Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté parce que la prestataire a quitté son emploi dans un établissement de restauration rapide (restaurant) sans justification.

Aperçu

[2] L’appelante, J. H. (prestataire), porte la décision de la division générale en appel. La division générale a conclu que la prestataire a quitté son emploi volontairement et sans justification parce qu’elle aurait pu choisir d’autres solutions raisonnables au lieu de quitter son emploi quand elle l’a fait. Par conséquent, la division générale a conclu qu’elle était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. La prestataire soutient que la division générale a commis des erreurs de droit et de fait lorsqu’elle a rendu sa décision.

[3] Pour les motifs ci-dessous, je rejette l’appel. Je conclus que la prestataire a quitté son emploi au restaurant sans justification. Même si elle n’y avait pas un poste permanent ni de sécurité d’emploi, elle savait qu’elle courrait un plus grand risque de se retrouver au chômage en quittant son emploi pour accepter un poste temporaire où elle travaillerait sur appel.

Questions en litige

[4] Voici les questions en litige :

  1. La division générale a-t-elle commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait un emploi à temps plein ou des heures de travail garanties à l’un de ses emplois?
  2. La division générale a-t-elle omis d’examiner si la prestataire était fondée à quitter son emploi au titre de l’article 29(c)(vi) de la Loi sur l’assurance-emploi?
  3. La division générale a-t-elle mal interprété la notion de « seule solution raisonnable dans son cas » dans la mesure où elle se rapporte à une personne qui a un autre emploi?

Analyse

Contexte

[5] La prestataire occupait deux emplois, dont l’un dans un service des postes. Le 15 novembre 2018, la prestataire a commencé à travailler au service des postes sur une base temporaire et sur appel. Elle s’attendait à ce que le service des postes lui offre un de ces jours un poste permanent ainsi que des heures garanties et des avantages sociaux.

[6] Vers la mi-janvier 2019, il y a eu un manque de travail. Le service des postes a cessé de lui offrir des heures de travail.

[7] Le 3 février 2019, le service des postes l’a rappelée au travail. Elle a repris le travail à cet endroit.

[8] La prestataire travaillait aussi dans un restaurant. Même si l’argent supplémentaire qu’elle gagnait en travaillant aux deux endroits était le bienvenu, elle trouvait difficile de gérer deux emplois tout en s’occupant de deux jeunes enfants. Ainsi, quand le service des postes l’a rappelée, la prestataire a quitté son emploi au restaurant. De toute façon, elle s’attendait à ce que le service des postes lui offre, au bout du compte, un poste permanent avec des avantages sociaux et des heures garanties. Le restaurant n’aurait jamais pu lui offrir d’avantages sociaux, sans compter qu’il lui versait seulement le salaire minimum.

[9] Après un peu plus de deux semaines au service des postes, le travail est encore venu à manquer. Le 11 avril 2019, le service des postes a produit un relevé d’emploi portant la mention [traduction] « manque de travail — fin du contrat ou de la saison ». Le RE indiquait que la dernière journée où la prestataire a été rémunérée était le 29 mars 2019Note de bas de page 1.

[10] Le 1er avril 2019, la prestataire a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi. Le service des postes a continué d’employer la prestataire.

[11] L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a rejeté la demande de prestations parce qu’elle a conclu que la prestataire avait volontairement quitté son emploi au restaurant sans justification et que le départ volontaire n’était pas la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 2.

Question en litige n1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait un emploi à temps plein ou des heures de travail garanties?

[12] Oui. Je constate que la division générale a commis une erreur de fait quand elle a accueilli les arguments de la Commission voulant que la prestataire ait eu des heures garanties au restaurant.

[13] Si la prestataire a quitté le restaurant qui lui offrait un poste à temps plein ou des heures garanties pour occuper un poste temporaire où elle était sur appel, alors elle s’est exposée à un plus grand risque de chômage. Dans un tel scénario, il semblerait peu probable que son départ volontaire du restaurant soit justifié. Par contre, si elle est passée d’un poste temporaire où elle travaille sur appel sans heures garanties à un autre poste lui aussi temporaire où elle travaille sur appel sans heures garanties, alors elle était peut-être fondée à quitter son emploi au restaurant.  

[14] La prestataire soutient que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’elle travaillait à temps plein ou que ses heures étaient garanties au restaurant. Elle nie avoir travaillé à temps plein ou avoir eu des heures garanties au restaurant.

[15] À l’audience de la division générale, la prestataire a déclaré qu’elle ne travaillait pas toujours 40 heures par semaine au restaurantNote de bas de page 3.

[16] Cependant, dans une lettre datée du 30 avril 2019, la prestataire décrit son emploi au restaurant comme [traduction] « un travail à temps pleinNote de bas de page 4 ». Elle voulait expliquer à la Commission pourquoi elle avait décidé de quitter son « travail à temps plein » pour occuper un poste temporaire.

[17] Dans des lettres datées du 30 mai 2019 et du 20 juin 2019, la prestataire nie avoir travaillé à temps plein au restaurant ou avoir déjà eu des heures de travail garantiesNote de bas de page 5. Elle a écrit que le personnel de Service Canada n’a pas compris qu’elle n’avait jamais travaillé à temps plein et jamais eu un nombre d’heures garanti. Elle y ajoute qu’elle [traduction] « faisait assez d’heures, mais pas tout le temps (…) aussi, je devais travailler sept jours par semaine pour faire ces heures »Note de bas de page 6.

[18] La division générale a noté la réponse de la Commission aux contestations de la prestataire qui maintenait qu’elle ne travaillait pas à temps plein et n’avait pas d’heures garanties au restaurant. La Commission a fait valoir que la prestataire avait travaillé au restaurant pendant environ six ans sans interruption. La Commission a soutenu que le relevé d’emploi montrait aussi que la prestataire avait travaillé en moyenne 30 heures par semaineNote de bas de page 7.

[19] La division générale a accueilli les observations de la Commission. Elle a conclu que l’emploi au restaurant était un [traduction] « emploi garanti »Note de bas de page 8. Elle a tiré cette conclusion parce que :

  • la prestataire a occupé l’emploi au restaurant pendant six ans sans interruption de la part de l’employeur;
  • le relevé d’emploi montrait que la prestataire travaillait environ 30 heures par semaine. De toute évidence, la division générale considérait cela comme un emploi à temps plein.

[20] Le restaurant n’offrait pas officiellement un emploi garanti ou des heures de travail à temps plein à la prestataire. Toutefois, comme ses antécédents de travail à cet endroit remontaient à six ans, la division générale a décidé qu’en pratique, la prestataire avait un emploi garanti.

[21] Le relevé d’emploi montre que la prestataire a travaillé plus de 60 heures pour 12 périodes de paie sur 18. Autrement dit, au cours de ses huit derniers mois d’emploi au restaurant, la prestataire a travaillé à temps plein pendant environ les deux tiers du temps. Cela signifie que la prestataire n’a pas travaillé à temps plein pendant les six autres périodes de paie ou le tiers du temps.

[22] D’un autre côté, la prestataire a fait un nombre d’heures beaucoup plus grand (plus de 81,25 heures sur deux semaines) pendant certaines périodes de paie, comparativement à d’autres périodes où elle a peut-être fait aussi peu que 23,94 heures sur deux semainesNote de bas de page 9. La preuve ne démontre pas clairement la raison pour laquelle certaines périodes de paie de la prestataire comptaient un nombre d’heures plus de deux fois plus élevé que d’autres périodes de paie.

[23] Il semble que la division générale ait additionné toutes les heures travaillées par la prestataire pendant les 18 périodes de paie pour calculer le nombre total d’heures travaillées. Elle a ensuite divisé le total par 18 périodes de paie, puis elle a fait une autre division pour obtenir le nombre d’heures moyen par semaine. Par ce calcul, elle a obtenu une moyenne de 30 heures par semaine.

[24] Toutefois, cette approche ne tient pas compte du fait que le nombre d’heures travaillées par période de paie variait beaucoup. Pendant une période de paie, la prestataire a fait 23,94 heures; pendant une autre, elle a fait 81,25 heures. La très grande variation du nombre d’heures accumulées d’une semaine à l’autre laisse croire que l’employeur de la prestataire ne lui garantissait pas un certain nombre d’heures de travail par semaine.

[25] Pour ce motif, je constate que la division générale a commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait un nombre garanti d’heures de travail au restaurant.

Question en litige n2 : La division générale a-t-elle omis d’examiner si la prestataire était fondée à quitter son emploi au titre de l’article 29(c)(vi) de la Loi sur l’assurance-emploi?

[26] Non. Je constate que la division générale n’a pas omis d’examiner si la prestataire était fondée à quitter son emploi au titre de l’article 29(c)(vi) de la Loi.

[27] Aux termes de l’article 29(c)(vi) de la Loi, la prestataire est fondée à quitter volontairement son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas, y compris si elle avait une assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat.

[28] La prestataire soutient que son départ était justifié parce qu’elle avait trouvé un autre emploi. Elle s’attendait à ce que ce nouvel emploi mène à un poste permanent avec des heures garanties. Elle a donné l’exemple de son époux. Il a quitté son emploi et comptait sur son travail temporaire au service des postes avant d’y être embauché comme employé permanent plus d’un an plus tard. Elle soutient que la division générale n’a pas tenu compte de ce fait.

[29] Il y a eu d’autres cas où la partie appelante avait quitté un de ses deux emplois et le départ a été considéré comme justifié. C’est ce qui s’est passé dans la cause Canada (Procureur général) c MarierNote de bas de page 10. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale fait référence à deux autres causes. Dans les arrêts Canada (Procureur général) c LeungNote de bas de page 11 et Gennarelli c Canada (Procureur généralNote de bas de page 12, la Cour fédérale a décidé que les prestataires étaient fondés à quitter volontairement un de leurs deux emplois concurrents parce qu’ils avaient chacun « des motifs raisonnables de croire » qu’ils conserveraient leur autre emploi. La Cour d’appel fédérale s’est appuyée sur ces deux décisions lorsqu’elle a examiné la situation de M. Marier.

[30] M. Marier occupait deux emplois à temps partiel, tout comme la prestataire dans la présente affaire. Du 13 juin 2009 au 1er février 2010, M. Marier était sur une liste de rappel de jour d’une entreprise de nettoyage, pour laquelle il travaillait de 25 à 30 heures par semaine. Il a volontairement quitté cet emploi pour suivre une formation de cinq mois dans le domaine du nettoyage.

[31] Du 1er juillet 2009 au 18 juillet 2010, M. Marier travaillait aussi de 25 à 30 heures par semaine pour une coopérative. Il a quitté volontairement cet emploi pour accepter un nouvel emploi dans un centre de santé et de services sociaux. Le nouvel emploi devait commencer le 5 août 2010. Toutefois, son nouvel employeur a repoussé son entrée en service au 30 août 2010. M. Marier a donc demandé des prestations d’assurance-emploi pour la période du 18 juillet 2010 au 30 août 2010.

[32] La Cour d’appel fédérale a jugé que M. Marier était fondé à quitter son emploi dans l’entreprise de nettoyage en février 2010 parce qu’il savait qu’il conserverait son deuxième emploi à la coopérative. Elle a aussi décidé que lorsqu’il a quitté la coopérative le 18 juillet 2010, il était sûr d’avoir un nouveau poste au centre de santé et de services sociaux. Bref, la Cour a conclu que M. Marier avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat.

[33] La division générale n’a pas mentionné la question de savoir si ces décisions judiciaires étaient suffisamment semblables pour pouvoir s’appliquer à la prestataire.

[34] La division générale n’a pas non plus mentionné l’article 29(c)(vi) de la Loi. De plus, elle n’a pas repris les termes de l’article 29(c)(vi) de la Loi. Autrement dit, elle n’a pas mentionné la question de savoir si l’emploi que la prestataire a obtenu au service des postes représentait une assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat.

[35] C’est au paragraphe 11 que la division générale est venue le plus près d’évaluer si la prestataire avait une assurance raisonnable d’un autre emploi. Elle y écrit :

  1. [traduction]
  2. De plus, en réponse à l’affirmation de [la prestataire] selon laquelle son emploi [au restaurant] ne lui garantissait pas des heures à temps plein, [la Commission] soutient que les faits au dossier montrent clairement qu’elle avait occupé cet emploi pendant environ six ans sans interruption de la part de l’employeur. Comme le démontre son relevé d’emploi, [la prestataire] travaillait en moyenne 30 heures par semaine. Elle a quitté cet emploi pour travailler sur appel dans un poste temporaire, qui ne lui garantissait pas un nombre d’heures en particulier. On peut raisonnablement conclure que [la prestataire] aurait dû s’attendre à se retrouver potentiellement sans emploi après avoir quitté un emploi garanti. [La Commission] ne pouvait faire autrement que de conclure que [la prestataire] n’a pas démontré qu’elle était fondée à quitter son emploi au sens de la Loi.

[36] La division générale savait que la prestataire avait trouvé un autre emploi. Selon son témoignage devant la division générale, la prestataire s’attendait à ce que le service des postes l’embauche comme employée permanente et lui garantisse un certain nombre d’heures de travail, possiblement dans les 6 à 12 prochains mois.

[37] Manifestement, la division générale n’a pas abordé directement la question de savoir si les attentes de la prestataire concernant la possibilité d’obtenir un poste permanent avec des heures garanties dans les 6 à 12 prochains mois représentaient une « assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat ».

[38] La Commission reconnaît que la division générale aurait pu mener un examen plus approfondi au regard de l’article 29(c) de la Loi ou, du moins, qu’elle aurait pu dire plus clairement si elle avait tenu compte de l’article 29(c)(vi) de la Loi ou de toute affaire judiciaire pertinente.

[39] La division générale n’a pas utilisé les mots « assurance raisonnable d’un emploi » ni fait référence expressément à l’article 29(c)(vi) de la Loi. Elle a toutefois mentionné l’article 29(c) en général. Elle a souligné que l’articl  29(c) prévoit une liste de circonstances dans lesquelles on pourrait conclure à l’existence d’une justification. En faisant référence à l’article 29(c) de façon générale, la division générale laisse entendre qu’elle a envisagé les circonstances pouvant donner lieu à une justification. Parmi celles-ci, on trouve l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat.

[40] Aux paragraphes 10 et 11, la division générale a mentionné les arguments de la Commission selon lesquels la prestataire avait quitté son emploi au restaurant pour accepter un poste temporaire où elle travaillerait sur appel sans heures garanties.

[41] La division générale a comparé les deux emplois de la prestataire. Elle a conclu que l’emploi au service des postes n’offrait pas à la prestataire des heures garanties lorsqu’elle a quitté son emploi au restaurant. Elle a conclu que la prestataire avait quitté son « emploi garanti » pour accepter un poste temporaire au service des postes où elle travaillerait sur appel. Cette conclusion laisse croire que la division générale a bel et bien examiné si l’emploi de la prestataire au service des postes représentait une assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat.

[42] La division générale a rejeté l’idée que l’emploi temporaire au service des postes où la prestataire travaillait sur appel représentait une assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat. Même s’il s’agissait d’un emploi, sa durée n’était pas garantie, pas plus que l’obtention d’un poste permanent.

[43] Si l’emploi au service des postes avait été « garanti » ou si l’obtention d’un poste garanti dans un avenir immédiat était certaine, alors la division générale aurait peut-être tiré une conclusion différente. Compte tenu des éléments de preuve portés à sa connaissance, particulièrement l’incertitude entourant l’obtention et le moment de l’obtention d’un poste permanent, la division générale n’était cependant pas prête à conclure que l’emploi temporaire au service des postes constituait une assurance raisonnable d’un autre emploi au sens de l’article 29(c) de la Loi.

[44] Dans l’arrêt Marier, la Cour d’appel fédérale a conclu que M. Marier était fondé à quitter son emploi parce qu’à son départ, il avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat. Cependant, l’arrêt Marier ne s’applique pas parce que les circonstances de fait sont distinctes. Même si la prestataire s’attendait à ce que son emploi au service de poste se poursuive et mène finalement à un poste permanent, elle savait aussi qu’en attendant d’être une employée permanente, elle pouvait se retrouver sans emploi durant les périodes où il manquait de travail.

[45] La division générale aurait pu mentionner beaucoup plus clairement qu’elle avait tenu compte de l’article 29(c)(vi) de la Loi et avait examiné si la prestataire avait une assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat.

[46] Même si la division générale n’a pas fait référence à l’article 29(c)(vi) de la Loi ni utilisé les mots « assurance raisonnable d’un autre emploi », je conclus que la division générale a bel et bien analysé et examiné la question de savoir si la prestataire avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat.  

Question en litige n3 : La division générale a-t-elle mal interprété la notion de « seule solution raisonnable dans son cas » dans la mesure où elle se rapporte à une personne qui a un autre emploi?

[47] Non. Je constate que la division générale n’a pas mal interprété la notion de « seule solution raisonnable dans son cas » dans la mesure où elle se rapporte à une personne qui a un autre emploi.

[48] La prestataire soutient que la seule solution raisonnable qui se présentait à elle était de quitter son emploi au restaurant. Elle prétend que la division générale a mal interprété la notion de « seule solution raisonnable » parce que, dans son cas, elle avait déjà un autre emploi.

[49] La division générale a décidé que la prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi, car elle a conclu qu’elle aurait pu envisager d’autres solutions raisonnables au lieu de quitter son emploi au restaurant. Elle a jugé que la prestataire aurait pu essayer de réduire son nombre d’heures ou de prendre un congé en attendant de devenir une employée permanente au service des postes.

[50] La Cour d’appel fédérale a déjà jugé qu’une solution qui serait raisonnable dans un cas pourrait ne pas l’être dans un autre cas. En effet, la Cour a établi que l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat était une situation dans laquelle ce type de solutions pouvaient être déraisonnables.

[51] La Cour d’appel fédérale a écrit :

  1. [20] La plupart des situations envisagées par l’alinéa 29c) concernent des évènements ou des faits et gestes qui surviennent dans le cadre de l’emploi qu’occupe le prestataire. Le sous-alinéa 29c)(vi) s’adresse à une toute autre situation qui implique un changement d’emploi. Il n’est pas alors question de concocter et d’apporter un remède à l’intérieur du même emploi où il est facile d’imaginer d’autres alternatives que le départNote de bas de page 13.

[52] La prestataire avait trouvé un autre emploi. Elle n’a pas quitté son emploi au restaurant avant que le service des postes la rappelle au travail. Elle avait déjà connu un manque de travail au service des postes. Elle savait que les périodes de chômage étaient possibles et qu’il pourrait y en avoir d’autres.

[53] La division générale a conclu que les circonstances de fait de la prestataire ne représentaient pas une assurance raisonnable d’un emploi garanti. La prestataire ne pouvait pas compter uniquement sur le service des postes pour la maintenir en emploi tant qu’elle n’y serait pas embauchée comme employée permanente. Par conséquent, des options comme la possibilité de faire réduire son nombre d’heures au restaurant devenait une solution raisonnable en attendant que le service des postes puisse lui offrir un poste permanent.

Conclusions

[54] J’ai déjà établi que la division générale a commis une erreur de fait. Dans la présente section, je vais donc examiner de plus près s’il y a un fondement justifiant soit le maintien ou la modification de la décision de la division générale ou encore son renvoi à la division générale pour un réexamen. Cette étape implique l’examen de la preuve. Si la preuve montre que la prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi au restaurant, alors il n’y aurait aucune raison de modifier la décision ou de la renvoyer à la division générale.

[55] La division générale a jugé qu’en quittant son « emploi garanti » au restaurant, la prestataire se mettait dans une situation où elle risquait de se retrouver au chômage. La division générale a écrit qu’on pouvait raisonnablement conclure qu’en quittant son emploi pour accepter un poste temporaire où elle travaillerait sur appel sans heures garanties, la prestataire aurait dû s’attendre à se retrouver potentiellement sans emploiNote de bas de page 14. La division générale a conclu qu’en s’exposant à un plus grand risque de chômage, la prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi au restaurant.

[56] La façon dont la division générale décrit les deux emplois de la prestataire est importante. La division générale a conclu que la prestataire avait un [traduction] « emploi garanti » au restaurant. Par conséquent, si la preuve montrait que la prestataire avait quitté un poste dont les heures étaient garanties pour occuper un poste temporaire où elle travaillerait sur appel sans heures garanties, la prestataire se serait en effet exposée à un plus grand risque de chômage. Elle n’aurait donc aucune justification.

[57] Par contre, le relevé d’emploi montre que le ou la propriétaire du restaurant ne lui garantissait pas ses heures de travailNote de bas de page 15. Comme j’ai décidé plus haut, la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que le restaurant garantissait des heures de travail à la prestataire.

[58] Selon la preuve, les heures de travail de la prestataire n’étaient pas non plus garanties au service des postesNote de bas de page 16. Par conséquent, les deux emplois étaient semblables. Si aucun des emplois ne lui garantissait des heures de travail, il faut se demander si elle s’est exposée à un plus grand risque de se retrouver au chômage en quittant le restaurant. Si la réponse est non, il faut aussi se demander si son départ du restaurant était justifié.

[59] Toutefois, en plus de la question des heures garanties, il y avait d’autres facteurs à considérer pour décider si la prestataire s’est exposée à un plus grand risque de chômage.

[60] Même si ni l’un ni l’autre de ses emplois ne lui offrait un nombre d’heures garanti, il y avait une différence considérable entre les deux : la durée ou la stabilité de l’emploi. Ces facteurs témoignent du caractère « garanti » de l’emploi.

[61] La division générale semble avoir reconnu que la durée de chaque emploi était un facteur important à considérer pour décider si l’emploi de la prestataire au service des postes était « garanti ». D’une part, la division générale a souligné que la prestataire avait travaillé au restaurant pendant six ans sans interruption. Elle a décrit l’emploi au service des postes comme étant « temporaire ». Elle a aussi noté que la prestataire s’attendait à obtenir un emploi permanent au service des postes possiblement dans les 6 à 12 prochains mois.

[62] D’autre part, la division générale semble avoir considéré que la durée du travail était la même chose que la fréquence à laquelle la prestataire travaillait à temps plein. Le nombre d’heures de travail offert était un facteur, mais la prestataire a aussi fait valoir que les deux emplois étaient temporaires.

[63] La division générale semble avoir arrêté son examen avant de savoir si l’emploi de la prestataire au restaurant était bel et bien temporaire, et non permanent. Étant donné l’argument de la prestataire sur le caractère temporaire de ses deux emplois, je vais voir si c’était réellement le cas.

L’emploi au restaurant

[64] La prestataire pensait que son emploi au restaurant était temporaire parce qu’elle n’avait aucune sécurité d’emploi. De son point de vue, elle n’avait aucune assurance de se voir offrir du travail. Elle soutient que comme les deux emplois étaient temporaires, elle ne s’est pas exposée à un plus grand risque de chômage lorsqu’elle a quitté son emploi au restaurant.

[65] Toutefois, même si le ou la propriétaire du restaurant n’a peut-être pas présenté l’emploi comme étant permanent ou assuré, en pratique, l’emploi n’avait rien de temporaire.

[66] La prestataire a travaillé au restaurant pendant six ou sept ansNote de bas de page 17. La durée de son emploi n’était pas limitée. Son nombre d’heures augmentait avec les années. Même si la prestataire avait des quarts de travail irréguliers et un horaire changeant, comme des quarts de nuit et de fin de semaine, elle travaillait régulièrement. Rien ne laisse croire qu’il y avait un manque périodique de travail qui faisait que la prestataire ne travaillait pas pendant certaines périodes, contrairement à son emploi au service des postes. Même si le nombre d’heures variait pour certaines périodes de paie, elle a travaillé pendant chacune des périodes de paie. De plus, pour les deux tiers des 18 dernières périodes de paie, elle a travaillé à temps plein. Cette situation contraste nettement avec son emploi au service des postes.

L’emploi au service des postes

[67] La prestataire a soutenu que quand elle a quitté son emploi au restaurant, elle s’attendait à travailler au service des postes tout aussi longtemps. Elle pensait également obtenir le même type d’heures qu’au restaurant. Elle affirme que comme c’est ce qui s’est passé, son départ du restaurant était justifié.

[68] Quand la prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi au début d’avril 2019, elle a fait les déclarations suivantes :

  • Elle s’attendait à ce que l’emploi au service des postes soit permanent ou, s’il était temporaire, elle s’attendait à y travailler plus longtemps qu’au restaurant.
  • Elle pensait que le nombre d’heures travaillées au service des postes serait le même ou plus élevé qu’au restaurantNote de bas de page 18.

[69] Par contre, la preuve ne soutient pas les prétentions que l’emploi au service des postes devait durer longtemps ou qu’elle y obtiendrait le même type d’heures.

[70] Dès la mi-janvier 2019, la prestataire connaissait déjà un manque de travail au service des postes, même si elle venait de commencer à y travailler vers la mi-novembre 2018.

[71] Le service des postes a rappelé la prestataire au début de février 2019, mais il y a eu un autre manque de travail avant la fin du mois de mars 2019.

[72] Le service des postes a produit un relevé d’emploi pour chaque occasion. Le premier décrivait son emploi comme étant [traduction] « temp. pour Noël ». L’employeur a produit le relevé d’emploi en raison d’un [traduction] « manque de travail — fin du contrat ou de la saison »Note de bas de page 19. Le deuxième relevé d’emploi décrivait la prestataire comme une commis des postes. L’employeur a produit ce relevé d’emploi pour la même raison, soit un [traduction] « manque de travail — fin du contrat ou de la saison »Note de bas de page 20.

[73] Sur une période de moins de six mois, le travail a manqué à deux reprises. L’emploi de la prestataire au service des postes n’a pas duré longtemps. C’est une situation qu’elle n’avait pas vécue au restaurant.

[74] La preuve montre également que la prestataire n’obtenait pas le même type d’heures de travail au service des postes. Le relevé d’emploi et les bulletins de paie du service des postes montrent que quand elle a commencé à travailler à cet endroit vers la mi-novembre 2018, elle a fait 32 heures, 71 heures et 34 heures au cours de trois périodes de paieNote de bas de page 21. La prestataire aurait dû se rendre compte que le nombre d’heures à cet emploi ne serait pas stable. Elle aurait aussi dû comprendre qu’elle n’aurait probablement pas autant d’heures de travail à cet endroit qu’au restaurant. Elle a travaillé durant la période très achalandée du temps des fêtes, mais le service des postes ne lui offrait pas toujours un horaire à temps plein.

[75] La prestataire affirme que le service des postes a continué à lui donner des heures même après avoir produit le relevé d’emploi en avril 2019. Cela montre qu’il y avait encore du travail. Toutefois, même si la prestataire a obtenu des heures à temps plein pour la première période de paie après avoir été rappelée, par la suite, le nombre d’heures était très instable. Elle faisait très rarement le même nombre d’heures qu’au restaurant. On peut le constater dans le tableau suivant :

Dates des périodes de paie Nombre d’heures
Du 4 novembre 2018 au 17 novembre 2018 5
Du 18 novembre 2018 au 1er décembre 2018 32
Du 18 décembre 2018 [sic] au 15 décembre 2018 71
Du 16 décembre 2018 au 29 décembre 2018 12
Du 30 décembre 2018 au 12 janvier 2019 34
Du 13 janvier 2019 au 26 janvier 2019 aucune
Du 27 janvier 2019 au 9 février 2019 8
Du 10 février 2019 au 23 février 2019 72
Du 24 février 2019 au 9 mars 2019 50
Du 10 mars 2019 au 23 mars 2019 35
Du 24 mars 2019 au 6 avril 2019 5
Du 7 avril 2019 au 20 avril 2019 10
Du 21 avril 2019 au 4 mai 2019 33
Du 5 mai 2019 au 18 mai 2019 10
Du 19 mai 2019 au 1er juin 2019 24

[76] La prestataire pensait avec optimisme que le service des postes lui donnerait plus d’heures, mais rien n’indique que l’employeur n’ait jamais donné l’assurance d’un emploi stable et continu. Quand elle a quitté son emploi au restaurant, rien dans son historique de travail au service de poste ne laissait présager qu’elle y travaillerait régulièrement sur appel à titre d’employée temporaire.

[77] De plus, elle n’avait aucune assurance que le service des postes l’embaucherait comme employée permanente dans les 6 à 12 prochains mois. Comme la prestataire l’a souligné, les postes permanents sont accessibles à tout le personnel en fonction de l’ancienneté, mais il n’y a aucune garantie puisque l’obtention du statut permanent dépendait des besoins de l’entreprise et de son volume d’activité.

L’expérience de l’époux de la prestataire

[78] La prestataire soutient qu’elle devrait avoir droit aux prestations d’assurance-emploi parce que son époux a reçu des prestations quand il s’est retrouvé dans une situation semblable. Il a quitté un autre emploi alors qu’il travaillait sur appel comme employé temporaire au service des postes. Lorsque le travail a ralenti, le service des postes lui a produit un relevé d’emploi. Il a demandé et reçu des prestations d’assurance-emploi.

[79] Comme la division générale l’a souligné à juste titre, chaque cas est unique et doit être évalué séparément. Bien qu’il y ait des similitudes entre le cas de la prestataire et celui de son époux, je remarque que la prestataire a écrit [traduction] « au début [son époux] faisait tellement d’heures [au service des postes] qu’il ne pouvait pas travailler pour l’entreprise précédente »Note de bas de page 22.

[80] Je ne sais pas si l’époux de la prestataire avait déjà connu un manque de travail au service des postes ou si on lui a assuré que l’offre de travail continuerait d’y être stable. Ces considérations seraient pertinentes si l’on devait comparer les deux situations. Cependant, il semble avoir travaillé régulièrement de novembre 2013 à juin 2014. C’est ce qui l’a poussé à quitter son autre emploi. Bref, l’expérience de l’époux de la prestataire n’était pas tout à fait comparable à celle de la prestataire.

[81] Toutefois, écartant ces considérations, la prestataire a reconnu qu’elle pourrait manquer de travail. Elle a écrit que l’expérience de son époux l’avait incitée à accepter un emploi temporaire [traduction] « dans l’espoir qu’en cas de manque de travail, [elle serait] traitée de la même façon que [son époux] »Note de bas de page 23. Autrement dit, elle savait qu’il y avait un risque plus élevé de se retrouver au chômage lorsqu’elle a quitté le restaurant.

[82] La prestataire était prête à accepter un plus grand risque de chômage parce qu’elle espérait améliorer sa situation à long terme. Elle espérait pouvoir compter sur les prestations d’assurance-emploi si jamais les choses ne se déroulaient pas comme prévu. Par contre, le fait de quitter son emploi pour améliorer sa situation ne constitue pas, à lui seul, une justificationNote de bas de page 24. Sans avoir l’assurance de l’employeur de pouvoir travailler dans un avenir immédiat ou du moins des motifs raisonnablesNote de bas de page 25 de croire que l’emploi au service des postes se poursuivrait, la prestataire n’avait pas de justification. Les éléments de preuve anecdotiques ne sont pas suffisants pour montrer que l’offre de travail serait stable et durable.

[83] La division générale a cerné certaines des solutions raisonnables qui s’offraient à la prestataire. Je conviens du caractère raisonnable de ces solutions. Même si la prestataire croyait qu’elles n’étaient pas réalistes, elle aurait dû les envisager avant de quitter son emploi au restaurant.

Conclusion

[84] La division générale a commis une erreur de fait quand elle a conclu que la prestataire avait des heures de travail garanties au restaurant. Malgré cette erreur et le fait que la division générale aurait pu mener une analyse plus approfondie pour savoir si l’article 29(c)(vi) de la Loi s’appliquait, je constate qu’elle a tiré la seule conclusion possible compte tenu de la preuve. Je ne vois aucun fondement sur lequel appuyer l’annulation de la décision ou le renvoi de l’affaire à la division générale pour un réexamen.

[85] L’appel est rejeté.

Date de l’audience :

Le 21 octobre 2019

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions : 

J. H., appelante

S. Prud’Homme, représentante de l’intimée

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