Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est rejeté. L’appelant a été incapable de travailler entre le 24 juin 2019 et le 11 octobre 2019 en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif. Il avait un intérêt direct dans le conflit collectif. Par conséquent, il est inadmissible aux prestations d’AE pour cette période.

Aperçu

[2] L’appelant a renouvelé une demande de prestations régulières d’assurance-emploi (prestations d’AE) le 31 décembre 2019. Il était employé comme gardien de sécurité par le Corps canadien des commissionnaires dans un poste syndiqué quand sa section locale, la section X de l’Alliance de la fonction publique du Canada, a déclenché une grève le 24 juin 2019. L’employeur a annulé les quarts de travail de l’appelant et ce dernier a été incapable de travailler jusqu’à la fin de la grève. La période de prestations visée par sa demande de renouvellement prenait fin le 12 octobre 2019. La grève s’est terminée le 12 [sic] 2019, et il est retourné à son poste le 18 novembre 2019. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a jugé que l’appelant n’était pas admissible aux prestations pendant la grève parce que son arrêt de travail était dû à un conflit collectif. L’appelant a demandé à la Commission de réviser cette décision, faisant valoir qu’il n’avait pas d’autre choix que de prendre part à la grève. La Commission a maintenu l’inadmissibilité et l’appelant a interjeté appel au Tribunal de la sécurité sociale.

Question en litige

[3] L’appelant devrait-il être inadmissible aux prestations d’AE du 24 juin 2019 au 11 octobre 2019 parce qu’il a perdu son emploi pendant cette période en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif?

Analyse

[4] L’article 2 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) définit un « conflit collectif » comme un conflit entre employeurs et employés ou entre employés, qui se rattache à l’emploi ou aux modalités de l’emploi de certaines personnes ou au fait qu’elles ne sont pas employées.

[5] L’article 36(1) de la Loi sur l’AE énonce que sous réserve du Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement sur l’AE), la partie prestataire qui a perdu un emploi ou qui ne peut reprendre un emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local où elle exerçait un emploi n’est pas admissible au bénéfice des prestations avant :

  1. a) soit la fin de l’arrêt de travail;
  2. b) soit, s’il est antérieur, le jour où elle a commencé à exercer ailleurs d’une façon régulière un emploi assurable.

[6] L’article 36(4) de la Loi sur l’AE prévoit que le présent article ne s’applique pas si la partie prestataire prouve qu’elle ne participe pas au conflit collectif qui a causé l’arrêt de travail, qu’elle ne le finance pas et qu’elle n’y est pas directement intéressée.

[7] Je dois d’abord décider si l’appelant a perdu son emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif. Si c’est le cas, je dois ensuite décider s’il avait un intérêt direct dans le conflit collectif.

Question en litige no 1 : L’appelant a-t-il perdu son emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif au sens de l’article 36(1) de la Loi sur l’AE?

[8] Selon l’article 36(1) de la Loi sur l’AE et sous réserve du Règlement sur l’AE, une partie prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations si elle :

  1. perd un emploi ou ne peut reprendre un emploi;
  2. en raison d’un arrêt de travail;
  3. dû à un conflit collectif;
  4. à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local où la partie prestataire était employée.

[9] Personne ne conteste le fait que l’appelant était incapable de travailler à partir du début de la grève le 24 juin 2019. Cela est corroboré par le courriel de l’employeur à l’appelant le 21 juin 2019 qui l’avisait que, dès que la grève commencerait, [traduction] « il ne serait plus autorisé à travailler sur aucun site de base » (à GD3-33). Cela est aussi étayé par le relevé d’emploi délivré en raison de la grève (à GD3-20). Je conclus que l’appelant a perdu ou était incapable de reprendre son emploi quand la grève a commencé le 24 juin 2019.

[10] Je conclus en outre que la grève à laquelle l’appelant a participé était un arrêt de travail dû à un conflit collectif sur son lieu de travail.

[11] Le terme « conflit collectif » comprend un conflit entre employeurs et employés qui se rattache à l’emploi ou aux modalités de l’emploi de certaines personnes. La Cour d’appel fédérale a déterminé que lorsque des employés et leur employeur négocient une convention collective, on parle de conflit collectif, et que l’objectif des négociations est de mettre fin à un désaccord où l’une des parties insiste pour mettre de l’avant certaines réclamations alors que l’autre y résiste (Gionest, A-787-81).

[12] La question de déterminer s’il existe un conflit collectif constitue une question de fait. L’appelant a déclaré que le syndicat et l’employeur avaient entrepris des négociations en vue d’une nouvelle convention collective avant la grève et avaient conclu [traduction] « une entente de principe en mai 2019 ». Cependant, les membres du syndicat [traduction] « l’ont rejetée » et ont voté en faveur de la grève parce qu’on voulait plus de jours de congé de maladie payé et plus d’argent pour une indemnité de chaussures. Les employés ont déclenché la grève et ont formé une ligne de piquetage à compter du 24 juin 2019.

[13] J’estime qu’il y a des éléments-clés d’un conflit collectif dans le présent cas. Il existe des preuves d’insistance d’une partie et de résistance de la part de l’autre en ce qui a trait à certaines modalités précises de leur emploi; il y avait une impasse dans les négociations; et les employés ont déclenché une grève légale. Il y a aussi preuve d’un conflit entre l’employeur et les employés du syndicat de l’appelant qui était en lien avec les modalités de leur emploi. La grève à laquelle l’appelant a participé s’inscrit parfaitement dans la définition de « conflit collectif » énoncée à l’article 2 de la Loi sur l’AE.

[14] Personne ne conteste non plus le fait qu’une grève ait eu lieu sur les lieux de travail de l’appelant et qu’elle était en cours lorsque la période de prestations de l’appelant a pris fin le 12 octobre 2019.

[15] Je conclus par conséquent qu’il y avait effectivement un conflit collectif sur le lieu de travail de l’appelant au moment de l’arrêt de travail le 24 juin 2019.

[16] Je conclus en outre que l’arrêt de travail était dû au conflit collectif.

[17] La Cour d’appel fédérale a établi que lorsqu’il y a un arrêt de travail en raison de la négociation d’une nouvelle convention collective, il existe un lien direct de causalité entre le conflit collectif et l’arrêt de travail (Simoneau, A-611-96; Dallaire et al., A-825-95). Dans le cas présent, les parties négociaient une nouvelle convention collective au moment où lesdits employés ont déclenché une grève, et le travail s’est arrêté. Il y a dans ce cas un lien direct de causalité entre le conflit collectif et l’arrêt de travail qui a commencé le 24 juin 2019.

[18] L’appelant ne conteste pas que l’arrêt de travail était dû à la grève, ou que la grève constitue un conflit collectif. Il fait plutôt valoir que c’est l’employeur qui l’a privé de son droit de travailler et qui a causé l’arrêt de travail. Je ne considère pas cet argument convaincant parce que l’article 36(1) de la Loi sur l’AE s’applique à tous les conflits collectifs, peu importe qu’ils soient imposés par l’employeur par un lock-out ou par le syndicat sous forme de grève. Dans le cas présent, il y avait un « arrêt de travail » ayant un lien de causalité avec le conflit collectif en cours à compter du début de la grève le 24 juin 2019, ce qui satisfait à l’exigence de l’article 36(1) de la Loi sur l’AE.

[19] Je conclus par conséquent que l’inadmissibilité prévue à l’article 36(1) de la Loi sur l’AE est applicable à la demande de l’appelant du 24 juin 2019 au 11 octobre 2019 parce que, pendant cette période, il a perdu ou a été incapable de reprendre son emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif.

Question en litige no 2 : L’appelant peut-il bénéficier d’une exemption à l’inadmissibilité prévue à l’article 36(4) de la Loi sur l’AE parce qu’il n’avait pas d’intérêt direct dans le conflit collectif?

[20] Selon l’article 36(1) de la Loi sur l’AE, une partie prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations jusqu’à : a) soit la fin de l’arrêt de travail; b) soit, s’il est antérieur, le jour où elle a commencé à exercer ailleurs d’une façon régulière un emploi assurable. Aucune de ces deux conditions n’était remplie en ce qui concerne l’appelant parce que sa période de prestations a pris fin avant l’arrêt de travail, et il n’a pas commencé de nouvel emploi entre le 24 juin 2019 et le 11 octobre 2019.

[21] Je me suis ensuite penchée sur la question de savoir si l’appelant pouvait être à nouveau admissible aux prestations s’il respecte les conditions énoncées à l’article 36(4) de la Loi sur l’AE. Selon cette disposition, l’inadmissibilité prévue à l’article 36(1) de la Loi sur l’AE ne s’applique pas si l’appelant prouve qu’il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l’arrêt de travail, qu’il ne le finance pas et qu’il n’y est pas directement intéressé.

[22] L’appelant a livré le témoignage suivant :

  • L’employeur exploitait à la fois des sites de travail syndiqués et non syndiqués.
  • Il avait travaillé sur les sites non syndiqués dans le passé.
  • Mais avant la grève, on l’a affecté à un site de travail syndiqué. Il n’avait pas le choix quant à cette affectation, il était membre du syndicat [traduction] « que je le veuille ou non »[traduction] « que je le veuille ou non », et par conséquent il fut [traduction] « obligé » de payer des cotisations syndicales. »
  • Au moment de la grève, il était membre du syndicat qui négociait la convention collective et les modalités de cette entente s’appliquaient à son emploi.
  • Il n’avait [traduction] « pas d’autres choix ». Il était membre du syndicat, la grève [traduction] « allait de l’avant », et il devait y participer.
  • Il a accepté une indemnité de grève de 75 $ par jour et a fait du piquetage durant la grève, malgré le fait que cela était loin de couvrir ses dépenses.   
  • Il croyait que la grève prendrait fin rapidement, et qu’il pourrait retourner au travail.
  • Son intention a toujours été de retourner travailler pour son employeur. Il travaillait pour eux depuis longtemps, et à 81 ans, il ne pensait pas trouver facilement un autre emploi.
  • Il est retourné au travail après la fin de la grève, mais a été affecté à un site non syndiqué.

[23] L’appelant m’a renvoyée à la décision CUB 51543 de 2001 en soutien à l’argument selon lequel une partie prestataire ne participe pas à un conflit collectif s’il n’y a pas de travail pour elle si elle franchit la ligne de piquetage ou si l’employeur l’a avisée qu’on n’a pas besoin de ses services. L’appelant soutient que c’est l’employeur qui a annulé ses quarts aussitôt la grève déclenchée et qu’il a affirmé qu’il n’y aurait de travail sur aucun des sites de base. L’appelant a fait valoir qu’il aurait pu franchir la ligne de piquetage s’il y avait eu du travail pour lui, mais que cette option lui a été enlevée par l’employeur. À mesure que la grève traînait en longueur, il a vu des gens franchir la ligne de piquetage, lui laissant croire que son employeur avait dû changer sa position à un moment donné. Mais il n’a lui-même jamais franchi la ligne de piquetage puisqu’il recevait une indemnité de grève.

[24] Malheureusement pour l’appelant, la décision CUB 51543 ne lui est d’aucune aide. Son adhésion syndicale, sa participation au débrayage et son acceptation d’une indemnité de grève sont toutes des preuves de participation au conflit collectif. L’appelant était aussi « directement intéressé » au conflit collectif puisqu’il avait un avantage à tirer du résultat de ce conflit, sans égard à l’importance qu’accordait l’appelant aux questions en litige (Black 2001, CAF 255). Et il n’y a aucune preuve du bris permanent de son lien avec l’employeur et le syndicat, ce qui est requis pour satisfaire aux conditions prévues à l’article 36(4) de la Loi sur l’AE (Canada (Procureur général) c Hurren, A-942-85).

[25] Je conclus par conséquent que l’appelant n’a pas satisfait aux exigences de réadmissibilité conformément à l’article 36(4) de la Loi sur l’AE.

[26] À titre de question finale, je reconnais la déception de l’appelant de ne pas pouvoir recevoir des prestations d’AE pendant la grève, et son opinion selon laquelle la décision de le déclarer inadmissible était [traduction] « injuste » parce qu’il était pris dans le mouvement de grève et incapable de travailler sans en être responsable. Bien que l’appelant ait déclaré qu’il espérait que je trouverais [traduction] « une façon de redresser la situation pour lui », je n’ai aucun pouvoir de le dispenser de l’inadmissibilité qu’il s’est vu imposer à l’égard de sa demande en raison d’un conflit collectif. Puisque l’arrêt de travail était dû à un conflit collectif, et puisque l’appelant n’a pas prouvé qu’il devrait être à nouveau admissible au bénéfice des prestations conformément à l’article 36(4) de la Loi sur l’AE, il n’est pas admissible aux prestations du 24 juin 2019 au 11 octobre 2019.

Conclusion

[27] L’appelant n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’AE prévu à l’article 36(1) de la Loi sur l’AE du 24 juin 2019 au 11 octobre 2019 parce que, pendant cette période, il a perdu ou a été incapable de reprendre son emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif.

[28] L’appelant ne satisfait pas aux exigences de réadmissibilité conformément à l’article 36(4) de la Loi sur l’AE parce qu’il a participé à ce conflit collectif et y était directement intéressé.

[29] L’appel est rejeté.

Date de l’audience :

Le 31 mars 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

C. Z., appelant

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