Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Cela signifie que le prestataire est exclu du bénéfice des prestationsNote de bas de page 1.

Aperçu

[2] Le prestataire a perdu son emploi comme technicien informatique au sein d’une entreprise de transformation alimentaire. Il a demandé des prestations régulières d’assurance‑emploi (AE). L’employeuse du prestataire a dit qu’il avait été congédié parce qu’il avait refusé d’accomplir une tâche que son contremaître lui avait confiée. L’employeuse a considéré cela comme de l’insubordination. Le prestataire prétend qu’il n’a pas rejeté la demande de son contremaître et que l’insubordination n’est pas le vrai motif de son congédiement. Le prestataire affirme que son employeuse a fait preuve de discrimination à son égard en embauchant une personne non qualifiée à titre de superviseur. Le prestataire a déposé une plainte de discrimination à ce sujet en 2017. Il précise que l’employeuse voulait se débarrasser de lui par la suite. Le prestataire affirme que la discrimination a également joué un rôle dans son congédiement. La Commission a accepté le motif de congédiement de l’employeuse. Elle a jugé que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle l’a donc exclu du bénéfice des prestations d’AE.

[3] Le prestataire interjette appel de la décision de la Commission au Tribunal. Je dois décider si le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[4] Pour les motifs énoncés ci-après, j’ai décidé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Questions préliminaires

[5] Le 13 décembre 2019, le prestataire a participé à une audience devant la division générale du Tribunal au sujet du présent appel. La division générale a rejeté l’appel du prestataire le 17 décembre 2019. Le prestataire a interjeté appel de cette décision à la division d’appel du Tribunal. Le 23 avril 2019, la division d’appel a conclu que la décision initiale était erronée, étant donné que le prestataire n’avait pas pu témoigner de la conduite de son employeuse à son égard. Cet élément de preuve était potentiellement pertinent quant au fait de savoir si le prestataire avait commis une inconduite. La division d’appel a renvoyé l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience. La présente décision découle de cette nouvelle audience.

[6] Le prestataire a eu recours aux services d’interprétation en mandarin à l’audience.

[7] Dans son témoignage, le prestataire a cité une disposition de sa convention collective qui précisait ceci : si l’employeuse demandait à une ou un membre du personnel d’accomplir une tâche qui ne faisait pas partie de ses fonctions, l’employeuse était d’abord tenue de demander à une personne subalterne de faire le travail avant d’approcher une ou un membre ayant plus d’ancienneté. J’ai demandé au prestataire de me fournir cette documentation. Le prestataire m’a remis des observations après l’audience contenant des pages tirées de sa convention collective ainsi que des dispositions concernant les heures supplémentaires, la formation et la dotation en personnel. Cependant, il n’y avait aucune disposition relative à la couverture temporaire d’autres postesNote de bas de page 2. Une copie de ces documents a été transmise à la Commission.

Questions en litige

[8] Le prestataire a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite? Pour trancher la question, je dois d’abord déterminer la raison pour laquelle il a perdu son emploi. Je dois ensuite décider si le prestataire a commis l’acte pour lequel il a perdu son emploi. Si tel est le cas, je dois décider si le motif pour lequel l’employeuse a congédié le prestataire constitue une inconduite au sens de la loi.

Analyse

Pourquoi le prestataire a-t-il perdu son emploi?

[9] J’estime que le prestataire a perdu son emploi parce que l’employeuse a jugé qu’il avait refusé d’accomplir une tâche que lui avait confiée son contremaître. L’employeuse a considéré cela comme de l’insubordination.

[10] Le prestataire et la Commission ne s’entendent pas sur la raison pour laquelle le prestataire a perdu son emploi.

[11] La Commission affirme que la raison donnée par l’employeuse est le vrai motif du congédiement.

[12] L’employeuse a fourni les [traduction] « dossiers disciplinaires de l’employé » à la Commission. Ceux-ci montraient que le prestataire avait fait l’objet de mesures disciplinaires progressives pour des incidents liés à de l’insubordination. Selon ces dossiers, le prestataire a reçu un avertissement verbal le 9 mai 2018 pour avoir refusé de s’entraîner dans la salle des [traduction] « saucissesNote de bas de page 3 ». Le 5 juillet 2018, le prestataire a reçu un avertissement écrit pour avoir refusé d’aider une autre personne dans la salle des [traduction] « saucissesNote de bas de page 4 ». Le 12 septembre 2018, le prestataire a été suspendu pendant une journée pour insubordination, bien qu’aucun détail n’ait été fourni au sujet de cet incidentNote de bas de page 5. Le 27 mars 2019, le prestataire a été suspendu pendant cinq jours pour avoir refusé de s’entraîner à la [traduction] « chaîne de production no 6 » après plusieurs demandes de son contremaîtreNote de bas de page 6. Le 16 mai 2019, le prestataire a été suspendu pendant 20 jours pour insubordination en date du 10 mai 2019. Ce dossier disciplinaire fait référence aux incidents antérieurs et indique [traduction] « 20 jours de suspension (dernière chance) sans préjudiceNote de bas de page 7 ». Un dernier dossier disciplinaire daté du 25 juillet 2019 précise que le prestataire est congédié pour insubordination [traduction] « conformément à la politique de l’entrepriseNote de bas de page 8 ».

[13] L’employeuse a dit à la Commission que le prestataire avait été congédié pour insubordination. Le prestataire avait reçu de nombreux avertissements, et son congédiement découlait du fait qu’il n’avait pas changé sa conduite après la prise de mesures disciplinaires progressives. L’employeuse a dit que le prestataire avait été avisé lors d’une réunion la semaine précédant son congédiement qu’il pouvait être appelé à accomplir des travaux électriques la semaine suivante, étant donné qu’il était certifié et que les effectifs étaient réduits. La semaine suivante, on a demandé au prestataire de régler le problème électrique d’une machine, mais il a rejeté la demande de son contremaître. L’employeuse affirme qu’il s’agissait du dernier incident ayant mené au congédiement du prestataireNote de bas de page 9.

[14] Le prestataire prétend que l’insubordination n’est pas le vrai motif de son congédiement. Il affirme avoir déposé une plainte de discrimination en 2017 et que depuis ce temps, l’employeuse essayait de se débarrasser de lui. Le prestataire dit que l’employeuse ne cessait de le [traduction] « pousser à bout » et que le dernier incident était un coup monté. Il estime que la discrimination a joué un rôle dans son congédiement.

[15] Le prestataire a expliqué qu’il travaillait pour cette employeuse depuis 2006. Il occupait le poste de [traduction] « technicien informatique ». Il détient un permis d’électricien et de mécanicien, ce qui est essentiel dans son travail, étant donné que de nombreuses machines de l’usine sont automatisées. Le prestataire a expliqué que ses tâches consistaient à contrôler et à réparer l’automatisation, à s’occuper de l’entretien des machines et à travailler un peu sur le réseau informatique. Il a précisé que les électriciennes et électriciens non spécialisés pouvaient seulement accomplir les tâches simples liées à la lumière et aux moteurs. Le prestataire a affirmé être la personne la plus qualifiée dans l’équipe informatique. Toutefois, l’employeuse avait embauché une autre personne quatre ans auparavant pour superviser l’équipe informatique. L’employeuse a dit au prestataire qu’il n’était pas qualifié pour le poste. Le prestataire a précisé que la personne embauchée pour occuper le poste n’avait aucun permis et était incompétente. Malgré tout, la personne a été promue chef d’équipe après deux ans. Le prestataire prétend ne pas avoir décroché le poste de superviseur en raison de la discrimination. Il s’est plaint verbalement à la haute direction, puis a déposé une plainte écrite en 2017 auprès du syndicat. Le prestataire a dit que sa plainte n’a pas abouti. Toutefois, il a ensuite expliqué que l’employeuse voulait se débarrasser de lui.

[16] Le prestataire dit que la discrimination est la seule explication possible. En plus de ne pas avoir décroché le poste de superviseur, le prestataire prétend que la formation et les heures supplémentaires n’étaient pas réparties équitablement entre les membres du personnel, contrairement à ce qui est prévu dans la convention collective. Selon celle-ci, la formation et les heures supplémentaires doivent reposer sur l’expérienceNote de bas de page 10. Le prestataire affirme qu’au cours des deux dernières années, il s’est fait retirer la plupart de ses heures supplémentaires et de sa formation et que l’employeuse doit lui payer des heures supplémentaires. Le prestataire a aussi expliqué qu’il y avait deux poids deux mesures en ce qui concerne les erreurs. Si le chef d’équipe commettait une erreur, il n’y avait aucune conséquence; toutefois, si le prestataire se trompait, la haute direction lui en voulait énormément. Le prestataire estime avoir été congédié pour des raisons discriminatoires, car depuis son entrée en poste, les deux autres personnes de l’équipe ayant été congédiées, y compris lui-même, appartenaient à différentes ethnies.

[17] Le prestataire a déclaré que l’entreprise trouvait toujours des excuses pour lui imposer des mesures disciplinaires. Il a précisé que selon la politique disciplinaire, l’employeuse devait donner un avertissement verbal, un avertissement écrit, une suspension de trois jours et une suspension de cinq jours avant de passer au congédiement. Le prestataire croyait qu’après une demi-année, les mesures disciplinaires seraient effacées de son dossier. Le prestataire a précisé qu’à cause de cela, lorsqu’il a été suspendu pendant trois jours, il savait que ses jours au sein de l’entreprise étaient comptés. Il pensait que l’employeuse lui imposerait des mesures disciplinaires supplémentaires pour ne pas avoir à recommencer avec les mesures disciplinaires progressives.

[18] Le prestataire a expliqué qu’il avait été suspendu pendant 20 jours le 16 mai 2020 pour insubordination avant le dernier incident. Il a dit qu’une nouvelle machine venait de s’ajouter à la chaîne de production. Il a ajouté qu’il était un employé ayant de l’ancienneté et que selon la politique de l’entreprise, la formation devait être offerte selon l’ancienneté des membres du personnel. Cependant, deux personnes nouvellement embauchées ont suivi la formation sur la nouvelle chaîne de production offerte par des ingénieurs. Le prestataire a déposé un grief concernant la formation et les heures supplémentaires non rémunérées, ce qui a fâché l’employeuse. Le prestataire affirme que l’employeuse lui a ensuite demandé de suivre une formation avec la personne responsable de l’installation de la machine plutôt qu’avec les ingénieurs. Le prestataire a dit que c’était comme de demander à une personne superviseure de suivre une formation offerte par une ou un secrétaire. Le prestataire a dit qu’il n’avait jamais rien vécu de tel depuis son entrée en poste. Il a dit à son employeuse que c’était insensé et injuste pour lui. Il a ajouté que si ses collègues suivaient la formation, alors il ferait la même chose. Cependant, l’employeuse a dit qu’il était le seul à suivre cette formation. Le prestataire a dit que c’était humiliant et que cela portait atteinte à sa dignité. Il a refusé de suivre la formation, et l’employeuse l’a suspendu. Le prestataire a précisé que la suspension devait d’abord durer 10 jours, mais que l’employeuse l’a finalement prolongée jusqu’à 20 jours. Le document de suspension comprenait un avertissement de [traduction] « dernière chance ». Le prestataire a déposé un grief concernant cette suspension, mais celui-ci est toujours en suspens.

[19] Le prestataire a déclaré qu’il comprenait la politique disciplinaire progressive du syndicatNote de bas de page 11. Il a aussi compris qu’il pouvait être congédié après sa suspension de 20 jours s’il y avait un autre incident lié à de l’insubordination. Il précise que c’est la raison pour laquelle il avait convenu avec sa représentante syndicale qu’il ne dirait jamais « non » à l’employeuse.

[20] Le prestataire a expliqué ce qui s’était passé lors de sa dernière journée de travail, le 25 juillet 2019. Il a déclaré qu’il avait participé à une réunion avec son employeuse et sa représentante syndicale la semaine précédant l’incident. Lors de cette réunion, on lui avait dit qu’il pouvait être appelé à accomplir des travaux électriques généraux la semaine suivante. Le prestataire a accepté de le faire. Il a précisé que sa représentante syndicale lui avait dit de ne jamais dire « non » à une demande. Bien que la question n’ait pas été discutée, le prestataire a supposé que l’employeuse suivrait les règles syndicales si on lui demandait d’accomplir les tâches en question.

[21] Le prestataire a dit qu’il commençait à 8 h lors de sa dernière journée de travail. Les électriciennes et électriciens non spécialisés ne travaillaient pas ce jour-là. Ses deux collègues, des électriciens juniors, avaient commencé à travailler à 5 h. Lorsque le prestataire est arrivé, le contremaître l’a appelé à la radio pour lui demander de remettre le moteur d’une machine en marche. Le prestataire lui a répondu que cette tâche faisait partie des fonctions générales des électriciennes et électriciens et qu’il n’avait jamais travaillé sur cette machine auparavant. Il a ajouté que selon les règles syndicales, si l’employeuse lui demande d’accomplir une autre tâche qui requiert une qualification inférieure à la sienne, l’employeuse doit d’abord demander à une personne subalterne qualifiée de faire le travail. En l’occurrence, l’employeuse aurait dû commencer par demander à un électricien junior d’effectuer le travail. Le prestataire a dit que lorsqu’on lui avait demandé d’accomplir la tâche, il y avait trois autres personnes avec des qualifications inférieures qui auraient pu faire le travail. L’employeuse a donc attendu trois heures pour demander au prestataire d’accomplir la tâche plutôt que de demander aux électriciens juniors. Le chef d’équipe, également présent, était le mieux qualifié pour faire le travail. Le prestataire a estimé qu’il s’agissait d’un coup monté. Il a supposé que l’employeuse voulait le provoquer pour lui faire perdre son sang-froid, car le contremaître connaissait très bien les règles syndicales.

[22] Le prestataire a dit qu’une dispute avait éclaté avec le contremaître à la radio. Le prestataire a dit qu’il avait expliqué au contremaître qu’il ne comprenait pas le fonctionnement de la machine en question et qu’il serait mieux de demander à une personne plus qualifiée de faire le travail. Le contremaître a raccroché la ligne et est allé voir le prestataire. Selon le prestataire, le contremaître lui a dit qu’il devait obéir aux règles et faire ce qu’il lui demandait. Le contremaître s’est fâché, a perdu son sang-froid et a dit au prestataire qu’il refusait d’obéir aux règles et de travailler. Le prestataire soutient qu’il n’a jamais dit « non » au contremaître et qu’il est resté calme. Il affirme qu’il n’a pas reçu d’ordre direct et qu’il n’a pas refusé catégoriquement de faire le travail.

[23] J’ai demandé au prestataire pourquoi il n’avait pas tout simplement fait le travail qu’on lui avait demandé, et déposé un grief par la suite. Il a répondu que le contremaître ne lui avait pas laissé le temps de s’expliquer. Il lui a crié dessus et a déclaré qu’il lui avait désobéi. Il a ensuite fermé la porte et s’est éloigné. J’ai demandé au prestataire en quoi consistait la demande du contremaître, si ce n’était pas un ordre direct. Le prestataire a dit que la tâche en question ne faisait pas partie de ses fonctions habituelles et qu’il ne comprenait pas le fonctionnement de la machine. Selon lui, l’employeuse devait suivre les règles syndicales, c’est-à-dire demander d’abord à une personne subalterne d’accomplir la tâche ou faire preuve de bon sens en trouvant une personne mieux qualifiée pour résoudre le problème. Le prestataire a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi l’employeuse lui avait confié cette tâche. Il a ajouté que même s’il avait accepté d’assumer les fonctions générales d’électricien, l’employeuse devait respecter les règles syndicales qui exigent de demander d’abord à une personne subalterne de faire le travail. Le prestataire dit qu’il a déposé un grief concernant son congédiement, mais que l’affaire est toujours en suspens.

[24] La représentante des Ressources humaines (RH) de l’employeuse a dit à la Commission que le prestataire n’avait pas fait l’objet de harcèlement ni de discrimination. Elle a dit à la Commission qu’en ce qui concerne la suspension de 20 jours, le prestataire aurait pu suivre la formation offerte par les personnes qui avaient installé la machine, mais il a décidé de ne pas le faire. La représentante des RH a dit que le prestataire avait eu plusieurs occasions pour corriger son comportement avant d’être congédié. Le processus en place était équitable; le prestataire n’a pas été injustement visé. Elle a déclaré que le prestataire avait mentionné se sentir harcelé, mais qu’elle n’avait jamais été témoin de quoi que ce soit et qu’elle aurait pris des mesures si elle avait remarqué quelque chose. La représentante des RH a dit qu’elle pensait que le prestataire pouvait faire référence à des événements qui étaient survenus des années auparavant. Elle n’était au courant d’aucun incident actuel de harcèlement en milieu de travail ou d’insultes liées au congédiement du prestataireNote de bas de page 12.

[25] J’estime que le prestataire a perdu son emploi parce que l’employeuse a jugé qu’il avait fait preuve d’insubordination le 25 juillet 2019. J’ai tiré cette conclusion en fonction des dossiers de discipline progressive liés à l’insubordination et du fait que le prestataire a admis s’être disputé au sujet d’une tâche à accomplir le 25 juillet 2019.

[26] Le prestataire ne reconnait pas qu’il a fait preuve d’insubordination : il soutient qu’il n’a pas voulu suivre la formation offerte par la personne responsable de l’installation de la machine le 10 mai 2019. Le prestataire a alors été suspendu pendant 20 jours et a reçu un avertissement de [traduction] « dernière chance ». Le prestataire reconnait aussi qu’il s’est disputé avec son contremaître le 25 juillet 2019 au sujet d’une machine à remettre en marche et qu’il a été congédié après ce désaccord.

[27] Je ne suis pas convaincue que le prestataire a été visé en vue d’être congédié parce qu’il a déposé une plainte de discrimination en 2017.

[28] Les dossiers disciplinaires montrent bel et bien que le prestataire a fait l’objet de différentes mesures disciplinaires en 2018 et 2019 pour insubordination et d’autres motifs, et ce, après avoir déposé sa plainte en 2017Note de bas de page 13. Toutefois, les dossiers révèlent que le prestataire faisait aussi l’objet de mesures disciplinaires pour différentes raisons avant le dépôt de sa plainte en 2017. À cet égard, il y a plusieurs dossiers disciplinaires datant de 2009 à 2015 au dossier, ainsi qu’un autre daté de janvier 2017. Il ne semble pas y avoir eu de changement net dans la façon dont l’employeuse imposait des mesures disciplinaires au prestataire après que celui-ci a déposé sa plainte en 2017.

[29] Les dossiers disciplinaires et le témoignage du prestataire révèlent clairement que l’employeuse et le prestataire étaient impliqués dans un conflit perpétuel concernant les tâches ou la formation appropriées pour le prestataire. L’employeuse avait demandé au prestataire à plusieurs reprises d’accomplir certaines tâches ou de suivre des formations, mais le prestataire jugeait qu’elles ne correspondaient pas à ses qualifications, à son ancienneté et à la convention collective. L’employeuse a considéré le refus du prestataire d’accomplir ces tâches et de suivre ces formations comme de l’insubordination, ce qui a entraîné des mesures disciplinaires progressivesNote de bas de page 14. Ce conflit perpétuel a finalement mené au congédiement du prestataire le 25 juillet 2019, lorsque l’employeuse a estimé que le prestataire avait refusé d’accomplir une tâche que lui avait confiée son contremaître.

[30] Je n’estime pas non plus que la discrimination a joué un rôle dans le congédiement du prestataire. Le prestataire juge que son incapacité à obtenir le poste de superviseur et que la différence de traitement entre le chef d’équipe et lui concernant les heures supplémentaires, la formation et les erreurs commises sont une preuve de discrimination. Le prestataire fait également remarquer que les deux autres personnes de l’équipe ayant été congédiées, y compris lui-même, appartenaient à différentes ethnies. Le prestataire n’a fourni aucun élément de preuve à l’appui du fait qu’il était visé pour des raisons liées à la race ou à toute autre caractéristique personnelle. Les activités de l’employeuse éveillent peut-être les soupçons en matière de discrimination, mais elles ne font rien de plus.

[31] J’estime qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire a perdu son emploi parce que son employeuse a jugé qu’il avait refusé d’accomplir une tâche que lui avait confiée son contremaître le 25 juillet 2019. L’employeuse a considéré cette conduite comme de l’insubordination. Je suis convaincue qu’il s’agit du réel motif de congédiement et non d’une excuse.

Le prestataire a-t-il commis le geste pour lequel il a été congédié?

[32] Oui, j’estime que c’est le cas.

[33] L’employeuse a dit à la Commission que le prestataire était un électricien, un mécanicien et un technicien informatique certifié. L’employeuse a organisé une réunion avec le prestataire et une déléguée syndicale pour informer le prestataire qu’en raison des vacances, il pourrait être appelé à faire des travaux électriques généraux. L’employeuse a précisé que son entreprise était une usine de production et qu’elle ne pouvait pas arrêter la production. L’employeuse a dit qu’elle voulait être transparente avec le prestataire et que le travail à accomplir serait sécuritaire et légal. L’employeuse a organisé une réunion avec le prestataire et la représentante syndicale compte tenu de la relation entre le prestataire et le contremaître et du fait que le prestataire pouvait être appelé à régler un problème électrique. Le prestataire a fait preuve d’insubordination à plusieurs reprises. L’employeuse a soutenu qu’elle ne voulait pas se retrouver dans une situation où les émotions auraient pu prendre le dessus. Lors de la réunion, le prestataire a confirmé qu’il était un électricien certifié. Le prestataire a dit à l’employeuse qu’elle ne pouvait pas lui demander d’accomplir ce travail puisque ses principales fonctions étaient celles d’un technicien informatique. Toutefois, l’employeuse lui a répondu que selon la convention collective, [traduction] « la personne ayant de l’ancienneté doit; la personne subalterne peut ». Le prestataire était le seul électricien certifié et qualifié pour faire le travail. Le 24 juillet 2019, on a demandé au prestataire d’accomplir une tâche. Le prestataire a dit à l’employeuse qu’il refusait de faire le travail, car il ne savait pas comment réparer la machine. Il avait cependant confirmé à l’employeuse qu’à titre d’électricien, il serait en mesure de cerner le problème par lui-mêmeNote de bas de page 15.

[34] Le prestataire soutient qu’il n’a pas refusé de faire le travail. Il a plutôt dit au contremaître qu’il n’avait jamais accompli cette tâche auparavant et qu’il lui avait demandé de trouver une autre personne plus qualifiée pour le faire. Il soutient qu’il n’a pas fait preuve d’insubordination puisqu’il n’a pas refusé de faire le travail. De plus, il affirme que l’employeuse n’a pas respecté les règles syndicales en ne demandant pas d’abord à une personne subalterne d’accomplir la tâche.

[35] Le prestataire dit que même s’il avait répondu à l’employeuse qu’il assumerait les fonctions générales d’électricien lors de la réunion la semaine précédente, il a supposé que l’employeuse suivrait les règles syndicales, c’est-à-dire demander d’abord à une personne subalterne qualifiée de faire le travail. Il y avait trois électriciens juniors qui auraient pu accomplir la tâche, mais l’employeuse a plutôt attendu que le prestataire se pointe au travail pour lui demander.

[36] J’ai demandé au prestataire de me fournir la disposition de la convention collective selon laquelle l’employeuse doit d’abord demander à une personne subalterne d’effectuer les travaux électriques avant de confier la tâche au prestataire. Après l’audience, le prestataire a fourni les dispositions de la convention collective concernant la dotation en personnel, les heures supplémentaires et la formationNote de bas de page 16. Il n’a fourni aucune disposition relative à une situation où une ou un membre du personnel doit assumer temporairement les fonctions d’une autre personne.

[37] Selon la politique en matière d’insubordination de l’employeuse, si la haute direction demande à une ou un membre du personnel d’exécuter des tâches et que la personne refuse catégoriquement de le faire, les mesures disciplinaires suivantes s’appliqueront : [traduction] « 1re infraction : avertissement verbal; 2e infraction : avertissement écrit; 3e infraction : suspension d’une journée; 4e infraction : suspension de 5 jours; 5e infraction : congédiementNote de bas de page 17 ».

[38] J’accepte le témoignage du prestataire concernant ce qu’il a dit à son contremaître. Il correspond aux renseignements que le prestataire a fournis dans sa demande de prestationsNote de bas de page 18 et à la déclaration qu’il a faite à la CommissionNote de bas de page 19. Il correspond également au grief qu’il a déposéNote de bas de page 20.

[39] J’estime que le prestataire a fait preuve d’insubordination à l’égard de son contremaître. Le prestataire avait été informé la semaine précédente qu’il pouvait être appelé à assumer certaines fonctions générales d’électricien. Le contremaître a demandé au prestataire d’accomplir une tâche électrique générale. Bien que le prestataire n’ait pas catégoriquement refusé de faire le travail ou répondu « non », j’estime que son désaccord vis-à-vis la tâche à accomplir et sa suggestion de trouver une personne mieux qualifiée correspondaient à un refus direct, surtout si l’on tient compte du fait que le prestataire avait été avisé la semaine précédente qu’il pouvait être appelé à accomplir une telle tâche et qu’il avait accepté de le faire. Même si le prestataire n’avait jamais travaillé sur la machine auparavant, il aurait pu faire l’effort de se conformer à la demande du contremaître en se rendant au moins à la machine pour voir s’il pouvait la réparer.

Le motif pour lequel le prestataire a été congédié constitue-t-il une inconduite au sens de la loi?

[40] Oui, j’estime que le motif constitue une inconduite au sens de la loi.

[41] Pour constituer une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être volontaire, c’est‑à‑dire consciente, délibérée ou intentionnelleNote de bas de page 21. L’inconduite comprend aussi une conduite d’une insouciance telle qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 22. Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait une intention injustifiée pour que son comportement constitue une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 23.

[42] Il y a inconduite si le prestataire savait ou avait dû savoir que sa conduite pouvait entraver l’exécution de ses obligations envers son employeuse et que, de ce fait, son congédiement était une réelle possibilitéNote de bas de page 24.

[43] La Commission doit prouver qu’il est plus probable qu’improbableNote de bas de page 25 que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 26.

[44] En cas d’allégations de harcèlement, il convient d’analyser le harcèlement présumé avant l’inconduite pour décider si la conduite du prestataire était intentionnelle ou nonNote de bas de page 27.

[45] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce que le prestataire avait reçu un avertissement verbal et écrit ainsi que des mesures disciplinaires l’informant d’un éventuel congédiement pour insubordination. La Commission soutient que le prestataire savait ou aurait dû savoir que ce dernier acte d’insubordination entraînerait son congédiement.

[46] Le prestataire soutient qu’il ne pensait pas être congédié étant donné qu’il n’avait pas refusé d’accomplir la tâche et que l’employeuse n’avait pas respecté les règles syndicales, soit celles de demander d’abord à une personne subalterne de faire le travail.

[47] J’estime que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite. Le prestataire a confirmé dans son témoignage qu’il connaissait la politique disciplinaire progressive énoncée dans les règles syndicales. Le prestataire avait fait l’objet de mesures disciplinaires progressives pour insubordination. Il a reçu un avertissement verbal le 9 mai 2018, un avertissement écrit le 5 juillet 2018, une suspension d’une journée le 12 septembre 2018, une suspension de cinq jours le 27 mars 2019 et une suspension de 20 jours le 16 mai 2019. Selon le dossier disciplinaire de l’employé de cette date, c’était la dernière chance du prestataire. Le prestataire a déclaré qu’il savait qu’un autre acte d’insubordination après la suspension de 20 jours du 16 mai 2019 pouvait entraîner son congédiement.

[48] J’estime que le prestataire a volontairement rejeté la demande du contremaître d’accomplir une tâche électrique générale le 25 juillet 2019. Le prestataire savait qu’un autre acte d’insubordination pouvait entraîner son congédiement. Même si le prestataire n’a pas dit un « non » catégorique, il n’a pas accepté de faire le travail. Compte tenu du dossier disciplinaire du prestataire et de la réunion avec l’employeuse la semaine précédente au cours de laquelle il avait accepté d’accomplir de telles tâches, le prestataire aurait dû savoir qu’en essayant d’échapper au travail demandé, sa conduite pouvait être considérée comme de l’insubordination et qu’il pouvait perdre son emploi. J’estime que la conduite du prestataire était d’une insouciance telle qu’elle a frôlé le caractère délibéré, compte tenu des circonstances.

[49] Le prestataire soutient que l’employeuse n’a pas suivi les règles syndicales en demandant à une personne subalterne de faire le travail au lieu de lui. Le prestataire n’a fourni aucune copie des règles de la convention collective. Toutefois, peu importe si le prestataire pensait ou non que l’employeuse contrevenait à la convention collective en lui demandant d’accomplir la tâche en question, le prestataire a tout de même agi de manière insouciante en ne faisant pas le travail demandé et en déposant un grief par la suite. À cet égard, la représentante syndicale du prestataire avait participé à la réunion avec l’employeuse et avait dit au prestataire de ne jamais dire « non » à une tâche qu’on lui confiait. Compte tenu de ce conseil, le prestataire aurait dû savoir qu’en agissant de manière à refuser la tâche demandée, cela pouvait entraîner son congédiement.

[50] J’ai examiné si les allégations de discrimination du prestataire et les allégations selon lesquelles l’employeuse cherchait à le congédier permettent de décider si sa conduite était intentionnelle ou non. Dans une décision récente de la Cour fédéraleNote de bas de page 28, un employé avait refusé de se présenter sur son lieu de travail, malgré les ordres de son employeur, parce qu’il estimait que son milieu de travail était dangereux en raison du harcèlement qu’il subissait de la part de son employeur. Dans un cas pareil, la Cour a conclu qu’il était nécessaire d’examiner la conduite de l’employeur avant l’« inconduite » afin d’évaluer correctement si la conduite de l’employé était intentionnelle ou non.

[51] Comme mentionné ci-dessus, je n’accepte pas l’argument selon lequel l’employeuse visait le prestataire dans le but de le congédier. De plus, il n’y a pas d’élément de preuve qui prouve que la discrimination était un motif de congédiement. J’accepte cependant le fait que le prestataire estimait que son employeuse ne respectait pas la convention collective concernant les promotions, les heures supplémentaires, la formation et les tâches qu’on lui confiait. Toutefois, la conviction du prestataire que l’employeuse ne respectait pas la convention collective ne rend pas sa conduite de refuser le travail demandé moins intentionnelle. Le prestataire savait qu’il avait accepté d’effectuer des travaux électriques généraux au besoin, et il était au courant du conseil de sa représentante syndicale de ne pas dire « non » à une telle demande. Le prestataire savait aussi qu’il aurait pu accomplir la tâche en question et déposé un grief par la suite sans mettre son emploi en danger. Le prestataire a plutôt agi de manière insouciante de sorte à frôler le caractère délibéré en ne s’acquittant pas de la tâche qui lui était confiée.

[52] J’estime que la Commission a prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite.

Conclusion

[53] L’appel est rejeté. Le prestataire est donc exclu du bénéfice des prestations d’AE.

Date de l’audience :

Le 15 juin 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparution :

Z. Y., appelant

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