Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelante a eu deux grossesses rapprochées. Son premier enfant est né en juin 2014. Elle est devenue enceinte de son deuxième enfant en mai 2015 alors que son congé parental s’est terminé en juin 2015. Suite à ce congé parental, l’appelante n’a pu retourner à son emploi puisque son employeur a aboli son poste durant son congé parental. Elle l’a tout de même contacté vers la mi-juin 2015 pour savoir s’il y avait du travail pour elle, en vain. L’appelante a cherché du travail jusqu’en juillet 2015 environ et par la suite, elle ne s’en sentait pas capable en raison de son état de grossesse et du fait qu’elle ne se sentait pas très bien.

[3] Son deuxième enfant est né en février 2016 sans que l’appelante n’ait travaillé entre ses grossesses et donc elle n’a pas accumulé le nombre d’heures d’emploi assurable nécessaire pour la rendre admissible à des prestations pour un second congé de maternité/parental.

[4] L’appelante allègue que l’article 8(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi) et le paragraphe 93(1)b) du Règlement sur l’assurance-emploi (le Règlement) contreviennent au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertésNote de bas de page 1 (la Charte).  Elle soutient précisément que les femmes qui ont deux grossesses rapprochées sont discriminées par le fait de devoir accumuler 600 heures d’emploi assurable dans une période de référence de 52 semaines précédant le deuxième congé de maternité/parental. Elle soutient que sur la base du sexe et de l’état de grossesse (motifs énumérés et analogues), elle subit des effets préjudiciables de l’application des exigences de la Loi.

[5] L’intimée soutient de son côté que la Loi ne fait pas de distinction à l’égard des femmes, mais qu’elle fait plutôt une distinction entre les personnes qui ont un attachement au milieu du travail et celles qui n’en ont pas, ce qui n’est pas discriminatoire. Elle soutient que les femmes et les femmes vivant deux grossesses rapprochées ne sont pas traitées différemment des hommes quant à l’application des heures d’emploi assurable nécessaires afin d’établir une deuxième période de prestations.

Questions en litige

[6] Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. Est-ce que les effet de l’article 8(1)a) de la Loi et du paragraphe 93(1)b) du Règlement exigeant à l’appelante d’accumuler 600 heures d’emploi assurable au cours des 52 semaines précédant son deuxième congé de maternité/parentales afin d’être éligible aux prestations constituent un traitement discriminatoire fondé sur le sexe, violant ainsi son droit à l’égalité garanti à l’article 15(1) de la Charte?
  2. Dans l’affirmative, la violation est-elle justifiable aux termes de l’article 1 de la Charte?
    1. L’objectif de la Loi se rapporte-t-il à des préoccupations urgentes et réelles?
    2. Le moyen utilisé pour atteindre l’objectif législatif est-il raisonnable et peut-il se justifier dans une société libre et démocratique?

Analyse

[7] Le paragraphe 15(1) de la Charte prévoit que la loi s'applique également à tous, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiquesNote de bas de page 2. Les lois édictées par le Parlement ainsi que leur application doivent donc être exemptes de discrimination basée sur un de ces motifs. Chaque disposition contestée doit se soumettre à une analyse selon les enseignements de la Cour Suprême de Canada.

Question en litige no 1 : Les effets de l’article 8(1)a) de la Loi et du paragraphe 93(1)b) du Règlement sont-il discriminatoires?

[8] C’est dans l’arrêt AndrewsNote de bas de page 3 qu’en 1989 la Cour suprême du Canada s’est penchée pour la première fois sur l’application de l’article 15 de la Charte. Le juge McIntyre a établi que l’objet de l’article 15 était de «garantir l’égalité dans la formulation et l’application de la loi». Il a de plus précisé qu’il s’agissait d’une protection de l’égalité réelle et non du concept d’égalité formelle.

[9] La Cour Suprême du Canada dans Andrews a par ailleurs précisé que le fait qu’une loi prévoit que certains individus soient traités différemment ne fait pas en sorte qu’elle porte automatiquement atteinte au droit à l’égalité de l’article 15. Le juge McIntyre a indiqué qu’en plus d’être différent entre les personnes, le traitement devait être reconnu comme ayant un effet discriminatoire.

[10] Plus récemment, la plus haute cour du pays a réitéré que « L’égalité n’est pas une question de similitude et le par. 15(1) ne garantit pas le droit à un traitement identique. Il garantit plutôt à chacun le droit d’être protégé contre toute discrimination»Note de bas de page 4.

[11] Ce qui constitue un traitement discriminatoire a par la suite fait l’objet de plusieurs débats et quelques décisions subséquentes de la Cour Suprême du Canada établissant différents critères et tests à appliquer lors d’une analyse relativement à l’article 15 de la Charte. Plus récemment, les arrêts KappNote de bas de page 5, WhitlerNote de bas de page 6 et Québec c ANote de bas de page 7 sont venus préciser le test à appliquer aux contestations en vertu de l’article 15 en mettant à l’avant-plan plus que jamais l’importance du concept d’égalité réelle et de la prise en compte des facteurs contextuels de chaque affaire.

[12] En l’espèce et pour les raisons qui suivent, je conclus que l’appelante n’a pas démontré que les effets de l’article 8(1)a) de la Loi et 93(1)b) du Règlement sont discriminatoires.

A) Est-ce que l’article 8(1)a) de la Loi et 93(1)b) du Règlement créent une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?

[13]  La première étape du test à franchir est de démontrer qu’une personne ne bénéficie pas d’un traitement égal devant la loi et dans la loi, ou encore que la loi a un effet particulier sur elle en ce qui concerne la protection ou le bénéfice qu’elle offreNote de bas de page 8.

[14] Parfois, une loi crée de façon explicite une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue. Dans ces cas, la discrimination sera invoquée comme étant directe et le passage de l’étape un à l’étape deux du test sera relativement simpleNote de bas de page 9. La discrimination peut cependant être indirecte dans les cas où la loi prévoit un traitement égale pour tous, mais qu’elle engendre un effet négatif disproportionné sur une personne ou un groupe en raison de motifs énumérés ou analoguesNote de bas de page 10.  Je note que les dispositions attaquées en l’espèce ne font aucune distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue et qu’elles s’appliquent à tous les prestataires d’assurance-emploi sans égard à leurs caractéristiques personnelles. Il n’y a donc pas de distinction découlant du libellé de la Loi. L’appelante soulève donc une discrimination indirecte, découlant des effets des dispositions législatives. L’appelante a donc une tâche plus lourde dès la première étape.

[15] En l’espèce, pour les motifs qui suivent je conclue que l’appelante n’a pas réussi à démontrer que les effets de l’article 8(1)a) et du paragraphe 93(1)b) du Règlement créent une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue.

[16] En juin 2014, l’appelante a donné naissance à son premier enfant. Elle avait alors un emploi depuis mars 2013 et possédait les conditions requises pour être éligible aux prestations de maternité et parentales. Elle a donc retiré ces prestations à partir du 16 juin 2014. Le 8 décembre 2014, alors qu’elle était prestataire de prestations parentales, l’appelante a malheureusement perdu son emploi parce que son employeur a aboli son poste. Elle est devenue enceinte à nouveau en mai 2015, quelques semaines avant la fin de son congé parental pour son premier enfant.

[17] La Loi prévoit que pour établir une nouvelle période de prestations, l’appelante doit remplir de nouveau les conditions d’admissibilitéNote de bas de page 11. Cela inclut notamment d’avoir accumulé un certain nombre d’heures d’emploi assurableNote de bas de page 12. L’appelante a accouchée de son deuxième enfant le 26 février 2016. Entre la fin de sa période de prestations parentales pour son premier enfant et la naissance de son deuxième enfant, une période d’environ huit mois s’est écoulée durant laquelle l’appelante n’a pas travaillé. Elle n’a donc pas accumulé d’heures d’emploi assurable avant son deuxième congé de maternité et par conséquent n’est pas admissible au bénéfice des prestations de maternité et parentales.

[18] Le paragraphe 93(1)b) du Règlement prévoit que pour recevoir des prestations spéciales tel que des prestations de maternité et parentale, une personne doit «accumuler, au cours de sa période de référence, au moins 600 heures d’emploi assurable.» La période de référence est définie à l’article 8(1) de la Loi. Sous réserve d’exceptions prévues dans la Loi, la période de référence est constituée des 52 semaines qui précèdent le début d’une période de prestations. En l’espèce, l’appelante a donné naissance à son deuxième enfant en février 2016, mais elle a présenté sa demande de prestations en date du 6 avril 2016. Le début de sa période de prestations a été établie au 2 avril 2016. L’appelante devait donc avoir accumulé au moins 600 heures entre le 5 avril 2015 et le 2 avril 2016 pour avoir accès aux prestations spéciales (maternité et/ou parentales). Elle en a accumulé zéro.

[19] L’appelante soutient une différence de traitement fondée sur le motif énuméré et analogue, précisément le sexe et la grossesseNote de bas de page 13. Elle soutient de plus que l’effet des deux dispositions visées crée une distinction entre elle et les autres travailleurs du sexe opposé. L’appelante argue que les femmes enceintes ont plus de difficulté à trouver un emploi ainsi qu’à effectuer les tâches que requiert un emploi durant leur grossesse, se retrouvant défavorisées par rapport aux hommes relativement à leur capacité d’accumuler les heures nécessaires pour se rendre admissibles aux prestations. Plus précisément, l’appelante soutient qu’un homme dans la même situation que l’appelante (ayant deux enfants de grossesses rapprochées) pourrait facilement retourner au travail et accumuler les heures nécessaires durant sa période de référence pour être éligible à des prestations spéciales.

[20] La Commission de son côté soutient que l’appelante n’a pas démontré la distinction de traitement. Elle est d’avis que l’appelante n’a pas offert de preuve établissant un lien de causalité entre la législation contestée et une distinction préjudiciable aux femmes enceintes.

[21] Je me suis posée la question si le fait de devoir accumuler 600 heures d’emploi assurable entre deux périodes de prestations spéciales crée un préjudice pour les femmes enceintes comparativement aux hommes. Devant la preuve présentée, je ne suis pas satisfaite que l’appelante a fait cette démonstration.

[22] Premièrement, j’estime que si l’appelante n’a pas accumulé les heures nécessaires à son admissibilité aux prestations de maternité/parentales, ce n’est pas en raison de son sexe ou de son état de grossesse. Je suis d’avis que si l’appelante n’a pas accumulé ces heures résulte en partie du fait que l’appelante a perdu son emploi en décembre 2015. Aucune preuve n’a été soumise à l’effet que si l’appelante avait pu retourner à son emploi chez X, elle ne l’aurait pas fait. Je retiens plutôt de la preuve que l’appelante a d’abord rappelé son ancien employeur pour lui demander s’il avait de l’ouvrage pour elle. Malheureusement, X n’avait pas de poste à offrir à l’appelante, mais cela démontre tout de même qu’elle avait la capacité et le désir de travailler malgré son état de grossesse. Cela démontre aussi qu’elle aurait travaillé n’eut été de l’abolition de son poste. À cet effet, l’appelante s’est retrouvée dans la même position qu’un homme en congé parental qui aurait perdu son emploi. Ce dernier placé dans la même situation aurait dû se trouver un autre emploi et accumuler 600 heures afin d’être admissible à des prestations spéciales, de la même façon que l’appelante.

[23] Deuxièmement, l’appelante a elle-même choisi de ne pas travailler et accumuler des heures d’emploi assurable durant sa deuxième grossesse. Elle l’a admis en expliquant qu’elle ne se sentait pas à son meilleur, qu’elle était nauséeuse et qu’elle s’est dit que personne n’aurait voulu embaucher une femme enceinte qui accoucherait quelques mois plus tard. En l’absence de preuve médicale démontrant que l’état de grossesse empêche de travailler ou de se trouver un emploi, je constate que l’appelante a fait le choix personnel de ne pas se chercher du travail et par le fait même de travailler.

[24] De plus, je suis d’accord avec la Commission à l’effet que l’appelante a démontré qu’une femme enceinte a la capacité de travailler et d’accumuler les 600 heures requises pour être éligible aux prestations de maternité/parentale par son propre exemple lors de sa première grossesse. Le fait qu’elle n’ait pas réussi à accumuler les heures nécessaires à établir une période de prestations une deuxième fois ne découle donc pas du fait qu’elle était enceinte, mais bien de sa décision personnelle de ne pas travailler, ni même d’essayer de se trouver un emploi.

[25] L’appelante a présumé qu’elle ne serait pas embauchée, mais cela demeure une hypothèse qu’elle est incapable de prouver. Il serait spéculatif d’avancer qu’une femme enceinte ne serait pas embauchée en raison de sa grossesse ou qu’elle aurait plus de difficulté qu’un homme à se trouver un emploi. Aucune preuve n’a été soumise à cet effet.   À cet effet, tel que soulevé par la Commission, la Cour d’appel a réaffirmé que « nous ne pouvons pas simplement présumer que la disposition en cause est responsable des effets reprochés.Note de bas de page 14 »

[26] Afin de démontrer que les dispositions contestées ont des effets préjudiciables et disproportionnés pour les femmes enceintes ayant deux grossesse rapprochées, l’appelante doit présenter des éléments de preuve démontrant que ce sont les dispositions contestées, et non pas d’autres circonstances, qui sont responsables des effetsNote de bas de page 15. Ainsi, « pour que l’analyse des effets préjudiciables soit cohérente, il ne fait pas présumer qu’une disposition législative possède un effet qui n’est pas prouvé. Nous devons prendre soin d’établir une distinction entre les effets qui sont causés en totalité ou en partie par une disposition contestée et les circonstances sociales qui existent indépendamment de la position en question.Note de bas de page 16 »

[27] Bien que je reconnaisse que la réalité biologique fait en sorte que seules les femmes peuvent devenir enceintes, je conclue de la preuve du présent dossier que le fait de n’avoir pas accumulé les heures requises pour être admissibles aux prestations spéciales découle d’une combinaison de motifs, incluant le choix personnel de l’appelante, la perte de son emploi précédent et sa situation personnelle. Elle ne m’a pas convaincue en l’absence de preuve à cet effet que c’est réellement en raison de sa grossesse qu’elle n’a pu rencontrer l’exigence de 600 heures d’emploi assurable dans les 52 semaines précédant son deuxième congé de maternité/parental.

[28] Par exemple, si l’appelante n’avait pas perdu son emploi chez X ou si elle avait décidé de faire des démarches de recherche d’emploi et se trouver un travail, elle aurait vraisemblablement été admissible aux prestations. Or, le fait d’avoir perdu son emploi est malheureux, mais constitue sa situation personnelle plutôt qu’un motif énuméré ou analogue de la Charte.

[29] De plus, il n’a pas été démontré que toute ou la plupart des femmes enceintes de grossesses rapprochées n’ont pas accès au bénéfice des prestations par rapport aux hommes. L’appelante soumet que la Loi établit une dépendance pour les femmes enceintes de grossesses rapprochées en leur exigeant par les effets de l’article 8(1)a) de la Loi et du paragraphe 93(1)b) du Règlement de retourner au travail lors de leur grossesse qui a lieu lors de leur période de référence. Or, les hommes doivent aussi accumuler des heures et répondre aux même critères d’admissibilité s’ils veulent avoir accès au bénéfice des prestations parentales pour leurs enfants nés de façon rapprochée. Je n’y vois aucune distinction de traitement puisqu’il n’a pas été démontré que l’état de grossesse de la femme durant la même période occasionnait un préjudice au-delà de celui d’un homme. Les hommes autant que les femmes sont forcés de retourner travailler s’ils veulent avoir accès une autre fois aux prestations.

[30] L’appelante argue que les femmes enceintes ne sont pas en mesure de retourner sur le marché du travail aussi facilement que les hommes, mais ne supporte ces allégations d’aucune preuve. J’avoue être perplexe face à cet argument puisque l’appelante semble insinuer que les femmes enceinte n’ont pas la capacité de travailler lorsqu’elles sont enceintes, que les grossesses soient rapprochées ou non. Je ne saurais rendre une telle conclusion considérant qu’aucune preuve de démontre que l’état de grossesse est un obstacle à l’emploi. Au contraire, j’estime qu’il faut être prudent avant de conclure les femmes comme inaptes à travailler lors de leur grossesse puisque cela pourrait avoir des effets préjudiciables discriminatoires quant à leur accès aux prestations d’assurance-emploi.

[31] Je suis empathique avec la situation de l’appelante et du fait qu’il puisse être difficile de vivre deux grossesses rapprochées tout en conservant son attachement au marché de l’emploi. Je ne minimise aucunement les défis considérables et bien réels auxquels doivent faire face les mères enceinte d’une deuxième grossesse rapprochée. Je suis de plus d’avis qu’il est raisonnable de croire que les femmes de notre société ont souvent fait l’objet de traitement différentiel sur le plan social et économique. Toutefois, la preuve d’un effet préjudiciable en raison du sexe ou de l’état de grossesse doit être démontré sur la base d’une preuve en bonne et due formeNote de bas de page 17. La Cour suprême a rappelé qu’une accumulation d’intuitions ne peut suffire pour prouver une atteinte à la CharteNote de bas de page 18.

Autres considérations

[32] L’appelante soutient que de forcer les femmes enceintes à retourner sur le marché du travail pendant leur période de référence afin d’accumuler les heures nécessaires pour recevoir des prestations d’assurance-emploi est en contradiction avec l’objet même des dispositions.

[33] Je rejette cet argument.

[34] L’appelante s’appuie sur une citation du juge Lambert de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique :

À mon avis, l’objet des dispositions relatives au congé de maternité et à l’allocation de maternité, considérées dans leur contexte, n’est pas l’encouragement de la constitution de familles, mais plutôt la protection de la santé et du bien-être des femmes enceintes et des nouvelles mères biologiques (pas simplement de nouveaux parents), alors que leur santé est mise à rude épreuve par les contraintes de l’accouchement et qu’elles se relèvent de leur état, et cela afin qu’elle puissent dans les meilleures conditions possibles retourner sur le marché du travailNote de bas de page 19.

[35] J’estime que l’appelante ne fait pas la bonne application des propos du juge Lambert. Si ce dernier se prononce sur l’objet du congé et des prestations de maternité, il ne se prononce d’aucune façon sur l’état de grossesse avant ledit congé. En l’espèce, l’appelante a eu droit à son plein congé de maternité/parental lui permettant de se remettre de son premier accouchement. Selon les propos du juge Lambert, le congé aurait dû lui permettre de se relever afin qu’elle puisse retourner sur le marché du travail. Ces propos contredisent la position de l’appelante en ce qu’ils supportent plutôt le fait qu’ayant bénéficié de son congé parentale, l’appelante devrait être dans les meilleurs conditions possibles pour retourner sur le marché du travail. L’objet du régime de prestations de maternité/parentales n’est pas pertinent au présent litige puisqu’il s’agit de définir non pas la situation d’une femme suivant son accouchement, mais bien d’une femme enceinte devant accumuler des heures d’emploi assurables.

[36] D’autre part, l’appelante soutient que les familles qui décident d’avoir des enfants rapprochés ne devraient pas être pénalisées et devraient recevoir des prestations peu importe s’ils ont travaillé 600 heures ou non. Avec respect, cet argument n’est pas fondé puisqu’il ignore toute la constitution du régime d’assurance-emploi basé sur les contributions selon un schéma d’assurance. Je note aussi que la Cour d’appel fédérale a déjà statué que l’exigence d’un nombre d’heures d’emploi assurable ne saurait constituer un traitement discriminatoire au sens de l’article 15 de la Charte pour les femmes en raison de leur parentalitéNote de bas de page 20. Plusieurs points du raisonnement du juge Létourneau pourraient s’appliquer à notre cas d’espèce en raison de similitudes.

[37] Enfin, le fait que l’appelante ait accumulé plus de 2000 heures d’emploi assurables par son dernier emploi pour X n’est absolument pas pertinent. En effet, l’ensemble de ces heures ont déjà servie à établir sa période de prestations de maternité et parentales suit à la naissance du premier enfant. La Loi n’est pas faite de façon à ce que seulement les heures nécessaires à l’établissement d’une période de prestations soient utilisées, tout en conservant la balance pour une autre fois. Le législateur n’a simplement pas pensé le régime d’assurance-emploi de cette façon. Une telle application pourrait donner des résultats absurdes. Par exemple, selon le même raisonnement, une personne qui aurait accumulé des milliers d’heures au fil d’une carrière de nombreuses années sans interruption pourrait établir des périodes de prestations à répétition de façon quasi infinie. Les heures accumulées ne peuvent servir à obtenir des prestations ad vitam aeternam. Tel que l’a rappelé M. Joly, témoin expert de la CommissionNote de bas de page 21, le régime est basé sur un objectif fondamental qui est d’assurer aux travailleurs de pouvoir gérer les transitions au cours de leur carrière, que ce soit une perte d’emploi, la naissance d’un enfant, la maladie, en compensant la perte de salaire de façon temporaire durant lesdites transitions. Il a clairement indiqué que les critères d’admissibilité, la période de référence et la période de prestations sont des éléments fondamentaux du programme afin de prouver que l’attachement au domaine du travail est récent. Il a rappelé que les périodes de prestations ne pouvaient pas s’accumuler et que le compteur des heures devait être remis à zéro afin de s’assurer que la présence sur le domaine du travail était récente et continue.

B) La distinction crée-t-elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes?

[38] Lorsqu’un groupe de personne se voit traitée différemment en raison d’une caractéristique personnelle immuable (motif énuméré ou analogue), elle doit ensuite démontrer que cette distinction est discriminatoire. En l’espèce, il n’est pas nécessaire de procéder à l’analyse du caractère discriminatoire des effets des dispositions visées puisque j’ai conclu en l’absence de différence de traitement à la première étape du test.

Question en litige no 2 : La violation est-elle justifiable aux termes de l’article 1 de la Charte?

[39] Lorsqu’une violation du paragraphe 15(1) de la Charte est établie, l’article 1 de la Charte prévoit qu’il incombe au gouvernement de prouver que cette violation peut se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratiqueNote de bas de page 22.

[40] Dans le présent dossier, puisque j’ai conclu que les dispositions visées n’étaient pas discriminatoires au sens de la Charte, il n’est pas nécessaire de poursuivre l’analyse d’avantage et de me pencher sur ce volet de l’analyse en matière de contestation constitutionnelle.

Conclusion

[41] Les points soulevés par l’appelante sont louables. Mais ils constituent plutôt des doléances politiques et son souhait à ce que le législateur modifie les exigences d’admissibilité pour les mères de grossesses rapprochées. Cet élément n’a pas fait l’objet de volonté politique à ce jour. L’appelante a la possibilité de se tourner vers le législateur afin d’exposer sa position. Pour ma part, je dois m’en tenir à l’application de la Loi selon l’analyse rigoureusement développée par la Cour suprême du Canada. Selon cette analyse, l’appelante a échoué à la première étape du test légal en ne réussissant pas à démontrer une distinction de traitementfondée sur un motif énuméré ou analogue, précisément le sexe et la grossesse. Les dispositions visées ne sont donc pas discriminatoires au sens de l’article 15 de la Charte.

[42] L’appel est rejeté.

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

23 octobre 2018

En personne

J. D., appelante
X, représentante de l’appelante
Aline Chalifoux, pour la Commission de l’assurance-emploi (l’intimée)
Sylvie Doire, représentante de l’intimée
Patrick Joly, témoin expert de l’intimée

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