quitter son emploi lorsqu’il l’a fait. Par exemple, la Commission a soutenu que le prestataire aurait pu se plaindre à la Commission des relations de travail avant de quitter son emploi, même s’il était un peu difficile de déterminer ce que la Commission des relations de travail aurait pu faire dans les circonstances de cette affaire.

[21] La Commission a aussi reconnu qu’il était possible que la nature et le ton des questions de la membre de la division générale aient empêché le prestataire de présenter pleinement sa cause.

[22] De son côté, le prestataire a soutenu que je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Il a affirmé que toute l’information nécessaire pour rendre une décision était déjà au dossier.

[23] Puisque le prestataire ne conteste pas l’équité de l’audience, la Commission me demande essentiellement de renvoyer l’affaire à la division générale afin qu’elle débatte l’affaire de nouveau et qu’elle renforce sa position. À mon avis, cela n’est pas une bonne raison pour renvoyer l’affaire à la division générale. La Commission doit présenter ses meilleurs arguments dès le début.

[24] J’ai conclu que je possède la capacité et l’information nécessaire pour rendre une décision finale dans cette affaireNote de bas de page 11. De plus, j’ai examiné tous les documents au dossier et j’ai écouté l’enregistrement de l’audience devant la division générale. Par conséquent, je ne vois guère d’avantages à renvoyer l’affaire à la division générale.

Question en litige no 3 : Devrais-je maintenir l’exclusion que la Commission a imposée au prestataire?

[25] Non, le prestataire était fondé à quitter son emploi lorsqu’il l’a fait. Par conséquent, la Commission n’aurait pas dû l’exclure du bénéfice des prestations d’AE.

[26] À mon avis, les responsabilités supplémentaires qui ont été confiées au prestataire et le fait qu’il faisait beaucoup d’heures supplémentaires pour lesquelles il n’a jamais été payé et n’a jamais reçu de congés supplémentaires sont des circonstances pertinentes en l’espèce. Ces circonstances correspondent ou sont semblables à celles décrites aux articles 29(c)(viii) et 29(c)(ix) de la Loi sur l’AENote de bas de page 12. Par conséquent, je dois déterminer si le prestataire avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

[27] Comme je l’ai expliqué plus haut, les parties conviennent que les solutions raisonnables cernées par la division générale étaient fondées sur des erreurs de fait.

[28] Le prestataire a demandé à son employeur d’embaucher d’autre personnel et de lui payer ses heures supplémentaires, mais il a refusé de le faire. Son employeur lui a répondu qu’il n’y avait pas de place dans le budget. Le prestataire a aussi déposé un rapport annuel avec les heures supplémentaires qu’il avait accumulées, mais l’employeur n’a rien fait malgré ce chiffre de plus en plus alarmantNote de bas de page 13.

[29] La personne représentant l’employeur a dit que le prestataire avait deux personnes qui travaillaient pour lui et qu’il pouvait lui-même fixer ses heures de travail. Le prestataire a nié que ces personnes pouvaient le remplacer et il a dit que son employeur préférait qu’il s’occupe des tâches supplémentaires étant donné qu’il était un employé salarié. Si ces employés étaient en mesure de le remplacer, a-t-il dit, pourquoi son employeur l’appelait-il pour qu’il vienne travailler durant ses journées de congé?

[30] Selon le prestataire, la personne représentant l’employeur avec qui la Commission avait parlé n’occupait pas son poste depuis très longtemps et elle n’était pas tout à fait au courant de toutes ses circonstances. Dans la mesure où la preuve du prestataire ne concorde pas avec celle de la personne représentant l’employeur, je privilégie celle du prestataire. Après tout, il était le seul témoin qui a présenté un témoignage oral sous serment devant la division générale. En revanche, la preuve de la personne représentant l’employeur se trouve dans des notes d’une conversation téléphonique, qui a été enregistrée par un des agents de la CommissionNote de bas de page 14. Personne n’a vérifié l’exactitude de ces notes, et le prestataire n’a pas non plus pu vérifier leur fiabilité.

[31] Durant sa dernière année de travail, le prestataire a aussi expliqué que son employeur perdait de l’argent, qu’il réduisait la taille de son effectif et qu’il remplaçait beaucoup de ses gestionnaires. Le prestataire se retrouvait avec de plus en plus de responsabilités, avec peu ou pas de répit en vue. De plus, la saison la plus occupée de l’employeur allait bientôt commencer. En bref, les conditions du prestataire s’apprêtaient à empirer. Compte tenu des circonstances, il n’était pas raisonnable pour le prestataire de continuer à travailler pendant qu’il cherchait un autre emploi.

[32] Par conséquent, dans l’ensemble, j’ai conclu que le prestataire n’avait aucune autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait. Ainsi, je lève l’exclusion imposée au prestataire par la Commission.

Conclusion

[33] Les parties et moi convenons que cet appel devrait être accueilli étant donné que la décision de la division générale contient des erreurs de fait, au sens de l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS. Ces erreurs concernent les solutions raisonnables cernées par la division générale et elles vont droit au cœur de sa décision.

[34] J’ai aussi conclu qu’il s’agit d’une cause où il convient de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre : le prestataire était fondé à quitter son emploi lorsqu’il l’a fait. Par conséquent, l’exclusion que la Commission a imposée au prestataire devrait être levée.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 7 août 2019

Téléconférence

H. H., appelant

Angèle Fricker, représentante de l’intimée

Articles pertinents de la loi

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

  1. Moyens d’appel
  2. 58 (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :
    1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
    2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
    3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
  3. • • •
  4. Décision
  5. 59 (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.
  6. • • •
  7. Pouvoir du Tribunal
  8. 64 (1) Le Tribunal peut trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur une demande présentée sous le régime de la présente loi.

Loi sur l’assurance-emploi

  1. Interprétation
  2. 29 Pour l’application des articles 30 à 33 :
  3. […]
  4. c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ciaprès, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
    1. […]
    2. (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,
    3. (viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,
    4. (ix) modification importante des fonctions […].
  5. Exclusion : inconduite ou départ sans justification
  6. 30 (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :
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