Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

AE – La Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) énumère des circonstances où il est acceptable selon la loi de quitter son emploi en l’absence d’autres options raisonnables (justification). Au moment de déterminer si un départ est justifié, un décideur doit tenir compte de toutes les circonstances d’un prestataire, pas seulement de celles énumérées par la Loi sur l’AE. Une des circonstances énumérées est la présence de relations conflictuelles avec un superviseur « dont la cause n’est pas essentiellement imputable au prestataire ». Dans ce cas-ci, la division générale (DG) a déterminé qui était responsable du conflit, mais n’a pas expliqué comment celui-ci avait débuté. La DG a simplement conclu que les gestes de la prestataire étaient la cause du conflit. La DG a laissé entendre que même si la prestataire avait agi de bonne foi, elle était essentiellement responsable du conflit en raison de ses gestes. La division d’appel (DA) a déterminé que la DG avait tiré une conclusion « de façon abusive ou arbitraire » en tirant cette conclusion sans expliquer pourquoi. Autrement dit, la DG ne semble pas avoir fondé sa décision sur la preuve ou sur un motif apparent. La DG a aussi commis une erreur de droit en se basant sur cette conclusion erronée pour déterminer que la prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi. Finalement, la DA a déterminé que la DG avait commis une autre erreur de droit en exigeant que la prestataire prouve un « véritable dommage » (ou qu’elle s’était réellement blessée), plutôt que de seulement prouver un « danger » (ou qu’elle pourrait se blesser). Il ne s’agit pas du critère établi par la jurisprudence. La DA a accueilli l’appel et déterminé que la prestataire n’avait aucune solution raisonnable autre que celle de quitter son emploi lorsqu’elle l’a fait. Elle était justifiée de quitter son emploi.

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelante, M. M. (prestataire), a démissionné de son emploi peu de temps après que son employeur lui ait présenté une lettre d’attente. Elle a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi, puis l’intimée, à savoir la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a rejeté sa demande. Elle a conclu que la prestataire avait quitté volontairement son emploi sans justification, et elle a maintenu sa décision après que la prestataire ait demandé une révision.

[3] La prestataire a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, mais celle-ci a rejeté son appel. La prestataire interjette maintenant appel de la décision de la division générale devant la division d’appel.

[4] L’appel est accueilli. J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre, et je conclus que la prestataire était fondée à quitter son emploi.

Quels moyens d’appel puis-je considérer en appel?

[5] Pour accueillir l’appel, je dois conclure que la division générale a commis l’un des types d’erreurs décrits par les moyens d’appel. Les « moyens d’appel » sont les suivantsNote de bas de page 1 :

  1. Le processus d’audience devant la division générale n’était en quelque sorte pas juste.
  2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher, ou elle a tranché une question alors qu’elle n’avait pas la compétence de le faire.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. La décision de la division générale était entachée d’une erreur de droit.

Questions en litige

[6] La conclusion de la division générale (soit que la cause de la relation conflictuelle avec sa superviseure était essentiellement imputable à la prestataire) a-t-elle été tirée de façon abusive ou arbitraire?

[7] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une erreur?

[8] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de l’existence d’une relation conflictuelle avec une superviseure alors que la cause de cette relation conflictuelle n’était pas essentiellement imputable à la prestataire?

[9] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en exigeant que la prestataire démontre qu’elle a été victime de préjudice physique ou mental afin de prouver que sa seule solution raisonnable était de quitter son emploi?

Analyse

[10] Selon l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), une partie prestataire est fondée à quitter son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas. Vient ensuite la liste des circonstances possibles qui se trouve aux articles 29(c)(i) à 29(c)(xiv). Il ne s’agit pas des seules circonstances pouvant être pertinentes, mais les circonstances comprises dans cette liste doivent être prises en considération si elles sont présentes.

Cause de la relation conflictuelle de la prestataire avec sa superviseure

[11] L’une des circonstances comprises dans la liste est celle décrite à l’article 29(c)(x). Cette circonstance porte sur les « relations conflictuelles [avec un supérieur], dont la cause [n’]est pas essentiellement imputable [au prestataire] ».

[12] La division générale a reconnu qu’il y avait une relation conflictuelle entre la prestataire et sa superviseureNote de bas de page 2. Par conséquent, l’article 29(c) de la Loi sur l’AE prévoit qu’elle doit tenir compte de cette circonstance, mais uniquement si « la cause [n’était] pas essentiellement imputable » à la prestataire. Donc, la division générale devait déterminer si la cause était essentiellement imputable à la prestataire avant d’évaluer si cette circonstance était présente et si elle appuyait l’affirmation de la prestataire selon laquelle quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.

[13] La division générale n’a tiré qu’une seule conclusion en lien avec la personne qui était responsable de la relation conflictuelle. Elle a conclu que « la relation conflictuelle était le résultat des gestes de la prestataire ».

[14] La Commission a fait référence à la déclaration de la division générale selon laquelle la prestataire avait agi de bonne foi, et elle a soutenu que la division générale n’a pas laissé entendre ou insinué que la prestataire avait agi volontairement dans le but d’irriter sa superviseure. Je reconnais cela. C’est exactement pour cette raison que la conclusion de la division générale selon laquelle la prestataire avait été la cause de la relation conflictuelle était une conclusion « tirée de façon abusive ou arbitraireNote de bas de page 3 ».

[15] Si même les gestes anodins de la prestataire ont fait en sorte que la cause de la relation conflictuelle lui était essentiellement imputable, comme le laisse entendre la division générale, il est alors difficile de concevoir des circonstances dans lesquelles la cause de relations conflictuelles ne serait pas essentiellement imputable à une partie prestataire. Selon une telle interprétation, l’existence de relations conflictuelles avec un superviseur ne serait presque jamais pertinente.

[16] Cependant, il se peut que j’aie mal compris l’argument de la Commission. Il est possible que la Commission soutenait que la division générale n’a pas voulu dire que la cause de la relation conflictuelle était essentiellement imputable à la prestataire lorsqu’elle a conclu que « la relation conflictuelle était le résultat des gestes de la prestataire ».

[17] Je n’interprète pas la décision de la division générale de cette façon. Je reconnais que la division générale a conclu que la prestataire était essentiellement responsable de la relation conflictuelle en raison de ses gestes. Cependant, si la division générale n’avait pas conclu que la cause de la relation conflictuelle était essentiellement imputable à la prestataire, la division générale n’aurait alors pas omis de tirer une conclusion à savoir si la cause lui était essentiellement imputable. Il s’agit d’une conclusion qu’elle se devait de tirer, et le fait d’omettre de tirer une conclusion de fait requise constitue une erreur de droit.

La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une erreur?

[18] La Commission a soutenu que la décision de la division générale n’était pas fondée sur la relation conflictuelle avec la superviseure. Elle affirme que la décision a été fondée sur le fait que la prestataire n’avait pas élaboré le plan d’action proposé.

[19] Le fait de conclure qu’il n’y a pas de « justification » pour avoir quitté volontairement son emploi nécessite qu’il y ait une autre solution raisonnable plutôt que de quitter son emploi. En l’espèce, la division générale a conclu que l’une de ces solutions était de [traduction] « concevoir un plan d’action ». Cependant, pour que la division générale puisse déterminer que toute solution est raisonnable, elle doit d’abord examiner l’ensemble des circonstances.

[20] Si la preuve permettait d’établir que la prestataire avait eu une relation conflictuelle avec un superviseur dont elle n’était pas essentiellement la cause, la division générale devrait alors considérer la relation conflictuelle. Elle ne pourrait pas déterminer si le fait de « concevoir un plan d’action » était une solution raisonnable sans examiner les répercussions de la relation conflictuelle.

[21] Le fait d’omettre d’examiner l’ensemble des circonstances est une erreur de droit qui remettrait en cause la conclusion de la division générale relative aux autres solutions raisonnables, sur laquelle est fondée la décision.

Omission de tenir compte de l’article 29(c)(x) de la Loi sur l’AE

[22] La division générale n’a pas explicitement examiné les circonstances prévues par l’article 29(c)(x) de la Loi sur l’AE dans son analyse des solutions raisonnables, car elle portait sur l’hostilité de la superviseure envers les gestes de la prestataire. Si la cause de la relation conflictuelle était essentiellement imputable à la prestataire, l’article 29(c)(x) ne serait pas applicable.

[23] Cependant, j’ai déterminé qu’une conclusion selon laquelle la cause de la relation conflictuelle était essentiellement imputable à la prestataire serait une conclusion abusive ou arbitraire. La prestataire était essentiellement responsable, et la division générale a commis une erreur, car elle se devait de tenir compte de l’article 29(c)(x) de la Loi sur l’AE, mais elle ne l’a pas fait.

Omission de tenir compte des circonstances sous-jacentes à la relation conflictuelle

[24] La division générale a examiné la preuve relative à la relation conflictuelle afin de déterminer que des « relations conflictuelles » étaient présentes de manière générale. Par conséquent, j’ai également examiné la question de savoir si la division générale a tenu compte de la preuve relative à la relation conflictuelle même sans conclusion selon laquelle la cause était essentiellement imputable à la prestataire.

[25] La division générale a affirmé avoir accepté le fait que la superviseure était impolie et irrespectueuse, et elle a décrit son comportement comme étant sévère. Elle a accepté le fait que, par conséquent, la prestataire s’est sentie vexée et humiliéeNote de bas de page 4. Cependant, elle a dit que cette relation conflictuelle a été « déclenchée » lorsque la prestataire a fait des choses qui ont « poussé [la superviseure] à la corriger » ou « que [la superviseure] estimait non nécessairesNote de bas de page 5 ».

[26] Dans les circonstances — de la manière dont elles ont été comprises par la division générale — la solution raisonnable évidente plutôt que de quitter son emploi aurait été que la prestataire arrête tout simplement de faire ce qui contrariait sa superviseure. Elle n’avait qu’à bien faire les choses afin de ne plus avoir besoin de se faire « corriger », et à arrêter de faire des choses « non nécessaires ».

[27] Cependant, même si l’on supposait que la relation conflictuelle avec la superviseure n’était pas du tout une question de personnalité et n’était rien de plus qu’une réaction à sa perception du rendement de la prestataire, celle-ci ne pourrait pas améliorer la situation conflictuelle en améliorant simplement son rendement. Il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’elle anticipe chaque décision ou attente de sa superviseure. La division générale a accepté le fait qu’il y avait une relation conflictuelle entre la prestataire et sa superviseure même si la prestataire agissait de bonne foi. La prestataire ne peut pas être tenue responsable de la réponse de la superviseure si elle commet encore une erreur de calcul, et ce, de bonne foi.

[28] La division générale n’a pas pleinement apprécié les circonstances de la prestataire. Elle a omis de reconnaître que la prestataire ne pouvait pas éviter la relation conflictuelle qu’elle avait avec sa superviseure seulement par ses propres efforts.

[29] La division générale a omis de déterminer expressément s’il y avait une relation conflictuelle dont la cause n’était pas essentiellement imputable à la prestataire au titre de l’article 29(c)(x) lorsqu’elle a évalué les autres solutions raisonnables qu’avait la prestataire plutôt que de quitter son emploi. Elle a également omis de tenir compte de toutes les circonstances dans lesquelles elle aurait pu conclure que sa relation conflictuelle avec sa superviseure était une circonstance importante.

Critères en matière de justification

[30] La division générale a également affirmé que cela n’avait pas eu d’incidence sur la santé physique et mentale de la prestataire. Elle a dit : « Pour cette raison, [...] la prestataire aurait pu tolérer le comportement sévère de [la superviseure] ». La division générale n’a donné aucun autre motif pour avoir conclu qu’il aurait été raisonnable que la prestataire conserve son emploi et élabore son plan d’action. Cela laisse entendre que la division générale a exigé que la prestataire prouve que ses circonstances de travail n’avaient pas compromis sa santé mentale ou physique avant qu’elle n’ait pu conclure que la prestataire n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

[31] L’article 29(c)(iv) de la Loi sur l’AE porte expressément sur des circonstances liées à la santé d’une partie prestataire. Elle décrit ce qui suit : « conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité ». Cette circonstance particulière ne nécessite pas nécessairement une preuve de préjudice réel. Elle peut être présente s’il y a du danger ou un risque de préjudice. Personne n’a laissé entendre que les conditions de travail de la prestataire étaient dangereuses. Par conséquent, s’il n’est pas nécessaire de démontrer qu’il y avait un réel préjudice lorsque la seule circonstance prise en considération est la santé ou la sécurité de la prestataire, l’on ne peut pas exiger que la prestataire démontre qu’il y avait un réel préjudice afin d’appuyer l’importance d’une allégation de harcèlement ou de relation conflictuelle avec un superviseur.

[32] La division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a exigé de la part de la prestataire qu’elle satisfasse aux critères requis en matière de préjudice réel avant de conclure qu’elle n’avait pas d’autre solution raisonnable.

Résumé des erreurs

[33] J’ai conclu que la division générale avait tiré une conclusion abusive ou arbitraire selon laquelle la cause de la relation conflictuelle avec la superviseure était « essentiellement imputable » à la prestataire. J’ai également conclu que la division générale avait commis une erreur de droit lorsqu’elle a déterminé que la prestataire avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi, et ce, sans avoir examiné la relation conflictuelle qu’elle avait avec une superviseure et dont la cause ne lui était pas essentiellement imputable. Finalement, j’ai conclu que la division générale avait commis une erreur de droit en définissant une solution raisonnable comme étant une solution qui ne cause aucun préjudice physique ou mental réel.

[34] Puisque j’ai conclu que la division générale avait commis des erreurs au moment de rendre sa décision, je dois maintenant déterminer la réparation appropriée.

Réparation

[35] J’ai le pouvoir requis pour modifier la décision de la division générale ou rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 6. Je pourrais également renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle révise sa décision.

[36] Je rendrai la décision que la division générale aurait dû rendre, car j’estime que le dossier d’appel est complet. Cela signifie que j’accepte le fait que la division générale a déjà considéré toutes les questions soulevées par cette affaire et que je peux rendre une décision fondée sur la preuve reçue par la division générale.

Relation conflictuelle avec un supérieur

[37] J’accepte les conclusions de la division générale selon lesquelles la prestataire avait une relation conflictuelle avec sa superviseure malgré les efforts qu’elle avait déployés de bonne foi pour accomplir son travail. J’accepte également la caractérisation faite par la division générale du comportement de la superviseure, soit que celui-ci était impoli, irrespectueux et sévère.

[38] J’ai également accepté le fait que les exemples précis fournis par la prestataire concernant ses interactions avec sa superviseureNote de bas de page 7 (dont certains avaient été détaillés dans la décision de la division généraleNote de bas de page 8) ont eu lieu de la façon signalée par la prestataire. La division générale n’a pas mis en doute la crédibilité ou la fiabilité de la preuve de la prestataire, et l’employeur n’a pas fourni de preuve contraire à la CommissionNote de bas de page 9.

[39] J’estime qu’il est plus probable que le contraire que la prestataire avait une relation conflictuelle avec sa superviseure dont la cause ne lui était pas essentiellement imputable.

Solutions raisonnables

[40] La prestataire a fait des efforts pour discuter de ses préoccupations avec son employeur. Cela comprenait une demande de rencontre avec ses gestionnaires le 28 décembre 2018Note de bas de page 10, mais la prestataire a affirmé que son gestionnaire était déjà au courant de la situationNote de bas de page 11. La prestataire a eu une rencontre avec sa superviseure le 16 janvier 2019 afin de discuter de ses préoccupations en présence de leur gestionnaire, mais elle a déclaré que cette rencontre n’a pas permis de résoudre quoi que ce soit. Elle a affirmé que la réponse de sa superviseure avait été que la prestataire n’aurait pas dû aller chercher de « l’aide » et que la prestataire nuisait à la réputation de la superviseureNote de bas de page 12.

[41] La preuve de la prestataire indiquait que rien n’avait changé après la rencontre et que sa superviseure avait continué d’orienter son travail. Le 22 mars 2019, la superviseure de la prestataire lui a demandé de traiter un chèque postdaté qui avait été accidentellement encaissé par un autre employé. La prestataire a refusé de le faire. Elle estimait que cela ne serait pas approprié et qu’elle serait tenue responsable si elle traitait le chèque de façon inappropriéeNote de bas de page 13. Environ une semaine plus tard, l’employeur a donné à la prestataire la lettre concernant ses attentes. La prestataire croyait avoir reçu cette lettre précisément en raison de l’incident impliquant le chèqueNote de bas de page 14, mais elle l’a également attribuée à des [traduction] « représailles » de la part de sa superviseure, car la prestataire avait fait venir l’employeur afin de régler la relation conflictuelle. La prestataire a refusé de signer la lettre d’attentes ou de préparer un plan d’action. Quelques jours après avoir reçu la lettre, elle a donné sa démission.

[42] La division générale a conclu qu’une solution raisonnable aurait été que la prestataire conçoive son plan d’action et utilise ce plan pour se réconcilier avec sa superviseure. Le plan d’action auquel la division générale faisait référence était celui que la prestataire se devait de préparer selon les exigences qui se trouvaient dans la lettre d’attentesNote de bas de page 15. Le plan d’action devait porter sur la manière dont la prestataire pourrait changer son comportement. L’hypothèse de la division générale selon laquelle le plan aiderait la prestataire à se [traduction] « réconcilier » avec sa superviseure est conforme à l’opinion de la division générale selon laquelle la relation conflictuelle était le résultat des gestes de la prestataire.

[43] Cependant, la solution raisonnable consistant à « concevoir un plan d’action » ne traite pas de la préoccupation de la prestataire au sujet du comportement hostile de sa superviseure alors que la cause de cette hostilité ne lui est pas essentiellement imputable. La prestataire a fait des efforts de bonne foi pour faire de son mieux sans plan d’action, mais la relation conflictuelle entre elle et sa superviseure a quand même persisté. Il y a peu de chance que la prestataire rétablisse, de façon unilatérale, sa relation avec sa superviseure à l’aide du type de « plan d’action » exigé par l’employeur. L’objectif apparent de la lettre d’attentes n’était pas la [traduction] « réconciliation ».

[44] Il n’y avait aucune preuve selon laquelle l’employeur avait prévu de faire quoi que ce soit pour aborder le rôle de la superviseure dans la relation conflictuelle ou selon laquelle le comportement de la superviseure allait vraisemblablement changer. L’employeur semble avoir étudié la possibilité d’affecter la prestataire à une succursale différente aux fins de formation et afin qu’elle ait plus d’heures de travailNote de bas de page 16. Cependant, ni la prestataire ni l’employeur ne semble avoir considéré cela comme une option sérieuse ou comme un moyen de résoudre les difficultés de la prestataire. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour être en mesure d’évaluer s’il s’agit de solutions réalistes ou si la prestataire aurait pu éviter un conflit avec sa superviseure en demandant d’être réaffectée ailleurs.

[45] La solution raisonnable consistant à continuer de travailler tout en se cherchant un autre emploi ne prend pas en considération le fait que la prestataire était sous la menace d’être licenciée au moment où elle a quitté son emploi. L’employeur a non seulement omis de prendre tout moyen nécessaire afin de réduire ou d’atténuer le conflit entre la prestataire et la superviseure, mais il a aussi pris des mesures contre la prestataire. L’employeur a remis à la prestataire une lettre d’attentes qui indiquait qu’elle devait changer de comportement immédiatement. Les changements demandés n’étaient ni objectifs ni précisNote de bas de page 17, mais la prestataire a été avisée qu’elle pouvait être congédiée sans préavis si elle ne s’y conformait pas. La prestataire a affirmé avoir peur de ne pas être en mesure de se trouver un autre travail si elle était congédiéeNote de bas de page 18.

[46] La prestataire ne savait pas avec certitude qu’elle serait congédiée ni quand elle serait congédiée. Il est possible qu’elle ait pu continuer à travailler pendant un certain temps, et ce, dans les mêmes conditions. Cependant, la prestataire avait été vexée ou humiliée par sa superviseure à maintes reprises. Si elle conservait son emploi, elle pourrait s’attendre à travailler sous la supervision de la même superviseure et dans les mêmes conditions, sauf qu’elle avait moins de raisons de croire que son employeur la soutiendrait et la défendrait. Elle travaillait tout en étant sous la menace d’être licenciée.

[47] La prestataire n’a pas besoin de démontrer que sa seule solution raisonnable était de quitter immédiatement son emploi. Elle doit seulement démontrer que la seule solution raisonnable qui s’offrait à elle était de quitter son emploi au moment où elle l’a fait. Dans l’arrêt Chaoui c Canada (Procureur général)Note de bas de page 19, la Cour d’appel fédérale a rejeté les conclusions du juge-arbitre selon lesquelles une partie prestataire devrait continuer de travailler « jusqu’à ce qu’[elle] se trouve un travail qui répondait mieux à ses aspirations » et « [i]l n’y avait aucune preuve que les conditions de travail étaient intolérables ». La Cour a affirmé que « le juge-arbitre est allé au-delà des exigences de l’alinéa 29c) et il impose un fardeau qui, à la limite, vide ledit alinéa de tout son sens ».

[48] Je n’accepte pas le fait que d’utiliser un plan d’action pour se réconcilier ou continuer à travailler tout en se cherchant un travail ailleurs constituent des solutions raisonnables plutôt que de quitter son emploi. J’estime que la prestataire n’avait aucune autre solution raisonnable que de quitter son emploi et qu’elle avait été fondée à quitter son emploi au titre de l’article 29(c) de la Loi sur l’AE.

Conclusion

[49] L’appel est accueilli. J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. Je conclus que la prestataire était fondée à quitter son emploi, car il s’agissait de la seule solution raisonnable qui s’offrait à elle.

Date de l’audience :

Le 3 décembre 2019

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

M. M, appelante

Angeline Fricker, représentante de l’intimée

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