Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. La prestataire n’est pas exclue du bénéfice des prestations parce que ses gestes ne constituaient pas une inconduite.

Aperçu

[2] L’appelante, N. B. (prestataire), travaillait en tant qu’éducatrice de la petite enfance lorsqu’un enfant sous sa responsabilité a disparu. Comme la prestataire ne trouvait pas l’enfant sur les lieux, elle s’est rendue jusqu’au domicile de l’enfant en voiture, où elle l’a retrouvé avec sa mère. L’employeur a congédié la prestataire parce qu’elle n’avait pas composé le 911 et qu’elle avait seulement appelé son supérieur après avoir retrouvé l’enfant. Selon l’employeur, la prestataire n’a pas suivi sa politique en cas d’incident grave.

[3] Lorsque la prestataire a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi, l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a rejeté sa demande, après avoir conclu que l’employeur avait congédié la prestataire en raison d’une inconduite. La Commission a maintenu cette décision après révision. La prestataire a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, mais celle-ci a rejeté son appel. La prestataire interjette maintenant appel de la décision de la division générale devant la division d’appel.

[4] L’appel est accueilli. La division générale a tiré une conclusion de fait erronée selon laquelle la politique de l’employeur interdisait précisément la prestataire de partir à la recherche de l’enfant à l’extérieur de la garderie avant de composer le 911. J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre et j’ai jugé que les gestes de la prestataire ne constituaient pas une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE). Par conséquent, la prestataire n’est pas exclue du bénéfice des prestations.

Moyens d’appel

[5] Je ne peux accueillir l’appel que si j’estime que la division générale a commis au moins l’une des erreurs correspondant aux « moyens d’appel », c’est-à-dire si la division généraleNote de bas de page 1 :

  1. n’a pas agi équitablement;
  2. n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher, ou a tranché une question qu’elle n’aurait pas dû trancher;
  3. a fondé sa décision sur une erreur de fait importante;
  4. a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

Question en litige

[6] La division générale a-t-elle commis une erreur de fait importante en ne comprenant pas bien la politique de l’employeur en cas d’incident grave ou en ignorant les éléments de preuve pertinents pour interpréter la politique de l’employeur?

Analyse

Politique de l’employeur

[7] La division générale a commis une erreur de fait importante en concluant que la prestataire avait été imprudente en ne suivant pas la politique de l’employeur.

[8] Selon la politique de l’employeur, un enfant porté disparu est considéré comme un incident grave. En cas d’incident grave, la politique énonce la marche à suivre suivante :

  1. Prodiguer les premiers soins.
  2. Composer le 911 (services de police, d’incendie et d’ambulance) ou appeler un taxi si une ambulance n’est pas nécessaire.
  3. Communiquer avec le parent, le tuteur légal ou la personne-ressource en cas d’urgence pour l’informer de la situation et lui indiquer à quel hôpital vous vous rendez.
  4. Apporter le dossier de l’enfant à l’hôpital.
  5. Signaler l’incident à l’une des personnes suivantes (voir la liste des responsables suivante).

[9] La division générale a estimé que la politique en cas d’incident grave était [traduction] « claireNote de bas de page 2 », mais la politique ne donne pas de directives précises quant à la façon dont la prestataire devrait agir dans le cas où un enfant serait porté disparu. La politique semble plutôt avoir été rédigée pour répondre à une situation où un enfant est blessé. Comme je l’ai mentionné dans la décision relative à la permission d’en appeler, aucun des éléments liés aux mesures individuelles décrites dans la politique en cas d’incident grave ne concerne précisément un cas où un [traduction] « enfant serait porté disparu » et plusieurs d’entre eux ne s’appliquent pas. Pour que la prestataire ait appliqué la politique dans le cas où un enfant serait porté disparu, elle aurait dû déterminer les éléments qui étaient réellement applicables.

[10] De plus, l’employeur a donné d’autres directives à son personnel. La division générale a renvoyé à un passage de la politique écrite, soit [traduction] « l’obligation absolue de composer le 911Note de bas de page 3 », comme s’il s’agissait de la seule directive donnée à la prestataire. La division générale a remarqué que la politique [traduction] « ne prévoit pas que le personnel doit prendre les choses en main, quitter les lieux et chercher l’enfant porté disparu à l’extérieur avant de prévenir les services d’urgence et un responsableNote de bas de page 4 ». Toutefois, selon d’autres éléments de preuve dont la division générale disposait, la politique écrite ne représentait pas les attentes définitives de l’employeur dans le cas où un enfant serait porté disparu.

[11] L’employeur a dit à la Commission que le personnel devait d’abord chercher l’enfant, puis prévenir un supérieur ou un responsable ainsi que la police seulement si l’enfant n’était pas retrouvé. La prestataire a confirmé que l’employeur s’attendait à ce que le personnel cherche l’enfant porté disparu, affirmant ceci : [traduction] « […] le personnel doit immédiatement chercher l’enfant, prévenir son supérieur ou son responsable et appeler la policeNote de bas de page 5 ». Autrement dit, des éléments de preuve démontraient que l’employeur avait dit à son personnel que la première étape dans le cas où un enfant serait porté disparu était de chercher l’enfant avant même de composer le 911. Les preuves de la prestataire et de l’employeur ont confirmé que la politique générale de l’employeur en cas d’incident grave ne correspondait pas aux directives que l’employeur avait données à son personnel dans le cas où un enfant serait porté disparu. La division générale a ignoré cet élément de preuve.

[12] Lors de l’audience devant la division d’appel, la Commission a reconnu que la politique de l’employeur en cas d’incident grave ne précisait pas clairement la marche à suivre au personnel dans le cas où un enfant serait porté disparu. Elle a admis que la division générale avait commis une erreur en concluant que la première étape de la politique de l’employeur était de composer le 911Note de bas de page 6. La Commission a renvoyé aux déclarations de l’employeur et de la prestataire selon lesquelles le personnel devait chercher l’enfant porté disparu avant tout.

[13] Je suis d’accord. La division générale a commis une erreur de fait importante lorsqu’elle a ignoré ou n’a pas bien compris la preuve selon laquelle l’employeur avait donné des directives qui ne correspondaient pas à sa politique écrite.

[14] La décision de la division générale est fondée sur cette erreur de fait. Si la division générale avait pris en compte ou compris la déclaration de la prestataire et de l’employeur, elle aurait peut-être reconnu que les directives de la politique n’étaient pas claires, qu’elles ne correspondaient pas aux directives données par l’employeur ou qu’elles l’emportaient sur ces directives. Si la division générale avait fait cela, elle n’aurait peut-être pas conclu que la prestataire avait été imprudente en ignorant la politique de l’employeur. Cela signifie qu’elle n’aurait pas manqué à une obligation envers son employeur et qu’elle n’aurait pas dû savoir que ses gestes entraîneraient son congédiement.

[15] La division générale n’a pas examiné ni compris l’ensemble de la preuve lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait été imprudente en ignorant la politique de l’employeur. Par conséquent, j’estime que la division générale a commis une erreur de fait importante.

[16] Comme j’ai décelé une erreur, je dois maintenant déterminer la réparation appropriée.

Réparation

Choix de la réparation

[17] J’ai le pouvoir de modifier la décision de la division générale ou de rendre la décision qu’elle aurait dû rendreNote de bas de page 7. Je peux également renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen.

[18] La Commission a soutenu que je devrais renvoyer l’affaire à la division générale pour que la nouvelle preuve soit examinée. Elle constate que la prestataire a présenté des éléments de preuve supplémentaires dans le but de préciser la politique de l’employeur dans le cas où un enfant serait porté disparuNote de bas de page 8, et que les parties ne devraient pas renforcer leur position devant la division d’appel. Par conséquent, la Commission propose que l’affaire soit renvoyée à la division générale pour que celle-ci rende une décision en tenant compte des nouveaux éléments de preuve.

[19] Je dois refuser en toute déférence. Je rendrai plutôt la décision que la division générale aurait dû rendre. Bien que je reconnaisse que la division d’appel ne peut pas examiner ces nouveaux éléments de preuve, j’estime que le dossier est complet malgré tout. Cela signifie que je reconnais que la division générale a examiné toutes les questions en litige en l’espèce et que toutes les parties ont déjà eu l’occasion de présenter leurs meilleurs éléments de preuve en réponse à ces questions. Les nouveaux éléments de preuve peuvent avoir soutenu ou affaibli une position, mais je ne peux pas renvoyer l’affaire à la division générale dans le seul but de donner à l’une ou l’autre des parties la possibilité de monter un meilleur dossier.

Nouvelle décision

[20] Cette décision reposera sur la preuve qui a déjà été présentée à la division générale. Il incombait à la Commission d’établir que les gestes de la prestataire constituaient une inconduite au titre de la Loi sur l’AE et qu’elle avait été congédiée en raison d’une inconduite. Il revenait à la Commission de présenter des éléments de preuve en faveur de cette inconduite à la division générale.

[1] Selon l’article 30 de la Loi sur l’AE, toute partie prestataire congédiée en raison de sa propre inconduite est exclue du bénéfice des prestations. Le terme « inconduite » n’est pas défini dans la loi, mais les tribunaux l’ont décrit pour que la Commission établisse ce qui suit :

  • la partie prestataire a commis le geste ou l’omission qui serait à l’origine de son inconduite;
  • la conduite de la partie prestataire était intentionnelle, ce qui peut signifier qu’elle était délibérée ou même imprudenteNote de bas de page 9;
  • la conduite de la partie prestataire était telle que celle-ci savait ou aurait dû savoir qu’elle nuirait à l’exercice de ses fonctions envers son employeurNote de bas de page 10;
  • la conduite de la partie prestataire pouvait réellement entraîner son congédiementNote de bas de page 11.

[21] L’inconduite reprochée par l’employeur en l’espèce était que la prestataire n’avait pas suivi le [traduction] « protocole » dans le cas où un enfant serait porté disparu. L’employeur n’a pas laissé entendre que la prestataire avait fait preuve de négligence en laissant l’enfant s’éclipser de la garderie pour retourner à la maison sans dire au personnel où il allait. L’employeur n’a pas prétendu l’avoir congédiée pour ce motif.

[22] L’employeur a congédié la prestataire parce qu’il estimait qu’elle n’avait pas respecté son protocole d’intervention dans le cas où un enfant serait porté disparu. La prestataire avait tenté de gérer la situation en cherchant l’enfant elle-même au lieu de demander de l’aide. La prestataire et l’autre membre du personnel ont d’abord fouillé la garderie ensemble. La prestataire a ensuite tenté de téléphoner au domicile de l’enfant, mais personne n’a répondu. Alors que l’autre membre du personnel multipliait les appels au domicile de l’enfant, la prestataire a quitté la garderie pour se rendre directement au domicile de l’enfant le plus près. Elle a retrouvé l’enfant en sécurité chez lui avec sa mère. Elle est ensuite retournée à la garderie pour appeler son supérieur.

[23] Après avoir lu la politique de l’employeur en cas d’incident grave, la division générale a compris que le personnel devait composer le 911 sur-le-champ. Toutefois, j’estime que la [traduction] « politique [écrite de l’employeur] en cas d’incident grave » ne précise pas entièrement les attentes de l’employeur envers son personnel dans le cas où un enfant serait porté disparu. En me fondant sur les ambiguïtés de la politique écrite ainsi que les déclarations de l’employeur et de la prestataire à la Commission, j’estime que selon le [traduction] « protocole » de l’employeur, le personnel doit chercher l’enfant porté disparu avant d’appeler un supérieur ou la police.

[24] La nature et l’étendue de la recherche sont sujettes à interprétation. L’employeur a dit à la Commission que le personnel [traduction] « devait faire une première vérification des lieux » avant de prendre des mesures, notamment appeler un supérieur ou la police, si l’enfant porté disparu n’était pas [traduction] « immédiatement retrouvé ». La prestataire a seulement ajouté qu’elle savait qu’elle devait chercher l’enfant avant tout. Il n’y avait aucun autre élément de preuve sur la façon dont, ou même si les attentes de l’employeur étaient communiquées au personnel, ou plus particulièrement à la prestataire. Rien n’indiquait si l’employeur avait défini le terme [traduction] « première vérification » à son personnel. Cela signifie que le personnel n’aurait pas pu savoir quand estimer qu’un enfant porté disparu n’avait pas été [traduction] « immédiatement » retrouvé.

[25] L’employeur a dit que c’est le rôle de la police de se rendre au domicile de l’enfant et de le retrouverNote de bas de page 12. Lorsqu’elle a été interrogée par la Commission, la prestataire a reconnu qu’on ne lui avait jamais demandé de chercher l’enfant à l’extérieur de l’écoleNote de bas de page 13. Toutefois, la Commission ne lui a pas demandé si l’employeur avait déjà interdit au personnel de pousser les recherches à l’extérieur des lieux, et l’employeur ne l’a pas précisé non plus. La division générale avait probablement raison de constater que l’issue aurait pu être tragique étant donné que la prestataire n’avait pas immédiatement composé le 911. Par ailleurs, c’était l’employeur qui avait demandé à la prestataire de faire une vérification, comme le prévoit la première étape de ses directives dans le cas où un enfant serait porté disparu. La prestataire aurait bien pu s’attendre à ce que son employeur soit satisfait si elle avait pu retrouver l’enfant rapidement sans appeler les services d’urgence.

[26] À mon avis, la prestataire a agi rapidement et délibérément pour retrouver l’enfant dans ce qui devait être une situation stressante, et sans avoir une idée claire de ce qu’on attendait d’elle. En tenant compte uniquement des intérêts de l’enfant porté disparu, il aurait été plus sage ou plus prudent si la prestataire avait mené une recherche plus limitée et si elle avait ensuite composé le 911 ou appelé un supérieur, ou même demandé à l’autre membre du personnel de composer le 911 alors qu’elle se rendait au domicile de l’enfant. Toutefois, la politique écrite de l’employeur n’était pas claire et contredisait à certains égards les directives de l’employeur.

[27] Par conséquent, la Commission n’a pas établi que la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle ne respectait pas le protocole de l’employeur lorsqu’elle est partie à la recherche de l’enfant à l’extérieur. La Commission n’a pas non plus établi que la prestataire aurait dû savoir que le congédiement était une réelle possibilité.

[28] La Commission n’a donc pas prouvé que les gestes de la prestataire constituaient une inconduite au titre de la Loi sur l’AE. La prestataire n’est pas exclue du bénéfice des prestations au motif d’avoir été congédiée en raison d’une inconduite.

Conclusion

[29] L’appel est accueilli.

Date de l’audience :

Le 17 janvier 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

N. B., appelante

J. Lachance, représentant de l’intimée

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