Assurance-emploi (AE)

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Citation : J. P. c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2020 TSS 697

Numéro de dossier du Tribunal: GE-17-3886

ENTRE :

J. P.

Appelant

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de l’assurance-emploi


DÉCISION RENDUE PAR : Josée Langlois
DATE DE L’AUDIENCE : 3 août 2020
DATE DE LA DÉCISION : 11 août 2020

Sur cette page

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelant n’a pas démontré que la période maximale de 104 semaines permettant de prolonger la période de référence prévue au paragraphe 8(7) de la Loi le distingue sur la base de son handicap mental et qu’il le traite de façon discriminatoire au sens du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Aperçu

[3] L’appelant a présenté une demande de prestations régulières le 11 août 2017. Pour établir une période de prestations (la période pendant laquelle les prestations peuvent être versées), un prestataire doit avoir accumulé un nombre minimal d’heures d’emploi assurables pendant sa période de référence.Note de bas page 1 La période de référence de l’appelant a été établie du 7 août 2016 au 5 août 2017.

[4] Puisque l’appelant n’avait cumulé que 441 heures d’emploi assurables pendant sa période de référence et qu’il lui en fallait 700 pour faire établir une période de prestations, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) a refusé de lui verser des prestations d’assurance-emploi.

[5] L’appelant conteste cette décision et il a également déposé un avis de contestation constitutionnelle au Tribunal.Note de bas page 2

[6] L’appelant soutient que le paragraphe 8(7) de la Loiqui limite la prolongation de la période de référence à 104 semaines est discriminatoire en vertu de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.Note de bas page 3 Il explique que cette disposition le désavantage en raison de ses problèmes de santé mentale.

[7] Sans la limitation imposée par le paragraphe 8(7) de la Loi, l’appelant affirme qu’il aurait pu être admissible à recevoir des prestations puisqu’il avait cumulé 1 694 heures d’emploi assurables en tenant compte de semaines antérieures à la période de référence de 104 semaines prévue par la Loi.

[8] Une période de prestations a été établie en faveur de l’appelant le 21 août 2015, au-delà de la période de 104 semaines, mais l’appelant fait valoir qu’il remplit son devoir en tant que citoyen et demande que la disposition soit adaptée afin que d’autres personnes placées dans la même situation que lui puissent avoir accès aux prestations.

[9] La Commission a d’abord demandé le rejet de la contestation constitutionnelle faisant valoir que la question est théorique et que l’appelant n’a pas la qualité pour agir dans l’intérêt du public parce que la décision ne pourrait s’appliquer à son propre dossier.

[10] La Commission affirme qu’une période de référence ne pourrait être établie au-delà de la période de 104 semaines et que même si la période de référence était prolongée à 104 semaines, soit du 6 août 2015 au 5 août 2017, une période de prestations ne pourrait être établie puisque l’appelant a reçu des prestations d’assurance-emploi pendant la période de prolongation en question. Elle fait valoir que peu importe la décision du Tribunal quant à la validité du paragraphe 8(7) de la Loi, l’appelant ne pourrait pas recevoir des prestations.

[11] Le 2 mars 2020, la division générale du Tribunal a rendu une décision interlocutoire concluant que la question n’est pas théorique parce que le litige est actuel et que l’appelant a un intérêt personnel dans la contestation constitutionnelle. Elle a rejeté la demande en rejet de la contestation constitutionnelle présentée par la Commission.

[12] Je dois déterminer si la contestation constitutionnelle de l’appelant doit être accueillie.

Questions en litige

[13] Pour déterminer si l’appelant est discriminé, je dois répondre aux questions suivantes :

  • Est-ce que l’application du paragraphe 8(7) de la Loi, qui permet de prolonger la période de référence à un maximum de 104 semaines, traite l’appelant de manière discriminatoire sur la base de son handicap mental, violant ainsi son droit à l’égalité garanti au paragraphe 15(1) de la Charte?
  • Dans l’affirmative, la violation est-elle justifiable en vertu de l’article 1 de la Charte? Pour le déterminer, je dois également répondre à ces questions :
    • L’objectif de la Loi se rapporte-t-il à des préoccupations urgentes et réelles?
    • Le moyen utilisé pour atteindre l’objectif législatif est-il raisonnable et peut-il se justifier dans une société libre et démocratique?

Question préliminaire

[14] Avant la tenue de l’audience, la Commission a mentionné son intention d’être accompagnée par deux observateurs. L’appelant a indiqué qu’il n’était pas confortable avec la présence des deux observateurs. Il craignait une communication « parallèle » entre ces personnes lors de l’audience.

[15] L’audience prévue par vidéoconférence a fait en sorte que les observateurs étaient à distance l’un de l’autre.

[16] Des informations ont été fournies à l’appelant concernant un témoignage qu’il peut livrer ainsi que des arguments qu’il peut fournir à l’appui de son dossier. J’ai expliqué à l’appelant que les informations personnelles reliées à son état de santé ne seront pas détaillées dans la décision. Ces détails ne sont pas pertinents puisque son handicap mental n’est pas contesté par la Commission.

[17] Au moment de l’audience, l’appelant a accepté la présence des observateurs, soit un stagiaire du Barreau de l’Ontario qui a assisté à l’audience à des fins de formation ainsi qu’une analyste principale des politiques de la Commission. L’appelant a choisi de livrer un témoignage et je précise également que les décisions qui sont publiées par le Tribunal sont anonymisées afin de protéger les informations personnelles des appelants.

Analyse

Est-ce que l’application de l’article 8(7) de la Loi, qui permet de prolonger la période de référence à un maximum de 104 semaines, traite l’appelant de manière discriminatoire sur la base de son handicap mental, violant ainsi son droit à l’égalité garanti à l’article 15(1) de la Charte ?

La demande de prestations de l’appelant et le contexte relié à sa situation

[18] L’appelant travaille à X depuis 1984 comme technicien, d’abord en électrotechnique et ensuite en télématique. Comme le démontre le dossier de la Commission, il s’est absenté du travail à de nombreuses reprises en raison de maladie.Note de bas page 4 Suite à une entente conclue avec l’employeur, l’appelant s’est retrouvé en congé sans traitement du 9 janvier 2017 au 31 mars 2018 et il a pris sa retraite le 1er avril 2018.

[19] Entre le mois d’avril 2014 et le mois de janvier 2017, la Commission a déterminé que l’appelant a cumulé 441 heures d’emploi assurables.Note de bas page 5

[20] L’appelant a présenté une demande de prestations de maladie le 21 août 2015. La Commission a déterminé que l’appelant avait accumulé suffisamment d’heures d’emploi assurable (soit 1038) durant sa période de référence prolongée s’étalant du 18 août 2013 au 15 août 2015 pour établir une période de prestations. Il a reçu 15 semaines en prestations de maladie.

[21] L’appelant a présenté une nouvelle demande de prestations le 11 août 2017. C’est le résultat de cette demande qui a mené l’appelant à contester constitutionnellement le paragraphe 8(7) de la Loi. La Commission a calculé que sa période de référence s’échelonnait du 7 août 2016 au 5 août 2017. Elle a déterminé que l’appelant avait cumulé 441 heures d’emploi assurables pendant cette période ce qui n’était pas suffisant pour établir une période de prestations.

[22] La Commission explique que si la période de référence était prolongée à 104 semaines, soit du 6 août 2015 au 5 août 2017, l’appelant n’aurait pas accumulé plus d’heures d’emploi assurables. D’abord parce qu’il n’a pas cumulé d’heures d’emploi assurables entre le 6 août 2015 et le 5 août 2016 et ensuite parce que les heures cumulées jusqu’au 15 août 2015, soit avant le 6 août 2015, ont été utilisées pour établir une autre période de prestations.

[23] Pour cette raison, la période de référence ne pouvait pas débuter avant le 15 août 2015 parce que les heures accumulées avant cette date ont déjà été utilisées pour établir la période de prestations qui a débuté le 21 août 2015. En d’autres mots, l’application du paragraphe 8(1) de la Loi fait qu’une période ne peut être prolongée avant le début d’une période de prestations précédente.

[24] La Commission a rejeté la demande de l’appelant et l’a avisé qu’elle ne pouvait pas lui verser des prestations parce qu’il devait avoir cumulé 700 heures d’emploi assurables pendant sa période de référence alors qu’il n’en avait cumulé que 441.

[25] L’appelant affirme que le paragraphe 8(7) de la Loi le discrimine en raison de son handicap mental.

Le paragraphe 8(7) de la Loi crée-t-il une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue ?

[26] L’appelant doit démontrer que la Loi crée une distinction sur la base d’un motif énuméré ou analogue.

[27] Il mentionne avoir vécu la tragédie du Lac-Mégantic, avoir un choc post-traumatique relié à cet événement, s’être soumis à de nombreuses expertises médicales, avoir été victime d’un débat entre le syndicat et son employeur et avoir fait l’objet d’un congédiement inhumain.

[28] Comme il le fait valoir dans ses observations, il a vécu des épisodes de dépressions majeures antécédents à 2015 ainsi qu’un choc post-traumatique en 2014.Note de bas page 6 Lors de son retour au travail en novembre 2017, il explique qu’un manque de connaissances techniques et une anxiété de performance l’empêchaient de faire son travail.

[29] L’appelant soutient que sa situation professionnelle est une cause de discrimination en vertu du paragraphe 8(7) de la Loi.Note de bas page 7

[30] Il explique que le comportement de son employeur ainsi que les délais d’attente entre les séances d’arbitrage afin de régler les situations problématiques entre l’employeur et le syndicat font qu’il a été traité de façon discriminatoire en raison de sa situation exceptionnelle.

[31] D’abord, je précise que la situation professionnelle n’est pas un motif énuméré à l’article 15 de la Charte. De plus, un « motif analogue » est un motif qui est fondé sur « une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle ».Note de bas page 8

[32] L’appelant explique également des modifications à ses fonctions alors qu’en plus des tâches en télématique, son employeur lui a donné la responsabilité de tâches en téléphonie. L’appelant n’était pas en accord avec la décision de son employeur. Il soutient que son employeur n’a pas tenu compte de son état de santé et qu’il ne l’a pas accommodé dans ses tâches.

[33] Je précise que le type d’emploi (secteur ou type de travailleur précis) ne constitue pas non plus un motif analogue. Une distinction qui sépare essentiellement les secteurs d’emploi n’est pas reconnue comme étant un motif analogue.Note de bas page 9

[34] Comme la situation professionnelle de l’appelant n’est pas une caractéristique personnelle, elle n’est pas reconnue comme étant un motif analogue.Note de bas page 10

[35] Cependant, la déficience mentale est un motif énuméré à l’article 15 de la Charte. La déficience mentale est un handicap de capacité. L’appelant a expliqué qu’il vit de façon constante et régulière avec les conséquences d’un choc post-traumatique. Il précise que les symptômes de sa maladie font en sorte qu’il ne peut contenir ses émotions comme auparavant. Lorsqu’une situation est tendue ou stressante, l’appelant il peut ressentir de la colère ou se renfermer sur lui-même.Note de bas page 11 La Commission ne s’oppose pas à la définition que l’appelant propose du handicap mental et j’accepte la définition de l’appelant.

[36] Je reconnais que la déficience mentale de l’appelant est un motif énuméré à l’article 15(1) de la Charte.

[37] L’appelant doit démontrer que le paragraphe 8(7) de la Loi crée une distinction sur la base de son handicap mental.

La Loi sur l’assurance-emploi et la prolongation de la période de référence

[38] La Loi sur l’assurance-emploi est un régime contributif qui offre une protection aux travailleurs lorsqu’ils ont une perte de revenus.Note de bas page 12 Son objectif est d’assurer la sécurité économique et sociale des travailleurs en les indemnisant pendant une certaine période afin de leur permettre de retourner sur le marché du travail.Note de bas page 13 En ce sens, le versement des prestations ne dépend pas des besoins particuliers des demandeurs. La cotisation au régime d’assurance-emploi ne donne pas en soi le droit de recevoir des prestations. Pour recevoir des prestations, un travailleur doit satisfaire aux conditions d’admissibilité.Note de bas page 14

[39] Le paragraphe 7(2) de la Loi détermine les seuils d’admissibilité selon les heures d’emploi assurables travaillées (entre 420 et 700 heures d’emploi assurables) et selon le taux de chômage régional. Les heures d’emploi assurables doivent avoir été cumulées pendant la période de référence. En général, cette période de référence correspond aux 52 semaines précédant immédiatement la période de prestations, mais elle peut être plus longue ou plus courte.Note de bas page 15

[40] La période de référence peut être prolongée lorsqu’une personne n’a pas exercé un emploi assurable pendant les 52 semaines de sa période de référence alors qu’elle était incapable de travailler par suite de maladie, d’une blessure, d’une mise en quarantaine ou d’une grossesse prévue par règlement. Le paragraphe 8(2) de la Loi permet donc une prolongation d’un nombre équivalent de semaines lorsqu’un travailleur n’était pas capable de travailler pour une de ces raisons. Pour certains demandeurs, c'est cette prolongation qui leur permet de cumuler un nombre d'heures d’emploi assurables suffisant pour avoir droit aux prestations.

[41] Le paragraphe 8(7) de la Loi limite la prolongation de la période de référence à 104 semaines. Cette disposition indique que :

Il n’est accordé, en application des paragraphes (2) à (4), aucune prolongation qui aurait pour effet de porter la durée d’une période de référence à plus de cent quatre semaines.

L’application du paragraphe 8(7) de la Loi crée-t-elle une distinction fondée sur le handicap mental de l’appelant ?

[42] L’article 15 de la Charte vise des Lois qui établissent des distinctions discriminatoires, soit des distinctions qui ont pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire à l’égard d’une personne du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue.

[43] Le paragraphe 15(1) de la Charte garantit le droit à l’égalité notamment pour les gens qui ont une déficience mentale.

[44] Même si des groupes de personnes sont traités différemment, cette situation ne constitue pas nécessairement une atteinte aux droits garantis au paragraphe 15(1) de la Charte.Note de bas page 16 L’appelant doit démontrer que la Loi refuse un avantage accordé à d’autres ou lui impose un fardeau que d’autres n’ont pas, en raison d’une caractéristique personnelle correspondant à un motif énuméré ou analogue visé par le paragraphe 15(1) de la Charte.Note de bas page 17

[45] Si l’appelant ne fait pas la démonstration que le paragraphe 8(7) de la Loi lui refuse l’accès à un avantage accordé à d’autres sur le fondement d’une différence fondée sur son handicap mental, je rejetterai sa demande à cette étape de l’analyse.Note de bas page 18

[46] Selon l’appelant, la Loi devrait prendre en considération les situations exceptionnelles et s’adapter aux prestataires. Il explique que la Loi devrait être plus malléable pour tenir compte des circonstances rares et exceptionnelles qu’il a vécues. Il explique que s’il n’avait pas vécu la tragédie du Lac-Mégantic et s’il avait pu réintégrer son emploi, il n’aurait pas été discriminé de la sorte.

[47] Afin de déterminer que le paragraphe 8(7) de la Loi crée une distinction, l’appelant doit démontrer que cette disposition a un effet disproportionné à son égard du fait de son appartenance au groupe des individus ayant une déficience mentale. Il doit présenter des éléments de preuve démontrant que c’est la disposition contestée, et non pas d’autres circonstances, qui sont responsables des effets de l’application de la disposition.Note de bas page 19

[48] L’appelant explique que même si le paragraphe 8(2) de la Loi permet de prolonger la période de référence d’une durée équivalente à la période de l’absence au travail lorsqu’un travailleur est malade, il est désavantagé par le paragraphe 8(7) de la Loi qui prévoit la prolongation à un maximum de 104 semaines. Il soutient que c’est en raison de ses problèmes de santé mentale et de l’inaction de son employeur qu’il ne peut recevoir des prestations d’assurance-emploi.Note de bas page 20

[49] Il explique que les personnes qui souffrent de maladies mentales pendant une période prolongée sont désavantagées par le maximum de 104 semaines permettant de prolonger la période de référence parce qu’ils se voient refuser systématiquement l’accès aux prestations d’assurance-emploi.Note de bas page 21

[50] Je comprends des explications de l’appelant que son handicap mental a eu un impact sur sa situation professionnelle et sur sa situation financière. Je comprends également que ces difficultés sont hors de son contrôle.Note de bas page 22

[51] L’appelant expose un cumul des difficultés qu’il a vécues, mais il ne présente pas d’éléments de preuve permettant d’établir un lien de causalité entre le motif énuméré, soit le handicap mental qui le caractérise, et les inconvénients que le paragraphe 8(7) de la Loi lui impose, soit le refus aux prestations.

[52] Je précise que l’intuition peut fort bien nous amener à la conclusion que la disposition en question produit des effets distincts sur certains groupes (…), mais il doit y avoir suffisamment d’éléments de preuve pour établir l’existence d’une atteinte à première vue.Note de bas page 23 Et je suis d’avis que ce n’est pas le cas en l’espèce.

[53] Les situations malheureuses énumérées par l’appelant ne créent pas nécessairement une distinction fondée sur la Charte. L’appelant soutient que le paragraphe 8(7) de la Loi ne prend pas en considération la réalité des travailleurs et qu’elle ne prend pas en considération le fait que certaines maladies peuvent être causées par le marché du travail ou par l’ingérence de l’employeur.Note de bas page 24 L’appelant a le fardeau de faire la démonstration que c’est précisément en raison du motif énuméré qui le caractérise que la disposition qu’il conteste le distingue, ce qu’il expose c’est que les personnes souffrant de maladie mentales sont systématiquement exclues des prestations lorsqu’elles se sont absentées du travail pour une période de plus de 104 semaines.

[54] L’appelant explique qu’il souhaite que les choses changent pour l’ensemble des prestataires afin que les prestations d’assurance-emploi soient plus facilement accessibles. Mais, il ne présente pas d’éléments de preuve démontrant que l’application du paragraphe 8(7) de la Loi fait en sorte qu’il est plus difficile pour les personnes malades ou ayant un handicap mental de travailler ou d’accumuler des heures d’emploi assurables.

[55] En ce sens, la preuve présentée démontre que si le paragraphe 8(7) de la Loi n’était pas appliqué à son cas, l’admissibilité de l’appelant aux prestations ne serait pas différente parce que les heures d’emplois assurables qu’il a cumulées au-delà du maximum prévu de 104 semaines ne pourraient pas être utilisées pour faire établir une période de prestations pour sa demande présentée le 11 août 2017. Comme démontré par la Commission, les heures d’emploi assurables cumulées en 2014 ont été utilisées pour établir une période de prestations antérieure et établie en 2015. C’est l’application du paragraphe 8(1) de la Loi qui exige qu’une période de référence ne peut être prolongée avant le début d’une période de prestations précédente.

[56] La Commission a indiqué que pour établir la période de prestations au 21 août 2015, elle a prolongé la période de référence de l’appelant et les heures d’emplois assurables utilisées sont celles cumulées entre le 18 août 2013 au 15 août 2015.

[57] Cette circonstance explique qu’une période de prestations ne pourrait être établie en faveur de l’appelant au 11 août 2017. Puisque les heures d’emploi assurables cumulées du 18 août 2013 au 15 août 2015 ont déjà été utilisées pour établir une période de prestations antérieure, elles ne peuvent pas être utilisées pour établir une deuxième période de prestations pour sa demande présentée le 11 août 2017 conformément au paragraphe 8(1) de la Loi.

[58] Bien que le handicap mental soit un motif énuméré à l’article 15 de la Charte, l’appelant ne démontre pas que ce motif le distingue lorsque le paragraphe 8(7) de la Loi est appliqué à son cas.

[59] Il n’a pas démontré que c’est la disposition contestée, et non pas d’autres circonstances, qui est responsable des effets de l’application de la disposition.Note de bas page 25

[60] Il n’y a pas de lien de causalité entre le handicap mental de l’appelant et l’application du paragraphe 8(7) de la Loi qui limite à 104 semaines le calcul des heures d’emploi assurables déterminant la période de référence.

[61] Les faits démontrent que le principal inconvénient imposé à l’appelant est d’ordre économique puisqu’il n’est pas admissible à recevoir des prestations malgré les difficultés qu’il a vécues. Il a d’ailleurs présenté des documents ainsi que des arguments lors de l’audience expliquant les conséquences de ses problèmes de santé sur sa situation financière et professionnelle.Note de bas page 26

[62] La Commission soutient que, par sa demande, l’appelant demande de modifier la Loi et d’éliminer ce critère d’admissibilité. Elle fait valoir que l’appelant souhaite que cette disposition soit modifiée afin de permettre à chaque individu de recevoir des prestations plus facilement en fonction de sa situation personnelle. Elle suggère que de tels arguments doivent être présentés directement au Parlement et non au Tribunal puisque la Charte n’a pas été conçue pour modifier les Lois.

[63] L’appelant soulève effectivement des problèmes sur l’accès aux prestations d’assurance-emploi, il fait valoir que le gouvernement devrait adopter des mesures plus flexibles permettant aux travailleurs d’avoir accès plus facilement à des prestations particulièrement lorsqu’ils vivent des difficultés.Note de bas page 27 Bien que ces arguments soient humains et bienveillants, je suis d’accord que le forum choisi n’est pas approprié pour cette demande.

[64] En ce sens, il faut distinguer les effets qui sont causés en totalité ou en partie par une disposition contestée et les circonstances sociales qui existent indépendamment de la disposition en question.Note de bas page 28

[65] L’appelant n’a pas démontré que l’application du paragraphe 8(7) de la Loi crée une distinction fondée sur son handicap mental. Cette disposition s’applique à tout prestataire qui bénéficie d’une prolongation, mais l’appelant n’a pas fait la démonstration que les individus qui ont un handicap mental sont traités différemment lorsque cette disposition est appliquée à leur cas.Note de bas page 29 L’appelant n’a pas démontré que les personnes qui ont un handicap mental ont plus de difficultés à accumuler les heures d’emploi assurables requises. Ainsi, le paragraphe 8(7) de la Loi n’affecte pas plus les personnes ayant un handicap mental que les autres Canadiens.

[66] L’appelant éprouve des problèmes de santé mentale et je comprends que cette situation a des répercussions importantes dans sa vie professionnelle ainsi qu’une incidence sur sa situation financière, mais je ne peux présumer que la disposition contestée est responsable des effets reprochés.

[67] Même si je comprends que l’appelant a cotisé au régime de l’assurance-emploi et qu’il souhaiterait en toucher un bénéfice alors qu’il en a maintenant besoin, comme je l’ai déjà mentionné, ce régime contributif ne garantit pas une admissibilité automatique aux prestations.

[68] Il n’est pas clair que les personnes qui ont une déficience mentale sont traités différemment lorsque le paragraphe 8(7) de la Loi est appliqué. Cette disposition n’empêche pas les travailleurs de se qualifier pour recevoir des prestations d’assurance-emploi malgré leur condition de santé. Les faits démontrent qu’une période de prestations a été établie le 21 août 2015 en faveur de l’appelant en considérant une période de référence prolongée.

[69] L’appelant ne présente pas d’éléments de preuve démontrant qu’il est plus difficile pour les personnes souffrant de problèmes de santé mentale de cumuler des heures d’emploi assurables même lorsqu’ils s’absentent du travail pour une période prolongée. En ce sens, le régime de prestations d’assurance-emploi est conçu pour apporter une aide temporaire aux travailleurs afin de les aider à retourner sur le marché du travail.

[70] Enfin, même si je déduis des affirmations de l’appelant qu’en l’absence d’un choc post-traumatique, il aurait peut-être réintégré son emploi et qu’il n’aurait pas demandé à recevoir des prestations, il n’y a pas d’éléments de preuve démontrant une distinction fondée sur le handicap mental de l’appelant lorsque le paragraphe 8(7) de la Loi est appliqué. L’appelant est d’avis que la période de prolongation allouée n’est pas suffisante et que si elle n’était pas limitée, il pourrait se qualifier puisqu’il aurait cumulé suffisamment d’heures d’emploi assurables. Il n’en est pas si certain.

[71] Les heures d’emploi assurables cumulées par l’appelant en 2014 ont été utilisées pour établir une période de prestations antérieure et établie en 2015 et c’est l’application du paragraphe 8(1) de la Loi qui fait qu’une période de référence ne peut être prolongée avant le début d’une période de prestations précédente.

[72] Je dois rendre ma décision en me basant sur les faits au dossier et la preuve soumise et non sur des situations hypothétiques. Les éléments de preuve au dossier démontrent que l’appelant n’est pas exclu d’un avantage qui est donné à d’autres dans la Loi. L’appelant n’a pas non plus présenté des éléments de preuve démontrant un désavantage historique du groupe dont il fait partie en lien avec la disposition contestée. Dans les faits, chaque personne qui présente une demande de prestations ne peut utiliser des heures d’emploi assurables déjà utilisées pour faire établir une période de prestations. Et, le maximum de 104 semaines prévu pour établir la période de référence est appliqué à chaque demandeur.

[73] L’appelant n’est pas inadmissible aux prestations parce qu’il a un handicap mental, mais parce qu’il ne satisfait pas aux exigences de la législation pertinente.Note de bas page 30 Il n’y a pas de lien de causalité entre le refus d’accorder un avantage et le handicap mental de l’appelant.

[74] Je conclus que le paragraphe 8(7) de la Loi ne crée pas de distinction pour l’appelant en raison de son handicap mental. Cette disposition ne met pas systématiquement à l’écart les membres du groupe dont fait partie l’appelant.

[75] Puisque le paragraphe 8(7) de la Loi ne crée pas une distinction fondée sur la base du handicap mental de l’appelant, je n’ai pas à décider si son application perpétue un désavantage, un préjudice ou donne lieu à l’application de stéréotypes envers les gens qui ont des handicaps mentaux.

Conclusion

[76] L’appelant n’a pas démontré que la période maximale de 104 semaines permettant de prolonger la période de référence prévue au paragraphe 8(7) de la Loi le distingue sur la base de son handicap mental et qu’elle le traite de façon discriminatoire au sens du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.

[77] L’appel est rejeté.

Date de l’audience :

3 août 2020

Mode d’audience :

Vidéoconférence

Comparutions :

J. P., appelant
Me Suzette Bernard, représentante de la Commission

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