Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Je conclus que l’appelante était justifiée de quitter volontairement son emploi en vertu des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »). L’exclusion de l’appelante du bénéfice de prestations, à compter du 23 décembre 2018, date du début de sa période de prestations, n’est donc pas justifiée.

Aperçu

[2] L’appelante a travaillé comme employée serricole pour l’employeur X (« l’employeur »), une entreprise de production de fruits en serre, du 16 avril 2007 au 21 décembre 2018 inclusivement, et a cessé de travailler pour cet employeur après avoir effectué un départ volontaire.

[3] L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la « Commission »), a déterminé que l’appelante n’était pas justifiée d’avoir quitté volontairement l’emploi qu’elle a occupé chez l’employeur X.

[4] L’appelante a expliqué avoir quitté son emploi chez cet employeur en raison des modifications apportées à ses tâches, à la suite de l’introduction de la culture de poivrons, celle-ci ayant remplacé la culture des tomates à laquelle elle était affectée. Elle a indiqué que le travail était devenu trop exigeant physiquement (ex. : cueillette, nouvelles méthodes de travail). Elle a fait valoir que les conditions d’emploi chez l’employeur étaient devenues difficiles avec l’arrivée en poste d’une nouvelle superviseure suivant l’introduction de la culture des poivrons. L’appelante a soutenu avoir effectué plusieurs démarches auprès de l’employeur afin que la situation s’améliore, mais sans succès. L’appelante a fait valoir que l’employeur voulait se débarrasser des employées québécoises dans le but de favoriser des travailleurs étrangers. Le 10 juin 2019, l’appelante a contesté la décision rendue à son endroit après que celle-ci ait fait l’objet d’une révision de la part de la Commission. Cette décision fait l’objet du présent appel devant le Tribunal.

Questions en litige

[5] Dans le cas présent, je dois déterminer si l’appelante était justifiée de quitter volontairement son emploi en vertu des articles 29 et 30 de la Loi.

[6] Pour établir cette conclusion, je dois répondre aux questions suivantes :

  1. Est-ce que la fin d’emploi de l’appelante représente un départ volontaire?
  2. Si tel est le cas, est-ce qu’une modification importante a été apportée aux fonctions de l’appelante et si oui, pouvait-elle justifier son départ volontaire?
  3. Est-ce que le départ volontaire était la seule solution raisonnable dans le cas de l’appelante?

Analyse

[7] Le critère visant à déterminer si le prestataire est fondé de quitter son emploi aux termes de l’article 29 de la Loi consiste à se demander si, eu égard à toutes les circonstances, selon la prépondérance des probabilités, le prestataire n’avait pas d’autre choix raisonnable que de quitter son emploiNote de bas de page 1.

Est-ce que la fin d’emploi de l’appelante représente un départ volontaire?

[8] Oui. J’estime que dans le cas présent, la fin de l’emploi de l’appelante représente bien un départ volontaire au sens de la Loi.

[9] Je considère que l’appelante a eu le choix de continuer de travailler pour l’employeur X, mais qu’elle a choisi de quitter volontairement son emploi. La jurisprudence nous informe que dans un cas de départ volontaire, il faut d’abord déterminer si la personne avait le choix de conserver son emploiNote de bas de page 2.

[10] Dans sa demande de prestations présentée le 4 février 2019, l’appelante a indiqué avoir cessé de travailler pour l’employeur après avoir effectué un départ volontaireNote de bas de page 3.

[11] Le 5 décembre 2018, l’appelante a remis une lettre de démission à l’employeur pour lui indiquer qu’elle allait cesser de travailler, en date du 21 décembre 2018Note de bas de page 4. L’employeur a confirmé avoir reçu cette lettreNote de bas de page 5.

[12] L’appelante n’a pas contesté le fait qu’elle avait quitté volontairement son emploi.

[13] Je considère que l’appelante avait la possibilité de poursuivre l’emploi qu’elle avait chez l’employeur X, mais qu’elle a pris l’initiative de mettre fin à son lien d’emploi en indiquant à l’employeur qu’elle n’allait pas continuer de l’occuperNote de bas de page 6.

[14] Je dois maintenant déterminer si l’appelante était justifiée de quitter volontairement son emploi et s’il s’agissait de la seule solution raisonnable dans son cas.

Est-ce qu’une modification importante a été apportée aux fonctions de l’appelante et si oui, pouvait-elle justifier son départ volontaire?

[15] Oui. Je considère qu’une modification importante a été apportée aux fonctions de l’appelante et qu’il s’agit d’une circonstance justifiant son départ volontaire.

[16] Je considère que le témoignage crédible rendu par l’appelante au cours de l’audience a permis d’avoir un portrait complet et très bien circonstancié des raisons ayant mené à son départ volontaire. Le témoignage de l’appelante était détaillé, exempt de contradictions et appuyé d’exemples concrets. Son témoignage était également soutenu par une preuve documentaire pertinente (ex. : photos illustrant les tâches qu’elle devait accomplir)Note de bas de page 7. Le témoignage de l’appelante a également été corroboré par celui d’une ancienne collègue avec laquelle elle a travaillé pendant une dizaine d’années chez l’employeur.

[17] L’appelante a fourni plusieurs précisions quant aux conditions dans lesquelles elle a accompli son travail d’employée serricole, plus particulièrement en ce qui concerne les modifications de ses tâches à la suite de l’introduction de la culture des poivrons en remplacement de la culture des tomates. Le témoignage de l’appelante a ainsi permis de mettre en contexte les événements ayant mené à son départ volontaire.

[18] Il ressort du témoignage et des déclarations de l’appelante, les éléments suivants :

  1. L’appelante a travaillé près d’une douzaine d’années pour l’employeur (du 16 avril 2007 au 21 décembre 2018). Jusqu’en décembre 2017, le travail de l’appelante était essentiellement relié à la culture des tomates (culture dans des serres). À compter de décembre 2017, cette culture a été complètement délaissée pour faire place à la culture des poivrons, également dans des serres. Le travail de l’appelante s’effectuait généralement du lundi au vendredi de 7 h à 15 h, soit 7,5 heures par jour ou 37,5 heures sur une base hebdomadaire. Jusqu’en janvier 2018, il lui était possible de terminer le travail le vendredi midi si les tâches à accomplir étaient terminéesNote de bas de page 8 ;
  2. Les tâches de l’appelante ont été changées avec l’introduction de la culture des poivrons. Le travail de l’appelante consistait dès lors à cueillir (récolter les poivrons et les placer dans des bacs), « drageonner » les plants (couper les drageons) et faire la vidange des plants à la fin de la récolte (couper les cordes des plants, les cubes de mousse de sphaigne et les racines de ces plants). Ce travail est devenu plus ardu avec la culture des poivrons. La cueillette des poivrons a représenté la tâche la plus difficile à accomplir. Les bacs ou les caissons utilisés étaient plus gros et plus lourds (15 à 20 livres), alors que pour la cueillette des tomates, des plateaux étaient utilisés. Les tomates étaient alors placées dans un plateau, sur une seule rangée. Les plateaux étaient placés sur des chariots sur rails. Les bacs de poivrons devaient être déposés plus haut que les plateaux de tomates. Les bacs devaient être empilés de chaque côté du chariot. L’appelante ne pouvait pas les lever au bout de ses bras, étant donné leur poidsNote de bas de page 9. Il était plus difficile de décharger les caissons qui avaient été empilés sur le chariot. En arrivant au trottoir (extrémité d’une rangée), l’appelante devait décharger elle-même les caissons qui avaient été empilés sur le chariot, car personne ne se trouvait à cet endroit pour le faire, ce qui n’était pas le cas avec la culture des tomatesNote de bas de page 10. Lorsque les tomates étaient cultivées, d’autres employés, soit des travailleurs étrangers, s’occupaient de décharger les plateaux. L’appelante n’avait donc pas à soulever de plateaux de tomates, sauf à l’occasion. Avec la culture des poivrons, lorsqu’une rangée de culture était faite, il y avait environ 10 à 15 caissons à décharger du chariot. L’appelante devait monter sur le bord du chariot pour chercher un bac de poivrons, car il n’y avait pas d’escabeau pour le faire. Le chariot que devait utiliser l’appelante n’était pas adapté à la culture des poivrons. Les chariots avaient été élargis. Pour prendre une pause, l’appelante devait enjamber la barre de sécurité du chariot, car elle ne pouvait en sortir par les portes. Plus la saison avançait, plus les bacs ou les caissons étaient lourds et plus le chariot devenait valsant, ce qui faisait en sorte qu’elle ne pouvait pas augmenter la vitesse ou atteindre la cadence de production demandée. La cueillette des poivrons s’effectuait en continu, soit deux ou trois jours de suite, alors qu’avec la culture des tomates, la cueillette s’effectuait aux deux jours (lundi, mercredi et vendredi) et parfois uniquement l’avant-midi. Il y avait plus de « drageonnage » à faire avec les poivrons qu’avec les tomates. L’appelante devait utiliser une corde très raide et tourner le plant autour de la corde, pour enlever les drageons. Pour effectuer la vidange des plants de poivrons, il fallait couper les cordes. Tout le monde devait ramasser les plants pour les attacher, ce qui n’était pas le cas lorsqu’il était question de la culture des tomatesNote de bas de page 11. Il fallait couper les plants et les jeter au sol pour les ramasser ensuite, alors qu’auparavant, il y avait des bacs placés sur des rails. L’appelante se retrouvait à « quatre pattes » pour ramasser les cubes (cubes de mousse de sphaigne devant être coupés des racines afin de les retirer) qui avaient été jetés par terre pour les déposer ensuite dans des bacsNote de bas de page 12. Il y a 350 cubes par rangée et 180 rangées dans les serres. Au lieu d’aller au trottoir porter les bacs dans une benne, comme cela était le cas avec la culture des tomates, l’appelante devait aller les porter dehors dans un conteneur (grosse benne) en utilisant des palettes de bois comme escaliers pour être en mesure de le faireNote de bas de page 13. Les épaules et les poignets étaient sollicités pour vider des bacs à bout de bras. Après avoir eu chaud pour ramasser les cubes, l’appelante devait s’habiller pour sortir au froid, pour les porter dans le conteneurNote de bas de page 14. Auparavant, il fallait les mettre dans une benne au trottoir et un autre employé utilisait un « lift » (chariot élévateur) pour les porter dans la benneNote de bas de page 15 ;
  3. Avec la culture des poivrons, la chaleur à l’intérieur de la serre était plus accablante. En début de journée, vers 7 h, la chaleur était de 30°C et pouvait atteindre de 38°C à 41°C au cours de la journée avec le soleil et le facteur « humidex », alors que pour la culture des tomates, la température pouvait se situer entre 25°C et 32°C. Il y avait également plus d’humidité avec la culture des poivrons, car avec la culture des tomates, il y avait davantage d’aération. La ventilation fonctionnait moins souvent avec la culture des poivrons. Les employés n’avaient même plus droit à des « pauses chaleur »Note de bas de page 16 ;
  4. La nouvelle façon de faire avec l’introduction de la culture des poivrons et les méthodes de travail liées à cette culture ont été décidées par la nouvelle superviseure, A. D., arrivée en poste vers le mois d’avril 2018. La cueillette des poivrons avait commencé vers le mois de mars 2018, soit avant l’arrivée en poste de cette dernière. Avant que l’ancien superviseur, F. R., ne soit remplacé, celui-ci a donné de la formation aux employées québécoises pour les familiariser avec la culture des poivrons, et ce, pendant environ deux semaines. Avec l’ancien superviseur, ce fut plus facile et moins compliqué parce qu’il y avait alors moins de caissons de poivrons à manipuler, mais par la suite, en mai et juin 2018, lorsque la saison avançait, il y en a eu davantage. Ce fut la nouvelle superviseure qui a déterminé la façon de faire et la cadence à suivre dans le travail. La nouvelle superviseure avait évalué que l’appelante et les autres employées de sexe féminin étaient capables de faire le même travail que les travailleurs étrangers, de sexe masculin. Elle a demandé à tout le monde de faire la même chose. La charge de travail de l’appelante était devenue très lourde physiquement. La cadence du travail qui a été imposée par l’employeur a fait en sorte que l’appelante se faisait dire d’aller un peu plus vite. L’appelante a également fait l’objet d’une surveillance accrue de la part de l’employeur. Cette surveillance accrue au bout des rangées a commencé à l’été 2018 avec l’arrivée d’une adjointe à la superviseure. Cette surveillance s’est aussi manifestée lors de la dernière journée de travail de l’appelanteNote de bas de page 17 ;
  5. L’accumulation de plein de choses explique le départ volontaire de l’appelante. Elle n’était plus capable de continuer à travailler lorsqu’elle a quitté son emploi. L’appelante ne se sentait plus capable physiquement de le faire. Elle a discuté de la situation avec plusieurs personnes au sein de l’entreprise, incluant ses supérieurs, concernant les problèmes rencontrés dans l’accomplissement de son travail. Lorsqu’elle a discuté avec l’employeur de cette situation, il lui a répondu : « Si je suis capable de le faire et tes collègues sont capables de le faire, tu devrais être en mesure de le faire aussi »Note de bas de page 18. Depuis l’introduction de la culture des poivrons, un des aspects les plus difficiles dans son travail fut aussi le manque de compréhension de la nouvelle superviseure. Il y avait des problèmes de communication avec cette dernière. Si l’appelante ou une autre employée voulait lui faire des suggestions ou des commentaires sur les façons d’accomplir le travail, elle ne les acceptait pas. L’appelante était obligée de fonctionner comme la superviseure le décidait. La superviseure faisait des remarques aux employées québécoises pour leur indiquer d’être plus rapides. Selon l’appelante, il y avait toujours des points que la superviseure leur mentionnait (ex. : leur dire comment balayer). Dans son cas, la superviseure ne lui a pas fait de commentaires négatifs sur sa prestation de travail. Les rencontres tenues avec l’employeur n’ont rien changé aux problèmes vécus par l’appelant dans l’accomplissement de son travail. C’était devenu insoutenable pour elle, aux plans physique et mental. L’appelante se réveillait la nuit en pensant à trouver une façon de travailler et avoir une bonne collaboration avec l’employeur, mais la collaboration souhaitée n’était pas possible. Le climat de travail n’était pas facile, étant donné qu’il était devenu difficile de discuter avec la superviseure. L’atmosphère était intolérableNote de bas de page 19 ;
  6. À l’automne 2018, durant la période de vidange des plants, l’employeur a demandé aux employés de faire davantage d’heures ou un « surplus de travail », en prolongeant la durée de leur quart de travail, en plus des 37,5 heures qu’elle effectuait normalement. Les demandes de l’employeur étaient faites à la dernière minute. Par exemple, le lundi 26 novembre 2018 vers 14 h 50, l’employeur a demandé aux employées si elles pouvaient continuer de travailler après la fin prévue de leur quart de travail à 15 h. L’appelante a répondu qu’elle ne pouvait pas le faire, étant donné qu’elle avait un rendez-vous cette journée-là, mais qu’elle allait pouvoir le faire le jour suivant (mardi). Les autres employées n’ont pas non plus accepté cette demande. Le lendemain, la superviseure a demandé aux employées de lui fournir une raison pour laquelle elles ne pouvaient pas continuer de travailler après la fin prévue de leur quart travail si une demande leur était adressée et de lui fournir une preuve à cet effet. Selon l’appelante, la superviseure n’aimait pas que les employées lui disent « non » si une demande leur était faite en ce sens. Le mercredi 28 novembre 2018, les outils des employées québécoises ne se trouvaient pas dans leur casier comme cela était normalement le cas. La superviseure les avait mis de côté parce que la journée précédente, les employées avaient refusé de travailler plus longtemps, soit après la fin de leur quart de travail. Le 28 novembre 2018, la superviseure avait ainsi décidé de confier aux travailleurs étrangers la tâche normalement dévolue aux employées québécoises et consistant à couper les plants avec leurs outils habituels. La superviseure a alors assigné les employées québécoises aux tâches consistant à ramasser par terre (au sol) les tiges de poivrons et faire des fagots, une tâche plus exigeante physiquement que celles qu’elles accomplissaient normalement. La superviseure a aussi indiqué aux employées québécoises qu’elle en avait assez et qu’une rencontre allait se tenir le lendemain (29 novembre 2018)Note de bas de page 20 ;
  7. Une rencontre a été tenue le 29 novembre 2018. Le propriétaire de l’entreprise (président et directeur général), J. D., le responsable des ressources humaines, J. B., la superviseure, A. D., le représentant syndical, J. L., et les quatre employées, dont l’appelante, étaient présents. Malgré le fait que l’appelante et les autres employées aient exprimé les choses qui n’allaient pas dans leur travail, l’employeur a conclu que celles-ci ne collaboraient pas assez. L’employeur leur a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi elles se limitaient à travailler de 7 h à 15 h. L’employeur leur a mentionné qu’en refusant de le faire, elles se trouvaient à donner le travail aux employés étrangers. L’employeur a dit aux employées qu’il était en droit d’exiger qu’elles fassent davantage d’heures et leur a demandé d’accepter de faire du temps en surplus lorsqu’une demande allait leur être faite en ce sens. L’employeur leur a aussi indiqué qu’un billet du médecin allait être nécessaire si une employée ne pouvait pas effectuer les tâches demandées. Selon l’appelante, l’employeur leur a fait porter le blâme pour les problèmes au travail et mentionnait que la superviseure faisait bien son travail. L’employeur leur a expliqué que lorsque la superviseure dit de tourner à droite, on tourne à droite et lorsqu’elle dit de tourner à gauche, on tourne à gauche. Lors de cette rencontre, un avis disciplinaire a été remis à l’appelante de même qu’aux trois autres employéesNote de bas de page 21. Dans cet avis, l’employeur a reproché à l’appelante son manque de collaboration à l’égard de ses collègues et de son supérieur concernant certaines tâches et son refus concernant les horaires de travail. Dans cet avis, l’employeur a souligné que son comportement était inacceptable, qu’il causait des complications à l’entreprise et qu’il ne pouvait être toléréNote de bas de page 22. L’appelante a signé l’avis, bien qu’elle n’avait pas tous les torts, étant donné qu’elle accomplissait bien son travail. Après avoir remis les avis disciplinaires aux employées, l’employeur leur a aussi indiqué qu’elles pouvaient passer dans le bureau, sur une base individuelle, pour discuter de tout cela. Deux des collègues de l’appelante ont refusé de signer l’avis disciplinaire qui leur a été donné et ont quitté leur emploi après cette rencontre. L’appelante n’a pas demandé à l’employeur de le rencontrer individuellement, car elle considérait qu’il n’y avait rien à faire. Il n’y avait pas d’issue et il n’y avait pas de compréhension de la part de l’employeurNote de bas de page 23 ;
  8. À la suite de la rencontre du 29 novembre 2018, l’appelante et l’autre collègue demeurée en poste ont été affectées à la coupe des cubes. La tâche répétitive que l’appelante a dû accomplir (jeudi 29 novembre 2018 et vendredi 30 novembre 2018), et les outils qu’elle a dû utiliser (ex. : couteau à pain, « exacto »Note de bas de page 24>, et ce, avant que des employés immigrants ne viennent accomplir eux aussi cette tâche, a fait en sorte que sa main est devenue enflée. Le lundi 3 décembre 2018, elle a consulté un médecin. L’appelante a éclaté en sanglots lorsqu’elle lui a aussi parlé de ce qu’elle vivait au travail. Le médecin lui a alors dit qu’elle devrait quitter son emploi. Il lui a offert de lui donner un certificat médical pour qu’elle puisse prendre un congé jusqu’au mercredi 5 décembre 2018, mais l’appelante n’a pas accepté cette offre. Elle ne voulait pas prendre de médicaments ni se retrouver en état d’épuisement ou en « burn out »Note de bas de page 25 ;
  9. L’appelante a repris le travail le 4 décembre 2018 et a remis sa lettre de démission le 5 décembre 2018, après sa journée de travail, à 15 h. Dans cette lettre, en date du 2 décembre 2018, l’appelante a donné un préavis de deux semaines à l’employeur en lui indiquant qu’elle allait cesser de travailler le 21 décembre 2018Note de bas de page 26. L’appelante voulait avoir un bon dossier lorsqu’allait venir le temps de se chercher un autre emploi. Elle a dit trouver plate d’écrire cette lettre puisque cela représentait la fin de ses 12 ans de travail chez l’employeur. L’appelante était fière du travail accompli, mais ressentait de la déception puisqu’elle voyait comment s’était déroulée sa dernière année. Elle aimait son emploiNote de bas de page 27 ;
  10. Pendant ses deux dernières semaines d’emploi, l’appelante a moins travaillé, soit quatre jours sur une possibilité de dix. Selon elle, l’employeur a conservé le travail pour les travailleurs étrangers. L’employeur cherchait à se débarrasser des employées québécoises pour les remplacer par des travailleurs étrangers qui ne semblaient pas avoir de problèmes pour travailler des heures additionnelles. Elle a souligné qu’à son arrivée chez l’employeur, il y avait 12 employés québécois à l’année et ce nombre pouvait atteindre 18-20 durant l’été. En février 2018, il y avait une équipe de quatre employées québécoises et environ huit à dix travailleurs étrangers, de sexe masculinNote de bas de page 28 ;
  11. L’appelante a parlé avec son syndicat de la situation vécue dans son travail, mais aucun grief n’a été déposé avant qu’elle ne quitte volontairement son emploi. Elle ne voulait pas s’embarquer dans une bataille de cette nature, mais le représentant syndical lui a indiqué qu’il était prêt à l’aider. L’appelante ne voulait pas avoir de représailles de la part de l’employeur. Elle a dit trouver l’employeur assez intimidant. L’appelante n’a pas non plus fait de démarches auprès d’un organisme comme la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) concernant ses conditions d’emploiNote de bas de page 29 ;
  12. L’appelante n’a pas cherché un autre emploi avant de quitter celui qu’elle avait, car elle pensait qu’il serait facile de se trouver un nouvel emploi. L’appelante a trouvé un nouvel emploi en mars 2019Note de bas de page 30.

[19] La représentante de l’appelante a fait valoir les éléments suivants :

  1. L’appelante a travaillé pendant 12 ans et a conservé un dossier disciplinaire vierge chez l’employeur. Au fil du temps, l’employeur a fait de plus en plus place à des travailleurs étrangers au détriment de l’embauche de travailleurs locaux et même au détriment du maintien en emploi, dans la dernière année de travail de l’appelante, des quatre dernières travailleuses locales qui restaient. Il y a une multitude d’avantages pour l’employeur de faire affaire avec des travailleurs étrangers ;
  2. L’appelante a fait face à un vent de changement important dans sa dernière année de travail qui a amené plusieurs modifications. Le cumul de ces modifications représente un motif valable pour que l’appelante quitte son emploi et il s’agissait de la seule solution raisonnable dans son cas au sens de la Loi. Il y a eu une modification importante des tâches à exécuter et des méthodes de travail qui étaient vraiment difficiles par rapport à ce qu’était la cueillette des tomates. La cueillette des poivrons doit se faire en continu, alors que la cueillette des tomates s’effectuait dans des intervalles de deux jours. La culture des poivrons amène des exigences physiques qui dépassent nécessairement les capacités des travailleuses féminines, étant donné leur taille ou leur âge et les tâches qu’elles devaient accomplir (ex. : manipuler des bacs de 15-20 livres à bout de bras). La cueillette des poivrons doit aussi s’effectuer dans des températures plus chaudes et plus humides que pour la cueillette des tomates. Le problème ayant été difficile à supporter pour les employées féminines est lié aux modifications importantes des méthodes de travail devenues intolérables physiquement ;
  3. Le changement de superviseur a aussi amené une modification importante dans les relations entre les supérieurs et les employées. Ces dernières ont eu droit à une absence totale d’écoute et de communication, à des mesures disciplinaires de même qu’à des menaces de mesures disciplinaires à venir si elles n’obéissaient pas au doigt et à l’œil à la superviseure, le tout, sans pouvoir s’exprimer. Cette situation était frustrante pour les employées, quant aux communications. Selon la représentante, la seule issue possible dans ce contexte demeurait le départ volontaire parce qu’après tout, c’est ce que l’employeur voulait. Les événements ayant suivi la rencontre du 29 novembre 2018 le démontrent clairement. Lors de cette rencontre, les employées espéraient, après avoir enduré une escalade d’événements pendant huit mois, obtenir de l’écoute et de trouver une solution à leurs problèmes. Toutefois, l’employeur s’est braqué et a donné des mesures disciplinaires. La représentante a souligné que la convention collective prévoit que ce n’est pas parce que l’appelante a signé l’avis disciplinaire donné lors de la rencontre du 29 novembre 2018 que cela représentait un aveu de ce qui lui avait été reproché, mais qu’il s’agissait de la signature d’un accusé de réception. Le lendemain de cette rencontre, l’employeur a fait faire aux employées, dont l’appelante, pendant deux jours consécutifs, une tâche inhabituelle, très difficile physiquement qu’elles n’avaient jamais eu pour habitude de faire auparavant. Il s’agit d’une preuve à peine voilée d’une mesure de représailles en réaction à la réunion du 29 novembre 2018. Ce n’était pas la première fois qu’une telle situation de produisait, car la semaine où les employées avaient toutes refusé de faire du temps supplémentaire, on avait caché leurs outils. Lorsque l’employeur a reçu la démission des deux employées restantes, dont l’appelante, il les a fait travailler quatre jours sur une période de deux semaines. Il y a toujours eu de la part de l’employeur une réaction à une action qui a été posée. L’employeur a perçu le fait que les employées aient refusé de faire du temps en surplus parce qu’elles étaient physiquement très fatiguées ou parce qu’elles avaient un rendez-vous, comme un affront ou un manque de collaboration. Il s’en est suivi plusieurs événements anodins à la base, mais lorsqu’ils sont placés chronologiquement et accumulés, créent nécessairement un milieu de travail néfaste au point où lorsque l’appelante a consulté son médecin, elle a éclaté en sanglotsNote de bas de page 31. L’appelante s’est dit que la seule solution raisonnable à l’absence d’écoute et d’ouverture de la part de l’employeur lors de la réunion du 29 novembre 2018 était de quitter son emploi. Selon la représentante, la preuve qu’il s’agissait de la seule solution raisonnable pour l’appelante est que les quatre seules employées québécoises qui restaient dans l’entreprise ont vu dans leur départ, la seule solution raisonnable ;
  4. La Loi sur l’assurance-emploi est une loi à caractère social. On ne peut certainement pas demander aux éventuels prestataires de demeurer en emploi, le temps de se trouver un autre emploi, ou le temps de faire entendre un grief, au détriment de leur santé. Ce n’est pas l’objectif de la Loi. La meilleure preuve de la condition dans laquelle était l’appelante au moment de sa démission est la consultation médicale qu’elle a eue le 3 décembre 2018, soit le lendemain de la signature de sa lettre de démission. Même le médecin que l’appelante a rencontré considérait que son départ était nécessaire. Selon la représentante, une personne n’a pas à se rendre malade ou à demander un congé pour voir si elle peut se remettre sur ses pattes avant de quitter un emploi. À partir du moment où notre emploi nous affecte psychologiquement au point d’avoir de la difficulté à dormir et à pleurer dans un bureau de médecin, cela est suffisant, sans avoir à s’aventurer sur la voie d’un trouble de l’adaptation ;
  5. Il n’y avait pas d’autre issue possible pour l’appelante que le départ volontaire, car l’employeur n’entendait pas trouver une solution satisfaisante tant sur des méthodes de travail que sur la façon de gérer l’entreprise. Une multitude de solutions ont été envisagées avant que l’appelante ne quitte son emploi (ex. : parler au syndicat, tentative pour avoir des discussions avec la superviseure, rencontres avec l’employeur, propositions du syndicat de tenir d’autres rencontres avec l’employeur), mais cela n’a rien donné.

[20] N. A. , une personne ayant travaillé avec l’appelante chez l’employeur pendant une dizaine d’années, a témoigné pour expliquer dans quelles circonstances elle-même avait démissionné, la même journée que l’appelante, après avoir discuté de la situation avec cette dernière. Le témoignage de N. A. indique que les employées québécoises se faisaient montrer la porte de plus en plus et qu’il n’y avait plus de solution. N. A. a expliqué qu’elle croyait que lors de la réunion avec l’employeur, en date du 29 novembre 2018, une discussion aurait eu lieu en vue d’améliorer la situation concernant leur emploi. Toutefois, selon elle, cette rencontre fut pour l’employeur une occasion de dire ce qu’il attendait des employées locales. L’employeur ne voulait pas savoir ce qu’elles avaient à dire et ne voulait pas de discussion. N. A. a expliqué qu’avec les nouvelles méthodes de travail liées à la culture des poivrons, les exigences au plan physique étaient beaucoup plus grandes, même si les tâches étaient connues. Elle a souligné que le travail était extrêmement dur sur le plan physique pour une femme. Elle a dit avoir trouvé épouvantable d’avoir à couper des tiges de poivrons avec un couteau de cuisine à la suite de la rencontre avec l’employeur, le 29 novembre 2018. N. A. a affirmé que lorsque la nouvelle superviseure est arrivée en poste (A. D.), les employées québécoises faisaient l’objet de beaucoup de surveillance afin de voir si elles travaillaient, alors que c’était rarement le cas pour les travailleurs étrangers. Selon N. A., l’employeur ne voulait plus que les employées québécoises soient là, car contrairement aux travailleurs étrangers qui pouvaient accepter de travailler de 6 h à 19 h, elles travaillaient de 7 h à 15 h et elles bénéficiaient de divers congés. N. A. a reçu un avis disciplinaire similaire à celui de l’appelanteNote de bas de page 32. Elle a donné sa lettre de démission au même moment que l’appelante, soit le 5 décembre 2018.

[21] Lors de son témoignage, le représentant syndical, J. L., a expliqué que les changements aux tâches et aux méthodes de travail avec la culture des poivrons demandaient plus de temps et plus d’effort. Il a souligné qu’un bac de poivrons pouvait peser le double du poids du contenant (boîte) utilisé pour les tomates, celui-ci étant d’environ 10 livres. L’étape de la vidange sanitaire est également plus exigeante et plus lourde à réaliser, car les poivrons (plants) sont plus lourds. Il a expliqué qu’avant qu’elles ne quittent leur emploi, les employées québécoises étaient brûlées physiquement et psychologiquement. Le représentant a aussi effectué un signalement auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), en juin 2018, en raison de la température très élevée qu’il y avait chez l’employeur, mais aucun rapport n’a été produit par cette instance. Le représentant a dit avoir trouvé l’employeur assez agressif lors de la rencontre du 29 novembre 2018. Les avis disciplinaires ont été donnés aux employées québécoises au début de cette rencontre. Selon le représentant, lors de cette rencontre, l’employeur croyait que la superviseure était une victime et que les employées québécoises ne voulaient pas l’écouter. Concernant la demande faite aux employées québécoises afin qu’elles effectuent du temps supplémentaire après la fin de leur quart de travail à 15 h, le représentant a indiqué que l’employeur avait expliqué qu’il avait le droit de gérer son entreprise comme il le voulait. L’employeur a mis fin à la discussion en disant aux employées québécoises que si cela ne fonctionnait pas, elles allaient devoir passer dans son bureau. Le représentant a expliqué que lorsque les employées québécoises ont commencé à quitter leur emploi, le syndicat a alors envisagé déposer un grief pour congédiement déguisé, mais que cela ne s’est pas concrétisé. Il n’y a pas eu de discussion avec l’appelante concernant la possibilité de déposer un grief, entre la réunion du 29 novembre 2018 et le moment où l’appelante a annoncé qu’elle quittait son emploi, le 5 décembre 2018. Le représentant a expliqué qu’à son arrivée comme représentant syndical chez l’employeur, en 2017, il y avait 12 employées québécoises et environ 9-10 travailleurs étrangers temporaires. Il a constaté au fil du temps que les travailleurs étrangers temporaires ont poussé vers la porte les travailleurs locaux. Le représentant a expliqué qu’à la suite de leur départ, les quatre employées québécoises, dont l’appelante, ont été remplacées par des travailleurs étrangers temporaires. Dans le département où travaillait l’appelante, il n’y a plus d’employées québécoises.

[22] Dans des déclarations faites à la Commission les 18 et 28 février 2019, l’employeur a expliqué que le fait que des poivrons étaient cultivés et non plus des tomates était nouveau pour tout le monde et que pour cette raison, il a demandé à tous les employés de mettre la main à la pâte et de collaborer. Selon l’employeur, puisque l’appelante et les autres employées de son équipe de travail ne voulaient pas donner un coup de main, une rencontre a été tenue le 26 octobre 2018 avec tous les employés afin de leur demander leur collaboration. L’employeur a expliqué que si l’appelante avait besoin d’aide pour soulever ses bacs, elle pouvait s’adresser à une collègue de son équipe de travail. L’employeur a aussi indiqué avoir demandé à l’appelante, à la suite de cette rencontre, de demeurer en poste après la fin de son quart de travail à 15 h. Bien qu’il ne s’agissait pas d’une obligation pour l’appelante de le faire, celle-ci refusait tout le temps et que c’était alors les travailleurs étrangers qui apportaient leur aide après la fin de leur quart de travail. L’employeur a indiqué avoir tenu une autre rencontre avec l’appelante et son groupe de travail, en date du 29 novembre 2018, parce que des commentaires manquants de respect avaient été faits à leur supérieure immédiate (A. D., superviseure). Lors de cette rencontre, l’employeur a indiqué avoir demandé à l’appelante de collaborer un peu plus, soit en acceptant de rester en poste une fois de temps en temps (ex. : faire un extra de 30 minutesNote de bas de page 33>.

[23] Je considère que dans le cas présent, l’introduction par l’employeur de la culture des poivrons pour remplacer celle des tomates a entraîné une modification importante des fonctions dévolues à l’appelante.

[24] Je suis d’avis qu’objectivement, il était devenu trop ardu pour l’appelante d’accomplir les nouvelles tâches qui lui avaient été assignées suivant l’introduction de la culture des poivrons et des nouvelles exigences amenées par l’employeur à cet égard. Je précise que dans ses déclarations, l’employeur n’a pas contesté le fait que des modifications avaient été apportées aux fonctions de l’appelante tout comme à celles des autres employées québécoises.

[25] Je considère que dans les mois qui ont suivi l’introduction de cette culture, l’appelante a déployé des efforts dans le but de s’adapter aux changements à ses fonctions. Toutefois, malgré ses efforts, elle n’a pas été en mesure de le faire et de poursuivre son travail, étant donné les exigences plus grandes de ce travail au plan physique (ex. : manipuler des bacs plus lourds, effectuer la cueillette pendant plusieurs jours consécutifs, effectuer des tâches qui ne lui étaient pas normalement dévolues ou des tâches inhabituelles comme ramasser des plans au sol, supporter une température plus élevée à l’intérieur de la serre).

[26] Je souligne que l’appelante a travaillé environ 12 ans chez l’employeur. Ce n’est que lorsque l’employeur a remplacé la culture des tomates par celle des poivrons à la fin de l’année 2017, que l’appelante a commencé à éprouver des problèmes dans l’accomplissement de son travail. Ce n’est que plusieurs mois après l’introduction de la culture des poivrons que l’appelante a décidé de quitter volontairement son emploi.

[27] Je considère que les explications données par l’appelante démontrent qu’elle a effectué une démarche auprès de son employeur pour lui faire part des difficultés auxquelles elle a été confrontée dans l’accomplissement de son travail et dans le but de trouver des solutions pour lui permettre de s’adapter aux changements.

[28] Les affirmations de l’appelante, lesquelles n’ont pas été contredites, indiquent que malgré les démarches qu’elle a effectuées auprès de l’employeur, celui-ci n’a pas proposé de solution en regard des modifications aux fonctions de cette dernière.

[29] Tout porte à croire que l’employeur ne s’est pas montré réceptif aux démarches de l’appelante à cet égard et qu’il n’a pas manifesté d’intérêt pour lui permettre de s’adapter aux nouvelles méthodes de travail reliées à la culture des poivrons.

[30] Il ressort des déclarations de l’employeur qu’il souhaitait avant tout que l’appelante mette la main à la pâte pour la culture des poivrons et que celle-ci accepte de travailler après la fin de ses quarts de travailNote de bas de page 34. Je souligne que malgré le fait que l’employeur ait expliqué que l’appelante pouvait s’adresser à une collègue de son équipe de travail si elle avait besoin d’aide pour soulever ses bacsNote de bas de page 35, il demeure qu’il n’y avait plus d’employés qui avaient été assignés à la tâche consistant à décharger les caissons de poivrons une fois ceux-ci rendus à l’extrémité d’une rangée de récolte.

[31] Je considère également que la situation vécue par l’appelante dans l’accomplissement de son travail depuis l’introduction de la culture des poivrons a été exacerbée par l’existence de problèmes de communication entre cette dernière et sa nouvelle superviseure.

[32] Je considère comme véridiques les explications données par l’appelante selon lesquelles la nouvelle superviseure a imposé de nouvelles exigences quant aux techniques de travail ainsi qu’en ce qui concerne la cadence accélérée à laquelle le travail devait s’effectuer.

[33] La situation de l’appelante a atteint un point culminant lors de la rencontre tenue le 29 novembre 2018, que l’employeur avait convoquée, et au cours de laquelle un avis disciplinaire lui a été remis, de même qu’aux autres employées québécoises, présentes à cette rencontre.

[34] Le témoignage et les déclarations de l’appelante indiquent qu’elle a aussi été assignée à des tâches inhabituelles qui ne lui étaient pas normalement dévolues ou à des tâches qu’elle n’avait pas à faire pendant plusieurs jours consécutifs (ex. ramasser des plants de poivrons au sol, couper des cubes de mousse de sphaigne).

[35] Je considère que dans son argumentation, la Commission n’a pas spécifiquement abordé la question relative à la modification des fonctions de l’appelante pour évaluer si son départ volontaire était justifié au sens de la Loi.

[36] Sur ce point, la Commission s’est essentiellement limitée à mentionner qu’il était normal qu’il y ait eu des changements au travail de l’appelante, qu’elle n’avait pas été la seule personne touchée par ces changements et qu’il s’agissait d’une question relevant du droit de gérance de l’employeurNote de bas de page 36.

[37] Je souligne qu’une « modification importante des fonctions » représente une des circonstances pouvant justifier un départ volontaire, comme l’indique l’alinéa 29c)(ix) de la Loi, mais que cette circonstance n’a pas été évaluée par la Commission.

[38] La jurisprudence nous informe qu’un départ volontaire peut être justifié si la nature des fonctions ayant été confiées à une personne n’était plus celle dont son employeur et cette personne avaient convenu au départ et que l’on doit prendre en compte la version des faits donnée par celle-ci afin de conclure qu’il s’agissait d’une modification importante des fonctionsNote de bas de page 37.

[39] En résumé, j’estime que des modifications importantes ont été apportées aux fonctions de l’appelante avec l’introduction de la culture des poivrons, en remplacement de la culture des tomates. En raison de ces modifications, les tâches de l’appelante ne correspondaient plus à celles pour lesquelles elle avait été embauchée il y a plus de dix ans. L’appelante n’était plus en mesure de les accomplir.

[40] Je suis d’avis que l’appelante était justifiée de quitter volontairement son emploi en raison d’une modification importante apportée à ses fonctions en vertu l’alinéa 29c)(ix) de la Loi.

Est-ce que le départ volontaire était la seule solution raisonnable dans le cas de l’appelante?

[41] Oui. Je considère que la décision prise par l’appelante de quitter volontairement son emploi chez l’employeur doit être considérée, compte tenu de toutes les circonstances, comme la seule solution raisonnable dans cette situationNote de bas de page 38.

[42] Je considère que plusieurs mois avant de quitter son emploi, l’appelante a fait des démarches auprès de l’employeur, dans le but de trouver une solution aux problèmes auxquels elle a été confrontée dans l’accomplissement de ses tâches suivant la modification importante apportée à ses fonctions. Je suis d’avis que l’appelante a tenté de résoudre les problèmes auxquels elle a été confrontée avec l’employeur concernant la modification importante apportée à ses fonctions, avant de prendre la décision de quitter volontairement son emploiNote de bas de page 39. Toutefois, les nombreuses démarches de l’appelante auprès de l’employeur ont été infructueuses.

[43] J’estime que dans ce contexte, l’appelante ne pouvait être contrainte de continuer de travailler en accomplissant des tâches auxquelles elle n’avait pas été en mesure de s’adapter, étant donné les nouvelles exigences de l’employeur et le fait que celui-ci n’a pas manifesté d’intérêt afin qu’une solution soit apportée à cet égard. Je suis d’avis que le droit de gérance de l’employeur auquel la Commission fait référence dans le but de démontrer que l’appelante n’était pas justifiée de quitter volontairement son emploi ne peut occulter le fait qu’une modification importante a été apportée aux fonctions de cette dernière et que cette situation représentait une circonstance justifiant son départ volontaire.

[44] En plus des démarches qu’elle a effectuées auprès de l’employeur dans le but de trouver une solution aux problèmes liés à l’accomplissement de ses nouvelles tâches, l’appelante a également effectué une consultation médicale avant de quitter son emploiNote de bas de page 40. Je retiens que ce sont essentiellement les modifications importantes apportées aux fonctions de l’appelante qui justifient son départ volontaire et qu’un avis médical n’était pas nécessaire ou obligatoire dans son cas. Puisque je ne remets aucunement en question la crédibilité du témoignage de l’appelante, une preuve médicale n’aurait rien changé à cette situation.

[45] Je considère également que l’appelante a effectué une démarche auprès de son syndicat, que celui-ci l’a supportée dans cette démarche, mais que le dépôt d’un grief n’aurait rien changé à la situation de cette dernière, tout comme un recours auprès d’un organisme comme la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

[46] Je suis également d’avis que l’appelante n’avait pas à se trouver un autre emploi avant de quitter celui qu’elle avait puisqu’elle a cessé de travailler parce qu’elle n’était plus capable de l’occuper. L’appelante a fait des efforts sur une période de plusieurs mois afin de conserver son emploi. Elle a cherché à s’adapter à ses nouvelles fonctions, mais elle trouvait trop difficile, au plan physique, de les accomplir.

[47] En résumé, j’estime que l’appelante a démontré qu’il n’existait aucune autre solution raisonnable que celle de quitter son emploiNote de bas de page 41.

Conclusion

[48] Je conclus que compte tenu de toutes les circonstances, l’appelante était justifiée de quitter volontairement son emploi aux termes des articles 29 et 30 de la Loi et qu’il s’agissait de la seule solution raisonnable dans son cas.

[49] Son départ volontaire était justifié par une modification importante apportée à ses fonctions en vertu l’alinéa 29c)(ix) de la Loi.

[50] L’exclusion de l’appelante du bénéfice de prestations, à compter du 23 décembre 2018, n’est donc pas justifiée en vertu des articles 29 et 30 de la Loi.

[51] L’appel est accueilli.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 11 septembre 2019

En personne

I. C., appelante

Me Guylaine Guenette (syndicat des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501 – TUAC), représentante de l’appelante

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