Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : X c Commission de l’assurance-emploi du Canada et J. P., 2020 TSS 659

Numéro de dossier du Tribunal: GE-20-1544

ENTRE :

X

Appelant

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée

et

J. P.

Mis en cause


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de l’assurance-emploi


DÉCISION RENDUE PAR : Angela Ryan Bourgeois
DATE DE L’AUDIENCE : Le 19 juin 2020
DERNIÈRE DATE LIMITE DE DÉPÔT : Le 25 juin 2020
DATE DE LA DÉCISION : Le 8 juillet 2020

Sur cette page

Décision

[1] L’appelant (employeur) n’a pas prouvé que le mis en cause (prestataire) a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, le prestataire n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.Note de bas de page 1

Aperçu

[2] L’employeur a congédié le prestataire le 11 février 2020. L’employeur affirme qu’il a congédié le prestataire en raison de son comportement, de son insubordination, de ses problèmes d’assiduité et de son intimidation. Le prestataire soutient que l’employeur n’a soulevé ces questions qu’après qu’il ait menacé de déposer une plainte auprès de la Commission des normes du travail le 7 janvier 2020. Le prestataire a déposé sa plainte le 15 janvier 2020.

[3] La Commission a déterminé que la raison du congédiement du prestataire n’était pas une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi. La Commission affirme que l’employeur s’est appuyé sur des incidents antérieurs pour congédier le prestataire après qu’il a déposé sa plainte. Elle affirme que la preuve ne montre pas qu’il existe un lien de causalité entre la conduite du prestataire et son congédiement. L’employeur a fait appel de cette décision, car il affirme que les gestes posés par le prestataire constituent de l’inconduite selon la Loi sur l’assurance‑emploi.

Documents présentés après l’audience

[4] J’ai autorisé l’employeur à déposer des documents après l’audience concernant les avertissements qu’il avait donnés au prestataire. Ces avertissements ont été mentionnés dans des documents déposés auprès du Tribunal. Les avertissements sont pertinents pour déterminer si le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite, en ce sens qu’il y a inconduite lorsqu’une partie prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée.

[5] J’ai accordé au prestataire jusqu’au 25 juin 2020 pour déposer une réponse concernant les avertissements. La réponse du prestataire a été communiquée à l’employeur. Avant de trancher cet appel, j’ai attendu plus d’une semaine pour voir si l’employeur allait déposer une réponse. À ce jour, l’employeur n’a pas encore déposé de réponse.

[6] L’employeur a demandé s’il pouvait déposer une déclaration écrite de l’ancien employeur du prestataire après l’audience. L’ancien employeur devait assister à l’audience en tant que témoin, mais ne l’a pas fait. Je n’ai pas autorisé l’employeur à déposer une déclaration de ce témoin après l’audience. J’ai estimé qu’une déclaration d’un témoin concernant le travail du prestataire pour une autre entreprise en 2014 n’était pas pertinente à la question du congédiement du prestataire par l’employeur en 2020. Cela était d’autant plus vrai que le prestataire avait quitté cet autre emploi; il n’avait pas été congédié pour son comportementNote de bas de page 2.

Question en litige

[7] Le prestataire a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite? Pour en décider, j’établirai d’abord la raison pour laquelle le prestataire a perdu son emploi. Je déciderai ensuite si cette raison est une inconduite selon la loi.

Analyse

Pourquoi le prestataire a-t-il perdu son emploi?

[8] Le prestataire et l’employeur ne s’entendent pas sur la raison pour laquelle le prestataire a perdu son emploi.

[9] L’employeur a exposé les raisons pour lesquelles il a congédié le prestataire dans une lettre de congédiement. La lettre indique que le prestataire a été congédié pour les raisons suivantes :

  1. des problèmes de comportement et de l’intimidation;
  2. de l’insubordination, y compris le refus de former d’autres employés et de faire son travail de peintre;
  3. des problèmes d’assiduité (absences au travail sans préavis)Note de bas de page 3.

[10] Le prestataire affirme que la véritable raison pour laquelle l’employeur l’a congédié est qu’il a menacé de déposer une plainte contre l’employeur auprès de la Commission des normes du travail puis a déposé cette plainte. La Commission convient avec le prestataire que l’employeur s’est appuyé sur des incidents antérieurs pour le congédier après qu’il a déposé sa plainte.

[11] J’estime qu’il est probable que l’employeur aurait continué à tolérer la conduite du prestataire s’il n’avait pas menacé de déposer une plainte auprès de la Commission des normes du travail et ensuite déposé cette plainte. En effet, la preuve montre que le premier avertissement écrit n’a été remis au prestataire qu’après qu’il ait menacé de déposer une plainte.

L’employeur savait que le prestataire avait l’intention de déposer une plainte le 7 janvier 2020

[12] Le prestataire déclare que pendant leur rencontre du 7 janvier 2020, il a dit à l’employeur qu’il avait l’intention de déposer une plainte auprès de la Commission des normes du travail. J. S., le propriétaire de l’employeur, a déclaré qu’il n’a eu connaissance de la plainte que quelque temps après avoir donné au prestataire l’avertissement écrit du 15 janvier 2020.

[13] Cependant, j’estime qu’il est plus probable que l’employeur était au courant de l’intention du prestataire de déposer une plainte le 7 janvier 2020. En effet, au cours de son témoignage, J. S. a déclaré que lorsque le prestataire a quitté son bureau le 7 janvier 2020, il criait qu’il allait [traduction] « me dénoncer quelque partNote de bas de page 4 ». Je juge que cela démontre que l’employeur savait le 7 janvier 2020 que le prestataire allait déposer une plainte, même s’il ne savait pas où.

Le premier avertissement écrit a été donné le 15 janvier 2020

[14] L’employeur dit avoir donné au prestataire de nombreux avertissements écrits et verbaux avant de le congédier. Cependant, la preuve montre que l’employeur a donné un premier avertissement écrit au prestataire le 15 janvier 2020. J’estime que les courriels antérieurs que l’employeur dit être des avertissements n’en sont pas. Ils ressemblent plutôt à des rappels, car ils n’énoncent pas de conséquences.

[15] Par exemple, l’employeur dit avoir donné au prestataire des avertissements écrits en novembre 2019 dans une série de courriels qu’il a échangés avec luiNote de bas de page 5. À mon avis, il ne s’agissait pas d’avertissements parce qu’ils rappellent au prestataire d’utiliser un ton respectueux dans ses courriels, mais n’énoncent aucune conséquence s’il omettait de le faire. Il n’est fait mention d’aucune mesure disciplinaire.

[16] Bien que l’employeur ait déclaré qu’il avait prévu de congédier le prestataire au cours de l’été 2019, et de nouveau en novembre 2019, je ne vois aucun avertissement écrit dans le dossier autour de ces datesNote de bas de page 6. Je note cependant que l’employeur a accepté d’accorder au prestataire une augmentation de salaire en mai 2019, ce qui implique qu’il n’avait pas l’intention de le congédier à ce moment-làNote de bas de page 7.

La plainte du prestataire a conduit à son congédiement

[17] L’employeur a demandé au prestataire de travailler pour lui en 2017, même s’il savait que le prestataire avait la réputation de créer un environnement de travail difficileNote de bas de page 8. En dépit de divers problèmes liés au comportement du prestataire, l’employeur n’a pas donné d’avertissement écrit ni pris de mesures disciplinaires jusqu’à ce que le prestataire menace de déposer une plainte en matière de normes du travail. La lettre d’avertissement datée du 15 janvier 2020 indique que le prestataire n’avait pas fait l’objet de mesures disciplinaires auparavantNote de bas de page 9.

[18] J’ai noté le commentaire de J. S. au cours de l’audience selon lequel le prestataire avait agi de la même manière chez un autre employeur en formulant des plaintes liées à la sécurité et d’autres plaintes qui l’avaient finalement amené à quitter l’entrepriseNote de bas de page 10. J’estime que cela montre qu’il est probable que l’employeur a tenu compte des plaintes du prestataire lorsqu’il a décidé de le congédier.

[19] Après avoir examiné la preuve dans son ensemble, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la véritable raison pour laquelle l’employeur a congédié le prestataire au moment où il l’a fait était sa plainte auprès de la Commission des normes du travail.

La raison du congédiement du prestataire est-elle une inconduite selon la loi?

[20] La raison du congédiement du prestataire n’est pas une inconduite parce que celui-ci n’aurait pas pu savoir que le dépôt d’une plainte auprès de la Commission des normes du travail inciterait l’employeur à le congédier. De plus, l’employeur n’a pas prouvé qu’il existait un lien de causalité entre l’inconduite reprochée au prestataire et son congédiement.

[21] Pour être considérés comme une inconduite selon la loi, les gestes doivent être délibérés. Cela signifie que les gestes doivent être conscients, voulus ou intentionnelsNote de bas de page 11. L’inconduite comprend également une conduite si insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 12. Le prestataire n’a pas à avoir une intention coupable pour que son comportement constitue une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 13.

[22] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédiéNote de bas de page 14. Il doit y avoir un lien de causalité entre l’inconduite reprochée au prestataire et la perte d’emploiNote de bas de page 15.

[23] L’employeur doit prouver qu’il est plus probable que le contraireNote de bas de page 16 que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 17.

[24] L’employeur affirme qu’il était fondé à congédier le prestataire et que tout employeur aurait congédié le prestataire sur-le-champ pour son comportement. Bien que cela puisse être le cas, pour les motifs qui suivent, j’estime que l’employeur n’a pas prouvé que le comportement du prestataire constituait une « inconduite » selon le droit relatif aux prestations d’assurance‑emploi.

Le prestataire n’aurait pas pu savoir qu’il était réellement possible qu’il soit congédié

[25] Étant donné que les congédiements en représailles pour avoir déposé une plainte sont contraires au droit, j’estime que le prestataire ne pouvait raisonnablement savoir que le dépôt d’une plainte en matière de normes du travail entraînerait son congédiement.

Aucun lien de causalité entre l’inconduite reprochée et le congédiement

[26] Je suis d’accord avec la Commission pour dire que l’employeur n’a pas prouvé qu’il existait un lien de causalité entre l’inconduite reprochée au prestataire et son congédiement. En effet, j’estime que l’employeur n’a pas réussi à établir qu’il est probable que le prestataire ait posé l’un des gestes reprochés après le premier avertissement du 15 janvier 2020. S’il n’a commis aucun des gestes reprochés, il n’existe aucun lien de causalité entre les gestes du prestataire et son congédiement.

Problèmes de comportement et intimidation

[27] Dans la lettre de congédiement, l’employeur affirme que le prestataire n’a pas changé de comportement. Toutefois, l’employeur n’a pas cerné d’incident survenu après l’avertissement du 15 janvier 2020.

[28] L’employeur a mentionné un incident qui s’est produit le 10 janvier 2020, lors duquel, selon l’employeur, le prestataire aurait tenu des propos diffamatoires au sujet de J. S. et de son frère. Il dit que le prestataire aurait déclaré que J. S. était un voleur, et comme le prestataire nie avoir tenu certains de ces propos, l’employeur affirme que le prestataire traite J. S. de menteur. L’employeur n’a pas mentionné cet incident dans l’avertissement du 15 janvier 2020. Étant donné que l’incident s’est produit avant cet avertissement, j’estime qu’il n’existe pas de lien de causalité entre le comportement du prestataire et son congédiement.

[29] L’employeur a fourni une copie d’un rapport d’inspection du lieu de travail de la Division de la santé et de la sécurité au travailNote de bas de page 18. Le rapport n’est pas daté, mais l’employeur affirme que la plainte a été déposée vers le 15 janvier 2020Note de bas de page 19. L’employeur dit qu’il ne sait pas qui a déposé le rapport, mais il a laissé entendre que ce pourrait être le prestataire parce que la plainte concernait la cabine de peinture où le prestataire ne voulait pas travailler. L’employeur affirme que le fait de déposer une plainte anonyme en matière de sécurité était un coup bas ou une tactique pour nuire à l’entreprise. Le prestataire nie avoir déposé la plainte. J’estime que l’employeur n’a pas prouvé qu’il est plus probable que le contraire que la plainte ait été déposée par le prestataire. De plus, étant donné que la Division de la santé et de la sécurité au travail a émis deux avertissements, je conclus que l’employeur n’a pas démontré que la plainte était non fondée ou vexatoire.

Insubordination, refus de former d’autres employés et de peindre

[30] L’incident mentionné dans la lettre de congédiement du prestataire s’est produit le 6 septembre 2019, soit bien avant l’avertissement du 15 janvier 2020. Par conséquent, je ne vois aucun lien de causalité entre cet incident et le congédiement du prestataire.

[31] L’employeur affirme que le prestataire a refusé de former d’autres employés à l’utilisation de la MultiCam. L’employeur a envoyé un courriel au prestataire le 9 janvier 2020 pour savoir si ce dernier acceptait de donner la formation. Dans le courriel, l’employeur dit que si le prestataire ne voulait pas donner la formation, un autre employé avait déjà accepté de le faireNote de bas de page 20. Même si le refus du prestataire avait été postérieur au 15 janvier 2020, je ne vois aucun lien de causalité entre son refus et son congédiement, car l’employeur lui a offert un choix.

[32] L’employeur affirme que le prestataire a refusé de peindre, mais les incidents auxquels il a fait référence sont antérieurs au 15 janvier 2020.

Problèmes d’assiduité

[33] Selon l’employeur, les seuls jours de travail que le prestataire a manqués après l’avertissement du 15 janvier 2020 sont les 6 et 7 février 2020.

[34] L’employeur affirme que le prestataire s’est absenté du travail sans préavis les 6 et 7 février 2020. Le prestataire a déclaré qu’il a avisé J. L. par téléphone qu’il serait absent le 6 février 2020, et qu’il lui a envoyé un message texte le 7 février 2020. Le prestataire a fourni une copie du message texte. En réponse, J. L. a déclaré que les deux jours il avait dit à J. S. que le prestataire serait absentNote de bas de page 21. Étant donné la réponse de J. L. confirmant qu’il avait informé J. S. au sujet de ces deux jours, et que le prestataire a avisé l’employeur de son absence le 7 février 2020 par message texte, je le crois lorsqu’il dit avoir également avisé J. L. par téléphone au sujet du premier jour. Je préfère le témoignage du prestataire aux déclarations de l’employeur parce qu’il concorde avec le message texte.

Autres avertissements et congédiement

[35] Le prestataire a reçu un deuxième avertissement écrit le 7 février 2020. Comme l’employeur n’a pas prouvé qu’il y avait eu des incidents après le 15 janvier 2020, j’estime que l’avertissement du 7 février 2020 et la rencontre du 11 février 2020 qui s’y rapporte avaient très probablement pour but de documenter le dossier pour justifier le congédiement du prestataire.

[36] Il est à mon avis probable que l’employeur avait l’intention de congédier le prestataire lors de la rencontre du 11 février 2020, quelle que soit la réaction du prestataire, pour les raisons suivantes. D’abord, l’employeur a préparé à la fois une lettre de suspension et une lettre de congédiement. Ensuite, l’autre employé qui a assisté à la rencontre a déclaré (par message texte au prestataire) que l’employeur n’avait pas bien réagi aux questions et aux contre‑arguments du prestataire, qu’il estimait que l’employeur avait réagi de manière excessive aux questions du prestataire et que l’employeur ne semblait pas vouloir dialoguer. L’employé a déclaré qu’il était surpris que la situation résulte en un congédiementNote de bas de page 22. Je considère que le témoignage de cet employé est fiable, car il a été rédigé immédiatement après le congédiement du prestataire. En outre, étant donné que le prestataire et l’employeur se sont tous deux appuyés sur les déclarations de cet employé pour étayer leurs arguments, je considère qu’il est probable que ses déclarations soient crédibles.

[37] La partie qui allègue l’inconduite a la lourde charge de la prouver. Pour démontrer qu’un employé a commis une inconduite, il faut établir que l’employé n’aurait pas dû se comporter comme il l’a fait. Il ne suffit pas de démontrer que l’employeur considérait que la conduite de l’employé était répréhensible ou qu’il a réprimandé l’employé pour s’être mal comportéNote de bas de page 23.

[38] Il ne fait aucun doute que l’employeur a jugé répréhensible la conduite du prestataire, mais, selon la prépondérance des probabilités, il n’a pas prouvé qu’il existait un lien de causalité entre le comportement reproché au prestataire et son congédiement.

Conclusion

[39] L’appel est rejeté. Cela signifie que le prestataire n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Date de l’audience :

Le 19 juin 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

J. S., représentant de l’appelant

J. P., mis en cause

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