Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est refusé.

Aperçu

[2] L’appelant, D. S. (le prestataire), interjette appel de la décision de la division générale. La division générale a statué que le prestataire n’était pas fondé à quitter volontairement son emploi auprès d’un X en septembre 2018. Il a par conséquent été exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

[3] Le prestataire a fait valoir que la division générale a commis une importante erreur de fait. Il allègue que la directrice générale adjointe, sa patronne, le harcelait. Il allègue avoir sollicité l’aide de son employeur, mais on n’a pas donné suite à sa demande. Il soutient qu’il a dû quitter son emploi parce que sa situation de travail était devenue invivable et qu’il ne se sentait plus en sécurité dans cet environnement de travail. Il soutient qu’il était fondé à quitter son emploi.

[4] Pour les motifs qui suivent, je rejette l’appel.

Questions préliminaires

[5] Le Tribunal de la sécurité sociale avait à l’origine prévu une audience par vidéoconférence du présent appel pour le 23 octobre 2019. Les deux parties étaient disposées à assister à l’audience. Le Tribunal a toutefois dû reporter l’audience au 30 octobre 2019, date qui convenait aux deux parties. Toutefois, au bout du compte, le prestataire n’a pas pu assister à l’audience du 30 octobre 2019. Le prestataire a demandé que la division d’appel rende une décision sur la foi du dossier. Une représentante de l’intimée, la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (la Commission), qui a participé à l’audience par téléconférence, a consenti à ce qu’une décision soit rendue sur la foi du dossier.

[6] J’ai accordé la permission d’en appeler parce que j’ai estimé qu’il y avait une cause défendable selon laquelle la division générale n’a peut-être pas tenu compte de certains éléments de preuve et parce que le prestataire n’avait peut-être pas reçu l’avis d’audience de la division générale. Si le prestataire n’avait pas reçu l’avis d’audience et que la division générale avait tenu l’audience malgré tout, cela aurait constitué un manquement aux principes de justice naturelle.

[7] J’ai demandé au prestataire d’aborder la question de l’avis d’audience. Je ne constate aucun élément de preuve ou observation du prestataire sur cette question. De plus, le prestataire n’a pas soulevé cette question en tant que point en appel dès le début. Je ne me pencherai donc pas sur cette question. Je mettrai plutôt l’accent sur la question de savoir si la division générale a fondé sa décision sur des erreurs factuelles.

Question en litige

[8] Y a-t-il une cause défendable selon laquelle la division générale a fondé sa décision sur des erreurs de fait lorsqu’elle a statué que le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi?

Analyse

[9] Le prestataire fait valoir que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Il prétend que sa patronne l’a harcelé pendant [traduction] « de nombreuses semaines »Note de bas de page 1 et qu’il a tenté de solliciter l’aide du service des ressources humaines de l’entreprise. Il a déclaré que le chef et le directeur général de l’entreprise savaient tous deux que sa patronne le harcelait. Malgré cela, la compagnie n’a pas donné suite à sa demande et ne lui est pas venu en aide. Le prestataire affirme que le milieu de travail était devenu invivable et qu’il ne se sentait plus en sécurité à cet endroit, ce qui l’a poussé à quitter son emploi.

[10] Bien que le prestataire allègue que le chef et le directeur général de l’entreprise appuient ses affirmations et conviennent que sa patronne l’a harcelé au travail, la division générale n’a été saisie d’aucun élément de preuve en ce sens. La division générale n’était tout simplement pas en mesure de savoir si le chef et le directeur général de l’entreprise auraient appuyé ce que le prestataire a affirmé au sujet du milieu de travail. À cet égard, je souligne que le prestataire ne laisse pas entendre que la division générale n’a pas tenu compte d’éléments de preuve concernant le chef ou le directeur général de l’entreprise.

[11] La division générale était au courant des allégations du prestataire quant au harcèlement de la part de sa patronne. Malheureusement pour le prestataire, très peu d’éléments de preuve concernant les allégations de harcèlement ont été consignés, à l’exception possiblement des textos échangés entre le prestataire et sa patronne.

[12] La division générale a accordé peu de poids aux textos, car elle a estimé qu’ils étaient « trafiqués » et qu’on n’y retrouvait ni date, ni heure.

a) Les textos « trafiqués »

[13] La Commission affirme que la division générale n’a pas fait preuve de partialité lorsqu’elle a déclaré que le prestataire avait « trafiqué » des documents. La Commission fait valoir qu’il apparaît clairement que le prestataire a intentionnellement modifié les textos : il les a modifiés et regroupés, ce qui fait qu’il ne présente pas la situation dans son ensemble.Note de bas de page 2

[14] Même si le prestataire n’a pas présenté les textos en ordre chronologique et qu’il y a des trous (notamment lorsque l’on ne retrouve aucun texto entre le 16 août 2018 et le 6 septembre 2018), je ne suis pas convaincue que les pages de textos révèlent nécessairement que le prestataire les a modifiées pour véhiculer une certaine version des faits.

[15] Toutefois, je ne peux déterminer avec certitude ce que la membre de la division générale entendait lorsqu’elle a mentionné que les textos étaient « trafiqués » et si elle tentait en fait de laisser entendre que le prestataire avait intentionnellement modifié les textos. Je me suis demandée si en employant le terme « trafiqué », la division générale aurait pu faire preuve de partialité.

[16] La Cour suprême du Canada a établi le critère de la crainte raisonnable de partialité.Note de bas de page 3 Elle y fait référence dans l’opinion dissidente du juge de Grandpré dans l’arrêt Committe for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie :

  1. [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[17] Il semble que l’utilisation d’un terme en particulier ne suffirait pas, à elle seule, à tirer une conclusion de partialité. Il faudrait qu’il y ait davantage d’éléments de preuve convaincants, dont le contexte général, pour établir la partialité. La division générale a étudié la preuve et a correctement appliqué le droit aux faits. J’estime que la décision de la division générale dans son ensemble n’est pas entachée de partialité.

(b) Les dates et heures manquantes dans les textos

[18] Le prestataire soutient que les textos qu’il a échangés avec sa patronne démontrent qu’elle l’a harcelé.

[19] Des copies des textos se sont retrouvées à deux endroits différents dans le dossier d’audience de la division générale, soit dans le document numéro GD3Note de bas de page 4 et dans l’avis d’appel à la division générale.Note de bas de page 5 Les copies des textos ne sont pas très lisibles dans le document GD3, mais elles le sont beaucoup plus dans l’avis d’appel. On constate par exemple que les dates et certaines des heures auxquelles le prestataire et sa patronne ont échangé des textos apparaissent distinctement dans l’avis d’appel.

[20] La Commission soutient que la division générale n’a pas laissé entendre que les textos ne comportaient ni date, ni heure. La membre de la division générale aurait plutôt mentionné qu’il y avait absence de dates ou d’heures dans certains cas. Bien qu’il s’agisse possiblement d’une interprétation plausible des constatations de la division générale, j’estime en l’espèce que la division générale a établi qu’aucune date n’apparaissait nulle part, sinon la membre aurait examiné les textos.

[21] Bien que certaines des heures soient illisibles dans les textos figurant dans l’avis d’appel, les dates y sont lisibles. Fait plus important encore, les dates des textos correspondent aux 6, 7 et 9 septembre 2018, soit quelques semaines avant que le prestataire ne quitte son emploi. Le prestataire a invoqué ces textos à l’appui de ses allégations de harcèlement. Ils auraient pu être particulièrement pertinents, étant donné qu’ils ont été rédigés peu de temps avant que le prestataire ne quitte son emploi.

[22] En supposant que la division générale était au courant de l’existence de dates dans ces textos, je ne vois pas comment elle aurait pu ne pas examiner ces textos. Il était évident que le prestataire avait invoqué ces textos pour établir que sa patronne le harcelait.

[23] La membre de la division générale a déterminé que les textos ne méritaient pas qu’on leur accorde de poids. Elle en est probablement arrivée à cette conclusion parce qu’elle ne s’est pas référée aux textos figurant dans l’avis d’appel et qu’elle n’a pas pris toute la mesure de leur opportunité par rapport aux allégations du prestataire.

[24] En ne tenant pas compte des copies des textos figurant dans l’avis d’appel, la division générale a complètement ignoré les textos. J’estime que, bien que des copies des textos figuraient dans le dossier de l’audience générale, la division générale aurait dû également examiner les textos figurant dans l’avis d’appel parce que des dates et des heures lisibles y apparaissaient.

Décision

[25] Le prestataire soutient que les textos démontrent que sa patronne l’a harcelé pendant plusieurs semaines, ce qui a fait qu’il ne se sentait pas en sécurité.

[26] Le prestataire avait connu sa patronne alors qu’il occupait un emploi précédent. Ils se sont liés d’amitié et [traduction] « se fréquentaient en tant qu’amis ».Note de bas de page 6 Le prestataire prétend que sa patronne recherchait une relation plus intime avec lui, mais que cela ne l’intéressait pas. Selon sa patronne, le prestataire habitait avec elle et sa mère. Le prestataire ne nie pas ce fait, mais il ressort clairement de ses textos que sa patronne était déçue que leur relation ne soit pas devenue plus sérieuse. Il reconnaît que le fait qu’il ne se soit pas investi davantage dans la relation a chagriné sa patronne. Le prestataire ne précise pas pourquoi il a trouvé les textos menaçants et harcelants. Compte tenu du contexte de la relation personnelle du prestataire avec sa patronne, je n’estime pas que les textos étaient menaçants ou harcelants (même si la patronne du prestataire a proféré des injures à l’endroit de ce dernier). Le message initial indique que la patronne du prestataire espérait entreprendre une relation plus sérieuse avec lui. Elle a même espéré que le prestataire revienne habiter chez elle. Toutefois, après quelques jours, la patronne du prestataire s’est rendu compte que le prestataire n’était tout simplement pas intéressé à aller plus loin. Aussi triste que cela ait pu être pour elle, il est évident qu’elle a rompu les liens avec le prestataire et qu’elle ne communiquerait plus avec lui.Note de bas de page 7 En effet, les éléments de preuve démontrent qu’il n’y a eu aucun autre contact entre le prestataire et sa patronne après le 9 septembre 2018, même si le prestataire est demeuré au travail jusqu’au 20 septembre 2018.

[27] Même si je fais erreur et que les textos étaient ou pouvaient être perçus comme harcelants ou qu’il y ait eu d’autres incidents de harcèlement jusqu’à ce que le prestataire quitte son emploi le 20 septembre 2018, le prestataire aurait quand même eu à démontrer qu’il ne disposait pas de solution de rechange raisonnable au départ.Note de bas de page 8 Après tout, il ne suffit pas de justifier qu’on quitte son emploi pour cause de harcèlement lorsqu’il existe des solutions de rechange raisonnables au départ. Bref, un prestataire doit aussi démontrer qu’il ne disposait pas de solution de rechange raisonnable au départ.Note de bas de page 9

[28] La division générale a correctement exigé du prestataire qu’il démontre qu’il ne disposait d’aucune solution de rechange raisonnable au départ. Au paragraphe 20, elle a conclu que si le prestataire était victime de harcèlement, il disposait de solutions de rechange raisonnables au départ. La division générale a ensuite énoncé certaines des solutions de rechange au départ dont disposait le prestataire.

[29] Le prestataire a déclaré qu’il avait tenté de communiquer avec son service des ressources humaines. La division générale a conclu que lorsque l’on n’a pas donné suite à sa demande, il aurait pu tenter de communiquer avec d’autres membres du personnel de direction. Ou encore, il aurait pu rencontrer le représentant des ressources humaines, lui envoyer un courriel ou continuer de tenter de le rappeler jusqu’à ce qu’il réussisse à prendre contact avec lui.Note de bas de page 10 La division générale a également conclu que le demandeur aurait pu continuer de travailler et qu’il aurait pu retarder son déménagement jusqu’à ce qu’il trouve un autre poste, ou encore, qu’il aurait pu prendre congé.Note de bas de page 11

[30] Le fait que l’on ait conclu que le prestataire disposait de solutions de rechange à son départ a été fatal à son appel.

[31] Dans l’ensemble, le prestataire n’est pas d’accord avec l’évaluation de la division générale à l’égard du harcèlement dont il a fait l’objet au travail de la part de sa patronne. Essentiellement, le prestataire me demande de réviser la décision de la division générale et de rendre une décision différente qui lui serait favorable. Toutefois, l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social ne me permet pas d’étudier de nouveau les éléments de preuve ou de tenir une nouvelle audience relativement à l’affaire.

Conclusion

[32] Bien que la division générale n’ait pas tenu compte des copies plus lisibles des textos figurant dans l’avis d’appel, je rejette l’appel. La division générale a exigé à juste titre que le prestataire démontre, malgré le harcèlement de sa patronne, qu’il ne disposait d’aucune solution de rechange raisonnable au départ. La division générale a ensuite correctement appliqué les faits au droit lorsqu’elle a conclu que le prestataire disposait de solutions de rechange raisonnables au départ.

Date de l’audience :

Le 30 octobre 2019

Mode d’instruction :

Sur la foi du dossier

Comparutions :

D. S., appelant (observations écrites uniquement)

Angèle Fricker, représentante de l’intimée (téléconférence et observations écrites)

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