Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] Le Tribunal rejette l’appel.

Aperçu

[2] Le service de déontologie de Service Canada a ouvert une enquête qui a révélé que de nombreux relevés d’emploi produits sous neuf noms d’entreprises différentes étaient frauduleux. Il n’y avait aucune preuve d’entreprises authentiques ni de travail exercé pour l’ensemble de ces entreprises.

[3] L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a déterminé que l’appelant, Z. T. (prestataire), avait soumis des relevés d’emploi frauduleux pour présenter deux demandes de prestations en 2009 et 2010. Par conséquent, la Commission a annulé les périodes de prestations antérieures débutant le 11 octobre 2009 et le 28 novembre 2010. Elle a imposé un avis de violation ainsi que des sanctions pécuniaires pour 23 fausses déclarations. Toutefois, après révision, la Commission a annulé l’une des sanctions pour fausse déclaration et l’a remplacée par une sanction non pécuniaire. Le prestataire a interjeté appel devant la division générale.

[4] La division générale a conclu que la Commission avait annulé à juste titre les périodes de prestations débutant le 11 octobre 2009 et le 28 novembre 2010. Elle a également conclu que le prestataire avait sciemment fourni des renseignements faux ou trompeurs dans ses demandes de prestations, ses relevés d’emploi et ses déclarations, parce qu’il savait qu’il n’avait travaillé pour aucune des deux entreprises et que les relevés étaient faux. La division générale a finalement conclu que la Commission avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire.

[5] Le Tribunal a accordé la permission d’interjeter appel de la décision de la division générale. Le prestataire a soutenu que la division générale n’avait pas observé un principe de justice naturelle parce que l’interprète n’avait pas fourni une traduction adéquate.

[6] Le Tribunal rejette l’appel du prestataire.

Questions en litige

[7] La division générale a-t-elle manqué à un principe de justice naturelle parce que l’interprète n’a pas fourni une traduction adéquate?

[8] La division générale a-t-elle manqué à un principe de justice naturelle parce que le contenu de tous les documents n’a pas été divulgué au prestataire avant la tenue de l’audience?

[9] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

Analyse

[10] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) précise les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Ces erreurs susceptibles de révision sont les suivantes :

  1. la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Questions préliminaires

[11] L’audience devant la division d’appel a commencé le 12 janvier 2020. Elle devait se poursuivre le 12 mars 2020. Avant la tenue de la deuxième partie de l’audience, les parties ont informé le Tribunal qu’elles n’avaient plus besoin de présenter des observations orales.

[12] Le Tribunal a écouté l’audience devant la division générale qui a eu lieu le 30 juillet 2019 et le 19 août 2019 afin de trancher le bien-fondé des moyens d’appel invoqués par le prestataire.

Question en litige n1 : La division générale a-t-elle manqué à un principe de justice naturelle parce que l’interprète n’a pas fourni une traduction adéquate?

[13] Ce moyen d’appel n’est pas fondé.

[14] Le prestataire a d’abord soutenu que l’interprète n’avait pas fourni une traduction adéquate. Il a précisé qu’en raison de la mauvaise traduction, il n’a pas pu communiquer les renseignements pertinents et que, par conséquent, la division générale a fondé sa décision sur des faits erronés. Il a soutenu qu’il n’avait pas eu pleinement l’occasion de participer à l’audience en raison de l’interprète et qu’il n’avait pas obtenu une audience équitable.

[15] Lors de l’audience devant la division d’appel, le prestataire a soutenu que la division générale n’avait pas bien compris ses explications en raison de la traduction. Par conséquent, des conclusions inappropriées avaient été tirées à partir des éléments de preuve.

[16] Le droit à un interprète est aussi important que le fardeau pesant sur une personne qui soulève des questions d’interprétationNote de bas de page 1. Lorsque la partie prestataire est consciente qu’il y a des problèmes avec l’interprète, il est raisonnable de penser qu’elle formulera une opposition immédiatementNote de bas de page 2.

[17] Au début de l’audience devant la division générale, le prestataire a déclaré qu’il n’avait pas vraiment besoin d’une interprète. Il a précisé qu’il demanderait l’aide de l’interprète seulement s’il ne comprenait pas les termes anglais utilisés au cours de l’audience. La membre de la division générale a néanmoins demandé à l’interprète de traduire chaque mot pour s’assurer que le prestataire puisse pleinement participer à l’audience.

[18] Le prestataire n’a signalé aucun problème en lien avec l’interprète lors de l’audience. Il a souvent répondu aux questions avant que l’interprète n’ait le temps de terminer sa traduction. Le représentant du prestataire n’a soulevé aucune objection concernant le travail de l’interprète et n’a abordé aucune question relative à la traduction anglaise des réponses de son client.

[19] Le Tribunal estime que le prestataire a eu l’occasion de présenter ses éléments de preuve et ses arguments. Il a également eu l’occasion de répondre aux allégations de la Commission et de participer pleinement à l’audience, en plus d’avoir eu une audience équitable.

[20] Pour les motifs mentionnés précédemment, le Tribunal estime que le prestataire ne s’est pas acquitté de son fardeau.

[21] Le Tribunal examinera également les arguments du prestataire selon lesquels la division générale a tiré des conclusions de fait inappropriées à la troisième question en litige.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle manqué à un principe de justice naturelle parce que le contenu de tous les documents n’a pas été divulgué au prestataire avant la tenue de l’audience?

[22] Ce moyen d’appel n’est pas fondé.

[23] Le prestataire soutient que la membre de la division générale l’a soumis à une longue série de questions avant que le contenu du dossier d’appel ne soit entièrement divulgué. Par conséquent, la division générale a manqué à un principe de justice naturelle.

[24] Au début de l’audience devant la division générale, le représentant du prestataire a dit à la membre qu’il avait reçu tous les documents du Tribunal et qu’il était prêt à aller de l’avant. Le prestataire a ensuite commencé à présenter ses éléments de preuve.

[25] Plus tard au cours de l’audience, la membre de la division générale a fait référence à certains documents pour obtenir des éclaircissements de la part du prestataire. Le représentant a alors déclaré qu’il n’avait pas ces documents en sa possession. La membre a immédiatement interrompu l’audience. Elle l’a ensuite ajournée au mois suivant afin que la divulgation appropriée ait lieu avant de demander des précisions sur ces documents.

[26] Le Tribunal estime que la division générale a procédé convenablement afin de préserver les droits du prestataire à une audience équitable. Le prestataire n’a subi aucun préjudice. La division générale a ajourné l’audience pour s’assurer que le prestataire reçoive tous les documents nécessaires. Cela a également permis au prestataire de préparer sa défense avant de répondre à toute question concernant les documents non divulgués.

[27] Pour les motifs mentionnés précédemment, le Tribunal estime que la division générale n’a pas manqué à un principe de justice naturelle.

Question en litige n3 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

[28] Le prestataire a nié devant la division générale être impliqué dans la fraude et a soutenu que c’était une femme dénommée I. C. qui était à l’origine de la fraude et qui avait rempli sa déclaration de revenus de 2010. Il a ajouté qu’I. C. avait volé ses renseignements personnels figurant sur sa déclaration de revenus et avait présenté deux demandes de prestations d’assurance-emploi en son nom à son insu et sans son consentement.

[29] La division générale a conclu qu’il était plus probable qu’improbable que le prestataire avait participé de son plein gré au stratagème avec I. C.

[30] Le prestataire soutient que la division générale a fondé sa décision sur différentes conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[31] Le prestataire conteste la conclusion de la division générale selon laquelle il n’a pas donné le nom d’I. C. à la police. Il soutient qu’il a dénoncé I. C. à la police et qu’il a abordé ce point à l’audience.

[32] La preuve révèle que le prestataire n’a pas informé la police lorsqu’il a découvert qu’I. C. était à l’origine de la fraude parce que les enquêteurs de Service Canada ne lui ont pas demandé de le faire. Cela confirme que le prestataire n’a pas mentionné le nom d’I. C. lorsqu’il a déposé le rapport de police par la suite. Il a également précisé qu’il n’avait pas fait de suivi auprès de la police pour connaître l’issue de l’enquête.

[33] Le prestataire conteste également la conclusion de la division générale selon laquelle il a autorisé I. C. à commettre la fraude en lui donnant le nom de jeune fille de sa mère.

[34] Selon la preuve, I. C. n’avait aucun autre moyen de connaître le nom de jeune fille de la mère du prestataire. Dans son témoignage, le prestataire a confirmé qu’I. C. n’avait pas besoin de connaître le nom de jeune fille de sa mère pour remplir ses déclarations de revenus personnelles. Il ne se souvenait pas si elle le lui avait demandé et il a déclaré qu’il n’avait jamais fourni cette information auparavant pour remplir ses déclarations de revenus.

[35] Le prestataire conteste également la conclusion de la division générale selon laquelle il n’a fourni aucune réponse ni explication claires sur la raison pour laquelle il a demandé à I. C. de remplir ses déclarations de revenus.

[36] Bien qu’il soit vrai que le prestataire ait précisé que son comptable habituel était à l’étranger, la division générale a conclu qu’il n’était pas urgent de recourir aux services d’une inconnue étant donné que le prestataire faisait affaire avec son comptable depuis longtemps.

[37] La division générale a conclu que le prestataire n’a pas raisonnablement expliqué la raison pour laquelle il n’a pas attendu de faire appel à son comptable habituel, d’autant plus que le prestataire n’a déclaré aucun revenu provenant d’un travail indépendant en 2010. De plus, son comptable habituel qui était prétendument à l’étranger à ce moment-là n’arrivait pas à se rappeler pourquoi il n’avait pas rempli la déclaration de revenus personnelle du prestataire en 2010.

[38] Finalement, le prestataire conteste la conclusion de la division générale selon laquelle il n’a pas présenté de demande pour obtenir une copie non caviardée du rapport de police sur l’incident. Le prestataire soutient avoir déclaré que la police lui avait dit que la Commission pouvait en obtenir une copie. Il précise qu’il n’a pas pu obtenir de copie en toute légalité.

[39] Bien qu’il soit vrai que le prestataire ait déclaré que la police lui avait dit que la Commission pouvait demander une version non caviardée du rapport, il n’en a jamais fait personnellement la demande. La police lui avait remis un numéro de téléphone à composer et une note au sujet de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée. Le prestataire n’a jamais mentionné lors de son témoignage qu’il n’avait pas demandé une copie non caviardée du rapport parce qu’il était impossible de le faire en toute légalité. La preuve appuie la conclusion de la division générale selon laquelle le prestataire n’a pas tenté de présenter une demande afin d’obtenir une copie non caviardée du rapport de police.

[40] Après avoir examiné la preuve, le Tribunal estime que les faits suivants appuient la conclusion de la division générale voulant que le prestataire n’était pas victime d’une fraude d’identité et qu’il avait participé de son plein gré au stratagème avec I. C. :

  • les employeurs ont nié avoir produit des relevés d’emploi pour le prestataire;
  • le prestataire a admis ne jamais avoir travaillé pour les employeurs;
  • I. C. est au cœur du stratagème de fraude;
  • des demandes de prestations ont été présentées en 2009 et 2010, et le nom de jeune fille de la mère du prestataire a été utilisé pour présenter ces demandes;
  • une période de prestations a été établie au profit du prestataire en octobre 2019, avant qu’un ami ait prétendument dirigé le prestataire vers I. C pour remplir sa déclaration de revenus en 2010;
  • pour participer à la séance d’information, le prestataire devait présenter deux pièces d’identité, dont l’une avec une photo;
  • les prestations d’assuranceemploi ont été versées dans des comptes bancaires appartenant à I. C.;
  • la Commission a annulé les périodes de prestations débutant le 28 novembre 2010 et le 11 octobre 2009 parce que les renseignements sur les relevés d’emploi du prestataire qui ont été utilisés pour présenter les demandes étaient faux et qu’il n’y avait aucune preuve d’une entreprise authentique ni de travail exercé;
  • le nom de jeune fille de la mère du prestataire n’est pas requis pour remplir une déclaration de revenus et n’est pas inscrit dans la déclaration de revenus de 2010 préparée par I. C.;
  • le prestataire a reçu des feuillets T4E attestant qu’il avait reçu des prestations d’assuranceemploi, et ces montants figurent sur ses déclarations de revenus personnelles de 2010 et 2011;
  • le prestataire a signé et rempli sa déclaration de revenus de 2010 même s’il était précisé à la première page qu’il était en union de fait avec I. C. et non célibataire;
  • déjà en 2014, l’Agence du revenu du Canada (ARC) avait tenté à plusieurs reprises de communiquer avec le prestataire, mais celuici n’a pris aucune mesure;
  • le prestataire n’a pas demandé à l’ARC de réévaluer ou de recalculer ses déclarations de revenus de 2010 ou de 2011 même s’il conteste avoir reçu des prestations d’assuranceemploi, comme le précisent ses déclarations;
  • le prestataire n’a pas soumis ses avis de cotisation et de nouvelle cotisation, mais il a seulement soumis ses déclarations de revenus de 2009 à 2011;
  • le prestataire a seulement déposé un rapport de police pour fraude en juin 2017 à la demande de la Commission;
  • le prestataire n’a pas fait de suivi au sujet de l’enquête de police concernant son présumé vol d’identité après avoir déposé sa plainte initiale;
  • bien qu’il ait reçu les coordonnées, le prestataire n’a pas fait de suivi au sujet de la demande de la Commission de vérifier auprès de son agence d’évaluation du crédit afin d’appuyer le fait qu’il était victime d’une fraude d’identité;
  • selon l’issue de l’enquête sur fraude liée au numéro d’assurance sociale, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer le fait que le prestataire était victime d’une fraude.

[41] La division générale a conclu que le prestataire n’avait pas prouvé qu’il était victime d’une fraude d’identité. Elle a également conclu qu’il n’avait pas démontré qu’il n’avait pas présenté les demandes de prestations en 2009 et 2010 ni qu’il n’en avait pas eu connaissance. Il n’a pas non plus prouvé qu’il n’avait pas touché les prestations d’assurance‑emploi ni qu’il n’en avait pas tiré profit.

[42] La division générale a déterminé que selon la prépondérance de la preuve, le prestataire avait dû donner ses renseignements personnels à I. C., plus précisément le nom de jeune fille de sa mère ainsi que d’autres informations pertinentes, pour lui permettre de présenter les demandes de prestations d’assurance-emploi en son nom en 2009 et 2010.

[43] La division générale a conclu que la conduite du prestataire n’était pas représentative d’une personne victime d’une fraude d’identité, mais plutôt d’une personne qui limite son implication et sa divulgation

[44] En se fiant à ces éléments, la division générale a également déterminé que le prestataire avait sciemment fourni des renseignements faux ou trompeurs dans ses demandes de prestations, ses relevés d’emploi et ses déclarations, parce qu’il savait très bien qu’il n’avait travaillé pour aucune des deux entreprises et que les relevés étaient faux.

[45] La division générale a finalement déterminé que la Commission avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a imposé une lettre d’avertissement, une sanction pécuniaire de 5 000,00 $ et un avis de violation classé comme étant [traduction] « très grave ».

[46] Il est de jurisprudence constante qu’à moins de circonstances particulières et évidentes, toute question de crédibilité doit être laissée à la discrétion de la division générale, qui est mieux à même de rendre une décision à ce sujet. La division d’appel n’interviendra que si la division générale n’a pas clairement fondé sa décision sur la preuve portée à sa connaissance.

[47] Le Tribunal estime que les motifs pour intervenir en l’espèce sur la question de crédibilité telle qu’évaluée par la division générale ne sont pas suffisants.

[48] Comme précisé lors de l’audience devant la division d’appel, le Tribunal n’est pas non plus habileté à instruire un cas de nouveau ni à substituer son pouvoir discrétionnaire à celui de la division générale. La compétence du Tribunal se limite à l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS.

[49] Le Tribunal estime que la division générale a fondé sa décision sur la preuve portée à sa connaissance et que la décision est conforme aux dispositions législatives et à la jurisprudence.

[50] Pour les motifs mentionnés précédemment, le Tribunal rejette l’appel.

Conclusion

[51] Le Tribunal rejette l’appel.

Date de l’audience :

Le 28 janvier 2020

Mode d’instruction :

Vidéoconférence

Comparutions :

Z. T., appelant

Eldald Gerb, représentant de l’appelant

Angèle Fricker, représentante de l’intimée

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