Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. L’appelante a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Par conséquent, elle est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi (AE).

Aperçu

[2] L’appelante a présenté une demande de prestations régulières d’AE, et une période de prestations a été établie à compter du 5 mai 2019. La Commission a examiné le motif de la cessation d’emploi de l’appelante et a déterminé qu’elle avait été congédiée de son poste de travailleuse en éducation de la petite enfance chez X parce qu’elle n’avait pas suivi le protocole de l’employeur en cas d’incident grave, lorsqu’un enfant sous sa responsabilité a disparu. La Commission a rejeté sa demande, car l’appelante avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. L’appelante a contesté la décision de la Commission, prétendant que selon la politique, elle devait chercher l’enfant jusqu’à ce qu’elle y renonce, puis seulement appeler son responsable et la police à ce moment-là. L’employeur a dit qu’un enfant porté disparu était considéré comme un [traduction] « incident grave » et qu’il a une politique stricte en place qui énonce les procédures à suivre en cas d’incident grave. Dans un cas pareil, l’appelante doit composer le 911 et prévenir son responsable dès que l’enfant est porté disparu. L’appelante a plutôt fouillé les lieux avant de quitter la garderie, puis est montée à bord de sa voiture et s’est rendue au domicile de l’enfant, là où elle l’a finalement retrouvé. Ce n’est qu’après avoir retrouvé l’enfant qu’elle a appelé son responsable pour lui signaler qu’un incident grave venait de se produire. La Commission a maintenu le rejet de la demande de l’appelante, et celle-ci a interjeté appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

Question en litige

[3] L’appelante est-elle exclue du bénéfice des prestations d’AE parce qu’elle a perdu son emploi en raison d’un geste qui constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploi (Loi sur l’AE)?

Analyse

[4] Selon l’article 30 de la Loi sur l’AE, l’appelante sera exclue du bénéfice des prestations d’AE si elle a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.

[5] Avec la preuve présentée par l’employeur, il incombe à la Commission de prouver que, selon la prépondérance des probabilités, l’appelante a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite (Larivee, A-473-06; Falardeau, A-396-85).

[6] Le terme « inconduite » n’est pas défini dans la Loi sur l’AE. Son sens pour l’application de la Loi sur l’AE a plutôt été établi par la jurisprudence des tribunaux et des entités administratives qui ont tenu compte de l’article 30 de la Loi sur l’AE et qui ont énoncé les lignes directrices à suivre dans les circonstances de chaque cas.

[7] Pour prouver l’existence d’une inconduite, il doit être démontré que l’appelante s’est comportée autrement que ce qu’elle aurait dû faire et qu’elle l’a fait de façon intentionnelle, délibérée ou imprudente, de manière à frôler le caractère intentionnel (Eden, A‑402‑96). Pour qu’un geste soit considéré comme une inconduite, il doit être démontré que l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite était telle qu’elle avait pour effet de nuire à l’exercice des fonctions qu’elle avait envers l’employeur, et que, par conséquent, le congédiement était une réelle possibilité (Canada (PG)  c Lemire, 2010 CAF 314; Mishibinijima c Canada (PG), 2007 CAF 36). Il doit également être démontré que la conduite aura une incidence sur le rendement au travail de l’appelante, portera préjudice aux intérêts de l’employeur ou nuira irrémédiablement à la relation entre l’employeur et l’employée (CUB 73528).

Question en litige n1 : Quelle conduite a entraîné la perte d’emploi de l’appelante?

[8] La première étape de l’analyse du Tribunal consiste à déterminer le motif de la cessation d’emploi de l’appelante à la Learning Enrichment Foundation [fondation d’enrichissement en matière d’apprentissage].

[9] Voici la preuve présentée par l’employeur :

  1. les déclarations que l’employeur a faites à la Commission (GD3‑25) sont les suivantes :
    • L’appelante a été congédiée parce qu’elle n’a pas suivi le protocole de l’employeur en cas d’incident grave.
    • Un enfant a disparu alors qu’il était sous la responsabilité de l’appelante. L’appelante n’a pas signalé l’incident immédiatement à son supérieur ni à la police, comme le prévoit le protocole en cas d’incident grave. L’enfant a été retrouvé à son domicile environ 40 minutes après avoir été porté disparu. L’appelante a seulement prévenu son supérieur après que la situation soit rentrée dans l’ordre.
    • Lorsqu’un enfant est porté disparu, le personnel doit faire une première vérification à la garderie. Si l’enfant n’est pas immédiatement retrouvé, le personnel doit prévenir le supérieur ou le responsable et appeler la police sur‑le‑champ.
    • C’est le rôle de la police de chercher tout enfant porté disparu à l’extérieur de la garderie, et non celui du personnel.
    • L’appelante a dit à l’employeur que l’autre membre du personnel et elle n’avaient pas suivi le protocole parce qu’ils cherchaient l’enfant. Toutefois, c’était à la police de se rendre au domicile de l’enfant afin de le retrouver, et non à l’appelante.
    • Le fait que l’appelante n’a pas suivi le protocole de l’employeur aurait pu mener à de graves conséquences.
  2. la politique en cas d’incident grave et la procédure de prestation de services de l’employeur (GD3‑36 à GD3‑39);
  3. le rapport d’incident du 22 avril 2019 (GD3‑40 et GD3‑41).

[10] Dans sa demande de prestations d’AE, l’appelante a précisé qu’elle connaissait les procédures de l’employeur dans le cas où un enfant serait porté disparu, procédures qu’elle a énumérées comme étant les suivantes : vérifier les lieux, demander si quelqu’un a vu l’enfant, appeler le parent, composer le 911 et appeler le supérieur ou le responsable du programme (GD3‑11). L’appelante a dit avoir suivi la politique, mais l’employeur affirme que l’appelante a mis du temps à appeler son supérieur, ce qui, selon elle, était dû au fait qu’elle était sur la route au volant de sa voiture (GD3‑12).

[11] Voici ce que l’appelante a dit à la Commission (GD3‑26, GD3‑31 à GD3‑33, GD3‑42, GD2‑2 et GD2‑3) :

  1. Lorsqu’un enfant est porté disparu, le personnel doit immédiatement chercher l’enfant, prévenir le supérieur ou le responsable et appeler la police.
  2. Le 22 avril 2019, un enfant de 10 ans a été porté disparu alors que l’appelante et un autre membre du personnel étaient en service.
  3. L’autre membre du personnel et l’appelante ont immédiatement fouillé les lieux : à l’intérieur et à l’extérieur de la garderie, dans l’aire de jeu. Ils n’ont pas trouvé l’enfant. Conformément à l’étape suivante de la politique, ils ont tenté d’appeler la mère de l’enfant, mais la ligne était occupée.
  4. L’appelante n’a pas prévenu son supérieur ou son responsable ni la police parce qu’elle cherchait l’enfant.
  5. Comme elle ne trouvait pas l’enfant sur les lieux, l’appelante a quitté la garderie, est montée à bord de sa voiture et s’est rendue jusqu’au domicile de l’enfant, espérant le retrouver en chemin.
  6. Elle n’a pas demandé à l’autre membre du personnel en service d’appeler leur supérieur ou leur responsable ni la police. Elle lui a plutôt demandé d’appeler la mère de l’enfant.
  7. Elle n’a pas pu appeler elle-même son supérieur ou la police parce qu’elle était au volant de sa voiture.
  8. Sa priorité absolue était de retrouver l’enfant. Elle a fait l’impossible pour le retrouver en [traduction] « redoublant d’efforts » (GD3‑31). Elle a finalement retrouvé l’enfant chez lui avec sa mère.
  9. Elle a appelé l’autre membre du personnel pour lui dire qu’elle avait retrouvé l’enfant sain et sauf avec sa mère.
  10. Elle est ensuite retournée à la garderie.
  11. Elle a signalé l’incident à son supérieur et responsable lorsqu’elle est revenue à la garderie.
  12. Elle n’a jamais reçu la directive de quitter la garderie pour chercher un enfant porté disparu.
  13. Elle a quitté la garderie dans le cas présent parce qu’il n’y avait aucun autre enfant à la garderie ce jour-là.
  14. Elle croit que l’enfant en a profité pour se faufiler derrière son dos.
  15. Selon la politique de l’employeur, l’appelante devait fouiller les lieux avant de communiquer avec son supérieur ou la police, et ce, seulement si elle avait renoncé à chercher l’enfant. Elle devait ensuite appeler son supérieur et la police. Cependant, en agissant rapidement et en poursuivant ses recherches, l’enfant a été retrouvé en sécurité avec sa mère.
  16. L’appelante travaille dans le milieu depuis 14 ans et possède un rapport de service exceptionnel. Elle estime que son congédiement était [traduction] « injustifié » (GD3‑32).

[12] Voici ce que l’appelante a déclaré à l’audience :

  • Dès qu’elle s’est rendu compte que l’enfant avait disparu, elle a suivi la politique en fouillant [traduction] « les lieux ».
  • Elle n’a pas [traduction] « perdu » de temps.
  • Elle a quitté les lieux et est partie à la recherche de l’enfant au volant de sa voiture étant donné qu’il n’y avait aucun autre enfant à la garderie ce jour-là.
  • Elle n’a jamais renoncé à chercher l’enfant jusqu’à ce qu’elle le retrouve.
  • Elle ne comprend pas pourquoi elle aurait dû appeler la police après avoir retrouvé l’enfant en sécurité chez lui.
  • Elle ne comprend pas non plus pourquoi la mère de l’enfant n’a pas pris la peine d’appeler la garderie pour informer le personnel que l’enfant était rentré à la maison.
  • Elle a signalé l’incident à son supérieur à son retour à la garderie, après avoir retrouvé l’enfant chez lui.
  • La [traduction] « première question » que le supérieur a posée à l’appelante est [traduction] « As‑tu composé le 911? ».
  • Elle n’a pas composé le 911. Elle ne comprend pas pourquoi elle aurait dû le faire si l’enfant était en sécurité.
  • Son supérieur aurait pu lui dire à ce moment-là d’appeler la police, mais il ne lui a donné aucune directive de la sorte.
  • Il s’agit du premier incident de ce genre en 14 ans de carrière. C’était une situation extrêmement stressante, et l’appelante a fait de son mieux dans les circonstances.
  • La politique de l’employeur n’est pas claire et devrait être précisée afin de prévoir un délai maximum de cinq minutes pour chercher l’enfant avant de composer le 911.
  • L’appelante travaillait pour X depuis 5 ans et donnait [traduction] « le meilleur d’elle‑même ». Elle aurait seulement dû recevoir un avertissement verbal pour cet incident. L’étape suivante aurait dû être un avertissement écrit. Toutefois, l’employeur ne lui a donné aucun avertissement ni aucun avis qu’elle serait congédiée pour avoir cherché un enfant porté disparu.

[13] L’appelante a soutenu qu’elle avait suivi la politique en fouillant d’abord [traduction] « les lieux » à la recherche de l’enfant. À son avis, les [traduction] « lieux » comprenaient le fait de quitter la garderie, de monter à bord de sa voiture, d’emprunter la route entre la garderie et le domicile de l’enfant et de chercher l’enfant à son domicile, au 6e étage d’un immeuble d’appartements voisin. Lorsqu’elle a retrouvé l’enfant en sécurité chez lui avec sa mère, il n’était pas nécessaire d’appeler la police. Elle est retournée à la garderie, puis a signalé l’incident à son supérieur en précisant que tout était rentré dans l’ordre.

[14] Le Tribunal estime que l’appelante n’a pas suivi la politique et les procédures de l’employeur en cas d’incident grave, lorsqu’un enfant a disparu le 22 avril 2019.

[15] La politique énonce clairement que tout membre du personnel a l’obligation absolue de composer le 911 et de prévenir un supérieur lorsqu’un enfant est porté disparu. Elle ne prévoit pas que le personnel doit prendre les choses en main, quitter les lieux et chercher l’enfant porté disparu à l’extérieur avant de prévenir les services d’urgence et un responsable. En choisissant d’agir ainsi, l’appelante n’a pas respecté la politique et les procédures de l’employeur en cas d’incident grave.

[16] Le Tribunal estime donc que l’appelante a été congédiée de son emploi chez X parce qu’elle n’a pas suivi la politique et les procédures de l’employeur en cas d’incident grave, lorsqu’un enfant sous sa responsabilité a disparu le 22 avril 2019.

Question en litige n2 : Cette conduite constitue-t-elle une « inconduite » au sens de la Loi sur l’AE?

[17] La question en l’espèce ne porte pas sur la conduite de l’employeur. La Cour d’appel fédérale a soutenu avec certitude que le rôle du Tribunal n’est pas de déterminer si un congédiement est justifié, s’il constitue la sanction appropriée ou s’il représente une peine trop sévère dans les circonstances (Caul, 2006 CAF 251; Secours, A‑352‑94; Namaro, A‑834‑82). Si l’appelante estime avoir été congédiée à tort, elle est libre de demander réparation concernant les mesures prises par l’employeur.

[18] Après avoir conclu que l’appelante avait perdu son emploi parce qu’elle n’avait pas suivi le protocole de l’employeur en cas d’incident grave le 22 avril 2019, le Tribunal doit maintenant déterminer si cette conduite constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’AE (McNamara, 2007 CAF 107; Fleming, 2006 CAF 16).

[19] Le Tribunal estime que cela constitue une inconduite.

[20] Le Tribunal accepte le témoignage de l’appelante voulant que toute son attention ait été portée sur le seul fait de retrouver l’enfant et qu’elle ait fait de son mieux dans une situation très stressante. Toutefois, le Tribunal accepte aussi la preuve de l’employeur selon laquelle ce n’était pas à l’appelante de prendre les choses en main et de partir à la recherche de l’enfant à l’extérieur de la garderie. Le Tribunal est d’accord avec la déclaration de l’employeur selon laquelle le fait que l’appelante n’ait pas suivi son protocole en cas d’incident grave aurait pu mener à de graves conséquences. Bien que l’enfant ait été retrouvé en sécurité chez lui, il est facile de s’imaginer comment les choses auraient pu tourner. C’est exactement la raison pour laquelle les employeurs comme X ont une politique en cas d’incident grave en place et pour laquelle la première étape de cette politique (après avoir prodigué les premiers soins, si nécessaire) est de composer le 911. Il était loisible à l’appelante de composer le 911 et de prévenir son responsable dès qu’elle s’est rendu compte que l’enfant n’était ni à l’intérieur de la garderie ni dans l’aire de jeu. Toutefois, elle ne l’a pas fait. En choisissant de quitter les lieux et de partir à la recherche de l’enfant à l’extérieur, l’appelante a retardé la mobilisation en temps opportun des services d’urgence qui auraient pu empêcher une issue tragique si l’enfant ne s’était pas rendu chez lui, comme l’appelante l’avait deviné, ou s’il ne s’y était pas rendu en toute sécurité. Le Tribunal estime que ce plan d’action était aussi imprudent qu’intentionnel.

[21] L’appelante conteste la conclusion d’inconduite au motif que ses efforts ont finalement permis à cet enfant espiègle d’être retrouvé en sécurité chez lui et qu’au pire, elle aurait dû recevoir un avertissement verbal pour ne pas avoir suivi le protocole établi. Le Tribunal convient que la série d’événements ayant mené à la perte d’emploi de l’appelante a été déclenchée par un enfant espiègle. Cependant, le Tribunal ne peut pas ignorer les risques de sécurité importants liés au fait que l’appelante n’a pas suivi la politique de l’employeur en cas d’incident grave. L’appelante et toutes les personnes concernées sont chanceuses que la situation du 22 avril 2019 soit rentrée dans l’ordre sans que l’enfant ait été blessé. Cependant, il incombait néanmoins à l’appelante de suivre le protocole de l’employeur en tout temps. L’appelante a été imprudente en choisissant de ne pas le faire, surtout en ce qui concerne le fait de prendre les choses en main et de partir à la recherche de l’enfant à l’extérieur sans composer le 911 ou appeler son responsable. Il s’agit d’un manquement à l’exercice des fonctions qu’elle avait envers son employeur et cela a irrémédiablement nui à leur relation. Pour ces motifs, l’appelante aurait dû savoir que sa conduite pouvait mener à son congédiement.

[22] Le Tribunal estime que la conduite de l’appelante, soit de ne pas suivre la politique et les procédures de l’employeur en cas d’incident grave, lorsqu’un enfant sous sa responsabilité a disparu le 22 avril 2019, était aussi imprudente qu’intentionnelle. Le Tribunal estime également que ces gestes ont irrémédiablement nui à sa relation professionnelle avec X et qu’elle aurait dû savoir qu’elle pouvait perdre son emploi en raison de cette conduite. Le Tribunal conclut donc que la conduite de l’appelante constitue une inconduite au sens de l’article 30 de la Loi sur l’AE. Par conséquent, l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’AE au titre de l’article 30 de la Loi sur l’AE.

Conclusion

[23] Le Tribunal conclut que l’appelante a perdu son emploi chez X en raison de sa propre inconduite. Elle est donc exclue du bénéfice des prestations d’AE à compter du 28 avril 2019, comme le prévoit l’article 30 de la Loi sur l’AE.

[24] L’appel est rejeté.

Date de l’audience :

Le 8 octobre 2019

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparution :

N. B., appelante

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.