Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli. L’appelante n’a pas quitté volontairement son emploi chez RW & Co et ne peut donc pas être exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi (AE) pour cette raison. Sa perte d’emploi n’est pas non plus attribuable à une inconduite.

Aperçu

[2] L’appelante a été mise à pied de son emploi dans la vente au détail chez RW & Co le 2 juillet 2015, et a pu faire établir une période de prestations régulières d’AE débutant le 28 juin 2015. Elle est retournée travailler à temps partiel chez RW & Co durant sa période de prestations, mais cet emploi a pris fin après sa dernière journée de travail, le 18 octobre 2015. Dans son relevé d’emploi, l’employeur a indiqué un départ par démission. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a donc exclu l’appelante du bénéfice des prestations à compter du 18 octobre 2015 parce qu'elle avait quitté volontairement son emploi sans justification. L’appelante a demandé à la Commission de réviser sa décision, plaidant que l’employeur avait fait de la surembauche et qu’aucun quart de travail ne lui avait été offert après sa dernière journée de travail du 18 octobre 2015, malgré ses demandes insistantes pour avoir plus d’heures. Elle avait fini par jeter l’éponge puis avait quitté Calgary pour s’établir en Ontario après les vacances de Noël. La Commission a décidé de maintenir son exclusion, mais a repoussé sa prise d’effet au 20 décembre 2015. L’appelante a interjeté appel au Tribunal de la sécurité sociale. Le Tribunal a rejeté son appel.

[3] L’appelante a ensuite fait appel à la division d’appel du Tribunal. La division d’appel a infirmé le rejet, puis a renvoyé l’appel original au Tribunal pour qu’une nouvelle audience soit tenue par un autre membre.

[4] Une nouvelle audience par vidéoconférence a eu lieu le 5 septembre 2019.

Questions en litige

[5] Doit-on exclure l’appelante du bénéfice des prestations d’AE parce qu’elle aurait quitté volontairement son emploi chez RW & Co sans justification?

[6] Doit-on exclure l’appelante du bénéfice des prestations parce qu’elle aurait commis une inconduite en abandonnant son emploi?

Analyse

[7] Une partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle perd un emploi en raison de son inconduite ou si elle quitte volontairement un emploi sans justification :  article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE). La partie prestataire est fondée à quitter volontairement son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances et selon la prépondérance des probabilités, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas (voir White 2011 CAF 190, Macleod 2010CAF 301, Imram 2008 CAF 17, Astronomo A-141-97, Tanguay A-1458-84). 

[8] C’est d’abord la Commission qui a le fardeau de prouver que l’appelante a quitté volontairement son emploi. Si elle parvient à en faire la preuve, il incombe ensuite à l’appelante de prouver qu’elle avait été « fondée » à quitter son emploi (voir White, supra; Patel A-274-09). 

[9] L’article 30 de la Loi sur l’AE prévoit donc une exclusion indéfinie du bénéfice des prestations d’AE pour deux motifs qui sont liés : le congédiement de la partie prestataire dû à son inconduite ou son départ volontaire sans justification. Dans l’arrêt Borden 2004 CAF 176, la Cour d’appel fédérale explique comme suit l’importance de ce lien :

Dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Easson, A-1598-92, 1er février 1994, la Cour a indiqué clairement que les notions de « perte d’emploi pour inconduite » et de « départ volontaire sans justification » ont un lien rationnel entre elles, parce qu’elles visent toutes deux des situations où la perte d’emploi est la conséquence d’un acte délibéré de l’employé. La Cour a ensuite ajouté que c’est également pour des raisons d’ordre pratique qu’un tel lien a été établi entre les deux notions : il y a plusieurs cas dans lesquels, en raison de la preuve contradictoire, il n’apparaît pas clairement, en particulier pour la Commission, si la perte d’emploi est attribuable à la propre inconduite de l’employé ou au fait que ce dernier a décidé de quitter son emploi. En fin de compte, comme la question de droit en litige concerne une exclusion au titre du paragraphe 30(1) de la Loi, la conclusion du conseil arbitral ou du juge-arbitre peut reposer sur l’un ou l’autre des deux motifs d’exclusion dans la mesure où elle s’appuie sur la preuve. Cela ne cause aucun préjudice au demandeur parce qu’il sait qu’on cherche à obtenir une exclusion du bénéfice des prestations et qu’il connaît très bien les faits à l’origine de la demande d’ordonnance d’exclusion.  

La question devient donc de savoir s’il y a lieu d’imposer une exclusion par application de l’article 30(1) de la Loi sur l’AE, pour l’un ou l’autre des deux motifs prévus, et ce d’après la preuve soumise au Tribunal.

Question en litige no 1 : L’appelante a-t-elle volontairement quitté son emploi chez RW & Co?

[10] Lorsqu’une exclusion est envisagée au regard d’un départ volontaire sans justification, le Tribunal commence par décider si la partie prestataire a, effectivement, quitté volontairement son emploi.

[11] Le fait qu’une démission soit indiquée dans le relevé d’emploi de la prestataire ne suffit pas à trancher cette question. Pour établir un départ volontaire, il doit y avoir une preuve crédible montrant que l’appelante a pris l’initiative de mettre un terme à la relation d’emploi. J'estime qu’une telle preuve n’existe pas en l’espèce. 

[12] Le témoignage de l’appelante est le suivant :

  • Elle a commencé à travailler comme vendeuse au magasin RW & Co du centre commercial Chinook de Calgary au début de 2015.
  • On ne lui donnait jamais plus de 22 heures de travail par semaine, mais son horaire de travail était plutôt régulier : elle travaillait [traduction] « toujours » les samedis et les dimanches, et quelques jours durant la semaine.
  • À partir de septembre 2015, elle a commencé à avoir de moins en moins d’heures et de quarts de travail.
  • Après [traduction] « une semaine entière sans aucune heure de travail » en octobre 2015, elle [traduction] « a commencé à s’inquiéter » et a appelé la gérante, « A. », pour [traduction] « savoir s’il y avait un problème par rapport à mon travail et si quelque chose était arrivé. »
  • A. lui a dit que [traduction] « tout était beau » mais qu’il n’y avait pas assez d’heures pour lui en donner et qu’elle n’était pas la seule personne dans cette situation.
  • En août 2015, elle a commencé une formation de quatre mois de secours médical d’urgence. La formation supposait essentiellement [traduction] « beaucoup de lecture » avec [traduction] « quelques cours du soir » entre 20 et 22 heures et quelques heures de formation pratique chaque semaine.
  • Sa formation en secours médical d’urgence n’interférait pas avec son emploi chez RW & Co puisqu’elle était disponible cinq des sept jours par semaine où le magasin était ouvert.
  • Il y a eu un mois où elle avait travaillé en même temps d’aller à l’école, [traduction] « sans problème ».
  • Après cette semaine complète sans heure de travail, RW & Co ne lui a plus jamais donné de travail.
  • Elle a essayé d’obtenir des quarts de travail. Elle [traduction] « appelait régulièrement » le magasin et [traduction] « parlait au superviseur responsable » pour voir si elle pouvait venir les aider au magasin et s’il y avait des employés malades qu’elle pouvait remplacer. On lui disait toujours [traduction] « non », que l’aide de personne n’était nécessaire et que des employés présents étaient renvoyés chez eux.
  • Elle ne travaillait nulle part ailleurs.
  • Après deux semaines sans travail, elle a de nouveau téléphoné à A. On lui a dit qu’elle devait se présenter au magasin pour remplir une nouvelle feuille de temps [traduction] « avec la gérante » afin de confirmer ses disponibilités ainsi que leur acceptabilité et leur adéquation avec les besoins du magasin.  
  • Elle s'est rendue au magasin et a rempli une nouvelle feuille de temps avec A. Elle a de nouveau parlé à A., qui lui a encore dit que [traduction] « tout était beau », mais on ne lui confiait toujours aucun quart de travail.
  • Deux semaines plus tard, soit après un moins sans travail, elle a de nouveau appelé A. A lui a dit qu’elle [traduction] « n’avait pas de feuille de temps pour elle ». L’appelante lui a donc rappelé qu’elle en avait rempli une nouvelle au magasin, avec elle, environ deux semaines plus tôt. A. a dit qu’elle ne la trouvait pas. Elles ont convenu que l’appelante viendrait au magasin le lendemain pour en remplir une autre avec A.
  • Elle est allée au magasin le lendemain même, pour être informée qu’A. était partie chez elle plus tôt que prévu. L’appelante a rempli une autre feuille de temps avec le superviseur présent et on lui a dit que [traduction] « tout était beau ».
  • Encore une fois, elle ne s’est vu assigner aucun quart.
  • Elle a appelé A une dernière fois à la fin de décembre 2015. À ce stade, près de trois mois s’étaient écoulés sans qu’elle travaille. Elle n'avait même pas travaillé durant la période des Fêtes, qui est très occupée en vente au détail, et ce, même si elle avait très clairement exprimé son désir de continuer à travailler et appelait le magasin pour demander des heures.
  • A. s'est montrée [traduction] « très vague » et elle n’avait toujours pas de feuille de temps pour l’appelante – la même excuse que la fois précédente. L’appelante a dit à A. qu’elle [traduction] « en avait rempli une deux fois » et qu’elle [traduction] « ignorait ce qu’elle pouvait faire d’autre ».
  • Elle a demandé franchement à A. si on allait encore lui assigner des heures de travail. A. a répondu ceci : [traduction] « Je ne sais pas. » Un silence pénible avait suivi. L'appelante a donc avancé l’idée d’être mutée à un autre magasin, en Ontario même, où ses parents habitaient. A. a [traduction] « rapidement » exprimé un [traduction] « refus catégorique », sans préciser pourquoi.
  • Elle a alors demandé à A : [traduction] « Qu’est-ce que ça veut dire alors? » A., d’un ton sec et très sarcastique, a répondu : [traduction] « Je l’ignore. » 
  • La situation était très floue et l’appelante se sentait intimidée. De toute évidence, A. n’était pas prête à la rassurer par rapport à ses heures de travail futures, et elle avait donc mis un terme à leur conversation téléphonique.
  • Elle n’a jamais quitté son emploi.
  • Elle n’a jamais démissionné.
  • Elle n’a jamais dit à A. qu’elle n’était pas disponible pour travailler.
  • Elle cherchait alors du travail depuis trois mois, sans succès. Elle avait eu quelques entrevues infructueuses en novembre, notamment pour un emploi dans une clinique de physiothérapie et pour un poste de représentante aux services télébancaires auprès de la Banque de Montréal.
  • L’appelante s’est mise à croire qu’il lui serait préférable de retourner dans son Ontario d’origine. Sa formation de secours médical d’urgence s'était terminée au début de novembre 2015 et elle s’inquiétait de la santé chancelante de sa mère. De plus, elle n’avait plus aucun revenu ni emploi pour pouvoir vivre à Calgary.
  • Sans heure ni revenu de son emploi chez RW & Co, l’appelante avait demandé à ses parents de lui envoyer de l’argent pour faire son épicerie et payer son loyer (elle louait une chambre dans la maison d’un ami). Toutefois, ses parents n’avaient pas les moyens de l'aider ainsi; cette situation était très difficile pour eux. Ils n’auraient pas été capables de continuer à lui envoyer de l’argent indéfiniment.
  • Elle est retournée en Ontario au début de janvier 2016. Elle n’avait jamais mentionné son déménagement chez RW & Co et était demeurée disponible pour travailler jusqu’à la date de son déménagement.

[13] Joint par la Commission durant le processus de révision, l’employeur a affirmé que la démission de l’appelante avait été traitée le 22 décembre 2015 (GD3-26). Le Tribunal accorde peu de poids à cette preuve, compte tenu des déclarations douteuses que l’employeur a précédemment adressées à la Commission. Le 20 juin 2017, une représentante des ressources humaines (RH) de l’employeur a dit à la Commission que son dossier indiquait que l’appelante avait démissionné. La représentante des RH a ajouté qu’elle communiquerait avec la gérante du magasin pour voir si elle se souvenait des raisons de son départ. La représentante des RH l’a ensuite informée qu’elle avait appelé la gérante, mais que celle-ci ne se souvenait pas si l’appelante avait quitté son emploi du fait qu’elle n’était pas disponible pour travailler les quarts où l’employeur avait besoin d’elle. Même en faisant abstraction du fait que la gérante n’est jamais nommée et qu’il est impossible de savoir si A. était encore la gérante à cette époque (soit près de deux ans plus), cette explication est louche vu le délai entre le dernier jour de travail de l’appelante et la date de production du relevé d’emploi. Toutefois, les conversations échangées durant le processus de révision entre la Commission et la représentante des RH sont encore plus troublantes. Cette fois-ci, la représentante des RH a fait savoir que la gérante de magasin, non identifiée, ne pouvait se rappeler si la démission avait été remise en décembre. La direction des RH a aussi confirmé que l’employeur avait surembauché et que les heures étaient restreintes d’octobre à décembre, mais que la cadence aurait repris en décembre. Elle aussi affirmé que, d’après le [traduction] « spécialiste de systèmes » de l’employeur, le gérant adjoint avait traité la démission le 22 décembre 2015 (GD3-26). Je ne peux que m’interroger sur le motif ayant mené le gérant adjoint non identifié à traiter une démission pour l’appelante.

[14] J’ai demandé à l’appelante si elle savait pourquoi l’employeur aurait dit à la Commission qu’elle avait démissionné le 22 décembre 2015. L’appelante a dit qu’elle l’ignorait. Elle a affirmé qu’elle n’avait ni écrit une lettre de démission, ni rempli un formulaire de démission, ni retiré ses feuilles de temps ou fait quoi que ce soit qui aurait pu être interprété comme étant une démission. L’appelante a aussi affirmé que sa dernière conversation téléphonique avec A., à la fin de décembre 2015, l’avait laissée confuse et perplexe quant à son statut. Elle ne savait pas si elle avait été renvoyée, mais il était évident qu’on ne lui assignerait plus d’heures au magasin. À cet égard, je préfère la preuve détaillée livrée franchement pas l’appelante.

[15] Je souligne que le relevé d’emploi et les renseignements sur sa rémunération qui ont été fournis par l’employeur (GD3-15) corroborent le témoignage de l’appelante. La preuve révèle qu’elle a seulement travaillé 29 heures et reçu 3 chèques de paye au cours de 14 semaines séparant le 28 juillet 2015 du 18 octobre 2015. Il est difficile de croire que l’appelante se serait donné la peine de démissionner le 22 décembre 2015 alors qu’elle avait à peine travaillé durant les six mois précédents.

[16] Je souligne aussi que l’employeur a admis à la Commission qu’il avait surembauché (GD3-26). Il semble bien plus probable qu’il s’agisse de la véritable raison pour laquelle la supposée démission du 22 décembre aurait été traitée, durant le fort achalandage des Fêtes pour la vente au détail.

[17] Je ne dispose d’aucune preuve crédible montrant qu’un comportement de l’appelante aurait eu pour effet d’amorcer la fin de son emploi chez RW & Co. Son emploi a plutôt pris fin parce que son employeur ne lui a plus offert de quarts de travail après le 18 octobre 2015.

[18] Ainsi, je conclus que l’appelante n’a pas quitté volontairement son emploi chez RW & Co. Elle ne peut donc, sur ce fondement, être exclue du bénéfice des prestations d’AE.

Question en litige no 2 : L’appelante a-t-elle abandonné son emploi chez RW & Co?

[19] Il peut être considéré qu’un employé abandonne son emploi s’il s’absente sans autorisation ou ne communique pas avec son employeur à la suite d’une absence non autorisée. Une telle conduite peut être considérée comme un départ volontaire sans justification.

[20] Le Tribunal juge que l’appelante n’a pas abandonné son emploi chez RW & Co.

[21] La preuve de l’employeur quant à la cessation d’emploi de l’appelante se résume au relevé d’emploi et à sa déclaration assez générale à la Commission selon laquelle la démission avait été traitée le 22 décembre 2015. Comme je l’ai déjà précisé, je juge que la preuve de l’employeur n’est ni fiable ni utile. De plus, l’employeur n’a fourni aucune preuve montrant que l’appelante ne se serait pas présentée à un quart de travail ou qu’il avait dû lui trouver un remplaçant lors d'une supposée absence imprévue. D’après le relevé d’emploi figurant à GD3-12, il est raisonnable de conclure que l’employeur n’aurait pas hésité à indiquer 0,00 $ pour une période de paye si l’appelante ne s’était pas présentée à un quart prévu en décembre 2015, le forçant à traiter une démission sur la base d’un abandon. Pourtant, aucune donnée de ce genre ne figure dans le relevé d’emploi.   

[22] De son côté, l’appelante a fourni des preuves convergentes, soit dans sa première conversation avec la Commission (GD3-160), dans sa demande de révision (GD3-22 à GD3-23), ainsi que durant l’audience : elle n'a pas quitté son emploi. Elle a demandé à répétition qu’on lui assigne du travail, sans obtenir d’heures ni de quarts de travail. J’accepte aussi le témoignage franc et sincère de l’appelante selon lequel elle avait été forcée de déménager en Ontario, après des mois de demandes infructueuses pour obtenir des quarts de travail, puisque sa seule solution raisonnable était de retourner vivre avec ses parents, qui n’avaient plus les moyens de l’aider à assumer ses dépenses à Calgary. Ce déménagement ne peut être considéré comme un abandon d’emploi puisque l’employeur n’en avait jamais été informé, et qu'il n'avait été planifié après qu'après le traitement de sa supposée démission du 22 décembre 2015.

[23] Je conclus que l’appelante n’a pas abandonné son emploi chez RW & Co. Par conséquent, elle ne peut être exclue du bénéfice des prestations d’AE sur ce fondement.

Question en litige no 3 : L’appelante a-t-elle perdu son emploi chez RW & Co à cause de son inconduite?

[24] Conformément à l’article 30 de la Loi sur l’AE, une partie est exclue du bénéfice des prestations si elle perd son emploi en raison de son inconduite.

[25] Il reviendrait donc à la Commission de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante a perdu son emploi chez RW & Co en raison de son inconduite (Larrivée A-473-06, Falardeau A-396-85).

[26] Le terme « inconduite » n’est pas défini dans la Loi sur l’AE. Son sens, dans le cadre de la Loi sur l’AE, a plutôt été établi par la jurisprudence émanant des tribunaux et des organes administratifs qui se sont penchés sur l’article 30 de la Loi sur l’AE et ont énoncé les principes directeurs qui doivent être pris en compte suivant les circonstances.

[27] Pour prouver qu’il y a eu inconduite, il faut démontrer que l’appelante s’est comportée autrement qu’elle aurait dû le faire et qu’elle l’a fait de manière volontaire ou délibérée ou avec une insouciance telle qu’elle frôlait le caractère délibéré : Eden A-402-96. Pour qu’elle ait commis une inconduite, il faut démontrer que l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite nuisait à l’exécution de ses fonctions pour l’employeur et que par conséquent, le congédiement constituait une véritable possibilité : (Lassonde A-213-09, Mishibinijima A-85-06, Hastings A-592-06, Lock 2003 CAF 262), et que la mauvaise conduite affecterait son rendement au travail, nuirait aux intérêts de son employeur ou nuirait irrémédiablement à la relation employeur-employé : (CUB 73528).

[28] Comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans Macdonald A-152-96, le Tribunal doit établir la cause réelle ayant mené à la cessation de l’emploi de la prestataire, puis établir si cette cause correspond à une inconduite aux fins de l’article 30 de la Loi sur l’AE.

[29] J’ai déjà conclu que l’appelante n’avait ni pris l’initiative de rompre la relation d’emploi ni abandonné son emploi. Son emploi a plutôt pris fin parce que son employeur a cessé de lui assigner des quarts de travail après le 18 octobre 2015.

[30] Une conclusion d’inconduite, avec toutes les conséquences graves qu’elle suppose, doit absolument être fondée sur une preuve claire de la conduite en question, et non simplement sur une hypothèse ou une supposition. Il revient à la Commission de prouver qu’une telle preuve existe, indépendamment de l’opinion de l’employeur : Crichlow A-562-97. Le Tribunal doit disposer d’éléments de preuve détaillés en quantité suffisante pour établir le comportement passé de l’employée et décider si ce comportement représente de l’inconduite : Joseph c CAEC -636-85. 

[31] En l’espèce, l’employeur n’a indiqué aucun comportement précis à titre d’inconduite. Il a simplement affirmé que la démission de l’appelante avait été traitée le 22 décembre 2015, et un gérant non identifié, qui ne pouvait se souvenir précisément des événements, a présumé que l’appelante avait démissionné du fait qu’elle n’était pas disponible pour travailler. Comme je l’ai précisé dans les deux rubriques précédentes de la présente analyse, je ne juge pas ces éléments crédibles. L’appelante affirme que sa gérante de l’époque, A., était déterminée à ne plus lui confier d’heures de travail. Je suis d’accord qu’il s’agit probablement de la raison pour laquelle l’emploi de l’appelante a pris fin. Je souligne aussi que cette situation était entièrement indépendante de sa volonté, comme l’appelante avait déjà été formée par cet employeur et qu’elle cherchait activement à obtenir des quarts de travail.

[32] Il est bien possible que l’employeur composait avec un problème de surembauche et jugeait qu’il n’était plus dans son intérêt d’assigner des quarts de travail à l’appelante après le 18 octobre 2015. Néanmoins, le Tribunal n’est pas responsable de décider si les démarches de l’employeur étaient justifiées ou adéquates (Caul 2006 CAF 251), mais bien de décider si le comportement en cause correspond à une inconduite au sens de la Loi sur l’AE (Marion 2002 CAF 185). 

[33] Pour les raisons qui précèdent, aucune preuve ne révèle que l’appelante aurait adopté une conduite délibérée ou insouciante d’une manière à ce qu’elle savait ou devait savoir qu'un congédiement était une réelle possibilité. Ainsi, la Commission ne s’est pas déchargée du fardeau de prouver que l’appelante a perdu son emploi en raison de son inconduite. Je conclus donc que l’appelante ne peut être exclue du bénéfice des prestations d’AE sur le fondement qu’elle aurait perdu son emploi en raison de son inconduite.

Conclusion

[34] Je conclus que l’appelante n’a pas quitté volontairement son emploi chez RW & Co et qu’elle ne peut donc pas être exclue du bénéfice des prestations d’AE pour ce motif, par application de l’article 30 de la Loi sur l’AE.

[35] Je conclus également que l’appelante n’a pas abandonné son emploi chez RW & Co ni adopté une conduite qui pourrait être considérée comme une inconduite au titre de l’article 30 de la Loi sur l’AE. En conséquence, l’appelante ne peut pas être exclue du bénéfice des prestations d’AE par application de l’article 30 sur le fondement qu’elle aurait perdu son emploi chez RW & Co à cause de son inconduite.

[36] L’appel est accueilli.

 

Date de l’audience :

Le 5 septembre 2019

Mode d’instruction :

Vidéoconférence

Comparutions :

E. R., appelante

Lawrence Burns, représentante de l’appelante

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