Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

AE – La division d’appel a conclu que l’appelant a démontré qu’il a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances similaires – Il est retourné au travail malgré le stress constant et l’environnement difficile – Il a accepté de l’aide pour consulter un avocat et un psychologue – Sa croyance selon laquelle il n’était pas admissible aux prestations n’était qu’un facteur – L’état psychologique de l’appelant, les mesures prises contre lui par son employeur et l’environnement négatif de son retour à l’emploi après sa suspension constituent des circonstances exceptionnelles l’exemptant de l’exigence selon laquelle un prestataire doit normalement vérifier assez rapidement si elle a droit à des prestations d’assurance-emploi.

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel de la décision rendue par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada le 29 juin 2018 est accueilli en partie.

Aperçu

[2] L’appelant, J. M., a présenté une demande de prestations d’assurance‑emploi (AE) en mai 2016 relativement à la suspension de son emploi en février 2016. Il a aussi présenté une demande de renouvellement de ses prestations en octobre 2017 relativement à son congédiement en septembre 2016. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a rejeté les demandes parce que l’appelant n’a pas établi un motif valable justifiant le retard dans la présentation de ses demandes.

[3] L’appelant soutient qu’il avait plusieurs raisons justifiant le retard : il contestait la suspension et avait porté plainte contre l’employeur; la suspension l’avait grandement affecté sur le plan psychologique; la Commission n’avait pas donné suite à sa demande initiale déposée au moment de la suspension; il avait touché des prestations de maladie de l’AE et croyait être inadmissible aux prestations régulières d’AE; il contestait le congédiement et avait porté plainte contre l’employeur; il était en attente raisonnable d’une indemnité de l’employeur.

[4] L’appelant a interjeté appel de la décision de la Commission. La division générale a conclu que l’appelant n’avait pas de motif valable justifiant son retard.

[5] L’appelant soutient que la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit et a fondé sa décision sur une erreur importante concernant les faits du dossier d’appel.

[6] L’appel est accueilli en partie parce que la division générale a erré en ce qui concerne la demande déposée en mai 2016.

Questions en litige

[7] Est-ce que la division générale a erré lorsqu’elle a conclu que l’appelant n’avait pas de motif valable justifiant son retard?

[8] Si la division générale a erré, est-ce que la division d’appel devrait rendre la décision que la division générale aurait dû rendre ou renvoyer l’affaire à la division générale?

Analyse

[9] Les seuls moyens d’appel sont les suivants : la division générale a commis une erreur de droit, elle n’a pas respecté un principe de justice naturelle ou elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée d’une manière abusive ou arbitraire ou sans égard aux éléments portés à sa connaissance. Étant donné que la division générale a peut-être commis une erreur de droit en rendant sa décision, la division d’appel a accordé l’autorisation d’interjeter appelNote de bas de page 1.

[10] La division d’appel ne doit faire preuve d’aucune déférence envers la division générale à l’égard des questions de justice naturelle, de compétence ou de droitNote de bas de page 2. De plus, la division d’appel peut trouver une erreur de droit, qu’elle apparaisse ou non à la lecture du dossierNote de bas de page 3.

[11] L’appel devant la division générale portait sur la question de savoir si l’appelant avait un motif valable justifiant le retard de ses dépôts de demandes, ce qui est une question mixte de fait et de droit.

[12] Lorsqu’une erreur mixte de fait et de droit commise par la division générale concerne une question de droit ou une grave erreur dans les conclusions de fait, la division d’appel peut intervenir au titre de l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement socialNote de bas de page 4.

[13] L’appel interjeté devant la division d’appel repose sur des erreurs de droit et de graves erreurs dans les conclusions de fait.

[14] À la suite des demandes et des soumissions de l’appelant, une audience en personne devant la division d’appel a été accordée. L’appelant a participé avec son avocat. L’intimée a avisé qu’elle n’allait pas participer à l’audience et que sa position était expliquée dans son argumentation écrite.

Question no 1 : Est-ce que la division générale a erré en concluant que l’appelant n’avait pas de motif valable justifiant son retard?

[15] Oui, la division générale a erré en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée sans égard aux éléments déterminants portés à sa connaissance.

[16] Selon l’appelant, la division générale a erré dans son application de la loi en imposant un fardeau de preuve qui excède celui requis par la jurisprudence applicable.

[17] Il soutient aussi que bien que la division générale a reconnu le critère applicable comme étant objectif et subjectif, la division générale a refusé et a omis arbitrairement de considérer des éléments déterminants portés à sa connaissance. Autrement dit, la division générale a mal appliqué le critère légal.

[18] Selon l’appelant, les éléments déterminants que la division générale a refusé ou a omis de considérer sont les suivants :

  1. L’appelant avait déposé une demande en mai 2016 concernant la suspension de son emploi (en février-mars 2016), et celle-ci a été rejetée. Selon cette expérience, il pensait qu’il n’était pas admissible. De plus, il avait reçu des prestations d’AE dans les années 1990 et il recevait des cartes par la poste. L’absence de cartes en 2016 contribuait à sa croyance selon laquelle il n’était pas admissible.
  2. Ce sont les enfants de l’appelant qui l’ont aidé à trouver un psychologue et un avocat. Il était bouleversé émotionnellement et ne pouvait pas agir lui-même ou autrement.
  3. L’appelant a déposé une plainte contre l’employeur en avril 2016; entre autres, il cherchait à réintégrer son emploi et à être indemnisé.
  4. L’appelant a été congédié en septembre 2016. Il y avait déjà une plainte déposée contre l’employeur au sujet de la suspension. Le congédiement a été ajouté à son cas contre l’employeur.
  5. Il a été avisé par son avocat qu’il allait gagner en cour ou qu’il y aurait une entente, autrement dit, qu’il allait éventuellement recevoir une indemnité de son employeur. L’appelant avait été informé par son avocat qu’il allait devoir rembourser des prestations d’AE, s’il en recevait, quand il allait recevoir une indemnité de son employeur.
  6. Il était raisonnable que l’appelant attende de voir l’indemnité éventuelle de l’employeur avant de déposer une autre demande d’AE.
  7. Selon la jurisprudence, d’autres travailleurs ont vu leur demande d’antidatation être accueillie quand ils étaient en attente d’une indemnité.
  8. Les documents d’entente avec l’employeur ont été finalisés le 31 octobre 2017. L’appelant a déposé une demande de renouvellement le 27 octobre 2017 concernant son congédiement, quand l’entente se finalisait.

[19] La division générale a considéré les décisions historiques de juge-arbitres qui ont « fait preuve d’une certaine flexibilité relativement aux prestataires qui étaient en attente d’une décision ou d’un versement relativement à des indemnités et qui déposaient une demande de prestations en retard pour cette raisonNote de bas de page 5 ». Par contre, elle a fait référence à la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale applicable à la situation et a appliqué cette jurisprudence en l’espèce. La division générale n’a pas erré en droit à cet égard.

[20] La décision de la division générale fait référence à l’état émotionnel de l’appelant et au fait qu’il contestait sa suspension et son congédiement. En ce qui concerne la croyance de l’appelant selon laquelle il n’avait pas droit aux prestations, la division générale a noté qu’il a tenu compte de l’avis d’un ami.

[21] La division générale a cru la sincérité de l’appelant et le fait que la suspension l’a grandement affecté. Toutefois, elle a conclu que le dépôt d’une demande de prestations est relativement simple et prend peu de temps, et que l’appelant a été en mesure de consulter un avocat et de déposer une plainte. Par conséquent, la division générale ne pouvait pas concevoir que l’appelant n’avait pas pris le temps de déposer une demande dans les délais prescrits.

[22] La division générale n’a pas noté que l’appelant avait besoin de l’aide de ses enfants pour consulter un avocat et un psychologue. Elle n’a pas non plus considéré que la croyance de l’appelant (selon laquelle il n’était pas admissible) a été basée sur plus que l’avis d’un ami. À cet égard, la division a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée sans égard aux éléments déterminants portés à sa connaissance.

[23] La division générale a commis une erreur révisable par la division d’appel.

Question no 2 : Si la division générale a erré, est-ce que la division d’appel devrait rendre la décision que la division générale aurait dû rendre ou renvoyer l’affaire à la division générale?

[24] La division d’appel peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendre ou renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquéesNote de bas de page 6.

[25] L’appelant soutient que la preuve au dossier est complète et que la division d’appel peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. L’intimée n’a pas déposé d’observation sur cette question.

[26] La preuve au dossier est complète et il n’y a pas de question sur la crédibilité de l’appelant ou sur son témoignage à la division générale. La division d’appel va rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[27] À moins qu’il y ait des circonstances exceptionnelles, le demandeur a l’obligation de prendre des mesures raisonnablement promptes pour déterminer son droit aux prestations et pour garantir ses droits et obligations en vertu de la loiNote de bas de page 7. L’ignorance de la loi, même si elle est jumelée à la bonne foi, n’est pas suffisante pour établir un motif valableNote de bas de page 8.

[28] L’appelant doit établir un motif valable justifiant le retard basé sur la preuve au dossier. Cela ne veut pas dire qu’il faut un seul motif pour justifier le retard; il faut considérer la totalité des circonstances pour établir s’il y a un motif valable. Le fardeau de la preuve est sur une prépondérance des probabilités.

Demande concernant la suspension

[29] En ce qui concerne la demande déposée le 3 mai 2016 au sujet de la suspension de l’emploi de l’appelant le 13 février 2016, l’appelant soutient qu’il a été grandement affecté par sa suspension et qu’il a pu agir pour demander de l’aide (avocat et psychologue) seulement par l’entremise de ses enfants. Le fils de l’appelant l’a accompagné aux rencontres avec l’avocat. Il note aussi qu’il n’est pas familier avec les ordinateurs et que sa fille l’a aidé pour faire sa demande en ligne. De plus, il croyait qu’il n’était pas admissible aux prestations d’AE.

[30] Est-ce que l’appelant a établi un motif valable pour le retard (entre le délai prescrit pour le dépôt d’une demande relativement à sa suspension le 13 février 2016 et le 3 mai 2016)? Est-ce que les circonstances de l’appelant en mars et avril 2016 ont été des circonstances exceptionnelles de la sorte exigée par la jurisprudence?

[31] La preuve révèle que l’appelant a été très affecté émotionnellement par sa suspension et qu’il a pu demander de l’aide par l’entremise de ses enfants. La preuve montre aussi que l’appelant est retourné au travail le 14 mars 2016, dans un environnement de travail négatif et un état de stress constant. Il a déposé une plainte aux normes de travail pour sa suspension en avril 2016 et une demande de prestations en mai 2016.

[32] La division d’appel conclut que l’appelant a démontré qu’entre le 13 février 2016, et le 3 mai 2016, il a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances similaires. Il est retourné au travail malgré le stress constant et l’environnement difficile. Il a accepté de l’aide pour consulter un avocat et un psychologue. Sa croyance selon laquelle il n’était pas admissible aux prestations n’était qu’un facteur. L’état psychologique de l’appelant, les mesures prises contre lui par son employeur et l’environnement négatif de son retour à l’emploi après sa suspension constituent des circonstances exceptionnelles l’exemptant de l’exigence selon laquelle une partie prestataire doit normalement vérifier assez rapidement si elle a droit à des prestations d’AE.

[33] La période de prestations a été établie par l’intimée à partir du 1er mai 2016. Sa demande du 3 mai 2016 est antidatée.

Demande concernant le congédiement

[34] L’appelant a été congédié le 6 septembre 2016. À l’époque, il était encore couvert par la période de prestations établie le 1er mai 2016, à la suite de sa demande initiale. Sa demande de renouvellement de prestations a toutefois été déposée seulement le 27 octobre 2017, soit plus de 13 mois après la fin de son emploi.

[35] En plus des facteurs déjà discutés, l’appelant soutient que sa croyance selon laquelle il n’était pas admissible aux prestations d’AE avait été supplémentée par le rejet de sa demande en mai 2016 et une absence de carte par la poste. De plus, l’appelant avait déposé une plainte contre l’employeur à laquelle il avait ajouté le congédiement, et il avait une attente raisonnable pour une indemnité éventuelle de l’employeur. Il soutient aussi qu’il a été avisé par son avocat qu’il allait devoir repayer les prestations d’AE s’il en recevait, mais son avocat n’avait pas de mandat pour les demandes d’AE.

[36] Est-ce que l’appelant a établi un motif valable pour le retard (entre le délai prescrit pour le dépôt d’une demande relativement à son congédiement le 6 septembre 2016 et le 27 octobre 2017)? Est-ce que les circonstances de l’appelant pendant cette période ont été des circonstances exceptionnelles de la sorte exigée par la jurisprudence?

[37] La division d’appel considère que les circonstances de l’appelant ne sont pas des circonstances exceptionnelles de la sorte exigée par la jurisprudence.

[38] L’appelant croyait qu’il n’était pas admissible aux prestations d’AE. Il était aussi en attente d’une indemnité de l’employeur et il avait été avisé qu’il fallait repayer des prestations d’AE après la finalisation de l’indemnité de l’employeur. L’ignorance de la loi même si elle est jumelée à la bonne foi – ici une combinaison de croyance personnelle et de l’avis d’un avocat sur un autre sujet – n’est pas suffisante pour établir un motif valable. De plus, l’état psychologique de l’appelant ne l’empêchait plus à s’informer auprès des sources fiables. Il avait engagé un avocat en avril 2016 et cet avocat continuait son travail sur le dossier de plainte contre l’employeur. Les enfants de l’appelant l’ont aidé à consulter un psychologue en 2016. En septembre 2016, l’appelant aurait pu et aurait dû vérifier s’il avait droit à des prestations d’AE relativement à son congédiement et quelles étaient ses obligations en vertu de la loi.

[39] C’est possible que l’avocat de l’appelant se soit fié à la ligne historique de décisions de juge-arbitres démontrant une certaine flexibilité relativement aux parties prestataires qui étaient en attente d’une décision ou d’un versement en lien à des indemnités et qui déposaient une demande de prestations en retard pour cette raison, mais ces décisions ne constituent pas une jurisprudence contraignante pour la division générale ou la division d’appel. Par contre, le Tribunal est contraint par la jurisprudence de la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale.

[40] La division d’appel considère que l’appelant n’a pas établi un motif valable pour le retard de dépôt de sa demande de renouvellement.

Conclusion

[41] L’appel est accueilli en partie.

Représentants :

Alain Béliveau, avocat de l’appelant J. M.
Manon Richardson, représentante de l’intimée

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