Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] Le prestataire a montré qu’il était disponible pour travailler. Cela signifie qu’il est admissible au bénéfice des prestations.

Aperçu

[2] Toute partie prestataire doit être disponible pour travailler afin de recevoir des prestations régulières d’assurance-emploi (AE). La disponibilité est une exigence permanente : la partie prestataire doit être à la recherche d’un emploi convenable. La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a déterminé que le prestataire n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’AE à compter du 3 juin 2019 étant donné qu’il n’était pas disponible pour travailler.

[3] Je dois déterminer si le prestataire a prouvéNote de bas de page 1 qu’il était disponible pour travailler. Selon la Commission, le prestataire, un prêtre catholique romain, n’était pas disponible pour travailler parce qu’il ne pouvait pas retourner travailler pour son employeur précédent. La Commission a aussi dit qu’il ne pouvait pas travailler pour d’autres employeurs qui ne faisaient pas partie de son ordre religieux. Le prestataire s’est donc déclaré comme étant non disponible pour travailler. De plus, le prestataire n’avait pas fourni la preuve qu’il faisait des démarches actives et soutenues pour trouver un emploi convenable. Il n’est pas d’accord avec la Commission et affirme que l’évêque du diocèse l’a suspendu à tort. L’évêque a par la suite cessé de lui verser un salaire. Comme l’Église ne lui fournit pas de logement, le prestataire doit couvrir toutes ses dépenses personnelles. Il est prêtre ordonné depuis 26 ans. C’est le travail de sa vie. Il ne veut pas renoncer à son statut de prêtre. En vertu de la loi de l’Église, il doit obtenir la permission de l’évêque pour obtenir un emploi auprès d’un employeur séculier. Autrement, il perdra son statut. L’évêque refuse de lui donner la permission et de lui confier des fonctions cléricales. La position de la Commission exige que le prestataire choisisse entre le fait de renoncer à son statut de prêtre ou de renoncer aux prestations d’AE.

[4] Dans des circonstances aussi particulières, la question est de savoir ce qui constitue un emploi convenable pour le prestataire. Son statut de prêtre, ses croyances religieuses et les lois de l’Église ont-ils une incidence sur l’issue de cet appel? Le prestataire s’est-il imposé des restrictions indues à sa recherche d’emploi? A-t-il prouvé qu’il faisait des démarches habituelles et raisonnables pour trouver un emploi convenable?

Questions préliminaires

[5] Les faits et questions en l’espèce soulèvent la possibilité de contester, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, l’interprétation et l’application de la législation sur l’AE. Le prestataire a fait appel au processus du Tribunal pour traiter une contestation fondée sur la Charte. Un délai est à prévoir étant donné que le gouvernement fédéral doit être avisé de la contestation, et le cas doit être assigné à un membre désigné du Tribunal. Une documentation complète est nécessaire pour procéder à la contestation. Il serait dans l'intérêt primordial du prestataire de faire appel à une représentante ou un représentant juridique. En raison du délai et des coûts associés, le prestataire a choisi de poursuivre l’appel tel quel, plutôt que de procéder à une contestation fondée sur la Charte.

[6] Le prestataire a déposé des documents après l’audience. Le 28 novembre 2019, le Tribunal en a envoyé des copies à la Commission, et lui a donné jusqu’au 10 décembre 2019 pour y répondre. La Commission n’a fourni aucune réponse avant que la décision ne soit rendue.

Question en litige

[7] Le prestataire était-il disponible pour travailler?

Analyse

Démarches habituelles et raisonnables pour trouver un emploi convenable

[8] Selon deux différents articles de la loi, toute partie prestataire doit montrer qu’elle est disponible pour travaillerNote de bas de page 2. La Commission a déterminé que le prestataire n’était pas admissible au bénéfice des prestations au titre de ces deux articles. En rendant sa décision, la Commission n’a pas examiné la question de savoir ce qui constitue un emploi convenable pour le prestataire dans sa situation. J’examinerai d’abord cette question, puis je déterminerai si le prestataire a prouvé que ses démarches pour trouver un tel emploi sont habituelles et raisonnablesNote de bas de page 3.

Qu’est-ce qu’un emploi convenable dans cette situation?

[9] La loi prévoit des critères dont je dois tenir compte pour déterminer ce qui constitue un emploi convenable. La Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) définit partiellement ce qu’est un emploi convenable, et fait référence aux circonstances personnelles d’une partie prestataireNote de bas de page 4. Depuis que l’arrêt Whiffen a été rendu, le Parlement a modifié la Loi sur l’AE pour y ajouter des critères explicites visant à déterminer ce qui constitue un emploi convenable. Le critère pertinent en l’espèce est le suivant : la nature du travail n’est pas contraire aux convictions morales ou aux croyances religieuses de la partie prestataireNote de bas de page 5.

[10] Tout emploi (à l’exception d’un travail indépendant) obtenu en dehors de l’Église sans la permission de l’évêque ne constitue pas un emploi convenable pour le prestataire. Un tel emploi serait contraire à ses croyances religieuses.

[11] Le prestataire fait partie du ministère de l’Église catholique romaine depuis 35 ans. Il est membre du clergé depuis 27 ans et prêtre ordonné depuis 26 ans. Il est un prêtre diocésain séculier, plutôt qu’un membre d’un ordre religieux. Il s’agit de sa vocation, et il souhaite poursuivre dans cette voie. Il œuvre au sein du diocèse X depuis 1992. Il a occupé différentes fonctions de nature religieuse pour des organismes de charité, comme l’hôpital général de Sudbury, et a participé à la Conférence des évêques catholiques du Canada à Ottawa de 2013 à 2018. Il avait besoin de la permission de l’ancien évêque pour travailler dans le cadre de la Conférence, et il l’a obtenue. Il est ensuite retourné travailler au sein du diocèse le 1er septembre 2018. Le diocèse a produit un relevé d’emploi qui indiquait que le dernier jour de paie du prestataire était le 17 mai 2019. La raison invoquée était la suivante : [traduction] « Non-respect (désobéissance) envers l’employeur (évêque) entraînant l’impossibilité d’exécution du contrat de travail ».

[12] Lorsque le prestataire est retourné travailler au diocèse en septembre 2018, un nouvel évêque (évêque A) qu’il ne connaissait pas avait pris la relève. En mai 2018, l’évêque A a affecté le prestataire à un poste à Sudbury à compter du 1er septembre 2018. Un mois avant l’entrée en fonction du prestataire, l’évêque A a annulé l’affectation sans donner la moindre raison. Il n’a confié aucune autre fonction au prestataire, mais a continué de lui verser son salaire. L’évêque A a exigé que le prestataire se rende dans un centre de traitement en raison d’une plainte selon laquelle il était [traduction] « toxique, colérique et menaçant ». L’évêque A a refusé de divulguer tout renseignement à propos de la plainte ou de la procédure à suivre. En août 2018, l’évêque A a fait de nombreuses déclarations fausses ou trompeuses concernant les médias électroniques du prestataire en diffusant des lettres à grande échelle et en abordant le sujet en personne. Il a discuté avec les membres de la paroisse avec lesquels le prestataire devait travailler. Comme le prestataire avait déjà travaillé dans cette paroisse par le passé, les paroissiennes et paroissiens le connaissaient. À la demande du prestataire, une canoniste a écrit à l’évêque en octobre 2018. Elle a notamment indiqué que le prestataire avait le droit de consulter toute documentation ayant servi à l’évêque pour prendre sa décision. L’évêque n’a pas répondu à la lettre et n’a pas permis au prestataire de voir les documents liés à sa décision. En novembre 2018, l’évêque A a autorisé un autre prêtre à parler au prestataire des allégations datant d’il y a 25 ans selon lesquelles le prestataire était [traduction] « toxique, colérique et menaçant ». Ces allégations avaient été faites par une personne qui avait travaillé au diocèse. Cette personne avait été sanctionnée par le diocèse en raison de problèmes liés au travail. Le prestataire n’avait pas été sanctionné concernant ces allégations. L’évêque A a accepté la plainte telle quelle, sans mener d’enquête. Le prestataire a demandé un avis médical pour contredire les allégations selon lesquelles il était [traduction] « toxique, colérique et menaçant ». Il a donné à l’évêque A une copie du résumé de cet avis au début d’avril 2019. Vers la fin-avril, l’évêque A a émis une ordonnance exigeant une copie du rapport complet, sans imposer de restrictions quant à qui pouvait la consulter ou la distribuer. Cette ordonnance mettait également fin à la rémunération du prestataire, sans la moindre raison. Le prestataire a porté plainte auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario. Il a également interjeté appel des mesures prises par l’évêque A devant la Congrégation pour le clergé à Rome en juin 2019. La Congrégation a ordonné à l’évêque A d’annuler son ordonnance d’avril 2019, ce qu’il a fait le 1er octobre 2019. Le même jour, l’évêque a écrit au prestataire pour confirmer l’annulation de l’ordonnance. Il a également précisé ce qui suit : [traduction] « Je ne peux pas continuer à vous verser une rémunération réservée aux personnes qui occupent des fonctions ecclésiastiques ». L’évêque A continue d’appliquer une partie de l’ordonnance qu’il vient d’annuler et se justifie sur le fondement que le prestataire n’occupe pas de fonctions ecclésiastiques. C’est l’évêque A qui décide si le prestataire assume de telles fonctions ou non. L’évêque a ajouté que le diocèse verserait 1 000,00 $ par mois comme [traduction] « moyen de subsistance raisonnable et juste conformément à la politique diocésaine ». De plus, il a précisé qu’il demeurait ouvert à une réunion pour discuter des mesures appropriées afin de régler leurs différends. Il n’est pas nécessaire de faire d’autres liens avec les détails du désaccord entre le prestataire et l’évêque A. Les renseignements généraux précédemment mentionnés sont pertinents pour étudier la question d’un emploi convenable.

[13] Le prestataire doit maintenant attendre que l’évêque A l’affecte à de nouvelles fonctions ecclésiastiques ou qu’il lui donne la permission de changer de diocèse ou de trouver un emploi en dehors de l’Église. Selon la lettre que l’évêque a envoyée au prestataire le 1er octobre 2019, ces options sont sur la glace pour une durée indéterminée. Voilà maintenant plus d’un an que l’affectation du prestataire a été annulée. Le prestataire demeure un prêtre en règle, disposé et apte à remplir toutes ses fonctions ecclésiastiques. Il lui manque seulement une affectation ou une permission, ce qui le laisse à la merci de l’évêque A. Ses autres options seraient de trouver un emploi séculier sans la permission de l’évêque A et d’être exclu du clergé, ou de quitter le clergé de son plein gré.

[14] Le prestataire a déclaré que les lois de l’Église interdisent à tout prêtre d’occuper un emploi en dehors de l’Église sans la permission de l’évêque. Les canons invoqués par le prestataire ne prévoient pas expressément cela. Toutefois, les canons appuient cette déclaration. Ils prévoient un certain nombre d’activités précises auxquelles les membres du clergé ne sont pas autorisés à participer ni même avec l’approbation de l’autorité ecclésiastique. Parmi celles-ci, les fonctions publiques, les affaires ou le commerce, ou toute fonction nécessitant l’obligation de rendre des comptes. Les canons prévoient également que le mandat principal des membres du clergé est de remplir fidèlement et inlassablement les obligations d’un ministère pastoral. Par conséquent, le prestataire n’est pas libre d’occuper un emploi en dehors de l’Église à moins d’obtenir la permission de l’évêque A. Le prestataire a déclaré que cette interdiction a été interprétée de sorte qu’elle ne s’applique pas au travail indépendant, afin qu’il puisse travailler pour Uber sans risquer de perdre son statut au sein de l’Église. Toutefois, cette interprétation n’est pas certaine. Le prestataire a déclaré que s’il accepte un emploi en dehors de l’Église sans la permission de l’évêque, il peut être révoqué. L’un des canons invoqués par le prestataire prévoit la révocation par décret administratif ainsi que d’autres méthodes. Une fois révoqué, il est très difficile de recevoir de nouveau la prêtrise. Selon l’un des canons invoqués par le prestataire, la seule façon d’admettre de nouveau une personne au sein du clergé est au moyen d’un rescrit du Saint-Siège. L’autre option pour occuper un emploi serait de quitter le clergé. Le prestataire n’est pas prêt à laisser tomber l’œuvre de sa vie.

[15] Pour déterminer en l’espèce ce qui constitue un emploi convenable, il faut que « la nature du travail [ne soit] pas contraire aux convictions morales ou aux croyances religieuses du prestataire ». Le fait d’exiger le prestataire à obtenir un emploi en dehors de l’Église (plutôt qu’un travail indépendant) sans la permission de l’évêque, tout en risquant d’être exclu du clergé, serait contraire à ses croyances religieuses. Le prestataire est prêtre catholique romain depuis 26 ans. Il demeure en règle et est prêt à reprendre ses fonctions de prêtre dès que l’évêque lui confiera une nouvelle affectation. Contrairement à un employé ordinaire, le prestataire ne peut pas être muté dans une autre section du diocèse sans la permission de l’évêque A. Être un prêtre est sa vocation et l’œuvre de sa vie. Il souhaite poursuivre dans cette voie. Selon le canon, les membres du clergé « sont tenus par un motif particulier à poursuivre la sainteté » et « ils sont les dispensateurs des mystères de Dieu au service de son peuple ». Pour être en mesure de parvenir à cette perfection (tel que formulé dans le canon), « tout d’abord, ils rempliront fidèlement et inlassablement les obligations du ministère pastoral ». Les croyances religieuses du prestataire comprennent son statut de prêtre en tant que dispensateur des mystères de Dieu ainsi que son rôle de prêtre dans l’accomplissement des obligations du ministère pastoral. Le fait d’exiger le prestataire à obtenir un emploi en dehors de l’Église sans la permission de l’évêque serait contraire à ses croyances religieuses. Il risquerait d’être révoqué et de perdre son statut de prêtre. Les mesures prises par l’évêque A à ce jour permettent d’en venir à la conclusion qu’il révoquerait le prestataire si l’occasion se présentait. Par conséquent, tout emploi non approuvé par l’évêque ne constitue pas un emploi convenable pour le prestataire dans cette situation. Cette conclusion n’est pas fondée sur une vision uniquement subjective des circonstances du point de vue du prestataire. La conclusion est également objective, en ce sens que d’autres prêtres catholiques romains dans une situation semblable et assujettis aux canons de l’Église mentionnés précédemment se trouvaient soumis aux mêmes contraintes concernant un emploi convenable. Ils étaient eux aussi soumis à cette restriction selon laquelle la nature du travail ne doit pas être contraire aux convictions morales ou aux croyances religieuses de la partie prestataire. Ces éléments distinguent également cette situation du cas habituel dans lequel une partie prestataire est libre d’occuper divers emplois, mais se limite à certains emplois plus restreints que ce qui constitue un emploi convenable dans les circonstances.

Les démarches du prestataire étaient-elles habituelles et raisonnables?

[16] La loi énonce également les critères que je dois prendre en considération pour déterminer si les démarches du prestataire étaient habituelles et raisonnablesNote de bas de page 6. Les exigences prévues à l’article 9.001 du Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement sur l’AE) doivent être lues conjointement avec les articles 50(8) et 18(1)(b) de la Loi sur l’AENote de bas de page 7. L’ensemble de ces dispositions aborde le concept de l’emploi convenable. Un « emploi convenable » est le facteur déterminant dans chacune de ces dispositions. Je dois déterminer si les démarches du prestataire étaient soutenues et si elles étaient destinées à trouver un emploi convenable. Je dois également tenir compte des efforts du prestataire dans les activités de recherche d’emploi suivantes : évaluer les possibilités d’emploi; rédiger un curriculum vitæ ou une lettre de présentation; s’inscrire à des outils de recherche d’emploi ou auprès de banques d’emplois électroniques ou d’agences de placement; participer à des ateliers sur la recherche d’emploi ou à des salons de l’emploi; faire du réseautage; communiquer avec des employeurs éventuels; présenter des demandes d’emploi; participer à des entrevues; et participer à des évaluations des compétences. Ces activités doivent toutefois être prises en considération dans le contexte d’un emploi convenable.

[17] La Commission affirme que le prestataire n’a pas fait assez de démarches pour tenter de trouver un emploi. Le prestataire n’est pas d’accord. Il dit que ses démarches étaient suffisantes pour prouver qu’il était disponible pour travailler. J’estime qu’après avoir tenu compte de la question de savoir ce qui constitue un emploi convenable pour le prestataire, celui-ci a démontré qu’il faisait des démarches habituelles et raisonnables pour trouver un emploi convenable.

[18] Le premier critère pour évaluer si les démarches sont habituelles et raisonnables est celui de savoir si elles sont soutenues. Les démarches du prestataire étaient soutenues, dans les limites d’un emploi convenable. Le prestataire tente de régler ses problèmes avec l’évêque A depuis août 2018, date à laquelle l’évêque a annulé son affectation et a depuis refusé de lui confier d’autres fonctions ou de lui donner la permission d’occuper un emploi en dehors de l’Église. Les tentatives du prestataire de résoudre les problèmes ont pour objectif de décrocher un emploi convenable en obtenant une affectation ou la permission de l’évêque. Le prestataire a tenté en vain de régler les problèmes directement avec l’évêque. Il a ensuite porté plainte auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario avant d’interjeter appel devant la Congrégation pour le clergé à Rome. L’appel a abouti à un ordre de Rome à l’évêque A d’annuler son ordonnance. L’évêque a laissé tomber sa demande d’un rapport psychologique, mais n’a pas rétabli la rémunération du prestataire. Il a plutôt réduit son allocation de subsistance. Selon la lettre que l’évêque a envoyée au prestataire le 1er octobre 2019, il est clair que l’évêque refuse toujours de confier de nouvelles fonctions au prestataire ou de lui donner la permission d’occuper un emploi ailleurs. Le prestataire poursuit ses efforts.

[19] Le prestataire a également fait des démarches soutenues pour obtenir un emploi convenable chez Uber. Cet emploi est un travail indépendant. Un tel travail est conforme au canon invoqué par le prestataire, qui recommande fortement une certaine pratique de la vie commune aux membres du clergé. Un travail indépendant est un emploi convenable, comme mentionné précédemment. Le prestataire n’est pas un employé d’Uber. Il est un entrepreneur indépendant. Il exerce ce travail depuis septembre 2018. Lorsque l’évêque a cessé de lui verser une rémunération en mai 2019, le prestataire a offert ses services de conducteur à temps plein. Il doit être en communication avec Uber chaque jour de travail pour pouvoir exercer ses fonctions. Cela suffit à montrer que le prestataire a fait des démarches soutenues pas seulement pour trouver un emploi convenable, mais aussi pour obtenir du travail tous les jours.

[20] Le deuxième critère pour évaluer si les démarches sont habituelles et raisonnables consiste à savoir si les démarches du prestataire pour obtenir un emploi convenable visaient une liste d’activités précisées à l’article 9.001(b) du Règlement sur l’AE. Le prestataire ne remplit pas expressément ce critère, à une exception près. Toutefois, il satisfait au critère pour les motifs énoncés ci-dessous. Le prestataire a déclaré qu’il n’a pas effectué les activités de cette liste en vue de trouver un emploi en dehors de l’Église. Il a plutôt tenté de résoudre les problèmes avec l’évêque A pour qu’il puisse occuper un emploi au sein de l’Église ou en dehors de celle-ci avec la permission de l’évêque. Le prestataire n’y est pas encore parvenu. Il travaille également comme conducteur Uber depuis septembre 2018. Lorsque l’Église a cessé de lui verser un salaire en mai 2019, le prestataire a commencé à travailler à temps plein chez Uber. Il doit être en communication régulière avec Uber pour pouvoir exercer ses fonctions. Ces efforts ne relèvent d’aucune des conditions expressément énoncées à l’article 9.001(b) du Règlement sur l’AE. L’exception est prévue à l’article 9.001(b)(i) : « évaluation des possibilités d’emploi ». Le fait que le prestataire communique quotidiennement avec Uber pour obtenir du travail peut être considéré comme une évaluation des possibilités d’emploi. Compte tenu des circonstances particulières en l’espèce, des restrictions concernant l’emploi convenable pour le prestataire qui sont énoncées dans le Règlement sur l’AE et du libellé de l’article 9.001 axé sur les démarches visant à obtenir un emploi convenable, la liste des activités prévues ne s’applique pas à la situation du prestataire puisqu’il ne peut pas être à la recherche de l’emploi traditionnel visé par ces activités sans aller à l’encontre de ses croyances religieuses. Cette conclusion s’applique aux démarches habituelles et raisonnables.

[21] Cette conclusion est appuyée par la Déclaration canadienne des droitsNote de bas de page 8, qui reconnaît qu’il existe divers droits de la personne et libertés fondamentales, comme la liberté et la religion. Ces droits et libertés n’autorisent aucune discrimination fondée sur la race, la nationalité, la couleur, la religion ou le sexe. Contrairement à la Charte, la Déclaration canadienne des droits ne s’applique qu’aux lois fédérales. Elle exige que ces lois soient interprétées de manière à ne pas faire de discrimination à l’égard des motifs mentionnés précédemment. La règle d’interprétation des lois fédérales est prévue à l’article 2 :

Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier […].

L’application des exigences prévues à l’article 9.001(b) au prestataire autoriserait la diminution ou la transgression de sa liberté de religion en l’obligeant à participer aux activités afin d’obtenir un emploi régulier en dehors de l’Église et à accepter un emploi qui lui serait offert. La législation sur l’AE doit donc être interprétée de sorte à assouplir les exigences liées aux démarches habituelles et raisonnables pour permettre au prestataire d’y satisfaire en occupant un emploi convenable dans sa situation.

[22] Le troisième critère pour évaluer si les démarches sont habituelles et raisonnables consiste à savoir si elles visent à obtenir un emploi convenable. Le prestataire remplit ce critère. Un emploi convenable dans son cas est un emploi au sein de l’Église ou en dehors de celle-ci avec la permission de l’évêque A, ou un travail indépendant. Le prestataire choisit ces options en tentant de régler la situation avec l’évêque A et en exerçant un travail indépendant chez Uber.

[23] Par conséquent, le prestataire est admissible aux prestations d’AE au titre de l’article 50(8) de la Loi sur l’AE.

[24] Le prestataire a prouvé que ses démarches pour trouver un emploi étaient habituelles et raisonnables, compte tenu des circonstances très inhabituelles en l’espèce.

Capable de travailler et disponible à cette fin et incapable d’obtenir un emploi convenable

[25] Je dois aussi examiner si le prestataire a prouvé qu’il est capable de travailler et disponible à cette fin et incapable d’obtenir un emploi convenableNote de bas de page 9. Le prestataire doit prouver trois éléments pour montrer qu’il était disponible au titre de cet article :

  1. le désir de retourner sur le marché du travail aussitôt qu’un emploi convenable lui est offert;
  2. la manifestation de ce désir par des démarches pour se trouver un emploi convenable;
  3. l’absence de conditions personnelles pouvant limiter indûment ses chances de retourner sur le marché du travailNote de bas de page 10.

[26] Je dois tenir compte de tous ces facteurs pour trancher la question relative à la disponibilitéNote de bas de page 11, tout en examinant l’attitude et la conduite du prestataireNote de bas de page 12.

Le prestataire désirait-il retourner sur le marché du travail aussitôt qu’un emploi convenable lui était offert?

[27] Le prestataire a manifesté le désir de retourner sur le marché du travail aussitôt qu’un emploi convenable lui était offert. Il a déclaré qu’il retournerait travailler en tant que prêtre dès que l’évêque l’autoriserait à exercer ces fonctions. Ce témoignage est confirmé par ses contacts avec l’évêque A, à la fois directement et en faisant appel à des autorités extérieures, pour pouvoir exercer des fonctions cléricales. Le prestataire a également manifesté son désir de retourner sur le marché du travail en travaillant pour Uber, en élargissant ses fonctions et en conservant son travail.

Le prestataire a-t-il fait des démarches pour trouver un emploi convenable?

[28] Le prestataire a fait suffisamment de démarches pour trouver un emploi convenable. Il a notamment tenté de régler les problèmes avec l’évêque A et géré son travail chez Uber. Ces démarches ont été suffisantes pour répondre aux exigences de ce deuxième facteur, étant donné que le prestataire ne pouvait pas faire grand-chose de plus. Il ne pouvait pas occuper un emploi régulier en dehors de l’Église sans risquer de perdre son statut de prêtre et d’aller à l’encontre de ses croyances religieuses. Son travail indépendant chez Uber l’occupait à plein temps. Il serait déraisonnable d’exiger que le prestataire occupe un autre travail indépendant.

Le prestataire a-t-il établi des conditions personnelles pouvant limiter indûment ses chances de retourner sur le marché du travail?

[29] Le prestataire n’a pas établi de conditions personnelles pouvant limiter indûment ses chances de retourner sur le marché du travail. J’estime que les restrictions en l’espèce sur ce qui constitue un emploi convenable ne sont pas des conditions personnelles au sens de ce facteur. Généralement, toute restriction déraisonnable imposée par une partie prestataire concernant des éléments comme le type de travail, le salaire souhaité ou la zone géographique de l’emploi, est une condition personnelle qui montre que la personne n’est pas disponible pour travailler. Le fait que le prestataire se limite à un emploi convenable restreint comme énoncé précédemment ne constitue pas une restriction déraisonnable, car autrement, il risquerait de perdre son statut de prêtre et d’aller à l’encontre de ses croyances religieuses. Le prestataire a également prouvé qu’il ne fixe aucune condition personnelle ni restriction déraisonnable pour trouver un emploi convenable en conservant un travail indépendant chez Uber.

[30] Dans un échange avec le prestataire le 23 septembre 2019, la Commission lui a dit [traduction] « que généralement, si une partie prestataire ne peut pas continuer à travailler parce qu’elle a perdu son accréditation, sa licence ou son permis, elle ne peut pas prouver sa disponibilité à moins de montrer qu’elle est à la recherche d’un emploi dans d’autres domaines pour lesquels elle est qualifiée ». Cette déclaration est erronée à deux égards. Premièrement, elle contient des erreurs de fait. Le prestataire n’a pas perdu son [traduction] « accréditation, [sa] licence ou [son] permis ». Il jouit d’un statut de prêtre et demeure en bonne posture. Le seul obstacle se dressant devant lui pour exercer ses fonctions de prêtre ou pour travailler en dehors de l’Église est l’évêque A, qui refuse de lui confier une affectation ou de lui donner la permission d’occuper un emploi en dehors de l’Église. Deuxièmement, la déclaration précise que la Commission n’a pas examiné la question relative à l’emploi convenable pour le prestataire, plus précisément si l’emploi en dehors de son domaine était contraire à ses convictions morales ou à ses croyances religieuses.

[31] La Commission s’est également fiée à un arrêt pour appuyer sa position concernant les conditions personnelles pouvant limiter indûment le retour sur le marché du travailNote de bas de page 13. Selon l’arrêt, la question de la disponibilité est objective et le fait de savoir si une partie prestataire est suffisamment disponible pour occuper un emploi convenable « ne peut être [subordonné] aux raisons particulières, quelque compassion qu’elles puissent susciter, pour lesquelles [une partie] prestataire impose des restrictions à sa disponibilité ». Le problème du recours à cet arrêt est que la Commission n’a pas examiné ce qui constituait un emploi convenable. Elle a fait référence à un emploi convenable et a reproduit l’article 9.002(1) du Règlement sur l’AE dans ses observations. Cet article du Règlement sur l’AE a été adopté en 2012, après que la Commission a invoqué l’arrêt. Cet article modifie l’énoncé général de l’arrêt. La Commission n’a pas évalué les circonstances du prestataire au titre de cet article du Règlement sur l’AE, même si elle était au courant de sa situation. Elle a qualifié l’affaire comme si le prestataire avait choisi de [traduction] « décrire le fond de sa plainte contre son employeur et avait démontré que ses démarches étaient axées sur le retour au ministère dont [il] semble exclu dans un avenir prévisible ». La Commission a estimé que cela n’avait rien à voir avec la question de la disponibilité. Elle a simplement présumé que le prestataire était libre d’accepter n’importe quel travail, sans aborder le caractère convenable de l’emploi. Comme mentionné précédemment, dans pareille situation, le statut de prêtre en règle du prestataire, ses croyances religieuses et l’article 9.002(1)(c) du Règlement sur l’AE limitent ce qui constitue un emploi convenable en l’espèce. Cette restriction ne constitue pas une condition personnelle ni une restriction relevant de la troisième rubrique en l’espèce. Cette conclusion est également appuyée par la Déclaration canadienne des droits, mentionnée précédemment.

[32] Compte tenu de mes conclusions sur chacun des trois facteurs, j’estime que le prestataire a montré qu’il était capable de travailler et disponible à cette fin et incapable d’obtenir un emploi convenableNote de bas de page 14.

Conclusion

[33] Je conclus que le prestataire est admissible au bénéfice des prestations. L’appel est donc accueilli.

 

Date de l’audience :

Le 26 novembre 2019

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

T. F., appelant

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