Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

AE – L’employeur a d’abord licencié la prestataire pour cause d’abus de son temps de vacances, mauvaise attitude et insubordination. Ces comportements n’ont jamais constitué de l’inconduite au sens de la Loi. La prestataire n’était donc pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. Toutefois, après le licenciement, l’employeur a réalisé qu’elle avait modifié sa paie sans sa permission. L’employeur soutient maintenant que ce geste, qu’il a découvert après le licenciement, devrait avoir pour effet d’exclure la prestataire du bénéfice des prestations. La division générale (GD) n’est pas d’accord. Un employeur ne peut pas changer la raison du licenciement d’un employé après le fait. Pour établir une inconduite, il doit y avoir une relation directe de cause à effet entre le geste posé et le licenciement. Le geste doit entraîner le licenciement. Tout comportement découvert après la date du licenciement ne peut représenter de l’inconduite. La DG a rejeté l’appel de l’employeur.

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision

[1] Je rejette l’appel. L’employeur n’a pas prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Aperçu

[2] M. D. (prestataire) a travaillé pour X (employeur). La prestataire a pris plusieurs semaines de congé en décembre 2018. Elle devait retourner au travail en janvier 2019, mais l’employeur l’a congédiée avant. Selon la lettre de congédiement, l’employeur a congédié la prestataire en raison d’un abus de son temps de vacances, d’une mauvaise attitude et d’insubordination. La prestataire a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé que les raisons pour lesquelles la prestataire avait perdu son emploi ne constituaient pas de l’inconduite. La Commission a accordé des prestations sans aucune exclusion.

[3] L’employeur a demandé à la Commission de réviser sa décision. Il a soutenu qu’après avoir congédié la prestataire, il avait découvert qu’elle avait modifié sa paie sans permission. L’employeur a affirmé que les écarts de paie devraient exclure la prestataire du bénéfice des prestations. La Commission a maintenu sa décision d’accorder les prestations. L’employeur a interjeté appel devant le Tribunal.

[4] Je rejette l’appel de l’employeur. Il n’a pas prouvé que la prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite. L’employeur a congédié la prestataire en raison d’un abus de ses vacances, et non en raison d’écarts de paie. L’employeur reconnaît que l’abus de la prestataire de son temps de vacances n’était pas une inconduite. Un acte découvert après le congédiement ne peut constituer une inconduite parce qu’une telle conclusion au titre de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) exige un lien de cause à effet direct entre l’acte et le congédiement.

Questions préliminaires

[5] À l’audience, le représentant de la prestataire a soutenu qu’il n’avait pas été avisé assez rapidement que l’employeur avait l’intention de faire valoir que des incidents découverts après un congédiement pouvaient constituer une inconduite. Il a accepté de poursuivre l’audience à condition de pouvoir ensuite présenter d’autres observations. J’ai accepté cette condition. Je n’ai pas demandé à l’employeur de présenter d’autres observations. Cependant, ce dernier en a aussi présenté après l’audience. La prestataire a déposé d’autres observations en réponse à celles de l’employeur.

[6] J’ai décidé d’accepter toutes les observations que l’employeur et la prestataire ont présentées après l’audience. Celle-ci a duré 60 minutes, et j’admets que l’employeur a eu de la difficulté à présenter tous ses éléments de preuve durant cette période. De plus, après l’audience, l’employeur a présenté une décision rendue par un juge-arbitre qui est liée directement aux questions abordées dans l’appel. La prestataire a déposé des observations en réponse aux observations que l’employeur a présentées après l’audience, et la Commission a eu l’occasion de toutes les examiner. Par conséquent, j’estime que les parties en l’espèce ne risqueraient pas de subir un préjudice si j’acceptais les documents présentés après l’audience. Je suis d’avis que le fait d’accepter le dépôt de ces observations assure le respect des droits de justice naturelle de toutes les parties liées à cet appel.

Question en litige

[7] Je dois décider si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Afin de prendre cette décision, je dois d’abord déterminer si une conduite découverte après le congédiement peut représenter une inconduite au sens de la Loi sur l’AE.

Analyse

[8] L’employeur a congédié la prestataire le 24 janvier 2019. Selon la lettre de congédiement, l’employeur l’a congédiée en raison d’un abus de son temps de vacances, d’une mauvaise attitude et d’insubordination. À l’audience, l’employeur a confirmé qu’il avait congédié la prestataire parce qu’il trouvait que la façon dont elle utilisait ses congés était problématique.

[9] Après avoir congédié la prestataire, l’employeur a découvert des écarts de paie. L’employeur a décidé qu’elle s’était payée pour plus d’heures que celles qu’elle avait travaillées en réalité. L’employeur a considéré qu’il s’agissait d’un vol de temps. Il a reconnu qu’il n’était pas au courant des écarts de paie lorsqu’il a congédié la prestataire.

Une conduite découverte après un congédiement peut-elle représenter une inconduite au sens de la Loi sur l’AE?

[10] Le lien de cause à effet est un élément qui doit nécessairement être présent pour conclure à une inconduite. Une conduite découverte après un congédiement ne peut pas être la cause exécutoire du congédiement; elle ne peut donc pas représenter une inconduite au sens de la Loi sur l’AE.

[11] L’employeur soutient qu’un acte découvert après la fin du lien d’emploi peut constituer une inconduite au sens de la Loi sur l’AE. L’employeur affirme que la découverte d’écarts de paie après le congédiement de la prestataire devrait exclure la prestataire du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[12] À l’appui de son argument, l’employeur fait remarquer que la jurisprudence établit que des événements qui se sont produits avant ou après la période d’emploi peuvent représenter une inconduite. Plus précisément, l’employeur se fonde sur la décision d’un juge-arbitre qui affirme qu’un acte découvert après la fin d’un lien d’emploi peut constituer une inconduite.

[13] L’argument de l’employeur ne me convainc pas. Pour qu’on puisse conclure à une inconduite, il doit y avoir une relation directe de cause à effet entre la conduite et le congédiement. Autrement dit, l’inconduite doit être ce qui a causé le congédiement.

[14] La Loi sur l’AE exige que la Commission exclue toute partie prestataire qui perd son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 1. Comme la loi comprend l’expression « en raison de », cela laisse entendre qu’il devrait y avoir un lien de cause à effet entre l’inconduite et le congédiement. La jurisprudence va plus loin et énonce clairement qu’il doit y avoir un lien direct de cause à effet entre l’acte et le congédiement. Plusieurs décisions de la Cour d’appel fédérale décrivent ce principe.

[15] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Brissette, A-1342-92, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il devait y avoir un lien de cause à effet entre l’acte et le congédiement :

Il faut tout d’abord une relation causale entre l’inconduite et le congédiement. Il ne suffit pas, pour que l’exclusion joue, que l’inconduite ne serve que de simple excuse ou prétexte pour le renvoi […]. Il faut qu’elle cause la perte d’emploi et qu’elle en soit une cause opérante.

[16] De même, dans l’arrêt Davlut c Canada (Procureur général), A-241-82, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’inconduite devait être [traduction] « la raison du congédiement, et non une excuse pour celui-ci ».

[17] L’employeur a raison lorsqu’il dit que l’inconduite peut se produire en dehors de l’emploi. Par exemple, l’inconduite peut arriver en dehors des heures de travail. Cependant, l’exigence d’un lien de cause à effet demeure. Dans la décision Brissette, le prestataire a perdu son permis de conduire alors qu’il conduisait avec les facultés affaiblies en dehors de ses heures de travail. Il a alors perdu son emploi parce qu’il avait besoin d’un permis de conduire pour travailler. Son inconduite, soit la perte de son permis de conduire, a été la cause directe de sa perte d’emploi. Autrement dit, il a perdu son emploi en conséquence directe de ses actes.

[18] De même, l’inconduite peut aussi se produire en dehors de l’occupation d’un emploi. Tant dans l’arrêt Smith c Canada (Procureur général), A-875-96 que dans l’arrêt Canada (Procureur général) c McNamara, 2007 CAF 107, la Cour d’appel fédérale a reconnu qu’un acte qui se produit avant même qu’un emploi commence pouvait représenter une inconduite. Toutefois, dans les deux cas, la Cour a conclu qu’il ne pouvait y avoir inconduite que lorsque l’acte causait le congédiement.

[19] Dans McNamara, le prestataire a subi un test de dépistage de drogue, a commencé à travailler avant que les résultats soient connus et a finalement échoué au test. Il a perdu son emploi parce que la réussite du test de dépistage était une condition à l’obtention de l’emploi. La Cour a conclu que ses actes représentaient une inconduite, même s’il a subi le test avant de commencer l’emploi. Le prestataire a perdu son emploi parce qu’il a échoué au test. La Cour a fait remarquer que « [l]e lien entre l’emploi et l’inconduite est un lien de causalité et non un lien de simultanéité ».

[20] En bref, la Cour d’appel fédérale a clairement et régulièrement statué que pour conclure à une inconduite, il doit y avoir un lien de cause à effet entre l’acte et le congédiement. Pour conclure à une inconduite au sens de la Loi sur l’AE, un employeur ne peut pas d’abord congédier une personne, puis chercher une raison au congédiement. L’acte doit être la cause du congédiement.

[21] Je reconnais que l’employeur a fourni la décision d’un juge-arbitre qui appuie son argument selon lequel un acte découvert après la fin du lien d’emploi peut représenter une inconduite. Je ne suis pas liée par les décisions des juges-arbitres. Cependant, si je juge que la décision est convaincante, je peux choisir de me laisser guider par la logique qui y est employée.

[22] Toutefois, je n’estime pas que la décision du juge-arbitre dans CUB 25896A est convaincante. J’admets qu’elle contient des éléments factuels similaires à l’espèce, mais le juge‑arbitre n’a pas déterminé si l’inconduite avait provoqué le congédiement. Il ne traite pas de l’existence nécessaire d’un lien de cause à effet entre l’acte et le congédiement. Je ne peux rejeter la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale qui exige qu’il y ait un lien de cause à effet entre l’acte et le congédiement.

[23] De même, je ne suivrai pas les principes de la Common Law liés à l’existence d’une raison valable pour le congédiement. L’employeur fait référence à la décision Cie de ciment Lake Ontario Portland v Groner, [1961] RCS 553 rendue par la Cour suprême du Canadaet soutient qu’une conduite découverte après le congédiement peut fournir une raison valable rétroactive pour un congédiement.

[24] Cependant, la décision que je dois rendre ne porte pas sur la question de savoir si l’employeur avait une raison valable de congédier la prestataire. Je dois seulement décider si la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite. Ce sont des questions distinctes, et l’employeur est libre de faire trancher lors d’une autre instance la question de l’existence d’une raison valable pour le congédiement.

[25] L’inconduite, au sens de la Loi sur l’AE, nécessite qu’il y ait un lien de cause à effet entre l’acte et le congédiement. Il n’y a pas de lien de cause à effet entre un acte et un congédiement si l’employeur découvre seulement l’acte après que le lien d’emploi n’existe plus.

[26] L’employeur ne savait qu’il y avait des écarts de paie lorsqu’il a congédié la prestataire. Ce fait n’est pas contesté. L’employeur a seulement lié les écarts de paie au congédiement de la prestataire lorsqu’il a demandé une révision à la Commission. Cela s’est produit six mois après son dernier jour de travail. Il n’existe pas de lien de cause à effet entre les écarts de paie et le congédiement de la prestataire. L’employeur n’a pas congédié la prestataire en raison des écarts de paie.

[27] Je refuse de déterminer si la prestataire a effectivement commis un vol de temps, car l’employeur n’a pas démontré que les écarts de paie avaient causé le congédiement de la prestataire.  

La prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison de son inconduite?

[28] L’employeur n’a pas prouvé que la prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

[29] L’employeur a affirmé à la Commission qu’il avait congédié la prestataire en raison de son utilisation du temps de vacances. La lettre de congédiement mentionne l’abus du temps de vacances, l’insubordination et une mauvaise attitude. À l’audience, l’employeur a admis qu’il avait d’abord congédié la prestataire en raison de son abus du temps de vacances.

[30] Compte tenu des déclarations de l’employeur et de la lettre de congédiement, je suis convaincue que l’employeur a congédié la prestataire en raison de problèmes liés à son utilisation du temps de vacances.

[31] À l’audience, l’employeur a reconnu qu’il n’avait pas l’intention de présenter des observations sur la question de déterminer si l’abus du temps de vacances de la part de la prestataire représentait une inconduite. La Commission et la prestataire soutiennent que la façon dont la prestataire a utilisé son temps de vacances ne constitue pas une inconduite.

[32] Aucune des parties en l’espèce ne soutient que la façon dont la prestataire a utilisé son temps de vacances représente une inconduite. Une conduite découverte après que l’employeur a congédié la prestataire ne correspond pas à une inconduite. Par conséquent, je suis d’avis que la prestataire n’a pas perdu son emploi en raison de son inconduite.

Conclusion

[33] Je rejette l’appel. L’employeur n’a pas prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 15 octobre 2019

En personne

X, appelant

Jim Wu, représentant de l’appelant

M. D., partie mise en cause

Lee Cowley, représentant de la partie mise en cause

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.