Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi.

Aperçu

[2] L’intimé, R. H. (prestataire), a quitté son emploi et a déménagé dans une autre ville afin de cohabiter avec sa fiancée (conjointe) et les enfants de sa conjointe. Il a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi, mais la demanderesse, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, n’a pas accueilli sa demande. Elle a conclu qu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification. Lorsque le prestataire a demandé une révision, la Commission a maintenu sa décision.

[3] Le prestataire a interjeté appel auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, lequel a accueilli son appel, concluant que la seule solution qui s’offrait au prestataire avait été de quitter son emploi. La Commission a interjeté appel de la décision de la division générale auprès de la division d’appel.

[4] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur de fait importante lorsqu’elle a accepté le fait que le prestataire avait eu besoin de déménager avec la famille de sa fiancée (conjointe) de toute urgence.

Quels moyens d’appel puis-je considérer en l’espèce?

[5] Je peux seulement accueillir l’appel si j’estime que la division générale a commis une ou des erreurs en lien avec les « moyens d’appel ». Ces moyens d’appel sont décrits ci-dessousNote de bas de page 1 :

  1. Le processus d’audience de la division générale n’a pas été équitable.
  2. La division générale n’a pas tranché une question alors qu’elle aurait dû le faire, ou elle a tranché une question alors qu’elle n’avait pas la compétence pour le faire.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. La division générale a commis une erreur de droit en rendant sa décision.

Questions en litige

[6] La division générale a-t-elle mal appliqué la jurisprudence pour déterminer que la seule solution raisonnable qui s’offrait au prestataire avait été de quitter son emploi?

[7] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en tenant compte de circonstances non pertinentes?

[8] La division générale a-t-elle commis une erreur de fait importante en ignorant la preuve selon laquelle le prestataire était retourné travailler pour son ancien employeur?

Analyse

Mauvaise application du droit

[9] Le prestataire a quitté son emploi pour cohabiter avec sa conjointe dans une autre résidence. La Commission a soutenu que le prestataire n’était pas marié à sa conjointe et qu’ils n’étaient pas en union de fait. Compte tenu de cela, elle a affirmé que la division générale avait mal appliqué les concepts prévus dans l’arrêt Procureur générale du Canada c KuntzNote de bas de page 2de la Cour d’appel fédérale. Dans l’arrêt Kuntz, la cour avait été d’avis que l’on pouvait conclure qu’une partie prestataire n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi si elle est capable d’établir qu’elle avait déménagé dans le but d’accompagner un conjoint ou une conjointe.

[10] La division générale a cité l’arrêt Kuntz lorsqu’elle a décrit certains cas de jurisprudence qui portent sur les questions dont elle était saisieNote de bas de page 3, mais elle ne s’est pas fondée sur la décision rendue dans l’arrêt Kuntz. Rien dans l’audience ou dans la décision ne laisse entendre que la division générale comprenait que la conjointe du prestataire était son épouse ou sa conjointe de fait, ou qu’elle comprenait que l’arrêt Kuntz exigeait qu’elle traite la relation du prestataire avec sa conjointe de la même manière qu’une relation conjugale ou d’union de fait. Au contraire, le membre de la division générale a avisé le prestataire du fait qu’il n’avait pas besoin de souscrire à l’une des circonstances particulières prévues à l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE)Note de bas de page 4. Le membre a reconnu que la Commission s’était concentrée sur la question à savoir si le prestataire répondait à la définition de conjoint ou de conjoint de fait (pour l’application de l’article 29(c)(ii) de la Loi sur l’AE). Cependant, le membre a dit au prestataire que la division générale devait examiner si le prestataire avait eu d’autres solutions raisonnables compte tenu de [traduction] « tout ce qui était en jeuxNote de bas de page 5 ».

[11] Cela est conforme à l’article 29(c) de la Loi sur l’AE. L’article 29(c) décrit un certain nombre de circonstances pertinentes, y compris le cas où un prestataire déménage afin d’accompagner un conjoint ou un conjoint de fait. L’article 29(c) prévoit également que le prestataire est fondé à quitter son emploi si « compte tenu de toutes les circonstances » (et non seulement de celles énumérées) son départ constitue la seule solution raisonnable.

[12] La division générale n’a pas commis d’erreur de droit, comme cela a été prétendu. Elle ne s’est pas fondée sur l’arrêt Kuntz et n’a pas considéré que le prestataire avait satisfait à la définition d’un conjoint ou d’un conjoint de fait au titre de l’article 29(c) de la Loi sur l’AE.

Circonstances non pertinentes

[13] La Commission a soutenu que la division générale avait commis une erreur de droit en se fondant sur des circonstances non pertinentes.

[14] La division générale a tenu compte d’un certain nombre de circonstances, y compris les suivantesNote de bas de page 6 :

  1. Au moment où le prestataire a quitté son emploi, il entretenait une relation avec sa partenaire qui avait trois enfants.
  2. Le prestataire planifiait marier sa partenaire était prêt à avoir des obligations parentales envers les enfants.
  3. L’un de ces enfants, soit le fils de 12 ans de la partenaire du prestataire, faisait de mauvais choix, et la situation s’aggravait.
  4. Le fils avait besoin, de toute urgence, d’un autre adulte dans la famille afin de veiller à ce qu’il aille à l’école et pour l’empêcher de consommer de la drogue et de l’alcool.

[15] La preuve dont était saisie la division générale comprenait la déclaration du prestataire selon laquelle il était en relation avec sa conjointe depuis six mois. Il ne cohabitait pas avec elle, mais se déplaçait pour la visiter la fin de semaineNote de bas de page 7. Il a également affirmé qu’il aimait les enfants de sa conjointe et il s’était engagé à les traiter comme s’ils étaient les siensNote de bas de page 8. Il a soutenu que le fils de 12 ans de sa conjointe prenait très [traduction] « durement » leur déménagement dans une autre ville et qu’il avait commencé à sécher l’écoleNote de bas de page 9. Dans une déclaration faite antérieurement à la Commission, le prestataire avait affirmé que le fils de sa conjointe consommait de la drogue et de l’alcoolNote de bas de page 10. Le prestataire a dit à la Commission que sa conjointe n’avait pas d’autres membres de la famille pour l’aider et ne pouvait pas gérer la situation toute seule. Il a dit que la famille avait besoin de lui pour intervenir en tant que figure paternelleNote de bas de page 11 afin d’aider à corriger le comportement du filsNote de bas de page 12.

Pertinence de la relation du prestataire avec les enfants de sa conjointe

[16] La Commission n’a pas contesté le fait que le fils de 12 ans de la conjointe du prestataire avait des problèmes de comportement et avait besoin d’une aide immédiate. Elle a également reconnu que le prestataire était prêt à avoir des obligations parentales envers les enfants. Cependant, la Commission a soutenu que les enfants de la conjointe du prestataire ne devraient pas être pris en compte selon les circonstances décrites à l’article 29(c)(v) de la Loi sur l’AE, lequel décrit une « nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent ». Selon la Commission, l’article 29(c)(v) ne s’applique pas, car la conjointe du prestataire n’est pas son épouse ou sa conjointe de fait. La commission soutient que cela signifie que les enfants de sa conjointe ne peuvent pas être considérés comme étant un proche parent du prestataire.

[17] Je n’accepte pas cet argument. L’article 29(c)(v) décrit la nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent. Il n’exige pas qu’il y ait une nécessité de prendre soin d’un enfant qui est également un proche parent. Si le prestataire a soutenu qu’il avait une obligation envers le fils de 12 ans ou les autres enfants de sa conjointe, alors ses circonstances correspondent à ce qui est prévu à l’article 29(c)(v) et l’on doit tenir compte de celles-ci.

[18] Cependant, les arguments de la Commission nient implicitement le fait que le prestataire avait toute obligation envers l’enfant ou les enfants. Le prestataire a fait référence aux arrêts Canada (Procureur général) c ThompsonNote de bas de page 13 et Thomas c Canada (Procureur général) Note de bas de page 14 de la Cour d’appel fédérale. La Commission a cité ces arrêts à l’appui de son argument selon lequel il n’y avait pas de preuve selon laquelle l’enfant de la conjointe du prestataire avait établi une [traduction] « relation parent-enfant avec le prestataire avant le déménagementNote de bas de page 15 ».

[19] L’arrêt Thompson n’a rien à voir avec la nécessité d’un prestataire d’accompagner un enfant à charge ou de prendre soin d’un enfant. Cependant, les concepts prévus dans l’arrêt Thomas rejoignent l’argument de la Commission, même si le lien peut être difficile à retracer. Dans l’arrêt Thomas, la cour a appuyé sa conclusion selon laquelle le juge-arbitreNote de bas de page 16 avait tenu compte de toutes les circonstances en faisant remarquer que le juge-arbitre avait fait référence à la décision 52387A du juge-arbitre du Canada sur les prestations (CUB). La décision CUB 52387A était un cas complètement différent, mais elle portait également sur une prestataire qui avait quitté son emploi pour déménager avec son conjoint. Le juge-arbitre (dans la décision en appel prévue dans l’arrêt Thomas) a affirmé que la décision CUB 52387A ne se limitait pas à évaluer si le conjoint de la prestataire répondait à la définition de conjoint de fait prévue par la Loi sur l’AE, et il a donc tenu compte de « toutes les circonstances ».

[20] La décision CUB 52387A faisait également référence à d’autres décisions du juge-arbitre dans lesquelles des demandes avaient été acceptées dans le cas où une partie prestataire avait quitté son emploi pour aller rejoindre un conjoint ou une conjointe qui n’était pas un conjoint ou une conjointe de fait au sens de la Loi sur l’AE. Dans la décision CUB 52387A, le juge-arbitre a analysé ces autres décisions du juge-arbitre et a noté qu’un « […] facteur majeur […] était que la prestataire avait un enfant qui avait établi une relation enfant-parent avec le “conjoint” de la prestataire avant la réinstallation ». Cette déclaration provenant de la décision CUB 52387A semble être le lien entre l’arrêt Thomas et l’argument de la Commission, et la source de l’affirmation de la Commission selon laquelle l’enfant n’avait pas établi une relation enfant-parent avec le prestataire avant le déménagement.

[21] L’arrêt Thomas n’a pas adopté le libellé de la décision CUB 52837A exigeant qu’un enfant d’un prestataire doit avoir établi une relation enfant-parent avec le « conjoint » d’un prestataire avant la réinstallation. La Commission n’a fourni aucun fondement pour appuyer sa position selon laquelle il revenait à « l’enfant » d’établir une relation enfant-parent, ou selon laquelle il devait s’agir de l’enfant de la partie prestataire en relation avec la conjointe ou le conjoint de la partie prestataire, contrairement une partie prestataire en relation avec l’enfant du conjoint ou de la conjointe. Elle n’a pas non plus fourni d’interprétation judiciaire portant sur le type d’engagement, de dépendance ou d’affection devant être établi pour être considéré comme étant une « relation enfant-parent ».

[22] Selon d’autres décisions de l’ancien juge-arbitre, « la nécessité de prendre soin d’un enfant » s’applique uniquement aux enfants d’une partie prestataire ou aux enfants dans le cadre d’une union de fait ou d’un mariage légalNote de bas de page 17. Le prestataire n’était pas le père biologique des enfants et il n’était pas le conjoint en droit de leur mère. Il n’y avait aucune preuve à l’appui du fait qu’il avait toute autre relation juridique avec les enfants.

[23] Cependant, la division générale n’est pas liée aux décisions du juge-arbitre. Aucun pouvoir juridique contraignant n’exigeait de la part de la division générale qu’elle conclut que le prestataire doit être le parent ou tuteur légal de l’enfant pour que l’enfant soit « à charge » si elle appliquait l’article 29(c)(ii). De même, elle n’était pas tenue de définir la nécessité d’accompagner un enfant au titre de l’article 29(c)(ii) ou la nécessité de prendre soin d’un enfant au titre de l’article 29(c)(v) comme étant une obligation juridique.

[24] La liste des circonstances prévues à l’article 29(c) n’est pas exhaustive, et la division générale ne se fondait pas sur les articles 29(c)(ii) et 29(c)(v). Les tribunaux n’ont pas conclu que l’absence d’une relation juridiquement reconnue empêchait la division générale d’appliquer les articles 29(c)(ii) et 29(c)(v). Par conséquent, je ne peux pas affirmer que l’absence de reconnaissance juridique empêche la division générale considérer que la relation du prestataire avec les enfants était pertinente alors qu’elle n’appliquait même pas les articles 29(c)(ii) et 29(c)(v).

[25] La Commission a soutenu que le prestataire n’était pas le [traduction] « principal fournisseur de soinsNote de bas de page 18 » et a laissé entendre que cela signifiait que le prestataire avait fait le [traduction] « choix personnel » de se lier d’obligations parentales. La Commission semblait soutenir que les circonstances dont la division générale a tenu compte ne pouvaient pas être pertinentes à sa décision, car elles étaient personnelles. Pour appuyer cet argument, la Commission a fait référence à l’arrêt Canada (Procureur général) c ImranNote de bas de page 19. J’estime que l’arrêt Imran n’est pas utile dans le cadre de l’analyse. Dans l’arrêt Imran, la cour a conclu que le prestataire avait d’autres solutions raisonnables plutôt que de quitter son emploi, car il avait fait le choix de quitter son emploi afin de se chercher un meilleur emploi. Dans l’arrêt Imran, l’on ne définit pas le concept de [traduction] « personnel » et l’on n’exclut pas définitivement toute autre circonstance personnelle au motif que celle-ci n’est pas pertinente.

[26] Je ne connais pas de test ou de méthode objective pour lesquels une circonstance peut être considérée comme personnelle et être rejetée parce qu’elle n’est pas pertinente alors qu’une autre circonstance doit être considérée comme pertinente parce qu’elle n’est pas personnelle. J’apprécie le principe général exprimé dans l’arrêt Tanguay c La Commission d’assurance-chômageNote de bas de page 20selon lequel la loi devrait être interprétée conformément au devoir qui s’applique ordinairement à toute personne assurée, c’est-à-dire de ne pas volontairement provoquer un risque de chômage. Cependant, je ne lis pas l’arrêt Tanguay pour laisser entendre que les circonstances personnelles doivent nécessairement être exclues. L’arrêt Tanguay donne l’exemple d’un employé dont l’épouse est malade et qui ne peut pas supporter le climat de son lieu de travail et qui doit accompagner son épouse ver un autre lieu. Selon l’arrêt Tanguay, cette situation justifierait quand même le fait de quitter son emploi. L’exemple de l’arrêt Tanguay porte sur une épouse, mais cela n’est pas moins « personnel » que les circonstances du prestataire.

[27] L’article 29(c) de la Loi sur l’AE prévoit que la Commission doit tenir compte de la circonstance prévue à l’article 29(c)(v), soit la nécessité de prendre soin d’un enfant à charge. De même, elle doit tenir compte de la circonstance décrite à l’article 29(c)(ii) si un prestataire a accompagné un « époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence ». La loi reconnait ces deux circonstances comme étant pertinentes. La division générale n’a pas appliqué l’article 29(c)(v) ni l’article 29(c)(ii), mais ces circonstances ne sont pas moins « personnelles » que le choix du prestataire d’accompagner sa fiancée vers un autre lieu de résidence afin qu’il puisse l’aider à prendre soin de ses enfants. En d’autres mots, les circonstances ne doivent pas être présumées être non pertinentes seulement parce qu’elles rejoignent aussi des circonstances personnelles.

[28] La division générale n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a considéré que le prestataire croyait avoir eu besoin d’accompagner sa conjointe afin de l’aider à prendre soin de ses enfants, plus particulièrement de son fils de 12 ans. Cela ne constituait pas une circonstance non pertinente.

[29] Pertinence de la relocalisation de la conjointe du prestataire

[30] Comme il a été mentionné, la Commission a fait référence aux arrêts Canada (Procureur général) c Thompson et Thomas c Canada (Procureur général) pour appuyer son argument selon lequel la relation du prestataire avec le fils de sa conjointe n’était pas pertinente. Ni l’arrêt Thompson ni l’arrêt Thomas, ni toute autre source citée par la Commission, ne laisse entendre que la relation d’un prestataire avec une fiancée ne peut pas être considérée comme étant une circonstance pertinente même si cela n’est pas prévu à l’article 29(c)(ii) de la Loi sur l’AE.

[31] L’arrêt Thompson porte seulement surla nature de la relation d’un prestataire avec son conjoint ou sa conjointe. Dans cet arrêt, l’on soutient qu’une relation qui ne satisfait pas à la définition d’un époux ou d’un conjoint de fait ne permet pas d’établir la présence de la circonstance prévue à l’article 29(c)(ii) de la Loi sur l’AE. L’arrêt Thompson ne fait aucunement mention de la question à savoir si le type de relation que le prestataire avait avec sa conjointe pouvait quand même être considéré comme étant pertinent, même si elle ne satisfait pas à la définition prévue à l’article 29(c)(ii).

[32] Dans l’arrêt Thomas se trouvait la question à savoir si le juge-arbitre avait tenu compte de toutes les circonstances ou s’il s’était limité à évaluer si la relation de la prestataire était avec un époux ou un conjoint de fait. La cour a déterminé que le juge-arbitre ne s’était pas restreint à l’article 29(c)(ii) et avait plutôt tenu compte de toutes les circonstances.

[33] Pour déterminer si les circonstances particulières du prestataire sont pertinentes, il peut être utile de tenir compte de la justification politique pour avoir inclus la nécessité d’accompagner un époux ou un enfant à charge dans la liste des circonstances prévues à l’article 29(c). L’arrêt Kuntz dont la division générale a fait référence suivait le raisonnement établi dans l’arrêt Procureur général du Canada v WhiffenNote de bas de page 21. L’arrêt Whiffen laissait entendre que de préserver l’unité familiale était la justification politique pour affirmer que la circonstance pertinente était la nécessité d’accompagner un époux ou un enfant à chargeNote de bas de page 22. Dans l’arrêt Kuntz, l’on faisait référence aux arrêts Canada (Procureur général) v Dodsworth et Whiffen, affirmant ce qui suit :

[traduction]
Je crois que, dans l’intérêt public, le déménagement de la défenderesse doit être considéré comme étant sa seule solution, et il ne s’agit pas seulement d’une solution dont elle a opté pour des raisons ou des motifs valables. Une situation où une partie prestataire déménage avec son conjoint ou sa conjointe afin de préserver l’unité familiale est, selon moi, une situation très différente […]Note de bas de page 23.

[traduction]
[Une] épouse dont l’unité familiale est en cause n’a pratiquement pas d’autres choix que de déménager avec son époux, de sorte que son déménagement ne peut pas être considéré comme étant une restriction intentionnelle de ses chances de se trouver un autre emploi. Par conséquent, dans une telle situation, tout comme dans le cas d’un époux qui accompagne son épouse, la politique contestée ne peut s’appliquerNote de bas de page 24.

[34] Je reconnais que les arrêts Kuntz, Dodsworth et Whiffen font tous référence à des conjoints en droit, mais je tiens à noter que le raisonnement selon lequel on souhaite préserver l’unité familiale n’a rien à voir avec les circonstances d’emploi et est donc « personnel ». Les arrêts Whiffen et Dodsworth sous-entendent que le fait de préserver l’unité familiale n’est pas seulement pertinent, mais est d’une telle envergure que l’on peut supposer qu’une partie prestataire mariée n’avait d’autre choix que de quitter son emploi ne serait-ce que pour ce motif.

[35] Le prestataire prévoyait épouser sa conjointe dès que le divorce de cette dernière serait définitif. Après le déménagement de sa conjointe, il a décidé de la suivre et de cohabiter avec elle dans sa nouvelle maison, et d’être une figure parentale pour ses enfants. Le prestataire n’était ni marié à sa fiancée ni en union de fait avec elle, et il n’était pas le père biologique ou le gardien de ses enfants. Je n’émettrai pas de suppositions à savoir si cela peut être considéré comme un déménagement dans le but de « préserver l’unité familiale ». Cependant, je tiens à noter que le concept d’« unité familiale » a évolué depuis la publication de l’arrêt Whiffen et qu’il comprend maintenant les conjoints de fait. De plus, il s’agit d’un concept qui continue d’évoluer.

[36] Dans ma décision portant sur la demande de permission d’en appeler, j’ai fait référence aux arrêts Canada (Procureur général) c Campeau et Canada (Procureur général) c Côté de la Cour d’appel fédéraleNote de bas de page 25. J’ai soutenu qu’il était possible d’interpréter l’arrêt Campeau de telle manière à suggérer que « toutes les circonstances » décrites à l’article 29(c)(ii) de la Loi sur l’AE sont toutes les circonstances d’un certain type. J’ai affirmé que l’arrêt Côté pouvait être lu de manière à laisser entendre que ce type de circonstances pouvait exclure les circonstances que contrôle le prestataire. Cependant, la Commission n’a pas fourni d’argument au sujet de l’application de ces décisions aux circonstances de l’espèce. Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincu que ces décisions ont un certain pouvoir sur la notion selon laquelle toutes les circonstances personnelles devraient être exclues et considérées non pertinentes à la question de justification, ou sur la notion selon laquelle les circonstances du prestataire devraient être exclues en l’espèce.

[37] Indépendamment de l’application de l’article 29(c)(ii) ou de l’article 29(c)(v) de la Loi sur l’AE, la division générale a jugé pertinent le choix du prestataire d’accompagner sa fiancée et la famille de cette dernière vers un autre lieu de résidence. Elle a également jugé pertinente la conviction du prestataire qu’il devait agir de manière urgente afin de redresser la trajectoire du fils de 12 ans de sa conjointe. Compte tenu de ces circonstances, la division générale a conclu que la seule solution qui s’offrait au prestataire était celui de quitter son emploi.

[38] Je suis convaincu du fait que les circonstances particulières qui ont motivé la décision du prestataire de quitter son emploi sont pertinentes. Je conclus que la division générale n’a pas commis d’erreur de droit en fondant sa décision sur des circonstances non pertinentes.

Erreur de fait importante

Preuve à l’appui du fait que le prestataire était retourné travailler pour son ancien employeur

[39] La division générale a également soutenu que la division générale n’a pas tenu compte du fait que le prestataire avait accepté un emploi à temps partiel au sein de son ancienne entreprise pendant qu’il se cherchait un emploi dans sa nouvelle ville. Cela était brièvement mentionné dans l’avis d’appel du prestataire daté du 15 août 2019. Cette note ne portait aucunement sur les circonstances de l’emploi à temps partiel, sur la date à laquelle il était retourné travailler ou sur la façon dont il coordonnait ses heures de travail à temps partiel avec sa nouvelle vie et son nouveau lieu de résidence. La division générale n’a pas demandé au prestataire d’expliquer cela à l’audience, et je ne serais pas autorisé à tenir compte d’éléments de preuve dont était saisie la division générale.

[40] La question que devait trancher la division générale était celle de déterminer si le prestataire avait d’autres solutions raisonnables au moment où il a quitté son emploi en mars 2019, alors que les enfants de sa conjointe étaient encore à l’école. Les renseignements qui se trouvent dans l’avis d’appel semblent décrire les circonstances qui se sont produites plusieurs mois plus tard. Comme cela a été noté dans les observations de la Commission : [traduction] « [L]a Cour d’appel fédérale a confirmé que les circonstances pertinentes étaient celles qui existaient au moment où le prestataire a quitté son emploi, et que c’était celles-ci qui permettaient de déterminer s’il avait été fondé à quitter son emploi, non pas certains événements futurs qui se sont produits après le départ volontaireNote de bas de page  26. »

[41] J’estime que la déclaration du prestataire n’est pas particulièrement probante ou significative, et je n’accepte pas le fait que la division générale a commis une erreur de fait importante en ne faisant pas référence à celle-ci. La Cour d’appel fédérale a affirmé qu’un tribunal n’a pas besoin de traiter de chaque élément de preuveNote de bas de page 27.

Autres éléments de preuve ignorés ou mal interprétés

[42] Cela dit, je tiens à noter que la décision de la division générale selon laquelle le prestataire n’avait pas d’autres solutions raisonnables repose sur deux principales conclusions de fait. La première conclusion est que le prestataire devait prendre des mesures pour répondre à la situation qui s’aggravait du fils de sa conjointe, et ce, [traduction] « sans tarderNote de bas de page 28 ». La deuxième conclusion est que la mesure requise était que le prestataire « intervien[ne] en tant que figure paternelle » pour régler les problèmes comportementauxNote de bas de page 29.

[43] Il y avait certains éléments de preuve concernant les problèmes de comportement du fils qui viendraient appuyer la première conclusion. Cependant, la deuxième conclusion repose entièrement sur l’opinion du prestataire selon laquelle la famille nécessitait qu’il déménage avec elle afin de pouvoir donner un coup de main en ce qui a trait au comportement du fils. Il est incontestable que le prestataire connait sa conjointe et qu’il connait maintenant bien le fils de sa conjointe aussi. Il veut probablement faire tout en son possible pour aider sa conjointe et son fils. Cependant, la division générale n’aurait pas dû se fonder uniquement sur l’opinion du prestataire pour conclure qu’il avait besoin d’emménager avec la famille de sa conjointe.

[44] Les tribunaux n’autorisent pas une preuve d’opinion de profane, à moins qu’elle porte sur des sujets dont on considère que tout le monde a des connaissances. Encore là, les tribunaux exigent quand même que les opinions de profane des témoins soient fondées sur les propres observations des témoinsNote de bas de page 30. Bien que la division générale ne soit pas strictement liée par les règles de la preuve, je ne peux pas accepter l’opinion non fondée d’un témoin profane en tant que substitue aux faits, et je ne peux pas me fonder sur celle-ci.

[45] Même si j’acceptais le fait que le prestataire avait les compétences nécessaires pour formuler une opinion sur la façon dont sa présence serait bénéfique à l’enfant de sa conjointe, son opinion devrait être fondée sur des faits présents dans la preuve afin que la division générale puisse déterminer quel poids accorder à l’opinion du prestataire. En l’espèce, l’opinion du prestataire n’était fondée sur aucune preuve.

[46] Il est possible que la division générale ait déduit un degré de dépendance émotionnelle de la part du prestataire lors de son témoignage selon lequel le comportement du fils de 12 ans de sa conjointe s’était en quelque sorte amélioré lorsqu’il a déménagé avec eux. Cependant, cela n’aurait pas été la seule déduction qu’aurait pu faire la division générale à partir de cet élément de preuve. Par exemple, il est possible que le fils ait simplement commencé à s’adapter à sa nouvelle maison et à sa nouvelle école. Je comprends que le prestataire croyait être une influence stabilisatrice sur le garçon, mais aucune preuve directe n’appuyait le fait que le garçon avait un attachement particulier pour le prestataire ou qu’il était émotionnellement dépendant de lui de quelque façon que ce soit.

[47] Avant que le prestataire ne déménage pas sa conjointe et ses enfants, il n’avait jamais cohabité avec la famille et il voyait seulement les enfants de sa conjointe la fin de semaine. Il n’a pas expliqué de quelle façon il avait pris des responsabilités pour prendre soin de l’un ou l’autre des enfants avant de déménager avec eux. Il est possible qu’il estimait avoir une certaine obligation d’aider sa conjointe à prendre soin de ses enfants, mais aucune preuve n’a démontré qu’il avait agi, dans le passé, d’une manière qui est conforme à une telle obligation avant son déménagement.

[48] Mis à part l’affirmation du prestataire, aucune preuve dont était saisie la division générale ne lui permettait de déterminer de façon indépendante que le prestataire pouvait intervenir efficacement auprès du fils de 12 ans tout simplement en déménageant avec la famille. Elle ne pouvait même pas déterminer si l’intervention du prestataire aiderait à améliorer la situation, ou si cela améliorerait davantage la situation que d’autres interventions possibles. La conjointe du prestataire n’a pas témoigné et son fils de 12 ans non plus. Aucun autre témoin ou membre de la famille n’a témoigné. Il n’y avait aucun témoignage d’expert ou rapport d’expert évaluant la situation familiale. Le prestataire n’a pas témoigné au sujet des problèmes de comportement du fils sauf lorsqu’il a dit que le fils de sa conjointe séchait ses cours. Il a fait allusion aux mauvais choix du fils en ce qui a trait aux drogues et à l’alcool dans son avis d’appel, mais il n’a pas fourni de détailNote de bas de page 31. Le prestataire n’a pas témoigné au sujet de ses propres observations concernant le fait que le comportement du fils s’était amélioré en sa présence. Il n’a fourni aucun exemple sur la façon dont la fréquentation scolaire du fils s’était améliorée ou sur la façon dont la consommation de drogue ou d’alcool du fils était moins élevée en raison de l’implication du prestataire.

[49] Selon moi, la division générale a commis une erreur de fait importante lorsqu’elle a conclu que le prestataire avait besoin de déménager avec la famille afin d’aider à traiter les problèmes comportementaux du fils. Cette conclusion a été tirée de façon abusive ou arbitraire, car elle se fonde exclusivement sur l’opinion non fondée du prestataire qui n’est pas un expert.

Résumé des erreurs

[50] J’ai conclu que la division générale avait commis une erreur de fait importante en se fondant sur la preuve non fondée sous forme d’opinion fournie par le prestataire.

Réparation

[51] J’ai l’autorité nécessaire pour modifier la décision de la division générale ou pour rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 32. Je pourrais aussi renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle réexamine sa décision.

[52] Je rendrai la décision que la division générale aurait dû rendre, car j’estime que le dossier d’appel est complet. Cela signifie que la division générale a déjà examiné toutes les questions soulevées en l’espèce et que je peux rendre une décision fondée sur la preuve reçue par la division générale.

[53] Pour déterminer qu’une partie prestataire a une justification, il faut conclure que sa seule solution raisonnable avait été de quitter son emploi. La division générale a démontré une appréciation pour la définition juridique de « justification » et elle a déterminé que le prestataire avait une justification, car elle comprenait que sa seule solution raisonnable avait été de quitter son emploi.

[54] Cependant, la division générale a seulement tenu compte d’une seule solution raisonnable, soit celle que la Commission a présentée lorsqu’elle a rejeté la demande de révision du prestataire. Cette solution était que le prestataire aurait pu continuer à se chercher un emploi où vivait sa conjointe. La division générale n’a pas précisé si elle avait tenu compte d’autres solutions raisonnables.

[55] La division générale a conclu que le prestataire n’aurait pas pu continuer à travailler tout en se cherchant un emploi où vivait sa conjointe, car elle a accepté le fait que le prestataire avait besoin de se joindre au ménage de sa conjointe, et ce, de manière urgenteNote de bas de page 33.

[56] Le prestataire a témoigné au sujet du fait qu’il croyait que le comportement du fils de 12 ans de sa conjointe s’améliorerait s’il vivait dans leur maison en tant que figure paternelle. Cependant, il n’y avait aucune autre preuve devant la division générale qui appuyait cette conviction selon laquelle sa présence à temps plein dans la maison serait nécessaire et même bénéfique.

[57] Le fardeau de la preuve incombe au prestataire, qui doit établir qu’il n’avait aucune autre solution raisonnable, et j’estime que le prestataire n’a pas établi que la seule façon de traiter les problèmes du fils était qu’il emménage immédiatement avec la famille. Par conséquent, d’autres solutions raisonnables pourraient inclure des solutions qui n’exigeraient pas qu’il déménage immédiatement.

[58] Selon l’arrêt Canada (Procureur général) c MurugaiahNote de bas de page 34 de la Cour d’appel fédérale, je dois examiner toute solution raisonnable évidente. Même si le prestataire a raison de dire que le fils avait besoin d’une intervention urgence, il y avait d’autres solutions que le prestataire et sa conjointe auraient pu envisager. Ils auraient pu demander du counselling pour l’enfant, ou essayer de s’arranger pour que la conjointe du prestataire adapte ses heures de travail afin qu’elle puisse être à la maison au moment où son fils doit quitter pour l’école (ou trouver un autre emploi ou du soutien financier afin qu’elle reste à la maison). Ils auraient peut-être pu envisager de déménager la famille de sa conjointe dans la ville où habitait le prestataire. Toutes ces solutions raisonnables étaient à la disposition du prestataire au moment où il a quitté son emploi.

[59] Je tiens à noter que la Commission s’était d’abord penchée sur la question à savoir si le prestataire aurait pu demander un congéNote de bas de page 35. L’employeur du prestataire n’a pas voulu confirmer à la Commission si un congé était possibleNote de bas de page 36, et le prestataire a dit à la Commission qu’il n’avait pas demandé de congé, car il s’attendait à ce que son déménagement soit permanentNote de bas de page 37. Cependant, la raison pour laquelle le prestataire n’avait pas demandé de congé supposait qu’on avait besoin de lui à temps plein à la maison et qu’il s’agit d’un besoin immédiat. Il n’a pas démontré que cela était vrai. À mon avis, le prestataire aurait quand même pu demander un congé afin d’aider sa conjointe à envisager d’autres arrangements ou soutien pour son fils. S’il croyait que le fils avait besoin qu’une figure paternelle vive dans la maison, il aurait pu prendre un congé temporaire avant de quitter son emploi afin d’emménager pour une période d’essai. Il aurait alors été mieux placé pour évaluer s’il pouvait seulement aider le fils de sa conjointe en déménageant de façon permanente.

[60] Le prestataire n’a pas démontré que de déménager avec la famille de sa conjointe était la seule façon de venir en aide au fils de sa conjointe. Il n’a pas démontré que sa seule solution raisonnable avait été de quitter son emploi.

Conclusion

[61] L’appel est accueilli. Le prestataire n’avait pas été fondé à quitter son emploi.

 

Date de l’audience :

Le 14 janvier 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

R. H., appelant

Rachel Paquette, représentante de l’intimée

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