Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : E. G. c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2020 TSS 602

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-33

ENTRE :

E. G.

Appelant

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Janet Lew
DATE DE LA DÉCISION : Le 9 juillet 2020

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté. Même si la division générale n’a pas examiné si les conditions de travail étaient dangereuses, un tel examen n’aurait pas changé l’issue de l’affaire. Les conditions de travail n’ont pas provoqué le départ du prestataire. De plus, son départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas.

Aperçu

[2] L’appelant, E. G. (prestataire), porte la décision de la division générale en appel.

[3] Le prestataire soutient qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi dans une quincaillerie. Il prétend avoir subi du harcèlement. Il soutient également que les conditions de travail étaient dangereuses. Il pensait que quitter son emploi était la seule solution raisonnable qui s’offrait à lui. La division générale a jugé que le départ du prestataire n’était pas la seule solution raisonnable. La division générale a conclu que le prestataire a volontairement quitté son emploi sans justification.

[4] Le prestataire fait valoir que la division générale a omis d’examiner si les conditions de travail dangereuses justifiaient son départ. Le prestataire soutient également que la division générale a commis une erreur de fait parce qu’elle a conclu qu’il n’avait pas fait part à son employeur de ses inquiétudes sur la sécurité. Il affirme avoir parlé de ses inquiétudes avec son employeur. Il maintient que la seule solution raisonnable dans son cas était de quitter son emploi quand il l’a fait. Il soutient également que la division générale n’a pas communiqué avec ses témoins.

[5] La division générale a omis d’examiner si les conditions de travail étaient dangereuses et menaçaient la santé ou la sécurité. Malgré cette omission, les conditions de travail n’ont pas entraîné le départ du prestataire. Il a quitté son emploi pour d’autres raisons. Même si les conditions de travail l’ont poussé à quitter son emploi, il aurait pu choisir d’autres solutions raisonnables au lieu de démissionner. Ainsi, je rejette l’appel.

Questions préliminaires

[6] Le prestataire s’oppose à la présence de l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, à l’audience de la division d’appel. Il croit que la Commission ne devrait pas avoir l’autorisation d’assister à l’audience. Premièrement, la Commission n’a pas assisté à l’audience de la division générale. Deuxièmement, sa position n’a pas changé. Finalement, le prestataire soutient que la Commission n’a aucun nouveau renseignement à transmettre.

[7] À titre de partie à l’appel, la Commission a le droit absolu de participer à la procédure, même si elle a choisi de ne pas assister à l’audience de la division générale. De plus, la Commission est directement intéressée par la décision. Il n’y a aucun motif légitime de l’exclure de la procédure.

Questions en litige

[8] Voici les questions en litige :

  1. Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle omis de communiquer avec les témoins du prestataire?
  2. Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que le prestataire allait quitter son emploi en septembre 2019 de toute façon?
  3. Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle omis d’examiner si le prestataire était fondé à quitter son emploi au titre de l’article 29(c)(iv) de la Loi sur l’assurance-emploi?
  4. Question en litige no 4 : La division générale a-t-elle commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que le prestataire n’avait pas discuté de ses inquiétudes sur la sécurité avec son employeur?

Analyse

[9] Aux termes de l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), la division d’appel peut modifier la décision de la division générale dans des circonstances très précises. La division d’appel peut intervenir seulement s’il y a eu un manquement à la justice naturelle, s’il y a eu une erreur de droit ou si la division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait commise de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] Le prestataire soutient que la division générale a commis plusieurs erreurs aux termes de l’article 58(1) de la LMEDS.

Contexte

[11] Le prestataire a quitté son emploi le 12 juillet 2019. Il a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi peu de temps après. Lorsqu’il a rempli le formulaire de demande, il a expliqué qu’il avait quitté son emploi parce qu’une collègue l’avait harceléNote de bas de page 1. Quand le prestataire a parlé à la Commission, il a aussi confirmé qu’il avait quitté son emploi en raison de ce qu’il considérait comme étant du harcèlementNote de bas de page 2. Apparemment, le prestataire a dit qu’il avait démissionné parce que son employeur ne voulait pas résoudre le conflit qui l’opposait à la collègue qui le harcelait.

[12] La Commission a rejeté la demande de prestations présentée par le prestataire. Ce dernier a demandé à la Commission de réviser sa décision. Cette fois-ci, le prestataire a mentionné un deuxième incident qui s’est produit vers la fin juin 2019 ou possiblement au début de juillet 2019. L’employeur a crié après le prestataire parce qu’il n’avait pas pourchassé un voleur qui était parti du magasin avec un article qui coûtait cher. Le prestataire pensait qu’il ne devrait pas avoir à poursuivre les personnes qui volent à l’étalage parce qu’il n’était pas payé pour faire ça. De plus, une poursuite était potentiellement dangereuse et pouvait mettre sa vie en dangerNote de bas de page 3.

[13] L’employeur du prestataire a nié s’attendre à ce que son personnel approche ou pourchasse les personnes qui volent à l’étalage. Il s’attendait à ce que les membres du personnel avisent la gérante ou le gérant de toutes les situationsNote de bas de page 4.

[14] La Commission a rejeté la demande de révision du prestataire. Celui-ci a fait appel à la division générale. La division générale a examiné si le prestataire était fondé à quitter son emploi. Elle a jugé que le prestataire n’avait pas été intimidé ni harcelé. Elle a considéré qu’elle n’avait pas à décider si les conditions de travail étaient dangereuses parce qu’elle avait jugé que le départ du prestataire n’était pas la seule solution raisonnable qui s’offrait à lui.

[15] Le prestataire soutient que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a refusé de décider si les conditions de travail étaient dangereuses. Il soutient également qu’elle a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’avait pas discuté avec son employeur pour trouver une option qui lui aurait permis de continuer de travailler à cet endroit. Le prestataire fait également valoir que la division générale a omis de communiquer avec ses témoins.

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle omis de communiquer avec les témoins du prestataire?

[16] Non. Le membre de la division générale n’a pas omis de communiquer avec les témoins du prestataire.

[17] C’est en présence de témoins que l’employeur a dit au prestataire qu’il aurait dû poursuivre le voleur. Le prestataire a fourni leur nom au membre de la division générale.

[18] Le prestataire soutient que le membre de la division générale n’a pas veillé à l’équité de sa procédure. Le prestataire justifie cette position en faisant valoir que le membre aurait dû lui demander les coordonnées de ses témoins et qu’il aurait dû communiquer avec ces personnes. De cette façon, il aurait été en mesure de confirmer que son employeur s’attendait à ce qu’il pourchasse les gens qui volent à l’étalage. Le prestataire maintient que le fait que le membre n’a pas communiqué avec ses témoins montre qu’il s’est rangé du côté de l’employeur.

[19] Le rôle de la division générale n’est pas d’enquêter pour l’une ou l’autre des parties. Elle demeure un organe décisionnel totalement indépendant et impartial tout au long de la procédure. Elle doit nécessairement agir à distance des parties.

[20] La division générale rend une décision en se basant sur la preuve qui lui est présentée. Elle ne va pas recueillir des éléments de preuve pour les parties. Si une partie souhaite appuyer ses prétentions sur les dires de témoins, il lui incombe de les appeler à témoigner et de produire la preuve.  

[21] Dans la présente affaire, le membre la division générale a dit qu’il n’avait aucune raison de mettre la parole du prestataire en doute quant à l’incident de vol à l’étalage. Le membre a mentionné que la preuve du prestataire était cohérente dans le temps. La preuve que le prestataire a présentée à l’audience de la division générale correspondait à ce qu’il a dit à la Commission quand il a demandé des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 5.

[22] Le membre a dit qu’il acceptait la version des faits du prestataire sur ce qui s’est passé après le vol à l’étalage. Plus précisément, le membre a admis la preuve du prestataire concernant les propos que son gérant a tenus durant leur disputeNote de bas de page 6.

[23] Par contre, le membre a aussi jugé que, durant la dispute, l’employeur du prestataire avait dit des choses [traduction] « dans le feu de l’actionNote de bas de page 7 ». Le gérant a dit au prestataire qu’il devrait pourchasser les gens qui volent à l’étalage. Le membre de la division générale a cependant jugé que les paroles de l’employeur avaient dépassé sa pensée. Le membre a conclu que le gérant avait repensé à ses paroles plus tard. Toutefois, il est clair que le gérant n’a pas dit au prestataire qu’il avait réfléchi et qu’il ne s’attendait pas à ce que le personnel du magasin pourchasse les personnes qui commettent un vol. L’employeur a laissé le prestataire croire qu’on s’attendait à ce qu’il poursuive les gens qui volent à l’étalage. 

[24] Bref, il n’était pas nécessaire d’entendre les témoins de toute façon. La division générale a admis la preuve du prestataire montrant que son employeur lui a dit qu’il devrait pourchasser les gens qui volent à l’étalage. Le prestataire a été raisonnable de croire cette affirmation parce que son employeur ne lui a jamais dit le contraire.

[25] Il n’est pas approprié que la division générale entre en contact avec les témoins. La division générale n’a pas commis d’erreur en omettant de demander au prestataire les coordonnées de ses témoins. Quoi qu’il en soit, il n’était pas nécessaire que d’autres personnes témoignent sur ce que l’employeur a dit au prestataire après l’incident de vol à l’étalage.

Question en litige n2 : La division générale a-t-elle commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que le prestataire allait quitter son emploi en septembre 2019 de toute façon?

[26] Non. La division générale n’a pas commis d’erreur de fait relative à la question de savoir si le prestataire allait quitter son emploi de toute façon.

[27] En août 2019, la Commission a téléphoné à l’employeur du prestataire. Selon les notes prises lors de la conversation téléphonique, l’employeur a dit à la Commission que le prestataire allait quitter son emploi en septembre 2019 pour prendre soin de son épouse, car elle avait des problèmes de santéNote de bas de page 8. Selon l’employeur, le prestataire lui avait dit cela au cours du mois précédent.

[28] Le prestataire nie avoir dit à son employeur qu’il allait quitter son emploi en septembre 2019 pour s’occuper de son épouse.

[29] Le fait qu’il y ait une conclusion erronée n’est pas suffisant. Il faut que la division générale l’ait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Il fallait aussi que la division générale ait fondé sa décision sur cette conclusion de fait erronée.

[30] Dans la présente affaire, la division générale n’a abordé aucun de ces éléments de preuve. Elle n’a tiré aucune conclusion sur la question de savoir si le prestataire avait dit à son employeur qu’il s’en irait. Par conséquent, je juge que la division générale n’a pas commis d’erreur de fait sur cette question. Quoi qu’il en soit, je considère cet élément de preuve comme étant non pertinent dans l’examen de la question de savoir si le prestataire était fondé à quitter son emploi en juillet 2019.

Question en litige n3 : La division générale a-t-elle omis d’examiner si le prestataire était fondé à quitter son emploi au titre de l’article 29(c)(iv) de la Loi sur l’assurance-emploi?

[31] Oui. La division générale a omis d’examiner si le départ du prestataire était fondé aux termes de l’article 29(c)(iv) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

[32] Il se peut que le prestataire soit fondé à quitter son emploi aux termes de l’article 29(c)(iv) de la Loi sur l’AE si les conditions de travail étaient dangereuses pour sa santé ou sa sécurité et si son départ était la seule solution raisonnable dans son cas.

[33] Le prestataire soutient que la division générale a omis d’examiner s’il était fondé à quitter son emploi au sens de l’article 29(c)(iv) de la Loi sur l’AE. En particulier, il prétend que la division générale a omis d’examiner s’il pouvait continuer de travailler à la quincaillerie en toute sécurité. Il pensait qu’il n’était plus en sécurité à cet endroit parce que son employeur s’attendait à ce qu’il pourchasse les gens qui volent à l’étalage, des personnes potentiellement dangereuses.

[34] Le prestataire fait valoir qu’il n’est ni raisonnable ni sécuritaire de poursuivre les personnes qui volent à l’étalage. Dans ce cas-ci, le voleur était un jeune adulte drogué qui aurait pu porter une arme. Le voleur aurait pu tirer sur lui ou lui donner un coup de couteau.

[35] La Commission convient que la division générale n’a pas abordé l’article 29(c)(iv) de la Loi sur l’AE. La Commission est d’accord sur le fait que la division générale n’a pas tenu compte des conditions de travail du prestataire. Ainsi, la Commission convient que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée et une erreur de droit.

[36] Même si la division générale s’est penchée sur les inquiétudes du prestataire quant à la sécurité, elle a limité son examen à la question de savoir s’il y avait d’autres solutions raisonnables à ce problème. La division générale n’a pas mené un examen complet de la dangerosité des conditions de travail pour la santé ou la sécurité du prestataire. La division générale a commis une erreur en ne tenant que partiellement compte de l’article 29(c)(iv) de la Loi sur l’AE

Question en litige n4 : La division générale a-t-elle commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que le prestataire n’avait pas discuté de ses inquiétudes sur la sécurité avec son employeur?

[37] Non. La division générale n’a pas commis d’erreur de fait lorsqu’elle a conclu que le prestataire n’avait pas discuté de ses inquiétudes sur la sécurité avec son employeur.

[38] Le prestataire affirme que la division générale a commis une erreur de fait. La division générale a jugé qu’il aurait pu choisir d’autres solutions raisonnables au lieu de quitter son emploi en raison de ses inquiétudes sur la sécurité. Elle a conclu qu’il aurait pu parler à son employeur de ses craintes liées à la sécurité.  

[39] Le prestataire affirme qu’il a bel et bien discuté avec son employeur de ses préoccupations sur la sécurité. Il dit l’avoir fait durant sa dispute avec l’employeur. Il a aussi abordé le sujet avec les propriétaires de l’entreprise, avant que les vols surviennentNote de bas de page 9. Toutefois, il dit que son employeur a ignoré toute crainte liée à la sécurité. L’employeur était insensible et indifférent à la question de la sécurité de son personnel.

[40] Même s’il avait déjà soulevé ses inquiétudes relatives à la sécurité dans le passé et qu’il les a abordées de nouveau durant la dispute survenue le même jour que le vol à l’étalage, le prestataire avait compris que son employeur s’attendait toujours à ce qu’il poursuive les gens qui volent à l’étalage. C’est pourquoi il pensait que la seule solution raisonnable dans son cas était de quitter son emploi.

[41] La division générale a mal cité la preuve au paragraphe 22, où elle écrit que le prestataire a déclaré qu’il n’avait pas parlé de ses préoccupations à ses gestionnaires à la suite de l’incident de vol à l’étalage.

[42] Par contre, au paragraphe 24, la division générale a reconnu que le prestataire a mentionné ses inquiétudes sur la sécurité durant sa dispute avec l’employeur. Le prestataire insistait sur le fait que c’était dangereux de pourchasser le voleur.

[43] Au paragraphe 28, la division générale a conclu qu’il aurait été raisonnable que le prestataire tente une nouvelle fois, quelque temps après l’incident, de soulever ses inquiétudes sur la sécurité. Elle écrit :

[traduction]
Le prestataire ne m’a pas dit s’il avait tenté de parler à son gérant de ses inquiétudes sur la sécurité après la dispute qu’il a décrite. S’il avait fait une telle tentative, son gérant et lui auraient pu aborder la question de façon plus calme et mesurée. C’est une solution raisonnable qu’il aurait dû essayer.

(mis en évidence par la soussignée)

[44] Le prestataire ne m’a présenté aucune preuve montrant que son gérant et lui ont discuté de ses inquiétudes sur la sécurité après leur dispute initiale du 6 juillet 2019, qui a eu lieu juste après le vol. Il ne laisse pas entendre qu’il a eu une autre discussion portant sur la sécurité après le 6 juillet 2019.

[45] La division générale n’a pas commis d’erreur de fait sur la question de savoir si le prestataire a reparlé à son employeur de ses inquiétudes sur la sécurité après le 6 juillet 2019. La raison est simple : aucune preuve n’a été portée à la connaissance de la division générale pour montrer que le prestataire avait de nouveau soulevé ses inquiétudes sur la sécurité.

[46] Je reconnais que le prestataire trouvait qu’il ne servait à rien de reparler de ses inquiétudes concernant la sécurité. Après tout, il en avait déjà parlé, mais l’employeur n’avait rien fait. À titre d’exemple, l’employeur n’a jamais installé de caméras de surveillance ni aucun type de système de sécurité.

[47] Le prestataire me demande de réévaluer la preuve et de me pencher sur le caractère raisonnable des autres solutions qui ont été proposées. Il me demande d’examiner si le fait qu’il avait déjà mentionné ses inquiétudes sur la sécurité par le passé et qu’il en a reparlé durant la dispute avec son employeur était suffisant. La division générale n’a pas abordé cette question directement. De toute évidence, la division générale a jugé que c’était insuffisant et que le prestataire aurait dû soulever ses inquiétudes une fois de plus. Je ne suis pas libre de réévaluer le caractère raisonnable d’une solution. Les moyens d’appel se limitent à ceux qui sont prévus à l’article 58(1) de la LMEDS. Cet article ne me permet pas de réévaluer la preuve dans le but de trouver des erreurs. 

Résultat

[48] J’ai jugé que la division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas mené un examen complet de l’article 29(c)(iv) de la Loi sur l’AE. Elle n’a pas examiné si les conditions de travail du prestataire étaient dangereuses.

[49] Les lacunes de la décision de la division générale me permettent d’examiner la preuve pour trancher cette question. L’article 59 de la LMEDS me permet de tirer des conclusions de fait. Il m’autorise également à modifier la décision ou à rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Ce faisant, je n’ai pas à renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamenNote de bas de page 10.

[50] L’exercice de ce pouvoir en vertu de l’article 59 de la LMEDS concorde avec l’article 3(1)(a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 11, qui exige que le Tribunal de la sécurité sociale veille à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[51] Je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Il ne manque aucune preuve au dossier, même si le prestataire en conteste certains éléments.

[52] La Commission soutient que la preuve ne montre pas que les conditions de travail du prestataire étaient si dangereuses que la seule solution raisonnable qui s’offrait à lui était de quitter son emploi. Elle fait valoir que la décision de la division générale est raisonnable parce qu’elle appartient aux issues possibles et concorde avec la preuve qu’elle a accueillie. Elle soutient que la division générale s’est aussi appuyée sur les bons articles de loi et a bien appliqué le droit aux faits de la présente affaire.  

[53] Plus précisément, la Commission soutient que même si le prestataire trouvait les conditions de travail dangereuses, ce n’est pas la raison qui a entraîné son départ. Il a continué de travailler pendant environ deux semaines. Plus de deux mois se sont écoulés après sa démission avant qu’il ne mentionne l’incident de vol à l’étalage et ses inquiétudes sur la sécurité. Il n’en a pas parlé lorsqu’il a présenté sa demande initiale de prestations d’assurance-emploi. Il y mentionne seulement le harcèlement et le conflit avec sa collègue. Fait plus important encore, le prestataire a seulement mentionné l’incident de vol à l’étalage après que la Commission avait déjà rejeté sa demande de prestations.

[54] La Commission fait valoir que la preuve montre que la véritable raison pour laquelle le prestataire a quitté son emploi était liée à une autre collègue. La Commission soutient que le prestataire ne s’entendait pas avec une nouvelle collègue. Le 6 juillet 2019, il avait eu une altercation avec elle. À la suite de cette dispute, il a démissionné.

[55] Le directeur général croyait que le prestataire avait quitté son emploi à cause d’un conflit entre le prestataire et sa collègue.

[56] La preuve montre que lors d’une conversation téléphonique avec la Commission, le prestataire a confirmé que sa relation de travail avec sa collègue l’avait poussé à quitter son emploiNote de bas de page 12. L’employeur a aussi compris que c’était la raison pour laquelle le prestataire a quitté son emploiNote de bas de page 13.

[57] Le prestataire soutient que c’est plutôt l’incident de vol à l’étalage qui l’a amené à démissionner. Dans sa demande à la division d’appel, il a écrit que le jour du dernier vol à l’étalage, il était :

[traduction]
[…] très près de démissionner à cause de l’histoire de courir après le voleur. En fait, un de mes collègues m’a dit par après qu’il pensait que j’allais partir ce jour-là, quand je suis sorti frustré par ce que le gérant avait dit sur courir après les personnes qui volent à l’étalage et que je suis allé à l’arrière du magasin pour me calmerNote de bas de page 14.

[58] Le prestataire a mentionné l’incident de vol à l’étalage pour la première fois quand il a demandé à la Commission de réviser sa décision initialeNote de bas de page 15. Quand le prestataire a reparlé à la Commission vers la mi-octobre 2019, il l’a apparemment avisée qu’il n’avait pas démissionné à cause du vol à l’étalage [traduction] « mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase était cette petite délinquante de 18 ans qui sacrait après luiNote de bas de page 16 ».  

[59] Aucun de ces éléments de preuve n’établit que le prestataire a quitté son emploi parce que ses conditions de travail représentaient un danger pour sa santé ou sa sécurité. Même si le prestataire était inquiet parce qu’il croyait que son employeur s’attendait à ce qu’il affronte et pourchasse les personnes qui volent à l’étalage, ses inquiétudes ne semblent pas avoir entraîné son départ. Il a continué de travailler à cet endroit.

[60] La preuve laisse croire que la véritable raison ayant amené le prestataire à quitter son emploi était liée au conflit avec une collègue. Il s’est empressé de donner sa démission peu de temps après le conflit avec sa collègue, tandis qu’il a continué à travailler après le dernier vol à l’étalage. Et dans sa demande de prestations, quand il a expliqué pourquoi il a quitté son emploi, le prestataire a d’abord mentionné le conflit avec sa collègue.

[61] Il n’a pas parlé de l’incident de vol à l’étalage avant qu’il demande à la Commission de réviser sa décision initiale.

[62] Considérant ce qui précède, je juge que les conditions de travail ne représentaient pas un danger pour la santé ou la sécurité pour l’application de l’article 29(c)(iv) de la Loi sur l’AE. Bien que le risque de servir des personnes dangereuses au magasin soit omniprésent, dans ce cas-ci, il n’y avait pas de menace immédiate ou pressante pour la sécurité.

[63] Même si le prestataire a quitté son emploi parce que les conditions de travail étaient dangereuses, la Commission affirme que le prestataire devait tout de même démontrer que son départ n’était pas [sic] la seule solution raisonnable dans son cas. La Commission fait valoir que la question de la seule solution raisonnable est un élément essentiel et indissociable de la détermination de la « justification » au sens de l’article 29(c) de la Loi sur l’AENote de bas de page 17. Je suis d’accord. L’article 29(c) est clair : les prestataires doivent prouver l’existence des deux facteurs. Pour qu’il y ait justification, il doit non seulement y avoir certaines circonstances, mais il faut aussi que le départ soit la seule solution raisonnable.

[64] La Commission soutient que le prestataire aurait pu, par exemple, chercher un autre travail pendant qu’il continuait à travailler à la quincaillerie. Dans l’arrêt Lakic c Canada (Procureur général)Note de bas de page 18, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’une autre solution raisonnable s’offrait à madame Lakic. Elle aurait pu chercher un autre travail avant de quitter son emploi.

[65] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c GrahamNote de bas de page 19, la Cour d’appel fédérale a aussi fait l’affirmation suivante : [traduction] « il est généralement raisonnable de continuer de travailler jusqu’à ce que l’on trouve un nouvel emploi au lieu de prendre la décision unilatérale de quitter son emploi. »

[66] Le prestataire soutient que je devrais ignorer les décisions de la Cour d’appel fédérale sur lesquelles la Commission s’appuie. Il affirme que ce sont de vieilles décisions et que les faits sont complètement différents de son cas. Néanmoins, les décisions de la Cour d’appel fédérale ont un caractère obligatoire pour moi. Je suis obligée de suivre les principes qu’elles défendent, même si les faits diffèrent de ceux dans l’affaire du prestataire. Je dois donc suivre les arrêts Lakic et Graham. Dans les deux causes, trouver un autre emploi était généralement considéré comme une solution raisonnable.

[67] La division générale n’a pas décidé si le fait de chercher un autre emploi avant de démissionner était une solution raisonnable. Par contre, je ne vois pas pourquoi le prestataire n’aurait pas pu continuer de travailler à la quincaillerie. Ou bien, il aurait pu prendre congé, ou du moins envisager la possibilité de prendre un congé, pendant qu’il cherchait un autre emploi. Après tout, les vols à l’étalage ne semblent pas avoir été très fréquents. Selon toute apparence, ils ne semblaient pas représenter un risque immédiat ou pressant pour le prestataire ou, à vrai dire, pour qui que ce soit d’autre. 

[68] Les problèmes de sécurité qui, pour le prestataire, étaient liés à la poursuite des personnes qui volent à l’étalage ne pouvaient pas être très pressants parce qu’il n’a pas démissionné sur-le-champ. Après le vol à l’étalage du 6 juillet 2019, il a continué de travailler à la quincaillerie. Il n’a pas reparlé de ses objections liées à la sécurité durant cette période. Le prestataire a conservé son emploi jusqu’à ce que le conflit avec sa collègue devienne intolérable.

[69] La Commission soutient également que s’il était dangereux de pourchasser les personnes qui volent à l’étalage, les vols survenaient seulement de temps en temps. Ils ne présentaient pas un danger imminent. Après tout, le prestataire travaillait à la quincaillerie depuis août 2018. Si un autre vol à l’étalage avait eu lieu, la Commission affirme que le prestataire aurait pu rester en sécurité à l’intérieur du magasin.

[70] Le prestataire nie que ce choix s’offrait à lui. Il s’attendait à ce que son employeur le congédie s’il restait à l’intérieur du magasin au lieu de pourchasser une personne qui aurait volé un article. Le prestataire n’a toutefois pas envisagé cette solution. Comme la division générale l’a constaté, le prestataire n’a pas rediscuté de la question avec son employeur après leur dispute du 6 juillet 2019.

[71] Même si la division générale n’a pas mené un examen complet de la dangerosité des conditions de travail du prestataire, je juge que l’issue de l’affaire aurait été la même parce que le départ du prestataire n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas.

Conclusion

[72] L’appel est rejeté.

Date de l’audience :

Le 2 juillet 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

E. G, appelant

Anick Dumoulin, représentante de l’intimée

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.