Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée à la division générale pour une nouvelle audience.

Aperçu

[2] Le demandeur [sic], M. H. (prestataire), a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi en juin 2017. Il a présenté ses déclarations à l’intimée, soit la Commission de l’assurance-emploi du Canada. Il a affirmé à la Commission qu’il a travaillé en août et en septembre 2017. Il lui a aussi communiqué le nombre d’heures qu’il a travaillé et la rémunération reçue durant ces deux mois. La Commission a versé des prestations au prestataire en fonction des affirmations du prestataire concernant sa rémunération, mais elle a découvert par la suite qu’il n’avait pas déclaré tous ses gains.

[3] Après avoir réparti les gains supplémentaires, la Commission a calculé qu’elle avait versé trop de prestations au prestataire et que ce dernier devait les rembourser. Elle a aussi conclu que le prestataire avait fait des déclarations fausses à propos de sa rémunération et elle a décidé qu’il devait payer une pénalitéNote de bas de page 1. Après avoir révisé sa décision, la Commission a confirmé la somme du versement excédentaire, mais elle a réduit la somme de la pénalitéNote de bas de page 2.

[4] Le prestataire a porté en appel devant la division générale la décision issue de la révision, mais elle a rejeté son appel. Le prestataire fait maintenant appel de la décision de la division générale parce qu’il dit qu’elle a omis d’observer un principe de justice naturelle. La Commission soutient que la division générale a tiré des conclusions de fait qui sont compatibles avec la preuve et la jurisprudence, et qu’elle a appliqué correctement le critère juridique aux faits dans la présente affaire, en ce qui concerne la rémunération et la pénalité. La Commission n’a pas abordé la question de la justice naturelle.

[5] J’estime qu’il y a eu un manquement aux principes de justice naturelle parce que le prestataire n’a pas reçu une copie de certains documents (GD3 et GD4) à temps pour lui permettre de se défendre convenablement. C’est pourquoi j’accueille l’appel et je renvoie l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience.

Questions en litige

[6] Voici les questions en litige :

  1. La division générale a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle en ne faisant pas connaître au prestataire les arguments présentés contre lui?
  2. La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte de la situation du prestataire, lorsqu’elle a déterminé si la somme de la pénalité était convenable?

Moyens d’appel

[7] Les trois seuls moyens d’appel prévus à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS) sont les suivants :

  1. la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[8] Le prestataire affirme que la division générale a erré au titre des articles 58(1)(a) et (c) de la LMEDS.

Analyse

i) La division générale a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle en ne faisant pas connaître au prestataire les arguments présentés contre lui?

[9] La Commission soutient que je dois rejeter l’appel parce que la division générale a tiré des conclusions de fait qui sont compatibles avec la preuve et la jurisprudence, et qu’elle a appliqué correctement le critère juridique aux faits présentés dans cette affaire en ce qui concerne la rémunération et la pénalité. Cependant, je ne peux pas ignorer le fait que le prestataire affirme ne pas avoir eu droit à une audience équitable. Il s’agit d’un droit fondamental.

[10] Au début de l’audience devant moi, le prestataire a affirmé qu’il ne voulait plus présenter ce moyen d’appel. Toutefois, il continuait à affirmer qu’il n’avait pas eu droit à une audience équitable parce que la membre de la division générale lui a dit qu’elle avait déjà pris sa décision avant le début de l’audience. Après avoir examiné la décision de la division générale, j’ai constaté que la membre de la division générale avait étudié chaque question en détail; il ne me semble donc pas qu’elle avait décidé à l’avance du dénouement de l’affaire, sans examiner la preuve ou les questions en litige.

[11] Le prestataire a répété son argument selon lequel la membre de la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle parce qu’elle a poursuivi l’audience même si elle savait qu’il n’avait pas eu accès à tous les documents et qu’il ne pouvait donc pas connaître pleinement les arguments présentés contre lui. Avant même le début de l’audience devant la division générale, le prestataire a dit à la membre de la division générale qu’il n’avait pas de copie des documents portant les numéros GD3 et GD4 que le Tribunal de la sécurité sociale avait envoyés aux parties. Le prestataire prétend que la membre lui a dit qu’elle pouvait tenir l’audience parce que ces documents n’étaient pas importants et ne changeraient rien. Il affirme que de ne pas avoir reçu ces documents à temps pour l’audience rendait le processus inéquitable.

[12] La membre de la division générale a demandé de nombreuses fois au prestataire s’il souhaitait poursuivre l’audience. Elle lui a dit qu’il lui revenait de prendre la décision. Elle lui a offert d’ajourner l’audience jusqu’à la semaine suivante, mais il a affirmé qu’il voulait continuer, sans attendre une nouvelle audience. La membre lui a aussi fourni un résumé du contenu des documents GD3 et GD4, et elle lui a proposé d’ajourner la procédure s’il devenait évident qu’il était nécessaire que le prestataire les ait en sa possession. La membre a présenté de nombreuses options au prestataire. À différents moments durant l’audience, il a répondu ce qui suit :

  1. [traduction]
  1. - Euh, je ne suis pas certain, comme, euh on peut continuer et voir, comme, je ne sais pas… Euh, je ne sais pas… Euh je ne sais pas de quoi parlent GD3 et GD4Note de bas de page 3.
  2. - Oui, alors quel est le problèmeNote de bas de page 4?
  3. - Euh, oui, allez-y. Je ne … pas vous arrêterNote de bas de page 5.
  4. - Si GD3 et GD4 sont comme, importants, alors il faut que je les voieNote de bas de page 6.
  5. - J’ai vérifié mes courriels indésirables. J’ai vérifié mes courriels indésirables dans ma boîte de réception. Parce que je ne veux pas dire quelque chose que je ne sais pas vraimentNote de bas de page 7.
  6. - Si vous dîtes qu’il est juste de parler d’une question sans GD3 et GD4, je vais vous faire confiance. Je vous fais déjà confiance, mais si vous dîtes que c’est justeNote de bas de page 8.
  7. - Croyez-moi, je ne sais pas de quoi parlent GD3 et GD4 et je ne sais pas si je les lis ce que je comprendrai. Des fois, les papiers du gouvernement embrouillent mon cerveau, comme trop d’information et très compliqué. Comme mon esprit, mon cerveau vraiment pas intelligent pour comprendre ce [incompréhensible] surtout l’anglais n’est pas ma première langue. Comme, je ne suis pas né au Canada. Des fois, peut-être comme je reçois du courrier, je dois regarder dans le dictionnaire pour, comme, lire qu’est-ce que ça veut dire… pour comprendre tout ce que ça ditNote de bas de page 9.
  8. - Croyez-moi, c’est à vous de décider [s’il faut poursuivre l’audience]Note de bas de page 10.
  9. - Oui, mais vous ne… comme, ce n’est pas en ma faveur. Et ce n’est pas juste de, comme, prendre la décision sans les papiers. Comme, si c’était ça, ça me semble très sévèreNote de bas de page 11.
  10. - Euh, je ne sais vraiment pas. Je ne veux pas, comme, vous êtes le gouvernement…Note de bas de page 12
  11. - Je peux continuer. Je peux continuer, mais s’il y a comme quelque chose de très important, je peux attendre d’avoir le [document GD] 3 et le [document GD] 4Note de bas de page 13.
  12. - D’accord, allez-y, parce que je suis déjà stresséNote de bas de page 14.
  13. - D’accord, allez-y s’il vous plaît parce que je suis fatigué. Je suis fatigué de ma vieNote de bas de page 15.

[13] À plusieurs reprises, la membre a affirmé qu’il faudrait qu’elle accorde un ajournement. Mais quand la membre l’offrait, le prestataire laissait entendre qu’il était prêt à continuer l’audience parce qu’il faisait confiance à la membre de la division générale pour lui dire ce que contenaient les documents GD3 et GD4. Il a aussi affirmé qu’il était occupé en raison d’autres choses qui se déroulaient dans sa vie.

[14] Environ 30 minutes après le début de l’audience, la membre a fait en sorte que GD3 et GD4 soient envoyés par courriel au prestataire. Environ une demi-heure plus tard, le prestataire a confirmé qu’il les avait reçus. La membre a aussi attiré l’attention du prestataire sur certains passages des documents, qu’il a repérés, mais la membre n’a autrement pris aucune pause pour donner l’occasion au prestataire d’examiner les documents.

[15] Le document GD3 compte 71 pages et comprend une copie de la demande de prestations d’assurance-emploi du prestataire, ses déclarations bimensuelles à la Commission, des renseignements de l’employeur liés à la paie, la décision initiale et la décision issue de la révision de la Commission, la demande de révision du prestataire, les calculs du versement excédentaire, l’avis de dette et des notes du registre téléphonique. Le document GD4, qui contient les arguments de la Commission, compte 14 pages. Les arguments de la Commission comprennent six pages qui présentent des parties de la Loi sur l’assurance-emploi et du Règlement sur l’assurance-emploi.

[16] Le prestataire est toujours non représenté. L’anglais n’est pas sa première langue, et il a de la difficulté à le comprendre et à l’utiliser pour communiquer. Il n’est pas très raffiné. Ce sont des facteurs importants.

[17] Sur le moment, le prestataire a affirmé qu’il voulait poursuivre l’audience de la division générale, mais certains éléments indiquent qu’il l’a affirmé parce qu’il était stressé et sentait qu’on le poussait à continuer. Il pensait que la membre de la division générale voulait que l’audience se poursuive, alors il s’est dit qu’il devait continuer.

[18] Même si la membre de la division générale a donné une copie des documents GD3 et GD4 au prestataire durant l’audience, le prestataire dit qu’il n’a pas réellement eu l’occasion de les examiner. Il a fait remarquer que les documents étaient longs et que cela lui aurait pris beaucoup de temps à les lire au complet. Il affirme qu’il doit prendre son temps pour lire des documents parce que sa connaissance de l’anglais est limitée et qu’il n’est pas raffiné.

[19] J’ai demandé au prestataire de quelle façon il aurait présenté son affaire différemment s’il avait eu une copie des documents GD3 et GD4 avant le début de l’audience de la division générale, mais il n’a pas répondu clairement. Il a une copie électronique de ces documents depuis maintenant deux mois. Il ne les a pas examinés depuis l’audience de la division générale, parce qu’il prétend qu’il a un accès limité à un ordinateur, mais pas à une imprimante. Il a donc besoin d’avoir des copies papier pour bien se préparer à une audience.

[20] En résumé, le prestataire affirme qu’il n’a pas reçu les documents GD3 et GD4 à temps pour pouvoir se préparer pour l’audience. Il a reçu une copie des documents à l’audience, mais il prétend que la division générale ne lui a pas donné assez de temps pour les examiner. Après l’audience, il n’a pas pu les examiner parce qu’il a un accès très limité à un ordinateur et n’avait pas de copie papier. Le prestataire a autorisé le Tribunal de la sécurité sociale à communiquer avec lui par courriel. Il n’a donc pas reçu de copie papier. Il dit qu’il a de la difficulté à utiliser des dossiers électroniques et qu’il a besoin de copies papier des documents. Il n’a pas pensé sur le coup demander un ajournement de l’audience de la division générale, car il pensait que la membre de la division générale voulait poursuivre l’audience et il ne voulait pas nuire à son affaire en demandant un ajournement.

[21] Normalement, les efforts de la membre de la division générale pour tenir une audience équitable (soit offrir un ajournement et fournir des documents à une partie) auraient été raisonnables dans la plupart des circonstances. Cependant, dans la présente affaire, le prestataire affirme que son anglais est limité, qu’il n’est pas très raffiné et qu’il est atteint de problèmes mentaux importants, dont certains qui nuisent à son jugement. Compte tenu de tous ces facteurs, je suis prête à décider que le prestataire n’a pas eu droit à une audience équitable et qu’il y a eu un manquement aux principes de justice naturelle au titre de l’article 58(1)(a) de la LMEDS. La réparation qui convient est de tenir une nouvelle audience devant la division générale pour que le prestataire puisse aborder les questions découlant des documents GD3 et GD4.

ii) La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte de la situation du prestataire, lorsqu’elle a déterminé si la somme de la pénalité était convenable?

[22] Simplement pour clarifier ma décision relative à la permission d’en appeler, je vais traiter de cette question, même si le prestataire n’a présenté aucune observation orale à ce sujet durant l’audience tenue pour le présent appel.

[23] Le prestataire prétend qu’il a été obligé de retourner travailler malgré sa santé mauvaise, en raison des difficultés causées par sa [traduction] « situation financière désastreuse ». Il soutient que la division générale n’a pas tenu compte de sa situation lorsqu’elle a déterminé si la somme de la pénalité était convenable.

[24] La division générale a fait remarquer qu’elle n’avait pas la compétence (c’est-à-dire l’autorité) pour intervenir dans la décision discrétionnaire de la Commission, à moins que la Commission ait exercé son pouvoir discrétionnaire de manière non judiciaire ou qu’elle ait agi de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. La division générale a énoncé correctement le droit à ce sujetNote de bas de page 16. Elle a fait remarquer qu’au moment de déterminer la somme de la pénalité, la Commission devait tenir compte de tous les renseignements et des circonstances atténuantes. La division générale a énoncé correctement le droit à ce sujet.

[25] Au paragraphe 54 de sa décision, la division générale a noté que la Commission avait tenu compte de la situation du prestataire et de sa déclaration selon laquelle il [traduction] « avait des difficultés financières, a des problèmes de santé mentale, a été hospitalisé parce qu’il était suicidaire, est sans abri, est au chômage et a de nombreuses dettes qu’il ne peut pas rembourser ». Après avoir tenu compte de la situation du prestataire, la division générale a conclu que la Commission avait effectivement exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée lorsqu’elle a déterminé si la somme de la pénalité était convenable.

[26] Après avoir déterminé que la Commission avait exercé son pouvoir discrétionnaire convenablement, la division générale n’avait pas la compétence pour intervenir dans la façon dont la Commission avait exercé son pouvoir discrétionnaire. Pour ce motif, j’estime que la division générale n’a pas omis de tenir compte de cette preuve lorsqu’elle a abordé la question de savoir si la somme de la pénalité était convenable.

Conclusion

[27] L’appel est accueilli. Compte tenu de la nature du manquement, il convient de renvoyer l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience, pour s’assurer que le prestataire ait droit à une audience équitableNote de bas de page 17.

Date de l’audience :

Le 23 septembre 2019

Mode d’instructions :

Téléconférence

Comparutions :

M. H., appelant

S. Prud’homme, représentante ou représentant de l’intimée (observations écrites seulement)

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