Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L'appelant, B. E. (prestataire), a quitté son emploi en raison des plans de restructuration de son employeur et parce qu’il croyait que les changements donneraient lieu à une réduction importante de sa rémunération et à une modification importante de ses fonctions. Le prestataire a dit à l’employeur qu’il considérait avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé.

[3] Il a présenté une demande de prestations d’assurance‑emploi que l’intimée, la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (la Commission), a rejetée. Cette dernière a conclu qu’il n’était pas fondé à quitter volontairement son emploi et a maintenu cette décision lorsque le prestataire en a demandé la révision. Le prestataire a interjeté appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, mais sans succès. Il interjette maintenant appel devant la division d’appel.

[4] L’appel est rejeté. J’admets que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a jugé que la rémunération du prestataire ne serait pas sensiblement réduite. J’ai remédié à cette erreur, mais j’arrive encore à la même conclusion que la division générale. Le prestataire n’était pas fondé à quitter volontairement son emploi au moment où il l’a fait.

Quels sont les moyens que je peux prendre en considération?

[5] La division d’appel ne peut modifier une décision de la division générale que si elle conclut que cette dernière a commis l’un des types d’erreurs décrits par les « moyens d’appel » énoncés au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

[6] Les « moyens d’appel » s’entendent des raisons d’interjeter appel. Je ne suis habilité qu’à déterminer si la division générale a commis l’un de ces types d’erreursNote de bas page 1 :

  1. La division générale n’a pas respecté l’équité procédurale.
  2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher. Ou encore, elle a pris une décision qu’elle n’avait pas le pouvoir de prendre.
  3. La division générale a commis une erreur de droit en rendant sa décision.
  4. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait grave.

Questions en litige dans la présente affaire

[7] La division générale a-t-elle agi de façon inéquitable lorsqu’elle s’est fondée sur des éléments de preuve qui n’ont pas été fournis au prestataire?

[8] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que le prestataire n’avait pas subi une réduction salariale importante parce que cette réduction découlait d’une décision d’affaires?

[9] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que le prestataire n’avait subi aucune réduction salariale parce que celle‑ci se rapportait à une modification du quart de travail?

[10] La division générale a-t-elle commis une erreur de fait importante lorsqu’elle a accepté les opinions de l’employeur plutôt que la preuve documentaire du prestataire?

[11] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a omis de tenir compte de la question du congédiement déguisé?

[12] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a omis de considérer comme une circonstance pertinente le fait que le prestataire devait agir rapidement aux fins d’une poursuite pour congédiement déguisé?

Analyse

Le processus était-il équitable?

[13] Dans sa demande de permission d’en appeler, le prestataire a contesté la décision de la division générale de se fonder sur des déclarations de l’employeur. Le prestataire a dit qu’il n’avait pas la transcription de ces déclarations et qu’il ne connaissait pas l’identité de la personne à laquelle la division générale s’était fiée. Dans ses observations, le prestataire a dit de cette personne qu’elle était une « personne‑ressource mystère ».

[14] Pour rendre sa décision, la division générale s’est appuyée sur la preuve provenant d’un enregistrement audio d’une conversation tenue entre le prestataire et son superviseur, qui a été déposé en preuveNote de bas page 2. Lorsque j’ai accordé l’autorisation, j’ai présumé que c’était l’enregistrement dont le prestataire exigeait une transcription. J’ai cru comprendre que cet enregistrement audio pouvait avoir représenté une partie d’une conversation tenue, d’une certaine façon, à titre de conférence préparatoire. Pour ce motif, j’ai admis que l’on pouvait soutenir que le prestataire pourrait ne pas avoir eu l’occasion adéquate d’expliquer ou de contester cet enregistrement.

[15] Cependant, dans ses observations, la Commission indique clairement que cet enregistrement lui a été fourni par le prestataire lui‑même et qu’elle l’a ensuite transmis au Tribunal. Le prestataire a confirmé devant la division d’appel qu’il est celui qui a enregistré cette conversation qu’il a eue avec son superviseur et que l’enregistrement faisait partie du dossier parce qu’il l’avait remis à la Commission initialement.

[16] Devant la division d’appel, le prestataire a renvoyé au paragraphe 13 de la décision de la division générale et expliqué que sa véritable préoccupation tenait au fait qu’il y avait un autre « mandataire de l’employeur » qui avait donné à la division générale des renseignements sur lesquels elle s’était fondée pour nier sa crédibilité. Lorsqu’il mentionne tout au long de ses observations que la division générale s’est fiée à une « personne‑ressource mystère », le prestataire fait référence au mandataire décrit par la division générale au paragraphe 13.

[17] Je ne crois pas que la division générale ait obtenu des éléments de preuve qui ne figuraient pas au dossier ni qu’elle se soit fondée sur ces éléments. Je conclus que la division générale s’est fondée uniquement, comme elle se devait de le faire, sur la preuve qui a été produite par le prestataire ou sur celle qui a été produite par la Commission et qui a été divulguée au prestataire. La division générale a déclaré que le superviseur du prestataire a dit (dans l’enregistrement audioNote de bas page 3) que la fusion du service du prestataire n’avait pas été finalisée et qu’il s’agissait d’un processus étape par étape qui pourrait se dérouler dans un, deux ou trois ans. La division générale a déclaré que cette preuve était conforme à ce que le mandataire de l’employeur a dit à la Commission.

[18] Le dossier de la Commission comprenait des notes d’une conversation tenue entre la Commission et « R. » chez l’employeur du prestataireNote de bas page 4. R. a dit à la Commission que le service du prestataire n’avait pas encore été modifié et que la date à laquelle l’on prévoyait effectuer des modifications n’avait pas été fixée. Le prestataire a confirmé devant la division d’appel que R. travaille pour le service des ressources humaines de l’employeurNote de bas page 5.

[19] Le prestataire ne croit pas que R. soit le mandataire de l’employeur auquel la division générale faisait référence. Toutefois, la déclaration de R. est la plus importante des deux déclarations de l’employeur figurant dans le dossier. Cette déclaration semble être « compatible » avec ce que la division générale a cru comprendre des propos tenus par le superviseur lors de la conversation enregistrée.

[20] En outre, il serait tout à fait inapproprié pour la division générale de chercher ou de recevoir des éléments de preuve qui ne figuraient pas dans le dossier de la preuve, et encore plus de ne pas divulguer qu’elle se fonde sur de tels éléments de preuve. Le prestataire n’a aucune raison de croire que la division générale s’est fondée sur une source non divulguée, si ce n’est qu’il a affirmé que les notes de la conversation avec R. ne sont pas suffisamment importantes. Je dois présumer que la division générale a agi de façon correcte et appropriée.

[21] Je conclus que la division générale faisait référence à la déclaration de R., qui figurait au dossier et qui a été communiquée au prestataire. Le prestataire n’a pas démontré que la division générale a agi de façon inéquitable en s’appuyant sur cette déclaration.

Y a-t-il eu une importante réduction salariale?

[22] Le prestataire a fait valoir que le fait que son salaire a été réduit en raison d’un changement dans les besoins opérationnels n’était pas pertinent. Il a soutenu que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu qu’il n’avait pas subi de modification importante pour cette raison.

[23] Toutefois, le lien entre la réduction salariale et les besoins opérationnels de l’employeur n’était pas la raison pour laquelle on a conclu que le prestataire ne subirait pas une modification importante. Le prestataire a dit être d’avis que la division générale avait admis qu’il a subi une réduction de salaire de 10 %, mais il se trompe. La division générale a conclu qu’il n’y avait eu aucune réduction de salaireNote de bas page 6.

[24] La division générale a cependant fait remarquer que, si une réduction de 10 % avait eu lieu dans l’intérêt des besoins opérationnels, elle ne considérerait pas celle‑ci comme étant importante. Le prestataire a fait valoir qu’une réduction salariale de 10 % est une réduction salariale sensible et donc, manifestement, importante. Toutefois, la division générale n’avait pas à déterminer si une réduction de salaire de 10 % serait suffisante pour être considérée comme étant importante parce qu’elle avait déjà conclu qu’il n’y avait pas eu de réduction.

Qu’est-ce qui constitue une réduction de salaire?

[25] Il s’agit maintenant de déterminer si la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait pas eu de réduction de salaire. La division générale a déclaré que l’employeur n’avait pas réduit la paye du prestataire [traduction] « parce que le prestataire a dit à la Commission que la réduction de sa paye était attribuable au changement de quart ». Le prestataire a fait valoir que la division générale a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’effet de la perte de sa prime de quart sur sa paye. Il soutient que la raison de la réduction de salaire n’a pas d’importance : la perte de la prime de quart aurait pour effet de réduire sa rémunération totale. En d’autres termes, le prestataire soutient que la division générale s’est appuyée sur une considération non pertinente.

[26] J’admets que la division générale n’a pas tenu compte de la perte potentielle de rémunération du prestataire parce qu’elle était liée à un changement de quart. La division générale a formulé les commentaires suivants, qui laissent entendre qu’elle s’est concentrée sur la nature de la réduction salariale et non sur la question de savoir si la réduction était importante :

  • [traduction] « l’employeur était en droit de s’organiser dans l’intérêt de ses besoins opérationnels »;
  • [traduction] « il n’y a aucune preuve […] que le salaire [du prestataire] serait réduit par suite de la fusion des équipes chargées du STP et du SSPNote de bas page 7 »;
  • [traduction] « la réduction salariale était attribuable au changement de quart »;
  • [traduction] « Je ne crois pas qu’[une réduction salariale de 10 % attribuable à la perte de la prime de quart], qui a été effectuée dans l’intérêt des besoins opérationnels, représente un changement important. »

[27] Le prestataire n’a pas choisi de renoncer à la prime de quart tardif. Il a déclaré à la division générale qu’il avait été affecté de façon permanente au quart de travail tardif depuis son embauche jusqu’à son départ de chez l’employeurNote de bas page 8. Peu avant de démissionner, le prestataire a été invité à indiquer dans un formulaire les quarts de travail qu’il préférait. Ses premier et deuxième choix étaient les quarts allant de 13 h 30 à 22 h 00. La prime de quart de 10 % était appliquée à l’égard des quarts au cours desquels un employé travaillait quatre heures ou plus après 17 hNote de bas page 9. Dans sa réponse au courriel de l’employeur auquel était joint le formulaire de sélection des quarts, il a indiqué qu’il [traduction] « préférait tenir intacte [sa] prime de quart de travail »Note de bas page 10.

[28] Lorsque l’employeur a demandé à ses employés de lui faire part de leurs préférences en matière de quarts de travail, il se peut fort bien qu’il ait alors planifié d’imposer un nouvel horaire de quarts de travail. Si l’employeur avait donné au prestataire les quarts de travail qu’il avait choisis, le prestataire aurait pu maintenir sa prime de quart. Toutefois, la division générale a admis que le prestataire s’était fait dire qu’il serait affecté à un quart de jourNote de bas page 11. Si le prestataire avait été affecté au quart de jour comme il s’y attendait, il n’aurait pas eu droit à la prime de 10 %.

[29] Je suis d’accord avec le prestataire pour dire que le fait que la perte salariale qu’il allègue avoir subie ou qu’il a anticipée est liée à un changement de quart n’est pas pertinent. Le fait que l’employeur ait pu avoir de bonnes raisons d’affaires de modifier l’horaire pourrait être pertinent pour ce qui est de savoir si le prestataire a été incité indûment à partir, mais cela n’a rien à voir avec la question de savoir si les modifications de l’horaire représentent une modification importante des conditions d’emploiNote de bas page 12.

[30] Le sous‑alinéa 29c)(vii) de la Loi sur l’assurance‑emploi exige la prise en compte de toute modification importante des « conditions » qui se rapportent à la rémunération. Le retrait ou la restriction de l’accès du prestataire au quart de travail tardif aurait pour effet de réduire son taux horaire et sa rémunération totale. Par conséquent, une modification de l’horaire du prestataire ayant pour effet de réduire ou de restreindre son accès à la prime de quart constituerait une modification des conditions de son emploi ayant une incidence sur sa rémunération au sens du sous‑alinéa 29c)(vii).

[31] La division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle s’est servie de la nature ou du type de la réduction de la paye du prestataire pour exclure cette réduction de son examen en tant que [traduction] « modification importante de ses conditions de rémunération ».

Opinions ou preuve concrète

[32] Le prestataire a déclaré que la division générale a commis une erreur de fait importante lorsqu’elle a accepté les « opinions » de l’employeur de préférence à ce qu’il qualifie de « preuve concrète ».

[33] Par « opinions », je présume que le prestataire fait référence aux propos tenus par son superviseur lors de la conversation enregistrée qu’ils ont eue, ainsi qu’aux notes se rapportant aux déclarations de l’employeur à la Commission.

[34] Par preuve « concrète », je présume qu’il fait référence aux documents qu’il a présentés, notamment :

  • Un courriel du 10 janvier 2019 du directeur du centre d’appels confirmant que l’équipe de soutien technique aux produits du prestataire et l’équipe de soutien spécialisé aux produits ont été renommées et forment conjointement l’équipe de soutien technique spécialisé.
  • Ce qui semble être une offre d’emploi décrivant les fonctions du poste d’analyste du soutien technique aux produits chez son employeurNote de bas page 13. Dans ses observations, le prestataire parle de « lettre d’entente sur les fonctions »Note de bas page 14.
  • Un échange de courriels du 11 février 2019 confirmant les changements de quart qui lui ont été offerts et sa déclaration selon laquelle il préférait conserver la prime de quartNote de bas page 15.
  • Un état de la rémunération préparé par son employeur, affichant une date de paye du 15 février 2019 et un taux horaire de 24,16 $Note de bas page 16.
  • Un état de la rémunération affichant une date de paye du 15 mars 2019 et un taux horaire de 21,97 $Note de bas page 17.

[35] Le prestataire craint que la division générale ait accepté la preuve de l’employeur concernant l’état de sa restructuration, le rythme du changement et l’incidence des changements apportés dans le lieu de travail sur son emploi et sur sa rémunération. La division générale s’est appuyée sur les déclarations du superviseur du prestataire pour conclure que les équipes du STP et du SSP n’étaient pas fondamentalement différentes compte tenu de leurs fonctions de base. La division générale a également reconnu que les employés continuaient d’assumer le rôle de STP au moment où le prestataire a quitté ses fonctions, que la fusion des deux équipes n’avait pas encore eu lieu et que le rôle du prestataire n’avait pas encore changé.

[36] Le prestataire a soutenu que la division générale aurait dû être tenue de se fonder plutôt sur ce qu’il qualifie de preuve « concrète ». Il croit que sa propre preuve était objectivement véridique et qu’elle contredisait incontestablement la preuve de l’employeur. Essentiellement, le prestataire me demande de conclure que les conclusions de la division générale sur ces questions sont incompatibles avec la preuve et donc erronéesNote de bas page 18.

[37] Toutefois, la preuve documentaire du prestataire n’était pas telle que la division générale n’avait d’autre choix que de souscrire à sa position, comme je l’explique dans les paragraphes suivants :

[38] La décision de l’employeur de regrouper les équipes du STP et du SSP sous un seul nom serait une étape logique dans le cadre de la fusion des fonctions. Toutefois, le changement de nom ne prouve pas que les fonctions aient été fusionnées ou qu’une fusion ait été imminente. Il était loisible à la division générale d’adopter un point de vue différent.

[39] L’offre d’emploi permet de penser que le rôle de l’équipe du STP était différent de celui de l’équipe du SSP. L’offre d’emploi décrit le STP comme un soutien de deuxième niveau. La fonction principale de l’équipe du STP était de soutenir l’équipe du SSP afin que celle‑ci puisse soutenir les utilisateurs finaux. Rien dans l’offre ou dans les observations du prestataire n’empêcherait la division générale de conclure que les fonctions de base du STP étaient uniques ou que le poste était fondamentalement différent du poste de SSP.

[40] Le formulaire de choix des quarts de travail a été distribué le 11 février 2019, selon la date du courriel. Il est fort possible que le moment où ce formulaire a été distribué ait quelque chose à voir avec la planification ou la mise en œuvre du processus de restructuration de l’employeur. Mais il ne permet pas d’établir qu’une fusion des équipes avait déjà eu lieu ou qu’elle était imminente.

[41] Le prestataire a présenté deux états de la rémunération. Le premier est un état régulier de la période de paye du 1er au 15 février 2019. Le deuxième est un état final de la rémunération qui lui a été remis après qu’il eut quitté son emploi le 25 février 2019. Le prestataire a raison de dire que le premier état affiche un taux de rémunération horaire de 24,17 $ (arrondi). Le dernier état affiche un taux de 21,97 $, ce qui représente une réduction de 10 %. Toutefois, comme la division générale l’a fait remarquer, la paye de 1 160,00 $ consignée pour les 48 dernières heures de travail équivaut à un taux de 24,17 $ l’heure. Par conséquent, le prestataire a reçu le taux de prime jusqu’à ce qu’il quitte son emploi, même si l’état final indique le taux de rémunération de base (déduction faite de toute prime de quart). Les relevés de la paye ne permettent pas de conclure de façon irréfutable que le poste du prestataire avait déjà changé ou que sa paye avait été réduite.

[42] La division générale doit tenir compte de tous les éléments de preuve, y compris les déclarations de l’employeur, les déclarations du prestataire et toute preuve documentaire. Il incombe à la division générale de soupeser l’ensemble de cette preuve et de tirer des conclusions de fait. Dans certains cas, cela signifie qu’elle peut devoir préférer certains éléments de preuve à d’autres. Cela n’oblige habituellement pas la division générale à conclure à l’existence d’un mensonge délibéré. Certains éléments de preuve peuvent tout simplement être plus fiables – pour un certain nombre de raisons. En l’espèce, la division générale a dit qu’elle préférait une partie de la preuve de l’employeur aux affirmations du prestataire parce que l’employeur était mieux placé que le prestataire pour comprendre le processus de fusion. À un moment donné, la division générale a expliqué qu’elle avait accordé beaucoup de poids au témoignage du superviseur en raison de son poste de superviseur, de sa participation au processus de planification de la fusion et de sa compréhension des différents aspects de celle‑ciNote de bas page 19.

[43] Manifestement, la division générale a examiné les similitudes et les différences entre les postes des équipes du STP et du SSP et elle n’a pu accepter qu’ils étaient fondamentalement différents. Je ne crois pas que la division générale ait fait fi de la preuve ou qu’elle ait mal compris celle‑ci, et le prestataire ne m’a pas démontré que les conclusions de la division générale sont incompatibles avec la preuve. Par conséquent, je ne puis conclure que la division générale a tiré une conclusion de fait de façon abusive ou arbitraire. Si le prestataire demande à la division d’appel de réévaluer ou de soupeser à nouveau la preuve pour en arriver à une conclusion différente, là n’est pas le rôle de la division d’appel.Note de bas page 20 Je ne suis pas autorisé à le faire.

Congédiement déguisé

[44] Le prestataire a également fait valoir que la réduction de sa paye, ainsi que le changement de ses conditions de travail, prouvaient qu’il avait fait l’objet d’un congédiement déguisé. Par ailleurs, il semble reconnaître que le « congédiement déguisé » est un concept de droit du travail et qu’il ne fait pas appel à l’analyse requise pour déterminer s’il y a « départ volontaire » ou « motif valable » sous le régime de la Loi sur l’assurance‑emploi.

[45] Il y a certains points sur lesquels le congédiement déguisé et le départ volontaire sans motif valable se ressemblent. Le prestataire soutient qu’il ne devrait pas être considéré comme ayant quitté « volontairement » son emploi car, croit‑il, il a fait l’objet d’un congédiement déguisé. Toutefois, les tribunaux ont expliqué que le critère pour déterminer si un prestataire a « volontairement » quitté son emploi est très simple. Selon la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c Peace, la question est de savoir si un prestataire a le choix de rester ou de partirNote de bas page 21. Pas de savoir s’il s’agit d’un choix facile ou clair, mais simplement de savoir s’il s’agit d’un choix. Je comprends que le prestataire ait soutenu que l’affaire Peace avait été tranchée sur le fondement de faits différents. Toutefois, les distinctions factuelles qu’il soulève semblent porter sur la question de savoir si la réduction de salaire de 10 % dans l’affaire Peace était une modification importante. J’ai cité l’affaire Peace à l’appui d’un principe d’application plus générale qui s’applique encore à l’égard des faits de la présente affaire. Le prestataire qui a quitté son emploi alors qu’il aurait pu choisir de rester a quitté volontairement son emploi aux fins de l’assurance‑emploi, même dans les cas où il soutient avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé.

[46] Une fois que la Commission a démontré que le prestataire avait un choix, ce dernier doit prouver qu’il n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi. Ce critère repose sur le fait que l’assurance‑emploi est un régime d’assurance et qu’un assuré ne doit pas accroître inutilement le risque de devoir faire une demande à l’égard de ce régime d’assuranceNote de bas page 22. Le congédiement déguisé est une notion de common law qui vise à empêcher les employeurs de forcer les employés à démissionner pour éviter les coûts de leur licenciement. Il offre aux prestataires ayant fait l’objet d’un congédiement déguisé le droit de réclamer des dommages‑intérêts contre l’employeur.

[47] Le prestataire a soutenu que la division générale avait mal compris le chevauchement entre la notion de congédiement déguisé et les critères de l’assurance‑emploi. Il a raison de dire qu’il y a un certain chevauchement : les circonstances qui sont pertinentes pour déterminer si un prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi pourraient également être pertinentes pour déterminer s’il y a eu congédiement déguisé. La division générale n’était toutefois pas autorisée à déterminer si le prestataire avait fait l’objet d’un congédiement déguisé. Elle n’a examiné que la question de savoir si le prestataire était fondé à quitter son emploi en vertu de la Loi sur l’AE, compte tenu des circonstances ressortant de la preuve et des arguments.

[48] En l’espèce, la division générale a examiné trois circonstances jugées pertinentes selon l’alinéa 29c) de la Loi : elle a déterminé s’il y avait eu une modification importante des conditions de rémunération du prestataireNote de bas page 23, s’il y avait eu une modification importante de ses fonctionsNote de bas page 24, et s’il a fait face à une incitation indue à quitter son emploiNote de bas page 25.

[49] Bien qu’elle ait répondu aux arguments du prestataire concernant le congédiement déguisé en se disant en désaccord avec ceux‑ciNote de bas page 26, la division générale a au bout du compte fondé sa décision sur l’application des bons critères législatifs et judiciaires en ce qui concerne le motif valable. En fait, aux fins de déterminer l’admissibilité du prestataire à des prestations d’assurance‑emploi, elle a correctement considéré l’argument du prestataire relatif à son congédiement déguisé sous l’angle de l’« incitation indue » à quitter son emploi. Elle a conclu que la fusion de différentes équipes et la réorganisation des quarts de travail étaient des décisions d’affaires et non une tentative de forcer le prestataire à quitter son emploi. Je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

Autres circonstances

[50] Le prestataire a également fait valoir que la division générale n’avait pas compris qu’il devait démissionner pour pouvoir alléguer qu’il avait fait l’objet d’un congédiement déguisé par son employeur. Il a cru comprendre qu’une allégation de congédiement déguisé exigeait qu’il exprime son refus de consentir aux nouvelles conditions de son emploi dans un délai raisonnable après avoir été avisé de ces changementsNote de bas page 27.

[51] La nécessité pour un prestataire de préserver son droit d’intenter une poursuite ou de maximiser ses chances de succès dans une poursuite anticipée ne figure pas au nombre des circonstances énoncées à l’alinéa 29c) de la Loi. Toutefois, cette liste ne se veut pas exhaustive. L’alinéa 29c) prescrit que la division générale doit tenir compte de toutes les circonstances, c’est‑à‑dire toutes les circonstances pertinentes pour déterminer si le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnable dans son cas.

[52] Le prestataire a fait valoir qu’il avait dû quitter son emploi en raison de modifications importantes de son emploi, notamment des modifications de ses fonctions et de sa rémunération. Mais il a aussi soutenu qu’il avait dû quitter son emploi immédiatement aux fins de la poursuite qu’il prévoyait d’intenter. Si je comprends bien l’argument du prestataire, la division générale aurait dû tenir compte de son argument juridique parce que les autres solutions raisonnables qui s’offraient à lui étaient limitées en raison de l’urgence avec laquelle il devait agir.

[53] Je ne suis pas convaincu que les documents présentés à la division générale aient été suffisants pour permettre à cette dernière de déterminer si le prestataire devait agir aussi rapidement qu’il l’a fait pour maintenir son allégation de congédiement déguisé. Le prestataire a dit qu’il devait agir dans un délai raisonnable après avoir été avisé des modifications de ses conditions de travail qui, à son avis, prouveraient qu’il a fait l’objet d’un congédiement déguisé. Si le prestataire avait raison de dire que la loi exige qu’il donne un avis de son refus de consentir dans un délai raisonnable, la division générale devrait prendre au moins trois décisions juridiques en dehors de son domaine d’expertise. Elle devrait déterminer, le cas échéant, quelles communications ou actions de l’employeur constituaient un « avis » aux fins d’une poursuite pour congédiement déguisé. Elle devrait ensuite déterminer de combien de temps le prestataire aurait disposé pour agir afin de respecter le délai « raisonnable ». Elle devrait ensuite déterminer si, pour exprimer son refus de consentir, il devait obligatoirement démissionner. La division générale n’a été saisie d’aucun argument ni d’aucune preuve claire susceptibles d’étayer de telles décisions.

[54] De plus, je ne suis pas convaincu que le désir du prestataire de préserver son droit de poursuivre ou de maximiser ses chances de succès dans une poursuite soit pertinent aux fins de se prononcer sur la question du motif valable. À l’exception de certaines obligations familiales et de l’assurance raisonnable de trouver un autre emploi, les circonstances prévues aux sous‑alinéas 29c)(ii), (v) et (vii) se rapportent aux conditions de travail et exigent une forme d’intervention de la part d’une tierce partieNote de bas page 28. L’action en justice du prestataire découle de la façon dont il estime être touché par la restructuration de l’employeur, mais il ne s’agit pas d’une condition de son emploi, et il n’est pas tenu d’instituer un recours judiciaire. L’intention du prestataire de poursuivre son employeur pour congédiement déguisé n’est pas similaire à bon nombre des autres circonstances énumérées, et elle est incompatible avec l’obligation générale d’un employé de ne pas faire assumer par la Commission le coût de son propre choixNote de bas page 29.

[55] Par conséquent, je conclus que la division générale n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas compte du désir du prestataire de préserver son droit d’intenter une poursuite ou de maximiser ses chances de succès dans une poursuite lorsqu’elle a évalué les autres solutions raisonnables dont il aurait pu se prévaloir plutôt que de quitter son emploi.

Résumé de l’erreur

[56] J’ai conclu que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle s’est servie de la nature ou du type de la réduction salariale du prestataire pour exclure cette réduction de son examen. Par conséquent, je dois déterminer la mesure de réparation appropriée.

Réparation

[57] En vertu de l’article 59 de la Loi sur le MEDS, j’ai le pouvoir de modifier la décision de la division générale ou de rendre la décision qu’elle aurait dû rendre. Je pourrais aussi renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle réexamine sa décision.

[58] Je rendrai la décision que la division générale aurait dû rendre parce que je considère que le dossier d’appel est complet. Cela signifie que je reconnais que la division générale a déjà examiné toutes les questions soulevées dans la présente affaire et que je peux rendre une décision en me fondant sur la preuve qui lui a été soumise.

Modification importante des conditions de rémunération

[59] Si l’employeur avait réduit sensiblement la rémunération totale du prestataire, il importerait peu qu’il ait réduit son taux de paye, qu’il lui ait accordé moins d’heures ou qu’il lui ait retiré des commissions, des primes ou une prime salariale pour certains types de quarts. Si l’accès à des quarts de travail tardifs a été refusé au prestataire ou restreint et que ce dernier a perdu une rémunération importante en conséquence, il en découle que la circonstance énoncée au sous‑alinéa 29c)(vii) de la Loi serait établie. Cela signifie qu’une évaluation des autres solutions raisonnables dont le prestataire disposait plutôt que de quitter son emploi devrait tenir compte de cette circonstance.

[60] Pour remédier à l’erreur de la division générale, je commencerai par déterminer si l’employeur a refusé ou restreint l’accès du prestataire aux quarts tardifs auxquels la prime était rattachée.

[61] Le prestataire s’appuie sur le fait que son taux de paye indiqué est revenu au taux de paye de base de 21,16 $ affiché sur l’état final de la rémunération qu’il a reçu quelques semaines après avoir quitté son emploi. Il soutient que cela signifie qu'il n'aurait pas eu accès à la prime s'il était resté. Le prestataire ne travaillait pas à ce moment‑là ni n’était‑il prévu qu’il travaille, et l’état est un compte final de ses dernières heures de travail. Sa paye finale a été calculée à un taux horaire de 24,17 $ (y compris la prime), mais le prestataire a dit à la division générale qu’il n’a pas été payé au taux réduit parce qu’il a refusé la rétrogradation et les modificationsNote de bas page 30.

[62] La mention du taux de paye de base ne me porte pas à croire que le prestataire n’aurait pas été en mesure de continuer à effectuer le quart de travail tardif ou d’avoir accès à la prime de quart tardif s’il n’était pas parti. Le prestataire a laissé entendre que ses dernières heures ont été rémunérées au taux supérieur parce qu’il a refusé une rétrogradation. Il affirme qu’il aurait été rétrogradé à compter du 25 février 2019 s’il n’avait pas quitté son emploiNote de bas page 31. Toutefois, son taux de paye était déterminé en fonction de son accès à la prime de quart tardif, et non de son rôle ou de la classification de son poste. Il n’y a aucune preuve que les membres d’une équipe fusionnée du STP et du SSP toucheraient une rémunération inférieure à celle que touchait le prestataire.

[63] Je ne suis pas convaincu que le prestataire se serait vu refuser des quarts tardifs s’il avait continué de travailler après le 25 février 2019. Même si le prestataire avait été « rétrogradé », il ne perdrait pas la prime de quart à moins qu’on lui retire également ce quart tardif. L’employeur a demandé au prestataire, le 11 février 2019, d’indiquer sa préférence de quart, mais la division générale n’a été saisie d’aucune preuve indiquant qu’il avait reçu une réponse à sa sélection ou qu’une décision finale avait été prise concernant l’attribution des quarts de travail. Dans son formulaire de choix de quarts, l’employeur déclare que le nouvel horaire entrera en vigueur le 10 mars 2019. Cela me porte à croire que le prestataire aurait pu perdre la prime de quart tardif le 10 mars au plus tôt.

[64] Je note que le prestataire avait informé la division générale qu’on lui avait dit qu’il serait affecté au quart de jour et que la division générale a dit qu’elle n’avait aucune raison de ne pas croire le prestataire. Toutefois, je ne trouve pas très utile la déclaration du prestataire pour déterminer s’il a réellement perdu la prime de quart ou à quel moment il la perdrait. Le prestataire a fait valoir ce qui suit :

Lors de la publication des choix des quarts de travail, on m’a dit que je serais affecté à un quart de jour et que je perdrais mon quart de travail antérieur permanent au sein de l’équipe du STPNote de bas page 32.

[65] La preuve n’établit pas que le prestataire aurait été affecté à un quart de travail de jour. Il n'y a aucune autre preuve sur la nature ou le contexte de la communication dans laquelle on lui a dit qu'il serait affecté à un quart de jour. Le prestataire n’a pas précisé qui lui a dit qu’il serait affecté à un quart de jour, et il n’y a aucune preuve de la façon dont cette personne a obtenu cette information ou de la question de savoir si elle avait le pouvoir de parler au nom de l’employeur. Bien que le prestataire ait affirmé qu’il aurait été affecté à un quart de jour à compter du 25 février 2019, le formulaire de sélection des quarts prévoyait que le nouvel horaire entrerait en vigueur seulement le 10 mars 2019. Rien dans la preuve n’indique que le prestataire avait été affecté à un quart de jour ou qu’il le serait à une date donnée.

[66] Je reconnais que l’employeur restructurait certaines de ses activités. Je crois également que sa décision de renommer les équipes du STP et du SSP et sa demande aux employés d’indiquer leurs préférences de quart étaient probablement liées à cette restructuration. Toutefois, je ne crois pas que le prestataire se soit fait retirer son quart de travail tardif ou qu’il ait reçu un salaire inférieur à son taux horaire habituel, y compris la prime de quart, avant de quitter son emploi. Je reconnais que le prestataire a fait face à de l’incertitude quant à la nature exacte de ses fonctions et responsabilités futures et que sa capacité de conserver et de maintenir le quart tardif de façon soutenue était également incertaine. Toutefois, le prestataire n’a pas établi qu’il perdrait l’accès au quart de travail tardif et à la prime de quart tardif après le 25 février 2019.

[67] Bien que mes motifs diffèrent quelque peu de ceux de la division générale, je dois confirmer que le prestataire n’a pas subi de modification importante des conditions de sa rémunération.

Circonstances pertinentes

[68] Je n’ai pas conclu que la division générale a commis une erreur susceptible de contrôle dans son examen des autres circonstances qui ont également été soulevées par la preuve ou dans les arguments. Cela comprend la question de savoir si le prestataire a fait l’objet d’une incitation indue à quitter son emploi en raison de la restructuration de l’employeur et si cette restructuration a entraîné des modifications importantes de ses fonctions.

[69] De plus, la preuve ne laisse entrevoir aucune autre circonstance pertinente dont la division générale aurait dû tenir compte pour déterminer si le prestataire avait d’autres solutions raisonnables.

Solutions raisonnables

[70] Les fonctions du prestataire et la structure de sa paye n’avaient pas été touchées au moment de son départ, et il ne pouvait pas savoir quelle serait l’incidence des modifications à son égard. Dans ces circonstances, je dois convenir avec la division générale que la décision du prestataire de partir était prématurée. Je conclus que son départ ne constituait pas la seule solution raisonnable dans son cas. Il aurait pu attendre de voir quelle serait l’incidence des modifications à son égard et il aurait pu conserver son emploi pendant qu’il continuait de chercher un autre emploi.

[71] Je conclus que le prestataire n’était pas fondé à quitter volontairement son emploi.

Conclusion

[72] L’appel est rejeté.

Date de l’audience :

Le 28 novembre 2019

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :
Par soumission seulement

E. B., appelant
S. Prud’Homme, représentant l’intimée

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.