Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : VD c Commission de l’assurance-emploi du Canada et X, 2020 TSS 1111

Numéro de dossier du Tribunal: GE-20-1576

ENTRE :

V. D.

Appelant

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée

et

X

Partie mise en cause


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de l’assurance-emploi


DÉCISION RENDUE PAR : John Noonan
DATE DE L’AUDIENCE : Le 13 juillet 2020
DATE DE LA DÉCISION : Le 17 juillet 2020

Sur cette page

[1] L’appelant, V. D., qui avait travaillé dans une boulangerie en Ontario, bénéficiait d’une période de prestations ayant commencé le 23 février 2020. Conformément à une demande de l’employeuse, son dossier a fait l’objet d’une révision auprès de la Commission, qui l’a informé qu’elle ne pouvait pas lui verser des prestations ordinaires d’assurance-emploi puisqu’il avait quitté volontairement son emploi chez X le 25 février 2020 sans justification au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE). La Commission est d’avis que son départ n’avait pas été la seule solution raisonnable dans son cas. L’appelant affirme qu’il avait dû démissionner en raison des conditions de travail et des relations conflictuelles avec son employeuse. Le Tribunal doit décider si des prestations doivent être refusées à l’appelant pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification conformément à l’article 29 de la Loi sur l’AE.

Décision

[2] L’appel est rejeté.

Questions en litige

[3] Question en litige no 1 : L’appelant a-t-il volontairement quitté son emploi chez X le 25 février 2020?

Question en litige no 2 : Dans l’affirmative, l’appelant était-il fondé à quitter volontairement son emploi?

Analyse

[4] Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites à GD-4.

[5] Une partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’AE si elle a quitté volontairement son emploi sans justification (Loi sur l’AE, article 30(1)). La partie prestataire est fondée à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas (Loi, article 29(c)).

[6] L’intimée a le fardeau de prouver que le départ était volontaire. Si elle le prouve, l’appelant a le fardeau de prouver qu’il était fondé à quitter son emploi. Pour établir qu’il était fondé à quitter son emploi, l’appelant doit démontrer que, compte tenu de toutes les circonstances, son départ était la seule solution raisonnable dans son cas (Canada (Procureur général) c White, 2011 CAF 190; Canada (Procureur général) c Imran, 2008 CAF 17). Le terme « fardeau » vise à indiquer la partie qui doit étayer suffisamment sa position afin de satisfaire au critère juridique. En l’espèce, le fardeau de la preuve correspond à la prépondérance des probabilités. Il faut donc établir qu’il est « plus probable qu’improbable » que les événements se soient déroulés de la manière décrite.

Question en litige no 1 : L’appelant a-t-il quitté volontairement son emploi chez X le 25 février 2020? 

[7] Pour que le départ soit volontaire, c’est l’appelant qui doit décider de mettre fin à sa relation avec son employeuse.  

[8] Pour décider si l’appelant a quitté volontairement son emploi, il faut se demander s’il avait le choix de rester ou de partir (Canada (Procureur général) c Peace, 2004 CAF 56).

[9] Les deux parties s’entendent pour dire que l’appelant a quitté volontairement son emploi chez X le 25 février 2020.

[10] Je dois maintenant établir les circonstances qui ont mené l’appelant au chômage.

[11] L’appelant travaillait dans une boulangerie attenante à la demeure de la propriétaire (ou de l’employeuse).

[12] À GD2 et au stade initial du processus de demande, l’appelant a déclaré que son milieu de travail lui causait du stress, sur les plans physique et mental.

[13] Plusieurs des anciens collègues de l’appelant ont soumis des déclarations à l’égard de l’appelant, de l’employeuse et des conditions de travail.

[14] Bien que le Tribunal est disposé à accepter une preuve par ouï-dire, je dois également déterminer le poids à accorder à une telle preuve.  

[15] Il y a un certain nombre d’incohérences entre les observations de l’appelant et celles des autres au sujet des conditions de travail.

Question en litige no 2 : Dans l’affirmative, l’appelant était-il fondé à quitter volontairement son emploi?

[16] Non.

[17] L’appelant a précisé qu’il avait quitté son emploi en raison des conditions décrites à GD2-9-10. Je vais maintenant aborder chacune d’elles.

  1. Pauses-repas inexistantes – Bien que l’appelant affirme qu’on ne lui donnait pas de pauses-repas, il ajoute qu’il s’assoyait sur les marches pour manger son dîner. En invoquant les normes provinciales à cet égard, il a utilisé des critères pour une journée de travail de huit heures, ce qui n’est pas son cas. À l’audience, l’employeuse a réfuté sa prétention et dit qu’il avait été invité à maintes reprises à utiliser la salle à manger familiale pour manger son dîner durant la pause à cet effet. Cette déclaration n’a pas été contestée par l’appelant.
  2. Réprimandes pour une arrivée hâtive dans le logement – L’appelant avait les clés du logement et pouvait y entrer à son gré. L’employeuse a affirmé que le seul incident qui l’avait perturbée a eu lieu lorsque l’appelant a pénétré dans la maison à 7 h du matin et qu’il a utilisé les toilettes, alors qu’elle était encore au lit. Cette déclaration n’a pas été contestée par l’appelant.
  3. Travailleur désordonné – Cette question est une affaire futile qui se résout facilement par des adultes raisonnables au travail.
  4. Toilettes – Cette question ne semblait pas causer de problèmes durant la période où l’appelant travaillait là-bas et avant qu’il décide de quitter son emploi. Je suis d’accord que de faire face à trois chiens en allant ou revenant des toilettes soit intimidant, mais l’appelant est responsable de tenter d’atténuer la situation avec l’employeuse. J’estime que, puisque la situation a perduré tout au long de son emploi, elle n’était pas sérieuse à un tel point où celle-ci l’aurait mené à quitter impulsivement son emploi quand il l’a fait, et à se retrouver sans emploi et sans le revenu duquel il a besoin pour subvenir aux besoins de ses quatre enfants.
  5. Ventilateurs d’extraction – L’appelant est d’avis que ces ventilateurs devraient être en marche pendant l’utilisation des fours. L’employeuse a réfuté cette affirmation en précisant que les ventilateurs étaient utilisés au besoin. Le système de climatisation maintenait le lieu de travail frais tout en préservant les produits. Les ventilateurs en contrecarraient l’effet en évacuant tout l’air frais qui assurait le confort des employés.
  6. Porte de la boulangerie laissée ouverte – Là encore, si la porte ouverte avait des répercussions négatives sur la qualité des produits de l’employeuse, des employés et un personnel de gestion responsables devraient être en mesure de souligner et de régler le problème. Ce ne sont pas des motifs valables pour quitter son emploi.
  7. Insultes – L’employeuse nie avoir utilisé un langage désobligeant envers l’appelant. Il est soutenu, dans les observations de collègues, que l’employeuse est une personne gentille et empathique qui ne dégrade pas son personnel. Elle a des normes élevées quant à ses produits et est exigeante à cet égard, ce qui est un trait essentiel pour maintenir la qualité de ses produits et sa clientèle. Je suis certain que l’appelant serait complice de cette mission.
  8. Rabaissement de la part de la gestion – Toutes les observations du personnel, à l’exception de celles de l’appelant, nient que l’employeuse était tout sauf respectueuse envers la totalité des employés. Les normes élevées qu’elle exigeait étaient nécessaires et louables. Si l’appelant a donné une mauvaise recette à une ou à un collègue, c’est lui qui devrait endosser cette erreur. Il rejette plutôt la faute sur H, la gérante du magasin qui a été embauchée pour ce poste et qui est beaucoup plus jeune que l’appelant, et probablement moins expérimentée. Cela étant dit, il revient entièrement à l’employeuse de choisir ses employés et les fonctions qu’elle leur confie.
  9. Conflit de pouvoir au sein de la gestion – Je ne dispose d’aucune preuve démontrant un conflit entre H et la propriétaire. Il pourrait y avoir des problèmes entre l’appelant et la gestion, mais, encore là, il appartenait à l’appelant de régler ces problèmes dans le but d’atténuer toute répercussion négative. Le fait qu’on lui a demandé de rester sur place pour quelques minutes afin d’installer un piège à rongeurs ne constitue pas un conflit de pouvoir avec le personnel de gestion, surtout compte tenu du fait que l’appelant avait été payé pour son temps.

    Concernant la demande qu’il avait faite à B pour le remplacer, l’employeuse a expliqué, ce qui n’a pas été réfuté par l’appelant, que B avait demandé de quitter le travail plus tôt que prévu et que sa demande avait été approuvée. L’appelant, sans l’autorisation de son employeuse ou gérante, a obtenu l’accord de B de partir plus tôt que prévu. L’employeuse l’a réprimandé pour ses gestes. L’appelant prétend que H voulait s’assurer qu’il savait qu’elle était la personne responsable. Il est raisonnable de croire qu’il aurait dû savoir qu’elle était la personne responsable lorsqu’elle a été embauchée comme gérante, et donc comme sa superviseure.
  10. Livraisons – Bien que l’appelant a bel et bien effectué des livraisons pour l’employeuse, le témoignage démontre, du fait qu’il n’a pas été contesté, que ces livraisons n’étaient pas obligatoires et que l’appelant a reçu une compensation pour les effectuer.
  11. Intimidation – Une fois de plus, rien ne prouve qu’il y avait présence d’intimidation qui aurait amené l’appelant à démissionner. L’employeuse, dans l’intention d’assurer la qualité invariable de ses produits, exige un certain niveau de compétence pour leur préparation, selon ses méthodes et ses directives. Le vieil adage est applicable ici. Règle numéro 1: le chef a toujours raison. Règle numéro 2 : en cas de doute, vous reporter à la règle numéro 1.
  12. Heures insuffisantes – Les témoignages lors de l’audience ont révélé que janvier et février sont des mois où les boulangeries sont normalement moins achalandées. Tous les employés avaient été mis à pied, puis ils étaient revenus quand les affaires avaient repris. L’appelant affirme qu’on lui avait promis 28 heures par semaine. Le relevé d’emploi (RE) utilisé pour sa demande de prestations montre qu’il avait dépassé ces heures pour la période de quatre semaines précédant celle de son départ. GD3-18

    Il a été demandé à l’appelant de rendre les clés et la carte de crédit après que celui-ci eut informé l’employeuse de sa démission. Il est très raisonnable de s’attendre au fait que ces articles ne restent pas en la possession d’un individu qui ne travaille plus pour l’entreprise pour laquelle ils étaient destinés.
  13. Perte de poids et stress – Je ne dispose d’aucune preuve médicale indiquant qu’un professionnel de la santé ait conseillé à l’appelant de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait en raison de problèmes de santé physique ou mentale.

[18] Ensuite, il y a la requête que l’appelant a faite à son employeuse, au début du mois de février 2020, dans l’espoir que ses filles jumelles de 14 ans puissent bénéficier d’un emploi d’été à la boulangerie. Si les conditions de travail et l’attitude de l’employeuse étaient aussi mauvaises que l’appelant veut me le laisser croire, pourquoi, en tant que personne raisonnable, soumettrait-il ses filles à de telles conditions. J’estime qu’il est plus crédible que l’appelant ait décidé de manière irréfléchie de quitter son emploi et qu’il tente, après-coup, de justifier sa décision. 

[19] J’accorde plus d’importance aux observations rédigées par les collègues de l’appelant qu’aux autres observations qu’il a déposées lui-même pour justifier sa décision de quitter son emploi. L’information qui figure dans les observations de ses collègues reflète et confirme la version des faits de l’employeuse, qui ont poussé la Commission à annuler sa décision initiale au stade de la révision.

[20] Cela étant dit, il incombe à l’appelant, et non à l’employeuse, de tenter d’atténuer toute situation, avec l’employeuse, en cherchant des solutions raisonnables avant de se placer en situation de chômage nécessitant le soutien du régime d’AE.

[21] Chacun a droit de démissionner ou de quitter un emploi, mais cette décision ne confère pas automatiquement l’admissibilité aux prestations d’AE. Toute personne qui est admissible aux prestations sera inévitablement appelée à se manifester et à prouver qu’elle remplit les conditions prévues par la Loi sur l’AE.

[22] En l’espèce, l’appelant n’a pas non plus cherché un autre travail avant de démissionner.

[23] J’estime que l’appelant a fait le choix personnel de quitter son emploi et, bien qu’il ait pu le faire pour un motif valable, il ne s’agit pas d’une justification selon le critère établi permettant le versement de prestations.

[24] Je conclus que l’appelant a quitté son emploi chez X alors que son départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Il aurait pu conserver ce poste et chercher un autre emploi avant de démissionner. Son départ à ce moment n’était conforme à aucune des raisons permises énumérées à l’article 29(c) de la Loi sur l’AE.

Conclusion

[25] Après avoir examiné attentivement toutes les circonstances, je conclus que l’appelant n’a pas prouvé que, selon la prépondérance des probabilités, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas. Il n’est pas question de savoir s’il était raisonnable que l’appelant quitte son emploi, mais bien de savoir si son départ était la seule solution raisonnable dans son cas (Canada (Procureur général) c Laughland, 2003 CAF 129). Étant donné que l’appelant a quitté volontairement son emploi, je conclus que son départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas, et par conséquent, qu’il ne respecte pas le critère relatif à la justification, aux termes de l’article 29 ou des dispositions énumérées à l’article 30 de la Loi sur l’AE. L’appel est rejeté.

 

Date de l’audience :

Le 13 juillet 2020

Mode d’audience :

Téléconférence

Comparutions :

V. D., appelant

A. W., partie mise en cause / employeuse

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.