Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : TD c Commission de l’assurance-emploi du Canada et X, 2020 TSS 849

Numéro de dossier du Tribunal: GE-20-1539

ENTRE :

T. D.

Appelant (prestataire)

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée (Commission)

et

X

Partie mise en cause (employeur)


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de l’assurance-emploi


DÉCISION RENDUE PAR : Leanne Bourassa
DATE DE L’AUDIENCE : Le 25 juin 2020
DATE DE LA DÉCISION : Le 10 juillet 2020

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations parce qu’il a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.

Aperçu

[2] Le prestataire travaillait pour une agence de voyages. Son employeur l’a licencié, et le prestataire a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi (AE). La Commission de l’assurance-emploi du Canada a accueilli sa demande et a commencé à lui verser des prestations. Lorsque l’employeur a appris que le prestataire recevait des prestations, il a demandé à la Commission de réviser sa décision. Après avoir parlé à nouveau avec l’employeur, la Commission a jugé que le prestataire avait été licencié pour fraude. Comme il avait été licencié en raison d’une inconduite, la Commission l’a exclu du bénéfice des prestations et a exigé qu’il rembourse les prestations qu’il avait déjà reçues.

[3] Le prestataire interjette appel de cette décision, affirmant que l’employeur ne lui a jamais donné de preuve et n’a jamais discuté du problème avec lui. Il soutient aussi que la Commission a accepté la version des faits de l’employeur sans même lui donner la chance d’y répondre. Enfin, il explique qu’il n’a pas les moyens de rembourser les prestations d’AE qui lui ont été versées.

Questions préliminaires

[4] La décision découlant de la révision contestée a été rendue par la Commission, car l’employeur a demandé que la décision d’accorder des prestations soit révisée. Comme l’issue de cette décision pouvait être différente, j’ai estimé que l’employeur avait un intérêt direct dans cette affaire. Je l’ai donc moi-même ajouté à titre de partie. Avant l’audience, l’employeur a informé le Tribunal qu’il ne participerait pas à l’audience puisqu’il avait l’intention d’aller en cour avec le prestataire. L’audience a donc eu lieu en son absence.

Questions en litige

[5] Le prestataire a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite? Pour trancher la question, je devrai d’abord déterminer la raison pour laquelle le prestataire a perdu son emploi. Je devrai ensuite décider si la Commission et l’employeur ont prouvé que le prestataire a posé les gestes pour lesquels il a été congédié. Si tel est le cas, je devrai enfin décider si les gestes posés correspondaient à une inconduite au sens de la loi.

Analyse

Pourquoi le prestataire a-t-il perdu son emploi?

[6] Le prestataire a perdu son emploi parce que son employeur l’a accusé de fraude et de vol à l’interne.

[7] Le prestataire a déclaré qu’au départ, il ne savait pas pourquoi il avait été licencié, et qu’après avoir reçu la lettre de congédiement de son employeur, il a appris qu’il était accusé de fraude.

[8] La lettre de congédiement, datée du 23 octobre 2019, précise que l’employeur avait mené une enquête interne et avait conclu que le prestataire avait commis une faute grave. Le licenciement du prestataire prenait effet sur-le-champ.

[9] L’employeur a confirmé à la Commission que le prestataire avait été licencié à la suite d’une enquête interne. Celle-ci avait été menée à la demande d’un client qui avait remarqué des anomalies dans le système de suivi des voyages. Selon l’employeur, l’enquête a révélé que le prestataire avait utilisé les crédits de voyage d’un client pour se réserver un voyage en compagnie de sa copine. Bien que l’employeur prétende également avoir découvert d’autres pratiques frauduleuses, l’utilisation des crédits d’un client était la raison du licenciement du prestataire.

Le prestataire a-t-il adopté la conduite ayant mené à son licenciement?

[10] Il incombe à l’employeur et à la Commission de prouver que le prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Par conséquent, je dois être convaincue qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire a commis la fraude que l’employeur et la Commission prétendent.

[11] Avant de décider si la Commission et l’employeur se sont acquittés du fardeau de la preuve, il est important de préciser quels étaient les gestes du prestataire en question. La Commission et l’employeur ont affirmé que le prestataire avait utilisé les crédits de voyage d’un client pour s’acheter un billet d’avion à destination de Punta Cana avant de transférer ce billet à son nom. Bien que la question de savoir si le prestataire s’est réellement rendu à Punta Cana se pose, j’estime qu’il n’est pas important d’y répondre, étant donné que le geste ayant mené à son licenciement était l’achat d’un billet en utilisant les crédits d’un client.

[12] La Commission soutient que l’employeur a donné un compte rendu détaillé de l’incident, et que bien que le prestataire ait eu de nombreuses occasions de discuter de la situation, il n’y a pas donné suite. La Commission et l’employeur estiment également que le prestataire ne présente aucun argument convaincant selon lequel il n’a pas commis les gestes qui lui sont reprochés. Ils soulignent que son argument principal est qu’il n’a pas les moyens de rembourser les prestations qui lui ont déjà été versées.

[13] Le prestataire soutient que le billet d’avion en question avait été acheté avec sa propre carte de crédit et qu’il n’a pas commis de fraude. Il était prêt à discuter de la situation immédiatement avec son employeur, mais celui-ci ne faisait que remettre la rencontre à plus tard, de sorte qu’il n’a pas entendu les explications du prestataire avant de le licencier.

[14] La Commission a fourni des notes de différentes discussions avec l’employeur. L’employeur explique qu’un client important avait communiqué avec lui après avoir remarqué une anomalie dans le système de suivi des frais de voyage de l’entreprise. Le système de suivi indiquait qu’un employé au service du client avait un billet réservé à son nom pour la fin de semaine, alors que le client n’avait ni projet ni raison de se rendre à Punta Cana. L’employeur a mené une enquête interne. Selon lui, l’enquête a révélé que le prestataire avait réservé un billet à destination de Punta Cana en utilisant les crédits de voyage du client, puis avait appelé la compagnie aérienne pour demander que le billet soit changé à son nom. Le client n’aurait pas vu le changement de nom, car le système ne relève que le numéro des billets. L’employeur note aussi que le prestataire avait pris congé aux mêmes dates coïncidant avec le voyage et que la compagnie aérienne a confirmé que le billet et le passeport du prestataire avaient été numérisés à l’aéroport.

[15] Bien que l’employeur n’ait fourni à la Commission aucun document à l’appui de ses plaintes contre le prestataire, j’estime que ses explications de la situation sont claires et détaillées. La déclaration selon laquelle le prestataire avait été licencié pour fraude était cohérente tout au long des discussions avec la Commission et a été confirmée par plusieurs représentantes et représentants de l’employeur.

[16] Après avoir recueilli le témoignage du prestataire, j’estime que même si j’ai pu entendre son point de vue en personne, sa version des faits est moins crédible que celle que l’employeur a donnée à la Commission. Le prestataire n’a fourni aucune explication justifiant les situations soulevées par l’employeur, mais celles-ci ne correspondaient pas aux déclarations qu’il avait faites auparavant. Par exemple, alors que le prestataire a précisé dans son avis d’appel que l’employeur n’avait pas du tout discuté de la situation avec lui, sa demande de prestations indique qu’il s’opposait aux accusations de l’employeur, ce qui signifie qu’il aurait su quelles étaient les accusations. De plus, dans les documents que le prestataire a soumis après l’audience, je remarque des messages texte qui ont été envoyés à l’employeur, datant d’avant le licenciement du prestataire. Ceux-ci précisent que le prestataire emporterait son passeport pour montrer qu’il n’était pas allé en République dominicaine. Cela démontre qu’avant d’être congédié, le prestataire connaissait les accusations portées contre lui.

[17] Lorsqu’il a été interrogé au sujet d’un billet à destination de Punta Cana ayant été émis à son nom, le prestataire a d’abord dit que le billet aurait été une réservation d’essai. Ce genre de réservation a souvent lieu lorsque des modifications sont apportées aux règles d’une compagnie aérienne. Elle ne reste pas affichée longtemps dans le système, et aucun billet n’est réellement émis. Lorsqu’il a été interrogé au sujet de la déclaration qu’il avait faite à l’employeur selon laquelle la compagnie aérienne avait confirmé que le billet et son passeport avaient été numérisés à l’aéroport, le prestataire a changé sa version des faits en disant qu’il avait lui-même acheté un billet à destination de Punta Cana. Il a déclaré qu’il avait acheté le billet la veille sur un coup de tête, pensant qu’il s’évaderait pour se détendre un jour ou deux pendant la grande fin de semaine. Le prestataire dit qu’il s’est bel et bien rendu à l’aéroport le matin du vol et que son passeport et son billet ont été numérisés à la porte d’embarcation, mais qu’il a finalement changé d’avis à la dernière minute et qu’il n’est pas monté à bord de l’avion.

[18] Les messages texte et les reçus qu’a soumis le prestataire montrent effectivement qu’il était vraisemblablement au Canada et non à Punta Cana lorsque son employeur lui a téléphoné pour lui parler. Toutefois, comme il a déjà été mentionné, la question de savoir si le prestataire est bel et bien allé à Punta Cana ou non importe peu, car il a été congédié pour avoir utilisé les crédits d’un client pour s’acheter un billet. Étant donné que l’élément principal de la présente affaire concerne l’achat d’un billet d’avion à destination de Punta Cana, j’estime que le prestataire a nui à sa crédibilité en n’ayant pas cru bon de mentionner ce voyage annulé avant d’être confronté à la déclaration de l’employeur selon laquelle il y avait une preuve qu’un billet avait été numérisé.

[19] Le prestataire soutient également qu’il n’avait pas eu l’occasion de discuter de l’affaire avec la Commission avant qu’elle ne révise la décision initiale de lui accorder des prestations. Les documents de la Commission indiquent que celle-ci a tenté de joindre le prestataire à plusieurs reprises par téléphone et par courriel pour discuter du dossier. Les notes montrent que le prestataire n’a pas discuté avec la Commission, car il n’était pas à l’aise de donner des renseignements personnels pouvant l’identifier. Le prestataire peut avoir eu des préoccupations liées à la protection de la vie privée, mais ce n’est pas vrai qu’il n’a pas eu l’occasion d’aborder ces questions avec la Commission avant qu’elle décide de l’exclure du bénéfice des prestations.

[20] En rendant cette décision, j’ai également examiné les notes médicales soumises par le prestataire, qui démontrent que le jour où il a été congédié, son médecin lui a accordé un congé de maladie pour cause de stress et d’anxiété. Je comprends que le prestataire dit ne pas avoir pris congé pour partir en vacances, mais bien parce que son emploi lui causait du stress et de l’anxiété. Je ne crois pas que ces renseignements m’aident à répondre à la question de savoir si le prestataire a acheté un billet d’avion en utilisant les crédits d’un client. Le prestataire n’avait pas non plus été congédié en raison d’un problème de santé. J’estime donc que ces renseignements ne sont pas pertinents dans cette affaire.

[21] Le prestataire avait cinq jours à compter de la date de l’audience pour me fournir des éléments de preuve supplémentaires à l’appui de sa version des faits, notamment qu’il avait acheté le billet d’avion avec sa propre carte de crédit. Bien que j’aie reçu des documents de la part du prestataire, ceux-ci ne démontrent pas qu’il a utilisé ses propres fonds pour acheter le billet d’avion.

[22] J’estime que la Commission et l’employeur ont réussi à prouver que, selon la prépondérance des probabilités, il est plus probable qu’improbable que le prestataire a utilisé les crédits d’un client pour s’acheter un billet à destination de Punta Cana.

La raison du licenciement du prestataire correspond-elle à une inconduite au sens de la loi?

[23] Les gestes posés par le prestataire correspondent à une inconduite au sens de la loi.

[24] Pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle doit être consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 1, ou si insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 2. Il n’est pas nécessaire qu’il existe une intention coupable chez le prestataire pour que son comportement constitue une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 3.

[25] Il y a inconduite si le prestataire savait ou avait dû savoir que sa conduite pouvait entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit licenciéNote de bas de page 4.

[26] La Commission doit prouver qu’il est plus probable qu’improbableNote de bas de page 5 que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 6.

[27] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite, parce que l’employeur a démontré que le prestataire avait fraudé un client.

[28] Le prestataire affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite, parce que l’employeur n’a fourni aucune preuve qu’il a utilisé les crédits d’un client pour s’acheter un billet d’avion.

[29] J’estime que la Commission et l’employeur ont prouvé que, selon la prépondérance des probabilités, il y avait eu inconduite. Comme mentionné précédemment, je préfère la version des faits et l’enquête de l’employeur au témoignage du prestataire, parce qu’elles sont plus précises, alors que le récit du prestataire révèle des incohérences.

[30] Bien que l’employeur n’ait fourni aucune politique écrite indiquant que la fraude de la clientèle est un motif de licenciement, il ressort clairement du témoignage du prestataire que sa position au sein de l’entreprise exigeait une grande confiance. À titre d’agent responsable de la réservation de billets, le prestataire avait accès aux renseignements sur la carte de crédit du client et était en mesure d’émettre et de modifier des billets.

[31] La Cour d’appel fédérale a déclaré que toute inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploi ne consiste pas en un simple manquement de l’employé à n’importe quelle obligation liée à son emploi, mais bien en un « manquement d’une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’il serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas de page 7 ».

[32] L’employeur a dit à la Commission que les gestes posés par le prestataire constituaient une faute grave et un abus de confiance. La preuve recueillie au cours de l’enquête interne suffisait à démontrer une infraction grave et un abus de confiance qui ne lui laissait d’autre choix que de mettre fin à l’emploi du prestataire.

[33] J’estime que le prestataire aurait dû savoir qu’utiliser les crédits d’un client pour son usage personnel briserait le lien de confiance avec son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit licencié. Comme il est plus probable qu’improbable qu’il ait posé les gestes pour lesquels son employeur l’a licencié et qu’il aurait dû savoir que d’utiliser les crédits d’un client pour son usage personnel pouvait entraîner son congédiement, j’estime que le prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Il est donc exclu du bénéfice des prestations régulières d’AE.

Conclusion

[34] L’appel est rejeté. Cela signifie que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’AE.

Date de l’audience :

Le 25 juin 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparution :

T. D., appelant

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