Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[1] L’appelante, C. C. (la prestataire), a perdu son poste à la suite de la restructuration de son employeur. La prestataire a eu l’occasion de « choisir » des quarts de travail de rechange (un groupe particulier de quarts de travail) conformément aux modalités de la convention collective entre son syndicat et son employeur. Elle a choisi un quart de travail particulier, mais ce quart de travail a été confié à un autre employé qui avait plus d’ancienneté. Elle a arrêté son deuxième choix sur la « mise en disponibilité », choix que l’employeur a accepté. Cela a été confirmé à la prestataire par lettre datée du 1er décembre 2017, peu après que la prestataire ait pris un congé de maladie.

[2] L’employeur a proposé de rappeler au travail la prestataire pour effectuer des quarts de travail de rechange et l’a informée que sa mise en disponibilité deviendrait permanente si elle n’acceptait aucune des solutions de rechange proposées. La prestataire n’ayant accepté aucune des solutions de rechange, l’employeur l’a informée que sa mise en disponibilité deviendrait permanente à compter du 19 janvier 2018.

[3] La prestataire a fait une demande de prestations d’assurance‑emploi et la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (la Commission) a approuvé sa demande au départ. Toutefois, elle a infirmé sa décision et rejeté la demande après que l’employeur ait demandé une révision. La prestataire a interjeté appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, mais la division générale a rejeté sa demande. Elle interjette maintenant appel de la décision de la division générale à la division d’appel du Tribunal.

[4] L’appel de la prestataire est rejeté. La division générale a commis une erreur de droit en ne se penchant pas sur la question de savoir si les autres postes offerts à la prestataire auraient représenté une modification importante de ses fonctions. J’ai corrigé cette erreur, mais cela ne change rien à la décision selon laquelle la prestataire disposait de solutions de rechange raisonnables au départ.

Questions préliminaires

Demande d’annulation et de modification à la division générale

[5] La prestataire a déposé une demande d’annulation ou de modification à la division générale demandant à celle-ci d’examiner le procès-verbal de règlement et un relevé d’emploi modifié.

[6] L’appel a été suspendu en attendant la décision de la division générale (GE‑19‑1067). La division générale a rejeté la demande le 24 mai 2019, estimant que les nouveaux renseignements ne permettaient pas de déterminer si la prestataire avait volontairement quitté son emploi sans justification.

[7] La décision de la division générale du 24 mai 2019 ne fait pas partie du dossier du présent appel et n’est pas en appel en l’espèce.

Question(s) en litige

[8] La division générale a-t-elle commis un manquement à un principe de justice naturelle?

[9] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en renversant le fardeau de la preuve?

[10] La division générale a-t-elle écarté ou mal interprété l’importance de la preuve liée à une violation de la convention collective?

[11] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la prestataire disposait de solutions de rechange raisonnables sans tenir compte de toutes les circonstances?

Analyse

[12] La division d’appel ne peut modifier une décision de la division générale que si elle peut conclure que cette dernière a commis l’un des types d’erreurs visés par les « moyens d’appel » énoncés à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

[13] Les moyens d’appel sont les suivants :

  1. la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige 1: La division générale a-t-elle commis un manquement à un principe de justice naturelle?

[14] Rien dans le dossier ne laisse entendre que la division générale a commis un manquement à un principe de justice naturelle.

[15] La justice naturelle s’entend de l’équité du procès et comporte des garanties procédurales, telles que le droit à un décideur impartial et le droit d’une partie d’être entendue et de savoir ce qu’on lui reproche. La prestataire n’a pas soulevé de préoccupations au sujet du caractère adéquat de l’avis d’audience de la division générale, de l’échange avant l’audience, de la divulgation de documents avant l’audience, de la manière dont l’audience de la division générale a été menée ou de la compréhension du processus par la prestataire, ou de toute autre mesure ou procédure qui aurait pu avoir une incidence sur son droit d’être entendue ou de présenter sa preuve. Elle n’a pas non plus laissé entendre que le membre de la division générale était partial ou qu’il avait préjugé de l’affaire.

[16] Je conclus que la division générale n’a pas commis un manquement à un principe de justice naturelle en vertu de l’article 58(1)a) de la Loi sur le MEDS.

Question en litige 2 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en renversant le fardeau de la preuve?

[17] Je ne suis pas convaincu que la division générale a exigé que l’appelante prouve qu’elle n’a pas quitté volontairement son emploi.

[18] La division générale a explicitement déclaré que la Commission avait le fardeau de la preuve de démontrer que la prestataire avait quitté son emploi volontairement.Note de bas de page 1 Elle a ensuite souligné que le critère juridique applicable consistait à déterminer si la prestataire avait le choix de conserver ou de quitter son emploi. En fin de compte, la division générale a conclu que ce choix se présentait à la prestataire, compte tenu de l’élément de preuve incontesté de l’employeur selon lequel celui-ci lui avait offert des quarts de travail de rechange, que celle-ci avait refusé d’accepter. Selon l’article 29b.1)(i) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), le refus d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi figure dans la définition de départ volontaire. Par conséquent, le choix de refuser les quarts de travail de rechange équivaut au choix de quitter volontairement son emploi. Je peux comprendre que la prestataire se soit objectée à la légitimité de l’offre de l’employeur, mais elle n’a pas nié qu’elle aurait pu accepter l’un des quarts de travail offerts.

[19] Je conclus que la division générale n’a pas commis d’erreur en vertu de l’article 58(1)b) de la Loi sur le MEDS car elle n’a pas transféré à la prestataire le fardeau de prouver qu’elle n’avait pas quitté son emploi volontairement.

Question en litige 3: La division générale a-t-elle écarté ou mal interprété l’importance de la preuve liée à une violation de la convention collective?

[20] La prestataire a fait valoir que l’employeur l’a mise à pied illégalement pendant qu’elle était en congé de maladie et que les choix présentés lors du rappel au travail ne l’étaient que pour la forme étant donné que la prestataire devait être mise en disponibilité avant d’être rappelée.

[21] Je comprends que la prestataire croit que l’employeur a agi illégalement. Toutefois, la prestataire n’a pas allégué que les actions de l’employeur constituaient une violation du Code canadien du travail ou de toute autre loi d’application générale. La prestataire a plutôt fait valoir que l’employeur avait violé les modalités de la convention collective. Cette convention fait état d’une relation contractuelle volontaire entre l’employeur et le syndicat de la prestataire (et, par extension, ses membres).

[22] Je ne souscris pas à l’hypothèse voulant que la division générale ait mal interprété les arguments de la prestataire ou la convention collective ou ses répercussions. La division générale devait trancher la question de savoir si la prestataire avait quitté volontairement son emploi. À cette fin, la division générale n’a pas eu à interpréter la convention collective ni à trancher la question de savoir si l’employeur avait violé à la convention collective.

[23] L’article 29b.1)(i) de la Loi sur l’AE assimile à la définition de « départ volontaire » le cas où un prestataire refuse d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi. On n’a pas contesté le fait que la prestataire s’est vu offrir des quarts de travail de rechange avant sa mise en disponibilité permanente et qu’elle les a refusés.

[24] Par conséquent, il importe peu que la prestataire ait été mise en disponibilité au même moment où on lui a offert le choix d’un rappel au travail pour effectuer des quarts de travail de rechange (alors que son choix aurait pu empêcher sa mise en disponibilité permanente). Et il importe peu qu’elle n’ait pas été effectivement mise en disponibilité jusqu’à ce que celle-ci devienne permanente (et qu’elle ne dispose alors plus de solution de rechange).

[25] Peu importe que la prestataire n’aurait pas dû être mise en disponibilité, elle l’a été. Peu importe que l’employeur n’aurait pas dû lui présenter des options de rappel au travail avant que sa mise en disponibilité ne devienne permanente, il l’a fait. La prestataire s’est vu présenter des solutions de rechange à la perte de son emploi. Bien que les options offertes par l’employeur n’aient pas été du goût de la prestataire, elle aurait pu choisir l’une ou l’autre d’entre elles, tout en continuant d’exercer son emploi. La date de sa mise en disponibilité et la question de savoir si le processus de mise en disponibilité était conforme à la convention collective ne sont pas pertinentes pour trancher la question de savoir si elle a quitté son emploi volontairement.

[26] La question essentielle aux fins de l’assurance‑emploi consiste à déterminer si la prestataire avait le choix de continuer d’exercer ou de quitter son emploi. L’article 29b.1) de la Loi sur l’AE indique clairement que le choix de continuer d’exercer son emploi équivaut au choix de demeurer employé, mais pas nécessairement de demeurer dans le même secteur ou même de conserver le même poste. Dans le but de déterminer si le départ de la prestataire était volontaire, la question dont était saisie la division générale était de savoir si la prestataire avait le choix d’accepter ou de refuser les quarts de travail de rechange qui lui avaient été proposés alors qu’elle escomptait sa mise en disponibilité permanente.

[27] Par conséquent, je conclus que la division générale n’a pas commis d’erreur en vertu de l’article 58(1)c) de la Loi sur le MEDS en ayant écarté ou mal interprété les éléments de preuve visant à établir que les actes de l’employeur contrevenaient à la convention collective.

Question en litige 4: La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la prestataire disposait de solutions de rechange raisonnables sans tenir compte de toutes les circonstances?

[28] L’article 29c) de la Loi sur l’AE prévoit qu’un prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas.

[29] La division générale est tenue d’examiner toute circonstance pertinente étayée par des éléments de preuve et qui pourrait avoir une incidence sur les solutions de rechange raisonnables au départ d’un prestataire. Toutefois, l’article 29c) énumère un certain nombre de circonstances réputées expressément incluses. Les circonstances énumérées demeurent toujours pertinentes et doivent être prises en compte, pourvu qu’elles soient étayées par les éléments de preuve.

[30] La prestataire a fait valoir que la division générale avait commis une erreur de droit en concluant qu’elle n’était pas fondée à quitter son emploi du fait que la division générale n’avait pas tenu compte des éléments de preuve que représentent les circonstances suivantes :

  • Harcèlement;
  • Modification importante des conditions de rémunération du prestataire;
  • Relations conflictuelles, dont la cause n’est pas essentiellement imputable au prestataire, avec un supérieur;
  • Pratiques de l’employeur contraires au droit.

[31] Je vais me pencher chacune de ces circonstances pour déterminer si on en a effectivement tenu compte et, dans la négative, si on aurait dû en tenir compte.

Relations conflictuelles, dont la cause n’est pas essentiellement imputable au prestataire, avec un supérieur

[32] La prestataire affirme avoir été victime de harcèlement. Elle affirme avoir été victime d’un comportement illégal ou inapproprié qui aurait dû être considéré comme du harcèlement.

[33] La prestataire affirme que sa mise en disponibilité pendant un congé de maladie, son rappel prématuré et l’appel de l’employeur concernant ses prestations d’assurance‑emploi constituent des éléments de preuve de harcèlement. Toutefois, la division générale n’était saisie d’aucun élément de preuve selon lequel l’employeur avait agi de mauvaise foi lorsqu’il a interprété la convention collective ou lorsqu’il a exercé son droit de demander une révision de la demande d’assurance‑emploi de la prestataire. La division générale ne pouvait tout simplement pas présumer que ces actes constituaient des éléments de preuve de harcèlement.

[34] La prestataire a également affirmé qu’elle avait vécu des relations conflictuelles avec son supérieur. À l’audience de la division d’appel, elle a dit que le niveau de tension était malsain entre elle et son supérieur et qu’il ne s’agissait pas de nouveaux éléments de preuve.

[35] Je remarque que la division générale a fait allusion au fait que la prestataire a déclaré à un agent de la Commission qu’elle était en congé pour cause de stress parce que son employeur l’avait intimidée.Note de bas de page 2 Selon le compte rendu de cette conversation, la prestataire n’a pas expliqué ce qu’elle entendait par intimidation, et rien n’indique qu’elle ait de nouveau soulevé la question auprès de la Commission. Elle n’a pas fait mention d’intimidation ou de harcèlement dans les motifs d’appel étoffés qu’elle a joints à son avis d’appel à la division générale. La division générale a également raison de dire que la prestataire n’a pas fait de déclaration au sujet de l’intimidation ni de de la question savoir si des tentatives ont été faites auprès de l’employeur pour régler cette situation.

[36] La prestataire a raison de dire que la division générale ne s’est pas penchée sur la question de savoir si la situation que vivait la prestataire équivalait à du harcèlement. Il semble que la division générale ait tenu compte de la possibilité que la prestataire ait été victime d’intimidation lorsqu’elle a évalué ses solutions de rechange raisonnables,Note de bas de page 3 sans toutefois conclure qu’elle avait été victime d’intimidation.

[37] À mon avis, les éléments de preuve présentés à la division générale ne faisaient nullement référence à du harcèlement de la part de l’employeur ou à des relations conflictuelles dont la cause n’est pas essentiellement imputable au prestataire, avec un supérieur. Par conséquent, la division générale n’a pas commis d’erreur de droit selon laquelle elle aurait écarté des circonstances assimilables à du harcèlement ou à des relations conflictuelles avec un supérieur.

Modification importante des conditions de rémunération du prestataire

[38] La division générale a spécifiquement tenu compte de ces circonstances. Elle a conclu que la prestataire aurait pu accepter l’un ou l’autre des deux quarts de travail à temps plein sans que sa rémunération ne soit modifiée de façon importante. Il ne me revient pas d’évaluer de nouveau ou de pondérer de nouveau la preuve.Note de bas de page 4 Je ne peux intervenir que si la division générale a écarté ou mal interprété les éléments de preuve dont elle disposait, ou si sa décision a été tirée de façon abusive ou arbitraire. Je n’ai entendu aucun argument qui aborde ces points, et il ne me semble pas que la division générale ait commis une erreur en ce sens.

[39] La division générale a tenu dûment compte de cette circonstance. Elle n’a pas commis d’erreur de droit en concluant que les circonstances ne s’appliquaient pas.

Pratiques de l’employeur contraires au droit

[40] La prestataire soutient que constituait un geste illégal de la part de l’employeur le fait qu’il l’ait mise en disponibilité pendant qu’elle était en congé de maladie ou qu’il l’ait rappelée avant sa mise à pied permanente. À l’appui de son argument, elle a présenté des décisions d’arbitres en relations de travail qui soutiennent son interprétation de la convention collective.

[41] Il est possible que l’employeur ait violé une condition de la convention passée avec le syndicat et/ou ses employés en tant que membres du syndicat. Toutefois, rien n’indique que les pratiques de l’employeur étaient par ailleurs contraires à la loi.

[42] Je ne souscris pas à l’hypothèse selon laquelle la Loi sur l’assurance‑emploi prévoit que les circonstances mentionnées à l’article 29c)(xi) en tant que « pratiques de l’employeur contraires au droit » englobent les violations de conventions privées, notamment les conventions collectives avec les syndicats. Bien que les salaires et les fonctions liées au poste constituent des éléments essentiels de pratiquement tous les contrats de travail, la Loi sur l’assurance‑emploi évalue ces éléments de façon autonome en vertu de l’article 29c)(vii), « modification importante de ses conditions de rémunération » et l’article 29c)(ix), « modification importante des fonctions ». Si la Loi sur l’AE avait prévu que les « pratiques de l’employeur contraires au droit » aient une portée vaste au point d’englober des pratiques contraires au contrat de travail, il n’aurait pas été nécessaire de particulariser ces autres circonstances.

[43] Aucune preuve ni aucun argument ne vient étayer l’illégalité des pratiques de l’employeur à tout autre égard. Par conséquent, je ne souscris pas à l’hypothèse selon laquelle il existe des éléments de preuve de pratiques illégales au sens de l’article 29c)(ix). Cela signifie que la division générale n’a pas commis d’erreur de droit en écartant cette circonstance.

[44] La division générale est toujours tenue de tenir compte de « toutes les circonstances », qu’elles soient mentionnées à l’article 29c) ou non; elles doivent toutefois être pertinentes. La prestataire croit que l’employeur a violé la convention collective lorsqu’il l’a mise en disponibilité pendant qu’elle était en congé de maladie et en lui faisant part de ses options de rappel par la même occasion. Toutefois, les circonstances dans lesquelles la prestataire a été mise en disponibilité ou rappelée ne laissent pas entendre qu’il y a eu détérioration de sa relation avec son employeur ou qu’il était devenu intolérable pour elle de continuer d’exercer son emploi. Rien ne laisse entendre que l’offre de quarts de travail de rechange ne constituait pas une offre faite de bonne foi. Par conséquent, les violations de la convention collective alléguées par la prestataire n’ont rien à voir avec la question de savoir si elle était fondée à quitter son emploi.

[45] Je conclus que la division générale a tenu compte de toutes les circonstances, même si elle a écarté l’élément de preuve selon lequel l’employeur a violé à la convention collective. Je conclus également que ne constituait pas une erreur de droit de la division générale le fait de ne tirer aucune conclusion quant à savoir si la mise en disponibilité ou le rappel de la prestataire était conforme à la convention collective. Les types de violations alléguées par la prestataire n’auraient en rien altéré la disponibilité de solutions de rechange raisonnables au refus des quarts de travail de rechange proposés par l’employeur.

Modification importante des fonctions

[46] Jusqu’à maintenant, j’ai examiné les circonstances qui ont été invoquées en particulier par la prestataire. Toutefois, il ne s’agit pas des seules circonstances énumérées à l’article 29c) à être évoquées dans la preuve. À première vue, il est évident que de par sa décision, la division générale a compris le fait que la prestataire avait refusé l’un des quarts de travail vu qu’il ne s’agissait que de travail à temps partiel. La division générale a convenu que cela occasionnerait une modification importante de ses heures de travail et, par conséquent, de sa rémunération, et que la prestataire disposerait d’une « justification » pour refuser le quart de travail à temps partiel.

[47] La division générale a également convenu que la prestataire disposait de solutions de rechange raisonnables au refus des deux autres quarts de travail de nuit à temps plein.

[48] La prestataire a toujours refusé les quarts de travail à temps plein du fait qu’il s’agissait de quarts de nuit. Elle a déclaré que les quarts de nuit à temps plein n’avaient rien à voir avec ses anciens quarts de travail normalement prévus,Note de bas de page 5 qui comprenaient des quarts mixtes de 7 h à 15 h. Elle a déclaré qu’elle s’objectait au quart de travail puisque celui-ci débutait à minuit.Note de bas de page 6

[49] Toutefois, la division générale ne s’est pas penchée sur la question de savoir si l’offre de quarts de nuit à temps plein entraînait une « modification important des fonctions » par rapport à aux quarts de jour habituels de la prestataire. La division générale a étudié en détail le fait que la prestataire refuse des quarts de nuit pour tenter de déterminer si son aversion pour le quart de 23 h à 7 h (le quart de nuit) relevait d’une question de santé ou de l’incidence du travail de nuit sur ses activités de travail autonome. Cependant, il ne fait aucun doute que la prestataire avait refusé le quart de travail de nuit du fait qu’il s’agissait d’un quart de nuit, peu importe les raisons pour lesquelles elle ne voulait pas du quart de travail de nuit.

[50] Comme il a été mentionné précédemment, la division générale doit tenir compte des circonstances énumérées à l’article 29c) de la Loi sur l’AE qui découlent de la preuve. La division générale n’a pas tenu compte de toutes les circonstances prévues à l’article 29c) parce qu’elle n’a pas tenu compte de la question de savoir si le passage des quarts de jour aux quarts de nuit représentait une modification importante des fonctions de travail sous le régime de l’article 29c)(ix) de la Loi sur l’AE.

[51] Il s’agit d’une erreur de droit au titre de l’article 58(1)b) de la Loi sur le MEDS.

Mesure corrective

[52] J’ai le pouvoir, en vertu de l’article 59 de la Loi sur le MEDS, de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale avec ou sans directives ou de confirmer, d’annuler ou de modifier entièrement ou partiellement la décision de la division générale.

[53] J’estime que le dossier d’appel est complet et que je peux donc rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[54] Je n’ai pas découvert d’erreur qui justifierait que j’intervienne dans l’évaluation de la preuve par la division générale. Je confirme la conclusion de la division générale selon laquelle les quarts de travail à temps partiel offerts à la prestataire représentaient une modification importante des conditions de rémunération de la prestataire, et que celle-ci ne disposait d’aucune solution de rechange raisonnable au refus de ceux‑ci. Je suis également d’accord avec les conclusions de la division générale selon lesquelles la prestataire avait de multiples raisons de refuser le quart de nuit, notamment pour des questions de santé et de mode de vie, mais que la principale raison de son refus était que le travail de nuit entrait d’une certaine façon en conflit avec ses activités de travail autonome.

[55] Toutefois, la division générale ne s’est pas demandé si le passage des quarts de jour aux quarts de nuit représentait une modification importante des fonctions.

[56] J’estime que c’est le cas. Même si les fonctions essentielles de la chemise [sic] de la prestataire n’avaient pas changé et qu’elle avait le même nombre d’heures par quart de travail, il y a une différence qualitative importante entre le travail de jour et le travail de nuit. Je me permets de prendre connaissance d’office de l’évidence que les humains ne sont pas d’un naturel nocturne.

[57] Je ne suis pas lié par les décisions de l’ancien juge‑arbitre, mais je suis appuyé par le raisonnement du juge‑arbitre dans la décision du juge‑arbitre du Canada sur les prestations en tant que CUB 79453.Note de bas de page 7 Cette décision avait trait à une affaire où un prestataire a quitté son emploi en raison d’une affectation à un quart de nuit. Le juge‑arbitre a conclu que [traduction] « le fait de faire passer unilatéralement les heures de travail d’une personne du jour au soir constitue une modification importante des conditions d’emploi suffisante pour faire entrer en jeu l’article 29c)(ix) ».

[58] J’estime que la prestataire subirait une modification importante de ses fonctions si elle acceptait le quart de travail de nuit de 23 heures à 7 heures.

Solutions de rechange raisonnables

[59] Il reste à déterminer si la prestataire disposait de solutions de rechange raisonnables au refus des quarts de travail nuit à temps plein offerts, compte tenu de toutes les circonstances. La prise en compte de toutes les circonstances doit maintenant prendre en considération cette modification importante des fonctions.

[60] La prestataire a déclaré que les quarts de nuit étaient difficiles pour elle en raison de dérangements gastriques et de troubles du sommeil. Je ne doute pas que la prestataire ait de la difficulté à s’adapter au travail de nuit ou que le fait de travailler de nuit puisse avoir un effet négatif sur sa santé psychologique ou physique. Toutefois, je suis d’accord avec la division générale pour dire qu’il n’y avait pas de preuve médicale attestant que le quart de travail de nuit ne convenait pas d’un point de vue médical. Il n’existait pas d’élément de preuve médicale établissant un lien entre des plaintes antérieures en matière de santé et le travail de nuit, ni de recommandation médicale proscrivant le travail de nuit. De plus, il n’existait aucun élément de preuve corroborant que la prestataire avait fait de telles plaintes en matière de santé lorsqu’elle travaillait de nuit par le passé.

[61] La prestataire n’a pas établi que les effets potentiels du travail de nuit sur sa santé auraient fait en sorte qu’elle n’aurait pas disposé de solution de rechange raisonnable au refus d’un quart de travail de nuit. Avant de refuser le quart de travail de nuit, la prestataire aurait pu demander un soutien médical pour démontrer que le quart de travail ne convenait pas du point de vue médical. Si elle n’avait pas été en mesure d’obtenir de soutien médical à l’avance, elle aurait pu accepter le poste pour ensuite obtenir des soins médicaux et demander des mesures d’adaptation appropriées conformément à la recommandation de son médecin. Si son médecin n’avait pas estimé que le poste mettait sa santé en danger immédiatement, elle aurait pu, à titre de solution de rechange raisonnable, accepter le quart de travail de nuit et attendre que d’autres postes deviennent disponibles ou chercher un emploi ailleurs.

[62] Toutefois, les répercussions sur sa santé ne constituent pas la seule raison, ni même la principale raison, pour laquelle la prestataire a refusé le quart de travail de nuit, comme l’a fait remarquer la division générale. La division générale a conclu que la principale raison avait trait à sa propre entreprise X.

[63] La prestataire a présenté des éléments de preuve contradictoires au sujet de l’effet que le travail de nuit aurait sur son entreprise. Lorsqu’elle a témoigné, elle a déclaré que son refus du quart de travail de nuit n’avait rien à voir avec son entreprise X,Note de bas de page 8 et qu’elle n’a démarré l’entreprise qu’après avoir été mise à pied.Note de bas de page 9 Toutefois, dans une déclaration à la Commission le 12 avril 2018, elle a fait une toute autre déclaration. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas accepté le quart de travail de nuit parce qu’elle avait besoin de dormir la nuit pour exploiter l’entreprise X pendant la journée. Elle a dit qu’elle exploitait l’entreprise depuis un an.Note de bas de page 10 Le 18 avril, la prestataire a ajouté que ses affaires n’étaient pas florissantes lorsqu’elle a démissionné, mais qu’elle avait eu l’occasion de prendre en charge des clients d’une autre infirmière X. Elle a dit qu’elle risquait de perdre cette occasion en travaillait de nuit et en n’étant pas fraîche et dispose.Note de bas de page 11

[64] On ne peut établir avec certitude si la prestataire exploitait une entreprise de podiatrie qui n’était pas encore bien établie ou si elle n’avait pas encore démarré son entreprise de podiatrie. Toutefois, les éléments de preuve de la prestataire étaient cohérents sur ce point : elle espérait augmenter son revenu grâce à son entreprise X.

[65] La division générale a cité l’arrêt Canada (Procureur général) c LangloisNote de bas de page 12 selon lequel l’amélioration de la situation financière d’une personne ne peut constituer une « justification », avant de conclure que la prestataire disposait de la solution de rechange raisonnable de rechercher un autre emploi qui ne nuisait pas à son entreprise. Je conviens que ce serait une solution de rechange raisonnable compte tenu de son désir de créer sa propre entreprise X.

[66] J’ai tenu compte de toutes les circonstances, notamment celles examinées par la division générale, ainsi que des circonstances supplémentaires selon lesquelles la prestataire subirait un changement important dans ses séquences de travail si elle acceptait le quart de travail de nuit. Toutefois, je ne suis pas d’accord avec le fait que la prestataire ne disposait pas de solution de rechange raisonnable à son départ. Aucune des circonstances, à titre individuel ou collectif, ne l’aurait empêchée d’accepter le poste de façon temporaire, afin qu’elle puisse déterminer l’effet que cela aurait sur sa santé et sur sa capacité de faire croître sa propre entreprise. Au besoin, elle aurait pu obtenir un soutien médical ou des mesures d’adaptation, et aurait pu demander une mutation ou rechercher un autre emploi, dans un autre établissement ou chez un autre employeur.

[67] Je conclus que la demanderesse a volontairement quitté son emploi parce qu’elle a refusé un emploi offert en escomptant qu’elle perdrait son emploi et parce qu’elle n’avait pas de justification pour son refus.

Conclusion

[68] L’appel est rejeté.

 

Date de l’audience :

Le 23 octobre 2019

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

C. C., appelante

Josie Ponzo, représentante de l’appelante

Observations écrites seulement

S. Prud’Homme, représentant de l’intimée

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