Assurance-emploi (AE)

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Citation : AG c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2020 TSS 676

Numéro de dossier du Tribunal: GE-20-1409 et GE-20-1410

ENTRE :

A. G.

Appelant

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de l’assurance-emploi


DÉCISION RENDUE PAR : Normand Morin
DATE DE L’AUDIENCE : 30 juin 2020
DATE DE LA DÉCISION : 17 juillet 2020

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] Je conclus que l’appelant était justifié de quitter volontairement son emploiFootnote 1. Son exclusion du bénéfice des prestations d’assurance-emploi, à compter du 13 octobre 2019, n’est donc pas justifiéeFootnote 2.

[3] Je conclus que l’imposition à l’appelant d’une pénalité pour avoir fait des déclarations fausses ou trompeuses en toute connaissance de cause, n’est pas justifiéeFootnote 3.

[4] Je conclus que l’émission d’un avis de violation à l’endroit de l’appelant, à la suite d’une pénalité qui lui a été infligée pour avoir perpétré un acte délictueux, n’est pas justifiéeFootnote 4.

Aperçu

[5] De février 2015 au 18 octobre 2019 inclusivement, l’appelant a effectué plusieurs périodes d’emploi comme poseur de revêtements souples pour l’employeur XFootnote 5 (« l’employeur »). Sa dernière période d’emploi chez cet employeur est du 14 janvier 2019 au 18 octobre 2019. Il a cessé de travailler après avoir effectué un départ volontaire. Le 23 octobre 2019, il présente une demande renouvelée de prestations d’assurance-emploi.

[6] Le 24 février 2020, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la « Commission ») l’informe qu’elle a réexaminé sa demande de prestations d’assurance-emploi dont la date de début était le 27 janvier 2019. Elle l’avise qu’elle ne peut pas lui verser de prestations régulières d’assurance-emploi à partir du 13 octobre 2019 parce qu’il a volontairement arrêté de travailler pour l’employeur, le 18 octobre 2019, sans motif valable au sens de la Loi. Elle lui indique avoir conclu qu’il a fait de fausses déclarations en toute connaissance de cause, et lui impose une pénalité de 1 686,00 $. La Commission l’avise aussi qu’un avis de violation qualifié de « violation très grave » est émis à son endroitFootnote 6.

[7] L’appelant explique que le 18 octobre $2019, il devait effectuer une tâche de polissage de béton avec un autre employé, mais que celui-ci ne s’est pas présenté au travail. Il explique avoir indiqué à l’employeur qu’il ne pouvait faire ce travail seul. L’appelant affirme que son patron était fâché de cette situation et a crié après lui et qu’il lui a manqué de respect en employant des mots vulgaires en lui disant de s’en aller. L’appelant est retourné chez lui à la suite de cet événement et n’est pas retourné travailler chez l’employeur. Il affirme que son patron lui a manqué de respect à plusieurs reprises dans le passé. Selon l’appelant, son patron s’emportait souvent contre les employés. Il soutient avoir vécu du harcèlement psychologique de la part de l’employeur. L’appelant fait aussi valoir que normalement il n’avait pas le droit de polir du béton puisqu’il ne détient pas de certificat de compétence pour ce type de travail. Aussi, plusieurs de ses heures de travail n’étaient pas déclarées à la Commission de la construction du Québec (CCQ). Il précise détenir un certificat de compétence comme poseur de revêtements souples. Concernant les fausses déclarations qui lui ont été reprochées, l’appelant explique avoir déclaré les montants qu’il a reçus dans son compte bancaire et provenant de l’employeur. Il affirme qu’il ne savait pas qu’il devait déclarer les montants bruts qui lui avaient été versés. L’appelant fait également valoir que lorsqu’il a rempli sa demande de prestations, il a indiqué, par habitude, qu’il avait cessé de travailler en raison d’un manque de travail et non qu’il avait quitté volontairement son emploi. Il précise avoir donné cette indication, car il savait que de cette manière, il pourrait recevoir des prestations. Le 16 avril 2020, l’appelant conteste la décision en révision de la Commission. Cette décision fait l’objet du présent recours devant le Tribunal.

Questions préliminaires

[8] Je précise que les appels portant les numéros de dossier GE-20-1409 et GE-20-1410 ont été jointsFootnote 7 puisque ces appels soulèvent une question de droit ou de fait qui leur est commune. Dans le cas présent, la question de droit ou de fait commune aux deux dossiers d’appel se rapporte à une même période de prestations et concerne le même appelant.

Questions en litige

[9] Dans le présent dossier, je dois déterminer si l’appelant était justifié de quitter volontairement son emploi.

[10] Je dois répondre aux questions suivantes :

  1. Est-ce que la fin d’emploi de l’appelant représente un départ volontaire?
  2. Si tel est le cas, est-ce que le départ volontaire de l’appelant représentait la seule solution raisonnable dans son cas?

[11] Je dois également déterminer si l’imposition d’une pénalité à l’appelant pour avoir perpétré un acte délictueux, en faisant des déclarations fausses ou trompeuses en toute connaissance de cause, est justifiée.

[12] Je dois répondre aux questions suivantes :

  1. L’appelant a-t-il fait des déclarations fausses ou trompeuses?
  2. Si tel est le cas, l’appelant savait-il que ses déclarations étaient fausses ou trompeuses?
  3. La Commission a-t-elle exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire lorsqu’elle a imposé une pénalité à l’appelant?

[13] Je dois aussi déterminer si l’émission d’un avis de violation à l’endroit de l’appelant, à la suite d’une pénalité qui lui a été infligée pour avoir perpétré un acte délictueux, est justifiée.

[14] Je dois répondre à la question suivante :

  1. La Commission a-t-elle exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire lorsqu’elle a émis un avis de violation à l’endroit de l’appelant?

Analyse

Départ volontaire

[15] Des décisions rendues par la Cour d’appel fédérale (la « Cour ») indiquent que le critère visant à déterminer si le prestataire est fondé de quitter son emploi consiste à se demander si, en tenant compte de toutes les circonstances et de la prépondérance des probabilités, le prestataire n’avait pas d’autre choix raisonnable que de quitter son emploiFootnote 8.

Question no 1 : Est-ce que la fin d’emploi de l’appelant représente un départ volontaire?

[16] Oui. J’estime que dans le cas présent, la fin de l’emploi de l’appelant représente bien un départ volontaire au sens de la Loi.

[17] Je considère que l’appelant a eu le choix de continuer de travailler chez l’employeur, mais qu’il a choisi de quitter volontairement son emploi.

[18] La Cour nous informe que dans un cas de départ volontaire, il faut d’abord déterminer si la personne avait le choix de conserver son emploiFootnote 9.

[19] Les déclarations de l’appelant indiquent qu’il a quitté volontairement son emploiFootnote 10.

[20] Je considère que l’appelant avait la possibilité de poursuivre l’emploi qu’il avait chez l’employeur. Il a pris l’initiative de mettre fin à son lien d’emploi en cessant de se présenter au travail après le 18 octobre $2019.

[21] Je dois maintenant déterminer si l’appelant était justifié de quitter volontairement son emploi et s’il s’agissait de la seule solution raisonnable dans son cas.

Question no 2 : Est-ce que le départ volontaire de l’appelant représentait la seule solution raisonnable dans son cas?

[22] Oui. Je considère que le départ volontaire de l’appelant représentait la seule solution raisonnable dans son cas.

[23] Dans le cas présent, je considère que l’appelant était justifié de quitter volontairement son emploi en raison d’une « incitation indue par l’employeur » pour qu’il le fasseFootnote 11.

[24] J’estime le témoignage de l’appelant crédible. L’appelant dresse un portrait complet et détaillé des raisons de son départ volontaire. Son témoignage est précis et sans contradictions. L’appelant fournit des raisons pour lesquelles il ne pouvait pas effectuer le travail de polissage de béton demandé par l’employeur le 18 octobre 2019 et qu’il s’est adressé à lui en employant un langage respectueux pour le lui signifier.

[25] Le témoignage de l’appelant et ses déclarations à la Commission indiquent les éléments suivants :

  1. L’appelant fait valoir que de donner sa démission était la solution raisonnable pour luiFootnote 12;
  2. L’appelant explique que lorsqu’il s’est présenté au travail, le 18 octobre 2019, il devait poursuivre le travail de polissage de béton qu’il avait commencé la journée précédente avec un collègue. Ce collègue ne s’est pas présenté au travail. L’appelant a dit à son patron, J. M., que cela ne faisait pas son affaire d’aller travailler tout seul pour une « job » de polissage. Il a demandé au patron d’avoir un autre employé avec lui pour faire ce travail. Il dit avoir parlé à son patron de la bonne façon. L’appelant souligne que ce type de travail demande la présence de deux personnes. L’appelant explique que c’est normal qu’il ait refusé de faire ce travail seul. Il doit soulever des machines qui pèsent plusieurs centaines de livres (plus de 300 livres) et les transporter en utilisant une remorque et un camion. Selon l’appelant, l’employeur était mal organiséFootnote 13;
  3. L’appelant explique s’être fait engueuler et « rentrer dedans » par le patron qui était fâché par cette situation. Le patron a crié après lui, lui a dit de partir et l’a « envoyé chier ». L’appelant affirme qu’à trois reprises, le patron lui a manqué de respect et l’a « envoyé [se] promener » avec des « gros mots » ou des « mots vulgaires », en lui parlant à quelques pouces du visage. L’appelant explique que le patron l’a « envoyé chier » parce qu’il ne répondait pas à ce qu’il lui disait et qu’il le laissait « vider son sac ». Il soutient que le patron lui a fait des menaces voilées, qu’il a été arrogant et agressif à son endroit. L’appelant affirme ne pas avoir manqué de respect à l’endroit de son patron et ne pas avoir sacré. L’appelant précise ne pas avoir dit un mot lorsque son patron lui a manqué de respect ce qui l’a rendu encore plus fâché. Il indique ne pas se rappeler tout ce que son patron lui a dit, mais qu’il s’est entre autres adressé à lui dans ces termes : « Va chier mon Ostie [...] La plus belle « job » que tu peux avoir eu dans ta vie [...] »Footnote 14;
  4. L’appelant explique avoir laissé le patron « vider son sac », comme il le faisait régulièrement lorsque ses journées ne fonctionnaient pas à son goût. Il a ensuite redonné à son patron la carte de crédit de l’entreprise et les clés du camion, est monté dans sa voiture et est retourné chez lui. Il indique avoir pris la décision de ne pas se représenter au travail après l’événement du 18 octobre 2019. Il explique qu’il espérait que son patron le rappelle, qu’il s’excuse et qu’il lui parle comme un adulte. Son patron ne l’a pas fait et lui a donné son « 4 % » (paie de vacances) la semaine suivante. L’appelant précise que son emploi s’est terminé de cette façon, après plusieurs années d’amitié avec son patronFootnote 15;
  5. L’appelant explique que contrairement à ce qu’a affirmé l’employeur , il n’a pas été négatif en arrivant au travail et n’a pas sacré en raison du travail qu’il devait faire. Il affirme ne jamais avoir sacré après son patron, sans quoi il aurait été congédié ou aurait reçu un avertissement. L’appelant souligne qu’il ne sacre pas en général. Il précise n’avoir jamais reçu d’avertissement disciplinaire ou de plainte pendant ses quatre ou cinq ans chez l’employeur.Footnote 16 L’appelant souligne que l’employeur le rappelait au travail après ses périodes de chômage et que s’il a travaillé pour lui pendant quatre ou cinq ans, c’est parce qu’il était un bon employé. L’appelant affirme que son patron ne fait que dire des mensonges. Il affirme aussi que même si J. O. (adjointe administrative) a déclaré avoir été témoin des événements survenus entre lui et son patron le 18 octobre 2019Footnote 17, elle n’était pas au bureau ce matin-là. L’appelant fait valoir que la Commission s’est basée sur une conversation téléphonique avec l’employeur au cours de laquelle celui a pu nier ses proposFootnote 18;
  6. L’appelant explique que ce n’était pas la première fois que le patron lui manquait de respect. Il s’emportait souvent. L’appelant souligne que des journées, son patron peut être « super gentil » et d’autres où il ne fait que crier. Il explique que le matin du 18 octobre 2019, ce fut la « goutte de trop » et ça a « explosé ». L’appelant affirme que c’était de l’accumulation, car il a enduré cette situation pendant quatre ans. Il indique que son patron lui a manqué de respect une dizaine de fois. L’appelant explique avoir déjà dit à son patron qu’il n’avait pas à sacrer après lui ou à « pogner les nerfs » pour s’adresser à lui. Il indique que lorsque son patron se fâchait contre lui ou utilisait un langage inapproprié à son endroit (ex. : sacrer, lancer des outils au mur, frapper (« kicker ») des poubelles), il le laissait faire. L’appelant explique qu’il aimait son emploi, mais qu’au cours de sa dernière année de travail, il n’était plus capable d’endurer cette situation et de travailler dans un environnement semblable. Il indique que cette situation l’a amené à faire des dépressions. Selon l’appelant, il s’agissait d’une situation de harcèlement psychologique. Il soutient avoir été le souffre-douleur de son patron, comme ce fut le cas pour d’autres employés. Il relate qu’au cours de l’été 2019, pendant son quart de travail et avant la pause, alors qu’il voulait se rendre aux toilettes, le patron lui a dit qu’il n’avait pas le droit d’y aller parce que ce n’était pas le moment. L’appelant indique ne pas avoir fait d’intervention, de signalement ou de plainte auprès d’un organisme comme la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) concernant le comportement de son patron. Il ne voulait pas créer de problèmes à l’employeur. Il souligne que son patron était son ami d’enfanceFootnote 19;
  7. L’appelant affirme que le patron a aussi manqué de respect avec d’autres employés et que plusieurs d’entre eux ont quitté leur emploi en raison du caractère de ce dernier. L’appelant dit croire que le travail d’un entrepreneur en construction peut générer beaucoup de stress, mais qu’il y a une façon de parler aux employés, ce que son patron ne sait pas comment faireFootnote 20;
  8. L’appelant explique ne pas détenir de carte de compétence (certificat de compétence de la Commission de la construction du QuébecCCQ) pour effectuer du travail de polissage de béton. Il précise que normalement il n’a pas le droit de faire ce type de travail, car il doit détenir une carte de compétence à titre de « cimentier-applicateur », ce qui n’est pas son cas. L’appelant spécifie qu’il est un poseur de revêtements souples et qu’il possède une carte de compétence « d’apprenti 1 » (certificat de compétence apprenti – CCA) pour ce métier. Il travaille dans ce domaine depuis 10 ans. L’appelant précise qu’il effectuait du travail de polissage de béton, même s’il ne s’agissait pas de son domaine de compétence et qu’il n’aimait pas faire ce type de travail. L’appelant affirme que les heures de travail qu’il a effectuées pour des travaux de polissage de béton n’ont pas été déclarées ou enregistrées à la Commission de la construction du Québec (CCQ). Selon l’appelant, c’est pour cette raison qu’il avait encore un statut « d’apprenti 1 » et non de « compagnon » (certificat de compétence compagnon – CCC) ou « d’apprenti 3 » après cinq ans de travail. Selon lui, l’employeur a profité de la situation. L’appelant indique ne pas avoir fait de signalement auprès de la CCQ ou du Syndicat québécois de la construction (SQC), parce qu’il n’a pas voulu nuire à son patron ou le mettre dans le trouble parce que c’était un de ses amis et par respect pour lui. Il ne voulait pas en arriver làFootnote 21.

[26] Les déclarations de l’employeur à la Commission indiquent les éléments suivants :

  1. Le 11 février 2020, l’employeur (J. O., adjointe administrative) explique que l’appelant a quitté son emploi, car il ne voulait pas faire le travail de polissage de béton qui lui avait été assigné. Il explique que l’appelant était poseur de revêtements souples. L’employeur précise que lorsqu’il n’y a pas de pose de revêtements souples à faire, les employés font du polissage de béton. Ils savent que ce type de travail fait partie de leurs tâches. L’employeur déclare qu’au moment où l’appelant a quitté son emploi, il n’y avait pas de pose de revêtements à faire. Il indique que l’appelant a eu une discussion avec son patron et ce dernier lui a dit qu’il était dans un dilemme et que s’il n’était pas heureux, c’était sa décision à lui. L’employeur mentionne que l’appelant était un bon employé, mais il n’est pas revenuFootnote 22;
  2. Le 25 mars 2020, l’employeur (J. O.) explique avoir été témoin d’une chicane entre l’appelant et son patron (J. M.). L’employeur affirme que le matin du 18 octobre 2019, l’appelant est arrivé au travail en chialant, car il n’appréciait pas le type de travail à effectuer. L’employeur affirme que l’appelant a dit : « C’est de la [marde] cette job-là. [...] Je ne veux pas faire cette crisse de job-là », le tout avec des blasphèmes. L’employeur explique que son patron a essayé de le raisonner, de lui expliquer, sans crier, qu’étant donné la période morte, c’était le genre de travail (polissage de béton) qu’il fallait faire. L’employeur mentionne que l’appelant et son patron se connaissaient beaucoup. L’employeur explique que l’appelant s’est rendu à sa camionnette et avant qu’il ne parte, le patron est allé le voir pour tenter de le raisonner et le faire revenir au travail. L’employeur dit ne pas savoir ce qui a été dit à ce moment, mais que l’appelant n’est pas revenu par la suite. L’employeur mentionne que l’appelant avait un « caractère de chialeux » et qu’il créait une mauvaise ambiance au travail, comme une « pomme pourrie ». L’employeur indique que le patron attendait un retour d’appel de l’appelant, mais que celui-ci ne s’était pas manifestéFootnote 23;
  3. Le 25 mars 2020, J. M., patron de l’appelant, déclare à la Commission qu’une chicane est survenue entre lui et l’appelant, le 18 octobre 2019. J. M. affirme que cette journée-là, l’appelant est arrivé au travail et s’est mis à chialer sur les tâches à effectuer. Il affirme que l’appelant a dit : « Crisse de job plate. Pourquoi tu m’appelles moi pour faire cette job de marde là [...] j’ai pas mes outils. ». J. M. affirme que c’est d’abord l’appelant qui lui a manqué de respect et a crié après lui, et ce, devant d’autres employés. J. M. déclare que ce fut la goutte qui a fait déborder le vase et que c’était devenu intolérable. Il a alors dit à l’appelant : « Ça suffit. Soit que tu crisses ton camp ou que tu restes et que tu travailles ». J. M. dit avoir peut-être « envoyé chier » l’appelant. Il déclare ne pas se rappeler des paroles exactes prononcées de part et d’autre, mais que le niveau de langage n’avait pas été respectueux. J. M. explique qu’il ne voulait pas se « débarrasser » de l’appelant parce qu’il est en manque criant de personnel. Il aurait préféré que l’appelant demeure en poste, mais il ne l’a pas fait. Il souligne que l’appelant est déjà parti dans le passé afin de profiter du fait qu’il recevait des prestations pour ensuite revenir travailler. J. M. affirme que l’appelant le menaçait souvent qu’il ne rentrerait plus travailler et lui disait qu’il allait devoir trouver quelqu’un d’autre. J. M. déclare que depuis longtemps, l’appelant a des problèmes de comportement et d’attitude. Il affirme que l’appelant chialait souvent, qu’il était négatif et qu’il lui manquait souvent de respect, et ce, devant les autres employés. J. M. explique qu’un autre employeur n’aurait jamais supporté une telle situation aussi longtemps que lui l’a fait. Il affirme que l’appelant a eu de nombreux avertissements concernant sa tenue vestimentaire et le fait qu’il n’apportait pas ses outils au travailFootnote 24.

[27] Dans le cas présent j’accorde une valeur prépondérante au témoignage et aux déclarations de l’appelant.

[28] L’employeur ne donne pas d’explications concernant les raisons pour lesquelles l’appelant ne voulait pas effectuer le travail de polissage de béton qu’il lui avait demandé de faire le 18 octobre 2019. L’employeur se limite à dire qu’il s’agissait d’une des tâches que l’appelant était tenu de faire dans l’exercice de ses fonctions.

[29] Le témoignage de l’appelant, lequel n’a pas été contredit, indique qu’il avait effectué ce type de travail la journée précédente, le 17 octobre 2019, avec l’aide d’un collègue et qu’il a signifié à l’employeur qu’il n’était pas en mesure de poursuivre le travail sans l’aide d’un autre employé, étant donné l’absence de son collègue.

[30] Je trouve également contradictoires les déclarations de l’employeur concernant les circonstances ayant amené l’appelant à quitter son emploi et la nature des échanges qu’il a eus avec lui sur ce sujet, de même qu’en ce qui concerne l’appréciation qu’il fait de son travail.

[31] En effet, dans sa déclaration du 11 février 2020 à la Commission, J. O. explique que le 18 octobre 2019, l’appelant a discuté avec son patron et que celui-ci lui a dit que s’il n’était pas heureux dans son travail, il lui appartenait de prendre une décision concernant son emploi. J. O. souligne que l’appelant était un bon employéFootnote 25.

[32] Dans sa déclaration du 25 mars 2020 à la Commission, lors de la révision du dossier de l’appelant, J. O. parle alors d’une chicane survenue le 18 octobre 2019 entre l’appelant et son patron, dont elle dit avoir été témoin. Elle précise que l’appelant a employé des blasphèmes pour indiquer qu’il n’appréciait pas le travail qu’il allait devoir faire. J. O. mentionne que le patron, J. M., s’est adressé à l’appelant, sans crier, afin de le raisonner et lui expliquer le travail à faire. Elle dit ensuite ne pas se rappeler si J. M. avait « envoyé chier » l’appelant, mais ne nie pas que cela ait été le cas. J. O. indique aussi que J. M. est allé rejoindre l’appelant à sa camionnette avant qu’il ne quitte les lieux, mais déclare ne pas savoir ce qui a été dit à ce moment. Dans sa déclaration, J. O. compare l’appelant à une « pomme pourrie », étant donné son « caractère de chialeux » et parce qu’il créait une mauvaise ambiance au travailFootnote 26.

[33] Je trouve pour le moins paradoxal que J. O., qui dit avoir été témoin des événements survenus entre l’appelant et son patron, parle d’abord d’une discussion ayant eu lieu entre ces derniers. Puis, dans une déclaration subséquente, elle affirme qu’il s’agissait d’une chicane au cours de laquelle l’appelant avait utilisé des blasphèmes, mais dit ne pas se rappeler de tout ce qui avait été dit entre lui et son patron. Je trouve également paradoxal que l’employeur compare l’appelant à une « pomme pourrie » après avoir affirmé qu’il était un bon employé. J’estime que l’employeur fait ce type de comparaison dans le but de tenter de miner la version des faits de l’appelant auprès de la Commission.

[34] Je considère que les contradictions de l’employeur dans la version qu’il donne des événements survenus le 18 octobre 2019 entre l’appelant et son patron nuisent à crédibilité de ses déclarations. Ces contradictions soutiennent du même coup les arguments de l’appelant selon lesquels il était justifié de quitter son emploi.

[35] Je souligne que la déclaration de J. M. indique qu’il a lui-même employé des sacres lorsqu’il s’est adressé à l’appelant. J. M. déclare aussi qu’il avait « peut-être envoyé chier » l’appelantFootnote 27.

[36] Je considère aussi que l’affirmation de J. M. selon laquelle l’événement survenu avec l’appelant le 18 octobre 2019 avait été « la goutte qui a fait déborder le vase » et que la situation avec lui était devenue « intolérable », démontre qu’il ne souhaitait pas le garder à son emploi, malgré les indications qu’il a aussi données en ce sens. Je suis d’avis que de telles remarques s’apparentent davantage à une volonté de sa part que l’appelant quitte son emploiFootnote 28.

[37] J’estime également que les manquements que l’employeur attribue à l’appelant (ex. : tenue vestimentaire, ne pas avoir ses outils) et l’avis qu’il émet selon lequel celui-ci ne voulait pas travailler afin de pouvoir profiter du fait qu’il allait recevoir des prestations d’assurance-emploiFootnote 29 ont pour but de donner des motifs à la Commission pour qu’elle prive ce dernier de son droit d’en recevoir.

[38] Dans le cas présent, je considère qu’en utilisant un langage inapproprié ou irrespectueux pour signifier à l’appelant de s’en aller parce qu’il ne voulait pas effectuer le travail de polissage de béton demandé, l’employeur a exercé sur lui une « incitation indue » à quitter son emploiFootnote 30.

[39] Je considère comme véridiques les affirmations de l’appelant selon lesquelles son patron lui a manqué de respect en criant après lui, à quelques pouces du visage pour lui signifier de s’en aller.

[40] J’accepte l’explication de l’appelant selon laquelle, le 18 octobre 2019, il a utilisé un langage respectueux auprès de son patron et n’a pas employé de sacres pour lui signifier qu’il ne voulait pas effectuer le travail de polissage de béton qu’il avait commencé la journée précédente avec un autre employé.

[41] Je considère qu’objectivement, un employeur n’a pas à utiliser un langage inapproprié, ponctué de jurons ou de sacres, pour s’adresser à un employé ou pour commenter son travail. Ce faisant, l’employeur fait en sorte de briser le lien de confiance avec son employé.

[42] Je suis d’avis que dire à l’appelant : « [...] Soit que tu crisses ton camp ou que tu restes et que tu travailles », comme son patron l’a faitFootnote 31, ne représente pas une façon adéquate de lui demander de faire un travail, mais plutôt une incitation directe pour qu’il quitte son emploi.

[43] Je considère également comme véridique l’affirmation de l’appelant selon laquelle, il n’a pas répliqué à son patron après que celui-ci lui ait manqué de respect en raison du langage qu’il a utilisé en lui disant, entre autres : « Va chier mon Ostie [...] ».

[44] Je suis d’avis que l’appelant a expliqué à l’employeur pourquoi il ne pouvait effectuer le travail de polissage de béton qu’il lui avait demandé de faire le 18 octobre 2019. Le collègue de l’appelant était absent cette journée-là. Je considère que les explications de l’appelant démontrent qu’il ne pouvait faire un tel travail sans l’aide d’un autre employé, étant donné les exigences physiques qui y sont liées (ex. : poids de l’équipement utilisé). Je souligne que l’appelant avait accepté de faire de travail la journée précédente avec l’aide un collègue. Il ne s’y est pas opposé automatiquement.

[45] Le témoignage de l’appelant indique aussi qu’il n’avait pas le droit de faire du travail de polissage de béton, car il ne détient pas de certificat de compétence de la Commission de la construction du Québec (CCQ) pour effectuer ce type de travail. Ce témoignage n’a pas non plus été contredit par l’employeur. L’appelant précise que pour faire ce genre de travail, un employé doit détenir un certificat de compétence à titre de « cimentier-applicateur », alors que celui qu’il détient indique qu’il est « poseur de revêtements souples ».

[46] Je considère aussi comme véridiques les efforts que l’appelant a indiqué avoir faits dans le passé auprès de son patron afin qu’il cesse de s’adresser à lui en criant ou en lui manquant de respect, mais que ses efforts n’ont pas donné de résultats.

[47] Je considère que la situation vécue par l’appelant dans l’accomplissement de son travail était devenue telle qu’il n’avait plus d’autre choix que de quitter son emploi au moment où il l’a fait.

[48] J’estime que la décision de l’appelant de quitter volontairement son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.

[49] La Cour a établi le principe voulant que lorsque le prestataire s’est acquitté du fardeau de prouver qu’il n’avait pas d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi au moment où il l’a fait, le critère de justification en vertu du paragraphe 29c) de la Loi a été rencontréFootnote 32.

[50] Je suis d’avis que l’appelant démontre que son départ volontaire était justifié en raison d’une « incitation indue par l’employeur » pour qu’il quitte son emploiFootnote 33.

[51] L’appel est accueilli sur cette question.

Déclarations fausses ou trompeuses

[52] Des décisions rendues par la Cour ont confirmé le principe selon lequel il n’y a déclaration fausse ou trompeuse que lorsque les prestataires savent de façon subjective que les informations qu’ils ont données ou les déclarations qu’ils ont faites ou celles qui les concernaient étaient faussesFootnote 34.

[53] La Cour a spécifié de quelle manière la Commission peut être justifiée de se donner des lignes directrices en matière d’imposition de pénalités de façon à assurer une certaine cohérence à l’échelle nationale et éviter l’arbitraire en ces matièresFootnote 35.

Question no 1 : L’appelant a-t-il fait des déclarations fausses ou trompeuses?

[54] Oui. Dans le cas présent, je considère que l’appelant a fait des déclarations fausses ou trompeuses lorsqu’il a déclaré les sommes d’argent qu’il a reçues de l’employeur au cours de la période échelonnée de la semaine ayant commencé le 3 février 2019 à celle ayant commencé le 28 avril 2019Footnote 36.

[55] Dans son argumentation sur cette question, la Commission fait valoir que l’appelant a fait une fausse déclaration parce qu’il a déclaré avoir cessé de travailler pour l’employeur en raison d’un manque de travail et non qu’il avait quitté volontairement son emploiFootnote 37.

[56] Toutefois, ce n’est pas sur cet aspect que la Commission a rendu sa décision concernant les déclarations fausses ou trompeuses de l’appelant. Je précise que la décision de la Commission sur cette question porte uniquement sur le fait que l’appelant a omis de l’informer d’une partie de son revenu provenant de l’employeur à titre de salaire, au cours de la période couvrant la semaine ayant commencé le 3 février 2019 à celle ayant commencé le 28 avril 2019Footnote 38.

[57] Dans cette décision, la Commission ne précise pas qu’une fausse déclaration lui est attribuée parce qu’il n’a pas déclaré avoir quitté volontairement son emploi dans sa demande de prestations ni qu’une pénalité lui a été imposée pour cette raisonFootnote 39.

[58] Je ne retiens pas la conclusion de la Commission selon laquelle l’appelant a fait une fausse déclaration parce qu’il a déclaré avoir cessé de travailler pour l’employeur en raison d’un manque de travailFootnote 40. Cette conclusion ne correspond pas à la décision que la Commission a rendue sur cet aspect.

[59] Comme membre du Tribunal, je suis lié par la décision de révision rendue par la Commission. Je ne peux pas me prononcer sur une question pour laquelle je n’ai pas été saisi.

[60] Je ne rendrai donc pas de décision concernant le fait que lorsqu’il a rempli sa demande de prestations, l’appelant a indiqué avoir cessé de travailler pour l’employeur en raison d’un manque de travail et non qu’il avait quitté volontairement son emploi. Je rends ma décision en fonction des éléments se trouvant dans la décision que la Commission a rendueFootnote 41.

[61] Je considère que la preuve recueillie par la Commission démontre que l’appelant a fait des déclarations fausses ou trompeuses lorsqu’il a déclaré les sommes d’argent qu’il a reçues de l’employeur pour la période en cause.

Question no 2 : L’appelant savait-il que ses déclarations étaient fausses ou trompeuses?

[62] Non. Je considère que l’appelant ne savait pas que ses déclarations étaient fausses ou trompeuses lorsqu’il a déclaré les sommes d’argent qui lui ont été versées par l’employeur pour la période échelonnée de la semaine ayant commencé le 3 février 2019 à celle ayant commencé le 28 avril 2019.

[63] L’appelant explique avoir déclaré les montants qu’il avait reçus dans son compte bancaire. Il indique qu’il ne savait pas qu’il devait déclarer les montants bruts qu’il avait reçus. Pour la semaine ayant commencé le 31 mars 2019, où aucun gain n’a été déclaré, l’appelant explique avoir dû se tromper de semaineFootnote 42.

[64] Dans son rapport de décision, la Commission explique que les gains mal déclarés par l’appelant n’ont pas été considérés délictueux puisqu’il déclarait les montants nets au lieu des montants bruts et qu’il avait omis de les déclarer pour une seule semaineFootnote 43.

[65] Je considère que l’appelant n’a pas fait de déclarations fausses ou trompeuses en toute connaissance de cause.

Question no 3 : La Commission a-t-elle exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire lorsqu’elle a imposé une pénalité à l’appelant?

[66] Non. La Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire lorsqu’elle a imposé une pénalité à l’appelant. La Commission n’a pas pris en compte l’ensemble des faits pertinents au dossier.

[67] La Cour a confirmé le principe selon lequel la Commission détient le pouvoir discrétionnaire d’imposer la pénalité prévue au paragraphe 38(1) de la Loi. De plus, la Cour a déclaré qu’aucune Cour, aucun juge-arbitre ou Tribunal n’était autorisé à faire obstacle à une décision de la Commission concernant une pénalité, tant et aussi longtemps que la Commission pouvait prouver qu’elle exerçait son pouvoir discrétionnaire « de façon judiciaire ». En d’autres termes, la Commission doit démontrer qu’elle a agi de bonne foi, tenu compte de tous les facteurs pertinents et laissé de côté ceux qui ne l’étaient pasFootnote 44.

[68] Dans le cas présent, j’ai déterminé que l’appelant n’a pas fait de déclarations fausses ou trompeuses en toute connaissance de cause lorsqu’il a déclaré les montants qu’il a reçus de l’employeur pour la période en cause.

[69] J’estime que la Commission n’a pas tenu compte du fait que la décision qu’elle a rendue concernant les fausses déclarations de l’appelant portait sur les déclarations des montants que celui-ci a reçus de l’employeur pour cette période.

[70] La Commission n’a pas non plus pris en compte le fait qu’elle a conclu que les gains mal déclarés par l’appelant n’ont pas été considérés délictueux puisqu’il déclarait les montants nets au lieu des montants bruts et qu’il avait omis de les déclarer pour une seule semaineFootnote 45.

[71] L’appel est fondé sur la question des déclarations fausses ou trompeuses.

Avis de violation

Question no 1 : La Commission a-t-elle exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire lorsqu’elle a émis un avis de violation à l’endroit de l’appelant?

[72] Non. Je considère que la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire lorsqu’elle a émis un avis de violation à l’endroit de l’appelant.

[73] La Cour a déterminé que lorsqu’une situation requiert l’imposition d’une pénalité, l’émission d’un avis de violation n’est ni obligatoire ni automatique et que la Commission peut exercer son pouvoir « discrétionnaire » dans les circonstancesFootnote 46.

[74] Puisque j’ai déterminé que l’appelant n’a pas fait de déclarations fausses ou trompeuses en toute connaissance de cause, l’émission d’un avis de violation n’est pas justifiée dans les circonstancesFootnote 47.

[75] L’appel est fondé sur cet aspect.

Conclusion

[76] Je conclus compte tenu de toutes les circonstances que l’appelant était justifié de quitter volontairement son emploi et qu’il s’agissait de la seule solution raisonnable dans son casFootnote 48. Son départ volontaire était justifié en raison d’une « incitation indue par l’employeur » pour qu’il quitte son emploiFootnote 49. L’exclusion de l’appelant du bénéfice de prestations n’est donc pas justifiée.

[77] Je conclus que l’appelant n’a pas fait de déclarations fausses ou trompeuses en toute connaissance de causeFootnote 50. L’imposition à l’appelant d’une pénalité n’est donc pas justifiéeFootnote 51.

[78] Je conclus que l’avis de violation qui a été signifié à l’appelant à la suite d’une pénalité qui lui a été infligée pour avoir perpétré un acte délictueux n’est pas justifiéFootnote 52.

[79] L’appel est accueilli.

Date de l’audience :

30 juin 2020

Mode d’audience :

Téléconférence

Comparution :

A. G., appelant

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