Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’intimé, P. P. (prestataire) vivait dans la ville de X. Il a acheté une maison en février 2018 dans la ville de X parce que sa fille planifiait fréquenter l’université près de X en septembre 2019. Il s’attendait à ce qu’elle ait besoin de son soutien, car elle avait subi un accident de voiture et avait des difficultés à vivre de façon indépendante. Il a vendu sa maison à X en novembre 2018. En attendant de prendre possession de sa nouvelle maison, son épouse et lui ont emménagé avec leur fils adulte qui vivait à proximité à X, soit pas très loin de l’emploi du prestataire. Le prestataire a conclu l’acquisition de sa nouvelle maison à X le 13 février 2019 et il a quitté son emploi le 28 mars 2019 afin de pouvoir déménager à X.

[3] Le prestataire a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi, toutefois l’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a rejeté sa demande en lui disant qu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification. Elle a maintenu cette décision après révision, et le prestataire a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[4] La division générale a accueilli son appel, ayant établi qu’il était fondé à quitter son emploi. La Commission interjette maintenant appel de la décision de la division générale devant la division d’appel.

[5] L’appel de la Commission est accueilli. La division générale a commis une erreur de droit en appliquant mal l’arrêt Canada (Procureur général) c WhiteNote de bas de page 1 et en examinant seulement les efforts du prestataire pour trouver du travail avant de quitter son emploi.

Quels motifs puis-je prendre en compte pour l’appel?

[6] Pour accueillir l’appel, je dois établir que la division générale a commis l’un des types d’erreurs décrits dans les motifs d’appel. Les moyens d’appel sont décrits ci-dessousNote de bas de page 2 :

  1. Le processus d’audience devant la division générale n’était pas juste d’une certaine façon.
  2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher. Ou elle a tranché une question qu’elle n’était pas autorisée à trancher.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. La division générale a commis une erreur de droit en rendant sa décision.

Question en litige

[7] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a exclu les solutions raisonnables autres que le départ pour examiner uniquement les efforts déployés par le prestataire pour trouver du travail avant de quitter son emploi?

Analyse

[8] La division générale a déterminé qu’il était raisonnable pour le prestataire de vouloir déménager à T pour offrir du soutien à sa fille pendant qu’elle fréquentait l’université. En même temps, la division générale a reconnu que cela n’était pas suffisant pour établir qu’il était fondé à quitter son emploi et que le prestataire devait tout de même montrer qu’il n’avait aucune autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi.

[9] Le prestataire a quitté son emploi en mars 2019 parce qu’il déménageait à X et trouvait que le trajet entre T et son employeur était trop long pour être fait en transports en commun et trop loin pour être fait en voiture. Au moment où il a déménagé, et pendant quelque temps par la suite, l’épouse du prestataire faisait l’aller-retour entre X et Y parce que la famille de son fils avait besoin d’aide avec leur bébéNote de bas de page 3. Son épouse ne travaillait plus, mais elle utilisait la voiture familiale. La fille de la prestataire avait planifié entrer à l’université près de X en septembre 2019. Finalement, elle est demeurée à X avec le fils du prestataire et a commencé à étudier dans une autre université en septembre 2019. L’université où elle prévoyait étudier n’était pas disposée à lui octroyer les crédits pour ses deux années de collège. Aucun de ces faits n’étaient contestés.

[10] La division générale a établi que d’autres solutions raisonnables que le départ s’offraient au prestataire. Bien que la division générale ait mentionné qu’elle avait tenu compte de toutes les circonstances, ses motifs donnent à penser qu’elle a seulement tenu compte des efforts du prestataire pour trouver du travail avant de quitter son emploi. Elle a cité l’arrêt White concernant la proposition selon laquelle [traduction] « [le] prestataire a une obligation, dans la plupart des cas, de démontrer des efforts déployés pour trouver un autre emploi avant de prendre la décision unilatérale de quitter le sien ». Elle a dit que la décision du prestataire de quitter son emploi satisfaisait au critère selon la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) et l’arrêt White.

[11] Dans l’arrêt White, la Cour d’appel fédérale a établi qu’il était raisonnable que le conseil arbitralNote de bas de page 4 établisse que la prestataire avait d’autres solutions raisonnables que le départ parce qu’elle n’avait pas essayé de résoudre ses conflits avec son employeur. C’est le contexte dans lequel la Cour avait affirmé qu’on [traduction] « impose dans la plupart des cas au prestataire l’obligation de tenter de résoudre les conflits de travail avec l’employeur ou de démontrer qu’il a fait des efforts pour trouver un autre emploi » avant de quitter un emploi. L’arrêt White laisse entendre qu’on peut conclure qu’une partie prestataire qui ne répond pas à ces obligations avait d’autres solutions raisonnables que le départ. L’arrêt White ne signifie pas qu’il faut conclure qu’un prestataire avait d’autres solutions raisonnables que le départ uniquement parce qu’il a satisfait à l’une des obligations ou aux deux.

[12] Comme l’a souligné la division générale, la question n’est pas de savoir s’il était raisonnable pour le prestataire de quitter son emploi, mais bien de savoir si aucune autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi ne s’offrait à lui. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c MurugaiahNote de bas de page 5, la Cour d’appel fédérale a déclaré que le juge-arbitre n’aurait pas dû rejeter l’appel dans ce cas, car le conseil arbitral avait omis de tenir compte d’une autre solution raisonnable évidente que le départ de l’intimé. Le conseil arbitral avait fait abstraction du fait que le prestataire aurait pu continuer à travailler pour son employeur pendant qu’il cherchait un autre emploi dans la ville où il désirait déménager, au lieu de déménager dans cette ville immédiatement. La Cour a expliqué :

Malgré la foule d’exemples de motifs valables de quitter un emploi qui sont énumérés à l’alinéa 29(c), la question principale demeure la même : le départ du prestataire constituait-il la seule solution raisonnable dans son cas?

[13] D’après l’arrêt Murugaiah, ce serait une erreur de la part de la division générale de ne pas tenir compte des solutions raisonnables évidentes, y compris toute autre solution raisonnable que le déménagement immédiat. En l’espèce, la division générale a reconnu que le prestataire avait cherché un emploi à X avant de quitter son emploi, et qu’il avait épuisé cette solution précise. Cependant, elle n’a pas tenu compte du fait que le déménagement du prestataire n’était pas urgent. Dans ce contexte, une solution raisonnable évidente serait de continuer à chercher un emploi à T jusqu’à l’approche du début de la session scolaire de sa fille.

[14] En raison de sa mauvaise interprétation apparente de l’arrêt White, la division générale ne semble pas avoir évalué les solutions raisonnables autres que le départ qui s’offraient au prestataire à la lumière de toutes les circonstances comme l’exige la Loi sur l’AENote de bas de page 6. J’estime que la division générale a commis une erreur de droit en appliquant mal l’arrêt White. La division générale a également commis une erreur de droit en omettant de fournir des motifs adéquats pour expliquer comment elle a établi que le prestataire n’avait aucune autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi.

[15] J’ai établi que la division générale avait commis une erreur de droit, et cela signifie que je dois examiner quelle est la réparation appropriée.

Réparation

[16] J’ai le pouvoir de modifier la décision de la division générale ou de rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 7. Je pourrais aussi renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle révise sa décision. La Commission me suggère de rendre la décision.

[17] J’ai décidé de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre parce que je considère que le dossier d’appel est complet. Cela signifie que j’admets que la division générale a déjà examiné toutes les questions soulevées par cette cause, et que je peux rendre une décision fondée sur la preuve que la division générale a reçue.

[18] Le prestataire a fait valoir qu’il n’avait aucune autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi car il déménageait dans une autre ville. Le fait qu’il a déménagé ne signifie pas qu’il était fondé à quitter son emploi. La décision de déménager était une décision personnelle; par conséquent, la décision de quitter son emploi était également personnelle.

[19] Je reconnais que la Loi sur l’AE exige que la division générale tienne compte de l’obligation d’une partie prestataire d’accompagner une épouse ou un enfant à charge ou de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent. Le prestataire a acheté sa maison à T et a déménagé dans cette ville en partie parce qu’il voulait aider sa fille qui ne pouvait pas vivre de façon indépendante, mais qui prévoyait aller à l’université près de X.

[20] Cependant, le prestataire n’a pas déménagé pour accompagner son épouse. Son épouse travaillait pendant que le prestataire et elle vivaient à X. Elle n’a pas été mise à pied avant le 30 mars, soit deux jours après que le prestataire a déménagé à X. Il n’existe aucune preuve selon laquelle elle avait un emploi ou une autre raison de déménager à ce moment-là. En fait, l’épouse du prestataire semblait vivre à X et à X pendant la période qui a suivi le déménagement du prestataire.

[21] Le prestataire n’était pas non plus tenu de déménager parce qu’il avait l’obligation de prendre soin de sa fille dans la nouvelle ville. Il a quitté son poste et a déménagé en mars 2019. Le prestataire a dit à la Commission en juin 2019 qu’il avait déménagé en partie pour accompagner sa fille qui allait fréquenter l’université près de X. Il a dit qu’elle commençait l’école en septembreNote de bas de page 8. Par conséquent, même si tout s’était déroulé selon les plans, le prestataire ne s’attendait pas à ce que sa fille commence l’université avant septembre 2019.

[22] Si le prestataire voulait établir qu’il était fondé à quitter son emploi parce qu’il croyait qu’il devrait déménager pour soutenir sa fille, il aurait pu attendre le moment où sa fille aurait réellement besoin de son aide pour le faire. La Cour d’appel fédérale a énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Patterson qu’une partie prestataire doit quitter à une date qui est pas raisonnablement proche de la date de l’événement qui constitue une justificationNote de bas de page 9. Dans l’arrêt Patterson, il y avait un délai d’environ quatre mois entre la date où la prestataire a quitté son emploi et celle où elle a déménagé pour être avec son époux. Le délai entre le 28 mars 2019, date du déménagement du prestataire, et le début de la session universitaire en septembre est d’environ cinq mois. Je n’admets pas qu’un délai de cinq mois est « raisonnablement proche ».

[23] Le prestataire a dit que ce n’était pas confortable de vivre dans des conditions de promiscuité avec son fils, et qu’il voulait incontestablement emménager dans sa nouvelle maison. Cependant, il n’existait aucun motif pour que le prestataire quitte son emploi au moment où il l’a fait. Bien que je n’aie aucune raison d’intervenir dans la conclusion de la division générale selon laquelle le prestataire avait fait des efforts pour trouver du travail avant de quitter son emploi, cela ne signifie pas qu’il n’avait pas d’autres solutions que celle de quitter son emploi. Au moins deux autres solutions raisonnables s’offraient au prestataire. Il aurait pu retarder son déménagement dans sa nouvelle maison jusqu’à ce qu’il ait trouvé un emploi à X ou il aurait pu faire le trajet à partir de X jusqu’à ce qu’il trouve un autre emploi. Si le choix du prestataire était de déménager, il aurait pu utiliser la voiture familiale et faire le trajet chez son ancien employeur. J’admets d’office que la distance entre son ancien employeur et X est d’environ 100 kilomètres, ce qui signifierait que son trajet prendrait vraisemblablement plus d’une heure. Je reconnais que cela aurait accru considérablement le temps de déplacement dans sa journée et aurait entraîné certaines dépenses additionnelles, mais il s’agirait d’une conséquence de sa décision personnelle de déménager. Comme l’a énoncé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tanguay c Canada (Procureur général) :

[…] l’employé qui a volontairement quitté son emploi et n’en a pas trouvé un autre s’est placé délibérément dans une situation lui permettant de forcer des tiers à lui payer des prestations d’assurance chômage. Il n’est justifié d’avoir agi ainsi que s’il existait, au moment où il a quitté, des circonstances qui l’excusent d’avoir ainsi pris le risque de faire supporter par d’autres le fardeau de son chômage Note de bas de page 10.

[24] J’ai déterminé que le prestataire avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi au moment où il l’a fait. Son intention de soutenir sa fille était louable, et je peux reconnaître qu’il voulait quitter une maison surpeuplée pour emménager dans sa nouvelle maison. Ce sont toutes de bonnes raisons, toutefois il ne s’agit pas de justifications au sens de la Loi sur l’AE.

Conclusion

[25] L’appel de la Commission est accueilli.

 

Date de l’audience 

Mode d’instruction 

Comparutions :

Le 5 décembre 2019

Téléconférence

P. P., appelant

Angeline Fricker, représentante de l’intimée

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