Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli. R. F. (le Prestataire) a démontré qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi parce que son départ constituait la seule solution raisonnable dans les circonstances. Ceci veut dire que le Prestataire n’est pas exclu du bénéfice des prestations en raison de son départ de X.

Aperçu

[2] Le Prestataire habite à X. Il travaillait dans une entreprise qui était située près de sa résidence. Il travaillait de soir et il gagnait un salaire de $13.77/heure, ce qui incluait une prime de $0.50/heure pour un travail de nuit. À la fin mars 2018, l’employeur a annoncé que l’entreprise déménagerait à X durant l’été 2019. Le Prestataire a dit à son superviseur qu’il ne voulait pas travailler à X. Le Prestataire a travaillé jusqu’à ce que l’entreprise ferme ses portes à X.

[3] La Commission de l’assurance emploi du Canada (Commission) a disqualifié le Prestataire des bénéfices d’assurance emploi (AE). Elle a conclu que le Prestataire avait quitté son travail volontairement sans justification parce qu’il y avait d’autres solutions raisonnables à sa disposition. Le Prestataire en appel de cette décision. Il argumente qu’il ne pouvait pas continuer à travailler pour l’entreprise une fois déménagée parce que, (i) il ne pouvait pas faire le trajet de X à X; et (ii) il avait une modification importante à ses conditions de rémunération. Le Prestataire dit qu’il a cherché pour un emploi et ce avant même que l’entreprise soit déménagée, mais il n’a pas encore trouvé un emploi.

[4] Lorsque je considère toutes les circonstances, je conclus que le Prestataire a démontré que son départ était la seule solution raisonnable.

Questions préliminaires

[5] Lors de l’audience, le Prestataire a remis plusieurs documents pour appuyer ses arguments. Les documents consistaient à de la jurisprudence, un tableau de calcul personnel du taux horaire réel du Prestataire, des messages textes, des trajets de Google Maps, des horaires de transport en commun ainsi que des articles de journaux.

[6] Suite à la réception de ces documents, la Commission a fourni une argumentation supplémentaire.

[7] J’ai tenu compte des documents fournis par le Prestataire lors de l’audience car ces documents sont pertinents à l’appel. J’ai également considéré l’argumentation supplémentaire de la Commission.

Question en litige

[8] Je dois juger si le Prestataire est exclu du bénéfice des prestations parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification. Je dois donc juger si le Prestataire a quitté son emploi volontairement. Ensuite, je dois juger si le Prestataire était fondé à quitter volontairement son emploi.

Analyse

[9] Les prestataires sont exclus des prestations d’AE s’ils quittent volontairement un emploi sans justification.Note de bas de page 1

[10] Le fardeau repose sur la Commission de prouver que le départ était volontaire. Ensuite, le fardeau repose sur le prestataire de démontrer qu’il était fondé à quitter son emploi.Note de bas de page 2 Le fardeau de la preuve pour le prestataire et la Commission est la balance des probabilités; ce qui veut dire qu’il est plus probable que non que les événements soient arrivés comme décrits.

Question en litige no 1 : Est-ce que le Prestataire a quitté volontairement son emploi?

[11] Je conclus que le Prestataire a quitté son emploi volontairement.

[12] La Commission maintient que le Prestataire a quitté volontairement son travail. Le Prestataire dit qu’il a fait savoir à son employeur qu’il ne serait pas en mesure de travailler pour l’entreprise une fois que l’entreprise déménagerait à X. Toutefois, le Prestataire a expliqué qu’il avait offert à son employeur de rester à son emploi même après le déménagement afin de travailler jusqu’à sa période de congé qui était prévue quelques jours plus tard. Cependant, la voiture du prestataire est tombée en panne le premier jour où il était prévu qu’il travaille à X, et le Prestataire n’a pas pu se rendre au travail. Le Prestataire dit qu’il a reçu un courriel de son employeur lui disant que ses services ne seraient pas requis pour la semaine. Le Prestataire a soumis des échanges de texte avec son employeur pour corroborer son témoignage ainsi que la déclaration de l’employeur.Note de bas de page 3

[13] Malgré l’offre du Prestataire de travailler un peu plus que sa date originale de démission, je conclus que c’est le Prestataire qui a initié la fin de la relation en exprimant clairement à son employeur qu’il ne suivrait pas l’entreprise dans ses opérations à X. La décision du Prestataire est la cause réelle de la perte d’emploi et donc je constate qu’il a quitté volontairement son emploi.Note de bas de page 4

Question en litige no 2 : Est-ce que le Prestataire était fondé à quitter volontairement son emploi, car son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas?

[14] Je conclus que le Prestataire était fondé à quitter volontairement son emploi.

[15] Un prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, le départ constitue la seule solution raisonnable dans les circonstances.Note de bas de page 5

[16] La Loi prévoit une liste non exhaustive des circonstances qui doivent être considérées pour déterminer s’il existe un motif valable pour qu’un prestataire quitte volontairement son emploi.Note de bas de page 6 Toutefois, lorsque la situation du prestataire ne tombe pas dans les circonstances énumérées dans la Loi, le prestataire peut néanmoins faire la preuve d’un motif valable en démontrant qu’en considérant toutes les circonstances, quitter son emploi était la seule solution raisonnable.Note de bas de page 7

[17] Le Prestataire prétend qu’il était justifié à quitter son emploi parce que :

  • il ne pouvait pas faire le trajet de X à X; et
  • il avait une modification importante à ses conditions de rémunération.

Le Trajet X à X

[18] Le Prestataire argumente que le déménagement de l’entreprise de X à X était un changement important. Le Prestataire dit que lorsque son employeur était à X, il travaillait à une distance de six à dix minutes de l’entreprise (environ 3.2 kilomètres de sa demeure). Le Prestataire explique qu’avec le déménagement de l’entreprise à X, il aurait fallu qu’il voyage une quarantaine de kilomètres pour une durée d’environ 37 à 45 minutes. Il a une vieille voiture de 2006 qui n’est pas en bon état. Le Prestataire maintient qu’il ne se sentait pas en sécurité de faire le trajet. De plus, le Prestataire dit que le chemin le plus rapide entre X et X est une route très accidentée.

[19] La Commission argumente que le temps de voyagement entre l’ancien et le nouveau local de l’entreprise est d’environ 35 à 40 minutes, ce qui n’est pas un temps de voyagement important.

[20] J’accepte les explications du Prestataire qu’il ne se sentait pas en sécurité de faire le trajet entre X et X. Le témoignage du Prestataire est corroboré par des articles du journal de 2016 et 2019 qui mettent en évidence que la route que le Prestataire aurait eu à conduire est « la plus meurtrière au kilomètre que n’importe quelle autoroute du Québec ».Note de bas de page 8 J’accepte que ce trajet soit d’autant plus dangereux avec une vieille voiture qui n’est pas en bon état. De plus, je rejette l’argument de la Commission que dans les circonstances, un changement de 6 à 10 minutes de voyagement à un temps de voyagement d’environs 37 à 45 minutes, n’est pas changement important. Ceci est une augmentation importante du temps de déplacement. Je ne considère pas que la décision du Prestataire de ne pas travailler à X était simplement en raison d’un choix personnel.Note de bas de page 9 Le Prestataire a soulevé de vrais obstacles à sa capacité de travailler à X.

Modification importante à ses Conditions de Rémunération

[21] Le Prestataire indique qu’il a eu une modification importante à ses conditions de rémunération en raison du déménagement de son employeur. Il dit que premièrement, l’employeur lui a demandé de travailler un quart de jour plutôt que son horaire de soir. Le Prestataire explique qu’avec ce changement il passerait de $13.77/heure à $13.27/ heure parce qu’il perdrait sa prime de soir de $0.50/heure. De plus, le Prestataire dit que le trajet au travail à X lui couterait $50 à $60 par semaine en essence uniquement. Le Prestataire dit que ce changement est important compte tenu de sa rémunération.

[22] La Commission constate que la baisse du taux horaire de 0.50$ l’heure et le coût supplémentaire de l’essence équivaut à une diminution de 13% de salaire du Prestataire. La Commission dit que l’assurance emploi paye 55% de la rémunération assurable hebdomadaire maximum, ce qui aurait signifié une baisse de 45% de son salaire. La Commission argumente que la baisse de 13% n’est pas aussi substantielle que la baisse de salaire que le Prestataire subirait une fois qu’il recevrait l’AE.

[23] Je constate en premier lieu que l’argument de la Commission n’est pas fondé en droit. Le critère applicable n’est pas de comparer les nouvelles conditions de rémunération aux montants le Prestataire recevrait s’il bénéficie des prestations d’AE. Il faut plutôt évaluer si la situation décrite par le Prestataire constitue, dans les circonstances, une modification importante des conditions de rémunération.

[24] Je ne considère pas que la baisse du salaire du Prestataire de $13.77/heure à $13.27/ heure, en soi, équivaut à un changement important dans le salaire du Prestataire. Une baisse de 0.50/ l’heure en raison de la perte de la prime de nuit n’est pas d’un ordre d’importance pour constituer une modification importante au sens de la Loi. De plus, l’employeur a indiqué que le Prestataire avait déclaré son intention de ne pas suivre la compagnie à X même avant d’avoir l’information sur la baisse de salaire; aussi, il est probable que le Prestataire aurait obtenu le $0.50/heure s’il l’avait demandé.Note de bas de page 10

[25] De plus, l’augmentation des frais d’essence par un montant de $50 à $60 par semaine en raison du déménagement de l’entreprise ne constitue pas un changement au salaire du Prestataire. Les frais d’essence ne faisaient pas partie de la rémunération du Prestataire, mais des frais encourus par le Prestataire pour aller travailler.

[26] Bien que j’accepte que le déménagement de l’entreprise à X résulte dans des frais supplémentaires pour le Prestataire (ce que je vais prendre en compte lorsque je considère toutes les circonstances) cette augmentation des couts associés au travail ne constitue pas un changement des conditions de rémunération au sens de la Loi.Note de bas de page 11

Solutions raisonnables

[27] Je suis d’avis que dans les circonstances, la seule solution raisonnable pour le Prestataire était de quitter son emploi. La Commission argumente que le Prestataire aurait dû se prévaloir des solutions raisonnables suivantes, plutôt que de quitter son emploi :

  • prendre le transport en commun;
  • faire du covoiturage avec des collègues de travail ;
  • continuer à utiliser sa voiture pour se rendre au travail jusqu’à ce qu’il trouve un autre emploi.

[28] Je rejette les arguments de la Commission à l’effet que le Prestataire aurait dû faire du covoiturage ou prendre les transports en commun pour se rendre au travail à X.

[29] Le Prestataire a présenté l’horaire de train ainsi que le trajet pour se rendre de chez lui au train et du train jusqu’à chez son employeur. La Commission a indiqué dans son argumentation supplémentaire que l’horaire démontre que le transport en commun était accessible puisque le Prestataire aurait travaillé de 8:00 à 16 :30.

[30] Je n’accepte pas l’argument de la Commission. Je trouve qu’il est impraticable pour le Prestataire de faire le trajet en transport en commun. La preuve soumise par le Prestataire démontre que le trajet unidirectionnel pour aller au travail lui aurait pris 1h45, incluant une longue marche. De plus, le Prestataire n’aurait pas été capable de se rendre à temps pour le début de son quart de travail à 8:00, même en prenant le premier train du jour.

[31] Aussi, le covoiture n’était pas une solution raisonnable. Le Prestataire a expliqué que son locateur travaillait également à l’entreprise et qu’elle faisait le trajet en voiture. Toutefois, elle travaillait dans les bureaux et elle disposait d’une flexibilité de travailler parfois de la maison. Le Prestataire explique également que les différences d’horaires rendaient le covoiturage difficile avec les collègues. Des fois les collègues sont appelés à faire du surtemps ou les quarts de travail sont écourtés avec les changements dans la production.

[32] J’accepte le témoignage du Prestataire. Il était candide dans ses explications. De plus, le relevé d’emploi du Prestataire corrobore son témoignage à l’effet qu’il n’avait pas un horaire prévisible qui lui permettait de faire du covoiturage sur une base régulière.

[33] En dernier lieu, je rejette l’argument de la Commission qu’une solution raisonnable pour le Prestataire était de continuer à travailler à X jusqu’à ce qu’il trouve un autre emploi. La Commission soutient que les accidents de voiture sur la route entre X et X étaient principalement en hivers. La Commission dit que le Prestataire aurait pu faire le trajet en attendant de se trouver un autre emploi puisque c’était en période estivale.

[34] Le Prestataire a témoigné qu’avant de travailler chez X à X, il travaillait dans une entreprise à X. Il a travaillé de novembre 2017 à mars 2018. Il faisait le trajet entre X et X. Il gagnait environ 16$ l’heure dans ce poste. Toutefois, en raison de la route dangereuse entre X et X, le Prestataire a quitté cet emploi pour accepter le travail chez X, malgré la baisse de salaire. Il explique qu’en mars 2018, les conditions dangereuses de conduite étaient au cœur de sa décision de quitter son emploi à X. Le Prestataire a pris cette décision de quitter, malgré l’arrivée du printemps.

[35] J’accepte le témoignage du Prestataire en ce qui concerne ses expériences antérieures de conduite sur la route X à X. Il a témoigné de façon sincère. Il a décrit avec exactitude ses expériences sur les routes entre les deux villes et les motifs pour ne pas faire le trajet. Je n’accepte pas l’argument de la Commission selon quoi le Prestataire aurait pu continuer à faire le voyage parce que c’était la période estivale. Les articles des journaux ainsi que le témoignage du Prestataire font état de la dangerosité de cette route pour plusieurs raisons qui ne sont pas liées aux conditions météorologiques (par exemple, la présence de plusieurs camions, le fait que c’est une route à deux sens).

[36] De plus, je considère que le fait que le Prestataire n’a pas pu se rendre au travail le premier jour où les opérations ont commencé à X (soit le 8 juillet 2019) parce qu’il a eu un bris mécanique de sa voiture démontre que, faire le trajet, même pour une courte période n’était pas une solution raisonnable dans les circonstances.

[37] En dernier, j’accepte le témoignage du Prestataire sur ses efforts de trouver de l’emploi à compter de mars 2019. Le Prestataire explique qu’il posait sa candidature et cherchait activement un emploi. Le Prestataire a décrit les efforts qu’il a faits pour trouver un emploi ainsi que les difficultés qu’il a eues lorsqu’il posait sa candidature en raison de son âge de 60 ans.

[38] Je suis d’avis que compte tenu de toutes les circonstances, soit :

  • la dangerosité de la route entre X et X;
  • l’expérience antérieure du Prestataire sur cette route;
  • la condition de la voiture du Prestataire ;
  • les difficultés de se rendre à X par d’autres biais qu’en voiture;
  • les frais supplémentaires pour l’essence; et
  • les efforts du Prestataire de trouver un emploi,
  • la seule solution raisonnable pour le Prestataire était de quitter son emploi.

Conclusion

[39] L’appel est accueilli.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

1 novembre 2019

En personne

R. F., appelant
Me Kim Bouchard, représentante de l’appelant

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