Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli. La prestataire a démontré qu’elle était fondée à quitter son emploi parce qu’elle n’avait aucune solution de rechange raisonnable à ce moment-là. Cela signifie qu’elle n’est pas exclue du bénéfice des prestations.

Aperçu

[2] La prestataire a quitté son emploi de comptable au sein d’une petite entreprise et elle a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi (AE). Elle a affirmé avoir quitté son emploi à cause du harcèlement exercé par une collègue de travail. La Commission a examiné les motifs que la prestataire a avancés pour quitter son emploi et elle a décidé que cette dernière avait volontairement quitté son emploi sans justification et qu’elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations. 

[3] Je dois décider si la prestataire a volontairement quitté son emploi et, le cas échéant, si elle a prouvé qu’elle n’avait pas d’autres solutions raisonnables. La Commission a affirmé que la prestataire a choisi de quitter son emploi et qu’elle aurait pu demander un congé, discuter de ses préoccupations avec un représentant en matière de sécurité et de santé ou un professionnel de la santé, ou obtenir un autre emploi avant de partir. La prestataire s’est dit en désaccord. Elle a affirmé qu’elle subissait le harcèlement d’une collègue de travail et qu’elle n’avait d’autre choix que de quitter son emploi. Elle a affirmé qu’elle n’avait pas d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi parce qu’elle avait tenté, sans succès, de résoudre le problème avec son employeur à de nombreuses occasions. Elle a affirmé qu’elle avait dû quitter son emploi parce que la situation avait un impact négatif sur sa santé et qu’elle ne pouvait plus la tolérer.  

[4] Je conclus que la prestataire subissait le harcèlement d’une collègue de travail et, eu égard à toutes les circonstances, qu’elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

Questions en litige

[5] Je dois décider si la prestataire est exclue du bénéfice des prestations parce qu’elle aurait quitté volontairement son emploi sans justification. Pour ce faire, je dois d’abord décider si la prestataire a quitté volontairement son emploi. Le cas échéant, je dois ensuite décider si la prestataire était fondée à quitter son emploi. 

Analyse

La prestataire conteste le fait qu’elle ait quitté volontairement son emploi.

[6] La Loi prévoit que le critère servant à déterminer si une personne quitte volontairement son emploi est de savoir si elle avait le choix de rester ou de partirNote de bas de page 1. La Commission doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a quitté volontairement son emploiNote de bas de page 2.

[7] Le relevé d’emploi (RE) de l’employeur en date du 31 mai 2019 établit que le premier jour de travail de la prestataire était le 5 novembre 2018 et que le dernier jour payé était le 31 mai 2019. Le motif de cessation d’emploi indiqué sur le RE est [traduction] « a quittéNote de bas de page 3 ».

[8] La prestataire a indiqué à la Commission qu’elle avait donné un avis de démission de deux semaines le 17 mai 2019. Elle a affirmé que l’employeur lui a remis sa dernière paie le 21 mai 2019 en lui disant que c’était finiNote de bas de page 4.

[9] La prestataire a reconnu dans son témoignage qu’elle avait quitté son emploi, mais que ce n’était pas « volontairement ». Elle a affirmé avoir donné à son employeur un avis de deux semaines, sachant que l’employeur lui demanderait de partir avant que le délai se soit écoulé, ce qu’elle a fait. L’employeur l’a accompagnée à la sortie le jour suivant sa démission. La prestataire a affirmé avoir quitté son emploi à cause de son état de santé et parce qu’elle ne pouvait plus tolérer de travailler avec cet employeur en raison du harcèlement qu’elle subissait de la part d’une employée en particulier.

[10] Je conclus que la prestataire a quitté volontairement son emploi. Je comprends que la prestataire ait jugé qu’elle ne pouvait plus tolérer l’environnement de travail. Toutefois, elle a choisi de quitter son emploi. En présentant sa démission, elle a pris l’initiative de mettre fin au lien d’emploi. Il n’y a aucune preuve que l’employeur a pris l’initiative de la cessation d’emploi ni que la prestataire n’aurait pas pu conserver son emploi si elle n’avait pas présenté sa démission à son employeur.

Les parties contestent le fait que la prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi.

[11] Les parties ne s’entendent pas sur le fait que la prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi lorsqu’elle l’a fait.

[12] La Loi prévoit qu’un prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il quitte volontairement un emploi sans justificationNote de bas de page 5. Le fait d’avoir une bonne raison de quitter un emploi ne suffit pas à prouver qu’un prestataire était fondé à le faire.

[13] La Loi prévoit qu’un prestataire est fondé à quitter son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constitue la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 6. C’est au prestataire qu’il revient de le prouverNote de bas de page 7. La prestataire doit montrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle n’avait pas d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi. Pour trancher cette question, je dois tenir compte de toutes les circonstances qui existaient au moment où elle a quitté son emploi.

[14] La prestataire a affirmé avoir quitté son emploi en raison du harcèlement qu’elle subissait d’une autre employée et qu’elle n’avait aucune solution de rechange raisonnable que de quitter son emploi. Elle affirme qu’elle a tenté à de nombreuses reprises pour que des mesures soient prises à l’égard du comportement de l’autre employée, mais que rien n’a été fait. Elle a aussi tenté sans succès de trouver un autre emploi avant de partir. La prestataire a affirmé qu’elle avait des problèmes de santé causés par son milieu de travail et qu’elle ne pouvait plus tolérer la situation et qu’elle a été contrainte de quitter son emploi.  

[15] La propriétaire de l’employeur [sic] a indiqué à la Commission qu’il y a un représentant de la santé et sécurité au travail sur le lieu de travail et que des politiques relatives au harcèlement sont en place et mises à la disposition des employés dans un endroit commun. La propriétaire a confirmé que si un employé a des problèmes avec un autre employé, il y a un processus officiel pour déposer une plainte, mais que la prestataire n’a pas déposé de plainte. La propriétaire a confirmé qu’un congé aurait été possible moyennant une attestation médicale, mais que la demande n’a pas été faite. La propriétaire a confirmé qu’un transfert n’aurait pas été possible parce que la prestataire travaillait dans l’unique lieu de travail.

[16] La prestataire a déclaré qu’une collègue de travail la harcelait. Elle a déclaré qu’elle avait été embauchée comme comptable principale dans le département de la comptabilité d’une petite entreprise. Il y avait environ 13 personnes qui y travaillaient. La prestataire a expliqué que presque toutes les personnes qui travaillaient au sein de l’entreprise étaient des parents ou des amis. À l’exception de quelques personnes, la propriétaire et tous les employés faisaient partie du même groupe culturel et ils socialisaient souvent ensemble à l’extérieur du travail. La prestataire a raconté que, généralement, les personnes embauchées étaient déjà connues des autres personnes qui travaillaient au sein de l’entreprise.

[17] La prestataire a déclaré que c’est la propriétaire de l’entreprise qui l’a embauchée et qui était son superviseur. Elle n’a pas reçu de description de travail. La propriétaire a demandé à la contrôleuse des finances d’assurer sa formation. La prestataire a expliqué que la contrôleuse des finances l’intimidait et qu’elle pouvait être gentille une minute, mais que la minute suivante elle lui criait après et la traitait de « stupide ». La prestataire a affirmé qu’elle se faisait traiter de « stupide » au moins une fois par semaine, semaine et demie. La prestataire a affirmé que cela pouvait se produire parfois devant d’autres personnes, mais aussi en privé lorsqu’elles étaient seules toutes les deux dans le bureau. La prestataire a expliqué qu’elle n’était pas la seule employée à être traitée de la sorte. La contrôleuse disait ces choses presque tous les jours à quelqu’un. La prestataire a aussi déclaré que tout le monde craignait cette employée. Elle a affirmé qu’elle devait s’entretenir avec cette personne tous les jours à quelques reprises.

[18] La prestataire a déclaré qu’en plus de la traiter de « stupide », si elle faisait une erreur, la contrôleuse lui disait qu’elle [traduction] « n’avait pas le droit de faire ça » et lui demandait « pourquoi tu as fait ça » et lui disait que « ce n’était pas correct ». Ensuite, la contrôleuse se plaignait qu’elle devait régler le problème et qu’elle n’avait pas le temps parce qu’elle travaillait 14 heures par jour. La prestataire a affirmé que si elle posait une question à la contrôleuse, cette dernière lui disait [traduction] « je ne sais pas » et « qu’est-ce qui te fait croire que je sais quelque chose ». La prestataire a affirmé que, peu importe la façon de s’y prendre, elle n’arrivait pas à obtenir les réponses nécessaires pour effectuer le travail à la satisfaction de la contrôleuse. Elle devait donc faire des suppositions, ce qui lui causait des ennuis. La prestataire a affirmé que cette personne n’était pas son superviseur direct, mais qu’elle voulait tout contrôler. 

[19] La prestataire a expliqué qu’elle avait de la difficulté à se faire confier des tâches parce cette employée voulait tout contrôler et ne faisait confiance à personne. La prestataire a affirmé que sa tâche principale consistait à établir les rapports des partenaires. Toutefois, cela se faisait une fois par mois et ne nécessitait que trois jours. La prestataire s’est plainte à la propriétaire de ne pas recevoir de travail de la contrôleuse. La propriétaire a envoyé un courriel à la contrôleuse indiquant les tâches de la prestataire. Toutefois, la prestataire a déclaré que cela n’a pas résolu le problème parce que, lorsqu’elle se décidait à faire son travail, la contrôleuse l’avait déjà fait. Si la prestataire faisait le travail, la contrôleuse le reprenait.

[20] La prestataire a également expliqué que la contrôleuse l’affrontait lorsqu’elle quittait les lieux pour rentrer chez elle. Elle travaillait de 9 h à 17 h et elle rentrait habituellement au travail tôt. Au moment de partir, la prestataire devait passer devant le bureau de la contrôleuse. Cette dernière lui demandait pourquoi elle partait à 17 h. La prestataire lui expliquait que c’était parce qu’elle n’avait rien à faire et la contrôleuse lui disait qu’elle devait être là jusqu’à 22 h. La prestataire a affirmé qu’elle en était venue au point où elle attendait que la contrôleuse se rende aux toilettes ou qu’elle soit convoquée quelque part pour sortir en catimini.

[21] La prestataire a affirmé qu’en mars ou avril 2019, elle a abordé la situation directement avec la contrôleuse. Elle lui a dit que c’était inutile de lui crier après et de la traiter de « stupide ». La contrôleuse s’est vexée et elle est partie. Toutefois, son comportement n’a pas changé. La prestataire a affirmé que cette personne n’avait pas l’impression de faire quoi que ce soit de mal.

[22] La prestataire a déclaré qu’elle s’est adressée à la responsable des ressources humaines en janvier 2019 et à plusieurs reprises par la suite pour lui demander si quelque chose pouvait être fait à propos du comportement de la contrôleuse. La responsable des ressources humaines a même été témoin de l’emportement de la contrôleuse. À ce moment-là, la prestataire lui a dit que c’était de cela qu’elle parlait et lui a demandé ce qui pouvait être fait. Cette fois-là, la prestataire avait demandé à un collègue de l’aider à numériser quelque chose. La contrôleuse s’est mise à crier : [traduction] « Quoi! Tu ne peux faire fonctionner la machine. C’est quoi ton problème? Tu ne sais pas t’en servir. » La prestataire a affirmé que la responsable des ressources humaines partageait d’une certaine façon ses préoccupations, mais ensuite ne faisait rien. La prestataire a expliqué que le représentant de la santé et sécurité au travail était le conjoint de la responsable des ressources humaines. La prestataire le connaissait, mais elle ne savait pas qu’il y avait un processus de plaintes. La prestataire a déclaré qu’elle n’a pas déposé de plainte officielle contre la contrôleuse auprès du représentant de la santé et sécurité parce qu’elle croyait que rien ne serait fait et que cela ne ferait qu’empirer la situation pour elle. La prestataire a affirmé que toutes les personnes qui travaillaient au sein de cette entreprise étaient soit des amis, soit des parents. Il n’y avait personne d’impartial à qui elle aurait pu s’adresser.

[23] La prestataire a affirmé qu’avant de quitter son emploi, la propriétaire avait effectué une évaluation de son rendement, le jugeant insatisfaisant. La propriétaire lui a dit qu’elle n’avait pas respecté des délais. La prestataire lui a demandé des détails puisque la seule de ses tâches comportant un délai était le rapport des partenaires qui n’était jamais en retard. La propriétaire lui a dit qu’elle ne pouvait pas lui fournir de détails parce qu’elle ne les connaissait pas. La prestataire a expliqué que cela faisait partie des raisons l’ayant poussée à quitter son emploi, mais pas une partie importante. La prestataire a affirmé qu’elle ne voulait pas travailler dans un milieu où on lui mettait sur le dos des choses qu’elle n’avait pas faites.     

[24] La prestataire a affirmé qu’elle n’a pas demandé l’aide de la propriétaire par rapport au comportement de la contrôleuse parce que les deux étaient des amies depuis une cinquantaine d’années. La prestataire a affirmé qu’à une occasion la propriétaire lui avait dit de modifier un numéro sur un document comptable et quand elle lui a dit qu’elle ne pouvait pas justifier le numéro que la propriétaire lui avait demandé d’inscrire, cette dernière lui a dit [traduction] : « Je peux te mentir sans broncher sans me sentir coupable ». La prestataire croyait que la propriétaire ne manifesterait qu’un intérêt de pure forme à l’égard d’une plainte contre la contrôleuse.

[25] La prestataire a déclaré que la goutte qui a fait déborder le vase s’est produite le 16 mai 2019 lorsqu’elle faisait des recherches sur Internet pour trouver une formule Excel pour son travail. La contrôleuse l’a vue et l’a accusée de ne pas travailler et de surfer sur Internet. La prestataire a affirmé que la contrôleuse criait et hurlait qu’elle travaillait 14 heures par jour et que la prestataire ne faisait rien et quittait à 17 h. La prestataire a affirmé qu’elle a donc compris qu’elle ne pouvait plus tolérer son emploi. Peu importe ce qu’elle faisait, rien n’était correct.

[26] La prestataire a déclaré qu’elle se sentait acculée au pied du mur et qu’elle n’en pouvait plus. Elle tremblait lorsqu’elle devait aller travailler. Elle allait aux toilettes toutes les 10 minutes. Sa tension artérielle a crevé le plafond. Des plaies sont apparues sur sa tête. Elle a affirmé que son cerveau lui disait de continuer à travailler parce qu’elle avait besoin d’un chèque de paie, mais que son corps lui disait qu’elle ne pouvait pas continuer à subir le rabaissement et le harcèlement. Elle marchait continuellement sur des œufs au travail. La prestataire a affirmé qu’elle n’a même pas envisagé de consulter un médecin pour ces questions. Elle connaissait la cause de ses problèmes de santé et elle savait ce qu’elle devait faire pour que ça cesse. Elle savait que la seule façon d’y mettre fin c’était de ne plus aller travailler. La prestataire a raconté qu’elle n’a pas pensé à un congé. Toutefois, elle a affirmé qu’un congé de maladie ou une absence autorisée n’aurait pas réglé son problème parce qu’elle aurait été obligée de retourner dans ce milieu.

[27] La prestataire a expliqué qu’elle a donné deux semaines de préavis puisque c’était prévu dans son contrat. Toutefois, elle savait que même si elle donnait un préavis de deux semaines, l’employeur lui montrerait la porte parce qu’on ne voulait pas d’elle. La prestataire a affirmé que c’est effectivement ce qui s’est passé. Elle a donné son préavis un vendredi. Lundi, c’était un jour férié. Le mardi matin, elle s’est rendue au travail, mais elle n’a même pas retiré son manteau. La contrôleuse lui a remis sa paie et lui a dit que ses services n’étaient plus requis et lui a remis sa dernière paie. On lui a ensuite montré la porte. La prestataire a affirmé qu’elle souhaitait bonne chance à la contrôleuse de trouver quelqu’un qui pourrait travailler avec elle. La contrôleuse lui a dit : [traduction] « Ce n’était pas moi. C’était toi. »    

[28] La prestataire a raconté qu’elle avait commencé à chercher un autre emploi presque immédiatement après avoir obtenu celui-ci. Elle s’est rendue à une agence de personnel temporaire et a passé quelques entrevues. Toutefois, elle n’a pas été capable de trouver un emploi. La prestataire a affirmé qu’elle a conservé cet emploi aussi longtemps parce qu’elle devait payer ses factures, mais qu’elle en est arrivée au point où elle devait choisir entre sa vie et ses factures. Elle s’est dit que si elle n’avait pas de vie, elle n’aurait pas de factures. Elle a expliqué qu’elle se sentait acculée au pied du mur et attaquée sans moyen de s’échapper. Elle ne pouvait tout simplement plus continuer à y retourner. 

[29] La Commission a affirmé que la prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi parce qu’elle avait d’autres solutions raisonnables que de partir. D’autres solutions raisonnables pour la prestataire consistaient à demander un congé, à discuter de la situation avec un responsable de la santé et sécurité ou à discuter de la situation avec son superviseur ou un professionnel de la santé. La Commission a soutenu de plus que la prestataire n’a pas démontré que la situation était intolérable au point de ne pas pouvoir trouver un autre emploi avant de quitter celui-ci. La Commission a affirmé que, bien qu’il soit évident que la prestataire vivait une situation difficile, le fait qu’elle ait donné un préavis de deux semaines montre qu’il n’y avait pas d’urgence à quitter son emploi. La Commission a affirmé également que les cris de la contrôleuse ne visaient pas une personne en particulier puisque d’autres employés ne voulaient pas s’adresser à elle. 

Circonstances du départ

[30] Je conclus que les circonstances du départ de la prestataire prouvent qu’elle a quitté son emploi parce qu’elle était harcelée par la contrôleuse. 

[31] Le « harcèlement » est une circonstance qui peut constituer un motif valable de quitter son emploi s’il n’y a pas de solution de rechange raisonnable, compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 8.

[32] Le « harcèlement » n’est pas défini dans la Loi. Dans une décision récente, la Division d’appel de ce Tribunal, après avoir pris en considération des définitions du harcèlement citées dans d’autres contextes, a déterminé que les principes suivants peuvent être pris en considération pour décider s’il s’agit de « harcèlement » : a) les auteurs du harcèlement peuvent agir seuls ou en groupe et n’occupent pas nécessairement un poste de supervision ou de gestion; b) le harcèlement peut prendre plusieurs formes, notamment un acte, un comportement, un propos, de l’intimidation et une menace; c) dans certains cas, un seul incident suffit pour être considéré comme du harcèlement; d) l’accent est mis sur le prétendu auteur du harcèlement et sur le fait de savoir si celui‑ci savait ou aurait raisonnablement dû savoir que son comportement pourrait offenser, embarrasser ou humilier une autre personne ou lui causer toute autre blessure psychologique ou physiqueNote de bas de page 9. Je vais adopter la même approche pour déterminer si la prestataire était la cible de harcèlement.

[33] La prestataire a déclaré que la contrôleuse la traitait de stupide toutes les semaines ou semaines et demie tout au moins. Parfois, ces commentaires étaient faits en public et parfois en privé. En dépit du fait que la prestataire ait dit à la contrôleuse qu’elle n’était pas obligée de lui crier après ou de la traiter de stupide, le comportement n’a pas changé. La contrôleuse a crié après la prestataire le 16 mai 2019. La contrôleuse a aussi fait en sorte que la prestataire ait de la difficulté à faire son travail, soit en omettant de lui fournir du travail, soit en omettant de lui fournir l’information nécessaire pour faire son travail ou en reprenant celui qu’elle avait déjà fait. De plus, la contrôleuse affrontait régulièrement la prestataire lorsqu’elle partait à son heure normale de travail.  

[34] La propriétaire de l’employeur [sic] a affirmé à la Commission qu’il y avait une politique en place ainsi qu’un représentant de la santé et sécurité que la prestataire aurait pu aborder. Toutefois, il n’y a aucune information de la propriétaire corroborant ou infirmant qu’elle était au courant des préoccupations de la prestataire à l’égard de sa collègue de travail.

[35] Je conclus que le témoignage de la prestataire est crédible. Elle a été franche et elle a répondu ouvertement aux questions. Son témoignage portant sur les faits essentiels correspond à l’information qu’elle a fournie à la Commission concernant les raisons pour lesquelles elle a quitté son emploi. J’accepte les éléments de preuve testés de la prestataire, présentés sous serment, concernant ses échanges avec la contrôleuse. Ses preuves n’ont pas été contredites par l’employeur. À cet égard, il n’y a aucune preuve que l’employeur ait nié spécifiquement que ces événements aient eu lieu. Il n’y a que la déclaration voulant que la prestataire n’ait pas déposé de plainte officielle auprès de l’employeur ni contacté le représentant de la santé et sécurité au travail.

[36] Je conclus que le comportement de la contrôleuse équivaut à du harcèlement à l’endroit de la prestataire. Même si la contrôleuse n’était pas la superviseure directe de la prestataire, la prestataire était tenue de s’entretenir avec cette employée tous les jours et cette personne était responsable en grande partie de la charge de travail de la prestataire. La contrôleuse traitait la prestataire régulièrement, et parfois publiquement, de « stupide ». Elle affrontait aussi la prestataire lorsque cette dernière partait pour rentrer chez elle au point où elle devait attendre que la contrôleuse soit à l’extérieur de son bureau pour éviter l’affrontement. La contrôleuse a aussi crié après la prestataire à d’autres occasions, parfois publiquement, comme l’incident dont a été témoin la responsable des ressources humaines. Je conclus que la contrôleuse aurait raisonnablement dû savoir que ce comportement serait ressenti comme étant offensant, gênant et humiliant, surtout après que la prestataire lui ait dit qu’elle n’avait pas à crier après elle ni à la traiter de « stupide ». Je conclus également que l’interférence délibérée de la contrôleuse dans la capacité de la prestataire d’effectuer son travail équivaut à un comportement de harcèlement. À cet égard, la contrôleuse s’est immiscée dans le travail de la prestataire en refusant de lui confier des tâches et de lui transmettre des instructions pour les accomplir, en effectuant les tâches de la prestataire et en reprenant le travail qu’elle avait déjà fait. La contrôleuse aurait raisonnablement dû savoir que ce comportement serait ressenti comme étant offensant, gênant et humiliant, en sous-entendant que le travail de la prestataire était sans valeur.

[37] Je ne suis pas d’accord avec la Commission que le fait que la contrôleuse se comportait de la même manière avec d’autres employés était pertinent. Peu importe que d’autres employés se soient trouvés ou non dans la même situation, les faits sont clairs que la prestataire a été une victime directe du harcèlement de la contrôleuse.

[38] Bien que j’aie conclu que la prestataire a fait l’objet d’un harcèlement, je dois déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances, elle a prouvé qu’elle n’avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi. 

Autres solutions raisonnables

[39] Je conclus que la prestataire était fondée à quitter son emploi parce qu’elle a prouvé, compte tenu de toutes les circonstances, qu’elle n’avait pas d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi.

[40] La prestataire est tenue de tenter de résoudre des conflits en milieu de travail avec l’employeur ou de montrer qu’elle a fait des efforts pour trouver un autre emploi avant de prendre une décision unilatérale de quitter son emploiNote de bas de page 10

[41] Je conclus que la prestataire s’est acquittée de cette obligation. Elle a tenté de résoudre le conflit directement avec la contrôleuse en mars ou avril 2019 lorsqu’elle lui a dit qu’il n’était pas nécessaire de crier après elle ou de la traiter de stupide. La prestataire a aussi contacté la responsable des ressources humaines à trois reprises pour lui parler de la contrôleuse. Aucune de ces tentatives n’a mené à la résolution du problème. La prestataire était à la recherche d’un autre emploi peu de temps après avoir débuté son emploi en s’inscrivant auprès d’une agence de placement temporaire et en participant même à des entrevues.

[42] La Commission a affirmé qu’une solution raisonnable aurait été de parler avec le représentant de la santé et sécurité et de déposer une plainte. La prestataire a affirmé qu’elle a fait part de ses préoccupations à la responsable des ressources humaines à trois reprises et que cette dernière a été témoin d’un incident, mais n’a rien fait. La responsable des ressources humaines n’a pas conseillé à la prestataire de déposer une plainte. La prestataire savait qu’il y avait un représentant de la santé et sécurité, mais elle n’était pas au courant du processus officiel de plaintes. La prestataire a affirmé qu’une plainte officielle n’aurait pas contribué à régler la situation, mais l’aurait empirée puisqu’il n’y avait personne d’impartial au sein de l’entreprise. La responsable des ressources humaines est la conjointe du représentant de la santé et sécurité, et la propriétaire et la contrôleuse étaient des amies de longue date. La plupart des employés de l’entreprise étaient des parents ou des amis. Étant donné que les trois tentatives de la prestataire de résoudre la situation ont échoué et que la propriétaire et la contrôleuse étaient des amies, je conclus qu’il est peu probable que le dépôt d’une plainte officielle aurait résolu la situation et plus probable que la situation aurait empiré. Pour cette raison, le dépôt d’une plainte officielle ne constituait pas une solution raisonnable pour la prestataire.

[43] La Commission a affirmé qu’une solution raisonnable aurait été d’aborder la question avec la propriétaire. Elle a affirmé que la propriétaire a tenté de résoudre la question de la charge de travail avec la contrôleuse après que la prestataire lui en a parlé. La prestataire a affirmé que la propriétaire et la contrôleuse étaient des amies de longue date, donc cela n’aurait pas résolu le problème. Elle a affirmé qu’elle croyait que la propriétaire ne manifesterait qu’un intérêt de pure forme. La prestataire a expliqué que la propriétaire lui avait dit par le passé qu’elle n’hésiterait pas à mentir sans se sentir coupable et qu’elle avait déterminé que son rendement était mauvais sans pouvoir en expliquer les motifs. Je conclus que dans ce contexte il est peu probable que le dépôt d’une plainte auprès de la propriétaire au sujet de la contrôleuse ait abouti à résoudre le problème. Pour cette raison, ce n’était pas une solution raisonnable.

[44] La Commission a affirmé qu’une solution raisonnable aurait été que la prestataire discute de la situation avec un professionnel de la santé ou qu’elle demande un congé. La prestataire a déclaré qu’elle tremblait lorsqu’elle se rendait au travail. Des plaies sont apparues sur sa tête et sa tension artérielle était élevée. La prestataire a affirmé qu’elle n’a pas envisagé de consulter un médecin pour ces questions parce qu’elle en connaissait la cause et elle savait ce qu’elle devait faire pour que ça cesse. Elle a expliqué que, de toute façon, consulter un médecin ou demander un congé de maladie ou une absence autorisée n’aurait pas réglé son problème parce qu’elle aurait été obligée de retourner dans ce milieu, et elle savait qu’elle ne le pourrait pas. Bien que je sois d’accord que, dans la plupart des cas, obtenir des soins médicaux pour des problèmes de santé serait une solution raisonnable avant de quitter son emploi, dans ce cas-ci, je conclus que ce n’était pas une solution raisonnable. Un congé de maladie autorisé n’aurait procuré qu’un répit provisoire. Ce n’était pas une solution raisonnable pour la prestataire parce qu’elle aurait été obligée de retourner, après son congé, dans ce même environnement de harcèlement.

[45] La Commission a affirmé que la prestataire avait une solution raisonnable qui consistait à trouver un autre emploi avant de quitter son emploi. La Commission a affirmé que le fait que la prestataire ait donné un préavis de deux semaines confirme qu’il n’y avait pas d’urgence à quitter son emploi. La prestataire a expliqué dans son témoignage qu’elle a donné un avis de deux semaines en sachant que l’employeur lui demanderait de partir avant que le délai de deux semaines s’écoule. Sans vouloir contredire la Commission, la question n’est pas de savoir s’il était « urgent » que la prestataire quitte son emploi, mais plutôt de savoir si la prestataire avait une solution de rechange raisonnable à partir. Je conclus que ce n’était pas une solution raisonnable pour la prestataire d’être obligée de tolérer un harcèlement constant pour une période indéterminée jusqu’à ce qu’elle trouve un nouvel emploi.

[46] La prestataire a démontré qu’elle était fondée à quitter son emploi. Je conclus qu’elle a démontré, compte tenu de toutes les circonstances, qu’elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

Conclusion

[47] L’appel est accueilli.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 10 octobre 2019

Téléconférence

T. R., appelant

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