Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JA c Commission de l’assurance-emploi du Canada et X, 2020 TSS 1110

Numéro de dossier du Tribunal: GE-20-1124

ENTRE :

J. A.

Appelant

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée

et

X

Mise en cause


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de l’assurance-emploi


DÉCISION RENDUE PAR : Candace R. Salmon
DATE DE L’AUDIENCE : Le 18 juin 2020
DATE DE LA DÉCISION : Le 31 août 2020

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Décision

[1] L’appel est rejeté. J’estime que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations parce qu’il a quitté volontairement son emploi et n’a pas prouvé qu’il avait été fondé à le faire.

Aperçu

[2] Le prestataire a travaillé comme gestionnaire principal de projet. Son emploi a pris fin après qu’il ait décidé de ne pas retourner sur son lieu de travail parce qu’il ne se sentait pas en sécurité dans son environnement de travail. L’employeur a averti le prestataire que s’il choisissait de travailler chez lui, il considérerait cela comme un abandon de son emploi. Le prestataire a refusé de se rendre sur le lieu de travail si le directeur général (DG) de l’entreprise était présent. L’employeur a donc estimé qu’il avait quitté son emploi. Le prestataire pense qu’il a été congédié, tandis que l’employeur soutient que le prestataire a démissionné en ne se présentant pas au travail.

[3] Le prestataire a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi (AE). La Commission de l’assurance-emploi du Canada a conclu qu’il n’était pas admissible aux prestations d’AE parce qu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification. Le prestataire a demandé une révision, et la Commission a modifié sa décision. Le résultat de cette révision est demeuré le même : le prestataire a été exclu du bénéfice des prestations d’AE. Cependant, la Commission a conclu qu’il avait perdu son emploi en raison d’une inconduite plutôt que d’un départ volontaire. Le prestataire a fait appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, où l’appel a été rejeté. Il a ensuite fait appel auprès de la division d’appel et s’est vu refuser la permission d’en appeler. Finalement, il a fait appel devant la Cour fédérale du Canada qui a renvoyé l’affaire à la division d’appel du Tribunal aux fins de réexamen.

Questions préliminaires

[4] L’affaire a été renvoyée à la division d’appel par la Cour fédérale. La division d’appel a rendu une décision le 6 avril 2020 dans laquelle elle a accueilli l’appel, puis elle a renvoyé l’affaire à la division générale pour qu’un nouveau membre la réexamine. La division générale a tenu une nouvelle audience par téléconférence le 18 juin 2020.

[5] Lors de l’audience, les parties ont discuté de la présentation de documents qui n’étaient pas initialement inclus dans le dossier. Le 18 juin 2020, soit après l’audience, l’employeur a soumis un document de neuf pages comprenant une page couverture et un échange de courriels. À la même date, le prestataire a soumis un document de sept pages comprenant une page couverture et un échange de courriels. J’ai accepté ces deux documents, car ils sont probablement pertinents pour la question faisant l’objet de l’appel, et aucune des parties ne s’est opposée aux observations présentées après l’audience. Leurs codes sont respectivement RGD-8 et RGD-9.

Questions en litige

[6] Question en litige n1 : Le prestataire est-il exclu du bénéfice des prestations d’AE?

[7] Question en litige n2 : Le prestataire était-il fondé à quitter son travail?

Analyse

[8] Parfois, il n’est pas évident de savoir si une partie prestataire a quitté son emploi ou si l’employeur l’a congédiée. Les notions d’inconduite et de départ volontaire sans justification sont deux notions distinctes, mais elles sont traitées ensemble aux articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi. Les tribunaux ont estimé que cela « est tout à fait logique puisqu’elles visent toutes deux des situations où la perte d’emploi est la conséquence d’un ou plusieurs actes délibérés de l’employé – et elles sont sanctionnées de la même façon par l’exclusion spécialeNote de bas de page 1 ». Cela signifie que dans les cas où il n’est pas clair si la partie prestataire a volontairement quitté son emploi ou si elle a été congédiée pour inconduite, je peux examiner les deux questions ensemble et décider si la partie prestataire a cessé de travailler à cause de ses actions. Le résultat est le même : si la partie prestataire a causé sa situation de chômage en raison de ses actions imprudentes, elle est alors exclue du bénéfice des prestations d’AENote de bas de page 2.

[9] Une partie prestataire qui quitte volontairement son emploi ou qui démissionne de son emploi est exclue du bénéfice des prestations d’AE à moins qu’elle puisse prouver qu’elle était fondée à le faireNote de bas de page 3.

[10] Pour prouver qu’il était fondé à quitter son emploi, le prestataire doit prouver que son départ était la seule solution raisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstancesNote de bas de page 4. Autrement dit, le prestataire doit prouver que son départ de son emploi était la seule solution raisonnable qui s’offrait à lui, compte tenu des circonstancesNote de bas de page 5.

[11] De même, la Commission exclut les prestataires du bénéfice des prestations régulières d’AE s’ils ont perdu un emploi en raison de leur inconduiteNote de bas de page 6. On entend par inconduite une action délibérée que le prestataire savait, ou aurait raisonnablement dû savoir, susceptible d’entraîner son congédiementNote de bas de page 7.

[12] Dans ces situations, la loi précise que je ne suis pas liée par la façon dont la Commission a tranchéNote de bas de page 8. L’exclusion peut être fondée sur l’un ou l’autre de ces deux motifs, pour autant qu’elle soit étayée par des éléments de preuveNote de bas de page 9

[13] Autrement dit, même si la Commission a décidé après réexamen que le prestataire avait été congédié pour inconduite, je suis en mesure d’examiner la preuve et de décider s’il s’agit en fait d’un cas de départ volontaire. 

[14] Si la question de savoir si le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’AE est la même, les questions de savoir qui doit prouver quoi sont différentes, selon qu’il s’agit d’un départ volontaire sans justification ou d’une inconduite. Je vais donc d’abord décider de quel type d’affaires il s’agit. 

Question en litige n1 : Le prestataire est-il exclu du bénéfice des prestations d’AE?

[15] Pour déterminer cela, je vais d’abord décider si le prestataire a volontairement quitté son emploi ou s’il a été congédié. Si je juge que le prestataire a volontairement quitté son emploi, j’examinerai alors s’il avait été fondé à le faire. En revanche, si je juge que le prestataire a été congédié, j’examinerai alors si le motif du congédiement constitue une inconduite au sens de la loi.

[16] Si le prestataire avait le choix de conserver son emploi ou de le quitter, alors il l’a quitté volontairement. Je dois décider si le prestataire avait le choix de conserver ou de quitter son emploiNote de bas de page 10.  

[17] Le prestataire fait valoir qu’il a été congédié de son emploi. L’employeur affirme que le prestataire a quitté son emploi lorsqu’il a refusé de se rendre sur le lieu de travail, ce qui est indiqué sur le relevé d’emploi (RE). Lors de l’audience, le prestataire a contesté le fait d’avoir quitté son emploi. Il croit qu’il a été congédié et que sa lettre de congédiement prouve que l’employeur a mis fin à son emploi.

[18] Le prestataire a présenté une demande de prestations régulières d’AE le 30 avril 2018. Dans le formulaire de demande, il a déclaré avoir travaillé pour l’employeur du 23 avril 2012 au 3 avril 2018 et avoir été congédié parce que l’employeur l’avait accusé d’absentéisme. Il a déclaré que bien qu’il n’ait pas demandé la permission de s’absenter du travail, il a informé l’employeur qu’il serait absent du bureau par des lettres envoyées le 26 février 2018 et le 27 mars 2018, ainsi que lors d’une conversation téléphonique le 22 mars 2018.

[19] Le prestataire a expliqué dans sa demande de prestations d’AE qu’il pensait que l’employeur ne le protégeait pas contre [traduction] « l’intimidation, les menaces et le harcèlement », et a déclaré qu’il avait averti son employeur qu’il travaillerait chez lui et qu’il accomplirait ses tâches au mieux de ses capacités dans un environnement sécuritaire. Il a déclaré qu’il travaillait chez lui lorsqu’il a reçu une lettre de congédiement indiquant qu’il avait abandonné son emploi.

[20] Le 28 mai 2018, le prestataire a dit à la Commission qu’il avait été harcelé et intimidé par le DG de l’employeur. L’incident particulier qui a mené le prestataire à décider de ne pas se rendre sur le lieu de travail s’est produit le vendredi 23 février 2018 lors d’une réunion. Le prestataire a décrit cet incident comme un [traduction] « effondrement » du DG. Il a déclaré que l’employeur lui avait crié des propos pendant environ 30 minutes devant d’autres membres du personnel lors de la réunion et avait frappé son poing sur la table. Le prestataire a estimé que la situation était un incident de harcèlement et d’intimidation. Le prestataire a ajouté que le DG avait utilisé des [traduction] « insultes » et avait dit [traduction] « des choses comme “aucun effort n’est démontré” [...] il a également dit qu’il trouverait quelqu’un d’autre pour faire [le travail] ». Le prestataire a déclaré que le DG frappait des poings sur la table pour l’ [traduction] « intimider » et qu’il commençait à perdre la voix pendant qu’il [traduction] « intensifiait son agressivité ».

[21] Le prestataire a déclaré à la Commission que le DG avait [traduction] « mauvais caractère » et qu’il avait crié et frappé les tables avec ses poings dans le bureau à plusieurs reprises. Il a déclaré que ce comportement se produisait depuis [traduction] « un certain temps et [le prestataire a] essayé à plusieurs reprises de [s]'adresser directement » au DG. Il a également déclaré qu’il avait essayé de suivre la politique de dénonciation des employeurs en communiquant avec un service tiers d’évaluation éthique, mais avait constaté que l’adresse courriel de cette agence ne fonctionnait pas. Lors de l’audience, le DG a réfuté les éléments de preuve du prestataire, déclarant qu’il ne se souvenait d’aucune conversation entre le prestataire et lui au sujet de son tempérament.

[22] La lettre du lundi 26 février 2018Note de bas de page 11 envoyée par le prestataire au DG signale le fait que le service de déclaration d’une tierce partie ne fonctionnait pas. Comme solution de rechange, le prestataire a adressé sa lettre directement au DG et a fait valoir que [traduction] « l’environnement dégradant qui caractérise la collaboration avec vous depuis quelque temps est contraire au code de conduite et aux normes du Manuel et n’est plus acceptable ».

[23] Dans la lettre du 26 février 2018, le prestataire indique également qu’il a organisé une réunion avec le DG le 19 janvier 2018 pour lui faire part de ses préoccupations, mais que cela n’a pas entraîné de changement. Lors de l’audience, le prestataire a expliqué que le problème de janvier 2018 était lié à un échange de courriels qui, selon lui, frisait le harcèlement. À la suite de la réunion du 23 février 2018 au cours de laquelle l’employeur lui a crié après, le prestataire a décidé de [traduction] « poursuivre immédiatement [ses] rôles et responsabilités en tant que gestionnaire principal de projet [...] dans la sécurité de mon lieu de résidence personnel ». Le prestataire a écrit qu’il continuerait à travailler de chez lui [traduction] « jusqu’à ce que la situation ait été examinée et résolue » conformément à la politique de dénonciation.

[24] Lors d’une conversation téléphonique le 23 mars 2018, le DG a déclaré au prestataire que s’il n’était pas au travail le 28 mars 2018, l’employeur considérerait qu’il a abandonné son emploi. Le prestataire a répondu qu’il ne pouvait pas être au bureau si le DG était là. Le DG a répondu que le prestataire abandonnait alors son emploi, ce que le prestataire a réfuté en disant que le lieu de travail était dangereux en raison du harcèlement et qu’il intentait d’autres actions contre l’employeur. Le prestataire a déclaré que [traduction] « tant qu’il y a un risque de harcèlement, je ne vais pas dire que je vais y retourner ». Le DG a répondu par un courriel le 27 mars 2018, offrant de payer au prestataire six semaines de salaire conformément à son contrat de travail, puisqu’il n’avait [traduction] « aucun intérêt à revenir au travail ».

[25] Le 27 mars 2018, le prestataire a de nouveau écrit au DG. La lettre tente de résumer la communication entre les deux parties en ce qui concerne l’incident du 23 février 2018. Elle confirme que les parties se sont parlé le 28 février 2018 et que le DG a envoyé au prestataire un courriel le 4 mars 2018, lui ordonnant de prendre 16 jours de vacances qu’il avait accumulés en 2017. Le prestataire a pris un congé, mais a déclaré que cela n’a rien fait pour garantir que lorsqu’il reviendrait au travail, il pourrait [traduction] « s’attendre à un environnement de travail sécurisé ».   

[26] Le prestataire a également relaté une conversation qu’il avait eue avec le DG le 21 mars 2018. Le prestataire écrit que la conversation s’est terminée par un désaccord entre les parties sur la définition du harcèlement, sur la nécessité de présenter des excuses et sur le fait que la charge de travail du prestataire était excessive, entre autres. Les parties ont convenu que le manuel de l’entreprise et son règlement s’appliquent au DG ainsi qu’aux employés. Le prestataire écrit également que le DG a suggéré qu’ils [traduction] « rompent leur lien de travail », mais a dit que cela serait discuté lors de leur prochain appel.

[27] La lettre indique que le 22 mars 2018, le prestataire et le DG se sont à nouveau entretenus. Le prestataire écrit que le DG [traduction] « a exprimé sa volonté de s’excuser », mais que cela n’est pas la même chose que de s’excuser réellement. Le prestataire a déclaré que les [traduction] « excuses » du DG contenaient les problèmes suivants :

  • Aucun aveu de méfait accompagné d’une expression de regret n’a été formulé;
  • Le prestataire a demandé au DG de présenter ses excuses vers la fin de la conversation, et le DG a déclaré qu’il les avait déjà fournies;
  • Il y a eu un [traduction] « refus absolu de fournir des excuses écrites », puis le DG a demandé pourquoi le prestataire avait invité d’autres personnes à la réunion du 23 février 2018.

[28] Dans la lettre du 27 mars 2018, le prestataire a déclaré qu’il proposait les conditions suivantes qui, si elles étaient acceptées, permettraient de résoudre la situation de harcèlement présumée :

  • Des excuses pour l’incident. Le prestataire déclare que, [traduction] « puisque d’autres employés étaient présents lors de l’incident, des excuses écrites ont été demandées qui seraient également communiquées aux autres parties témoins »;
  • L’ajout d’un autre membre du personnel pour aider le prestataire à assumer sa [traduction] « charge de travail et ses responsabilités accablantes »;
  • L’engagement de tenir des réunions de suivi régulières ou hebdomadaires, comme cela a été fait précédemment, et de procéder à des examens annuels du rendement et des salaires.

[29] Le prestataire a ajouté que, puisqu’il avait des doutes quant au respect par le DG de la politique en matière de harcèlement de l’employeur à l’avenir, il souhaitait [traduction] « recevoir par écrit » :

  • Des excuses pour l’incident;
  • La confirmation que le DG se conformerait au manuel de l’entreprise et aux obligations des employeurs en général visant à fournir un lieu de travail sécurisé, exempt de harcèlement, d’intimidation et de menaces.

[30] Le prestataire écrit qu’une fois qu’il aura reçu ces engagements écrits, les parties pourront [traduction] « discuter des questions relatives à son retour au bureau », mais il dit que tant qu’il n’aura pas reçu les engagements qu’il a demandés, il continuera à travailler chez lui.

[31] Le prestataire a également écrit, à la fin de la lettre du 27 mars 2018, qu’il n’abandonnait pas son emploi et ne démissionnait pas, mais qu’il faisait valoir ses droits en tant qu’employé à être traité de manière sécuritaire, respectueuse et digne.

[32] Puisque le prestataire ne s’est pas présenté sur le lieu de travail le lundi 2 avril 2018 et le mardi 3 avril 2018, l’employeur lui a envoyé une lettre de congédiement le 3 avril 2018. La lettre indique que le fait que le prestataire [traduction] « [a] délibérément omis de [se] rendre sur les lieux de l’entreprise pour effectuer [son] travail sera considéré comme un abandon d’emploi ». L’employeur a émis un RE le 1er mai 2018, indiquant que le prestataire avait quitté son emploi. Le prestataire a dit à la Commission qu’il contestait le RE, car il pensait avoir été congédié de son travail.

[33] Il est clair que le prestataire a refusé de retourner sur son lieu de travail lorsque le DG était présent sur les lieux, parce qu’il estimait que le DG le harcelait. Il est également clair que le prestataire n’avait pas l’autorisation de travailler exclusivement de chez lui. Bien que le prestataire affirme qu’il était un cadre supérieur et qu’il avait la possibilité de travailler à partir de l’endroit qu’il choisissait, j’estime que cela n’est pas étayé par la preuve. Le DG a déclaré que le lieu d’emploi et le lieu de travail général du prestataire pendant la durée de son emploi était au siège social de l’entreprise. Le prestataire n’a pas contesté ce fait, mais a déclaré qu’il travaillait parfois de chez lui. J’ai également examiné le contrat de travail, qui indique que l’emploi du prestataire sera situé au siège social de l’employeur et qui fournit une adresse précise. J’estime que le prestataire a choisi de travailler de chez lui, même après avoir été averti par l’employeur qu’il serait considéré comme ayant abandonné son emploi. Le prestataire a fait valoir qu’il a continué à faire son travail, au mieux de ses capacités, à partir de son domicile, de sorte qu’il n’a pas démissionné, mais a été congédié par l’employeur pour ne pas s’être présenté sur le lieu de travail.

[34] Je suis en désaccord avec l’interprétation du prestataire. J’estime que le prestataire a volontairement quitté son emploi parce qu’il avait le choix de le conserver ou de le quitter et qu’il a choisi de ne pas se rendre sur son lieu de travail et n’avait pas l’autorisation de travailler de la maison. Il a donc choisi l’option qui, selon l’employeur, le mettrait en situation de chômage. La question de savoir s’il avait été fondé à faire ce choix est une question distincte, que j’aborderai plus loin. J’estime que la preuve soutient que le prestataire a choisi de quitter un emploi qui demeurait disponible parce qu’il refusait de se rendre sur le lieu de travail.

[35] Puisque je conclus que le prestataire a quitté volontairement son emploi, je vais maintenant décider s’il était fondé à le faire.

Question en litige no 2 : Le prestataire était-il fondé à quitter son travail?

[36] Selon la loi, une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle a quitté volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 12. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver qu’on est fondé à le faire. Le critère juridique à utiliser pour établir si une partie prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi est de savoir si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, la partie prestataire n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploiNote de bas de page 13.

[37] Toutefois, le terme « justification » n’est pas synonyme de « raison valable ». La question n’est pas celle de savoir s’il était raisonnable pour le prestataire de quitter son emploi, mais bien celle de savoir si la seule solution raisonnable était qu’il quitte son emploiNote de bas de page 14. Il incombe au prestataire d’en faire la preuveNote de bas de page 15. Le prestataire doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que son départ constituait à ce moment-là la seule solution raisonnable dans son cas. Dans la présente affaire, la question est précisément de savoir si le prestataire était fondé à refuser de retourner sur son lieu de travail, sachant que cela serait considéré comme un abandon d’emploi, et s’il avait des solutions de rechange raisonnables à son départ.

[38] La Loi sur l’assurance-emploi énonce une liste de circonstances que je dois prendre en considération pour décider si le prestataire était fondé à quitter son emploi, mais cette liste n’est pas exhaustive : je dois peser toutes les circonstances pour décider s’il avait était fondé à quitter son emploiNote de bas de page 16.

[39] Le prestataire a déclaré à la Commission que l’employeur dispose d’un manuel d’entreprise qui énonce que le harcèlement est inacceptable et fournit une procédure de dénonciation pour signaler les incidents de harcèlement. Il a déclaré que l’information est censée être soumise en ligne, mais que le lien n’a pas fonctionné. Il a donc soumis une lettre datée du 26 février 2018, exposant ses préoccupations et l’a remise à l’adjoint de direction du DG.

[40] À la suite de la lettre du 26 février 2018, le prestataire a déclaré que le DG l’avait rencontré pour discuter d’un moyen d’aller de l’avant. Le prestataire a déclaré qu’après un mois, l’attitude du DG n’avait pas changé et qu’il avait donc envoyé une deuxième lettre, cette fois par courriel le 27 mars 2018. Le prestataire a déclaré dans cette lettre qu’il travaillerait de chez lui jusqu’à ce que l’employeur soit en mesure de lui fournir un environnement de travail sécuritaire. Il a également proposé quelques solutions, et a demandé des excuses, des réunions hebdomadaires de suivi, et plus de soutien pour l’aider dans son travail.

[41] Le prestataire a déclaré à la Commission que le DG n’était pas d’accord avec les solutions qu’il proposait et a déclaré que s’il continuait à travailler de la maison, il serait considéré comme ayant abandonné son emploi. Le prestataire a déclaré qu’il n’était pas inhabituel pour lui de travailler de la maison et a dit qu’il a continué à travailler de chez lui après avoir quitté le lieu de travail en février 2018.

[42] Le 29 mai 2018, le prestataire a fourni des documents supplémentaires à la Commission. Il a présenté un extrait du manuel de l’employeur, montrant que l’employeur avait un code d’éthique et de conduite qui prévoit [traduction] « qu’une conduite non professionnelle ne sera pas tolérée et peut entraîner des mesures disciplinairesNote de bas de page 17 ». Le manuel indique également que l’employeur a une [traduction] « politique de tolérance zéro pour le harcèlement et la discrimination de tout genre fondé sur la race, la religion, l’âge, le sexe, la nationalité, etc. » et précise que le non-respect de cette politique entraînera pour les employés [traduction] « des mesures disciplinaires telles que la mise en probation ou le congédiement, quelle que soit leur poste au sein de l’entreprise ». La politique enjoint aux employés qui pensent qu’un incident de harcèlement s’est produit d’en informer la partie fautive ou de signaler l’incident à un membre de l’équipe de direction de l’employeur. Le document précise que [traduction] « l’entreprise procédera à une enquête pour toute plainte de harcèlement ou de discriminationNote de bas de page 18 ».

[43] La Commission a parlé avec le DG le 31 mai 2018. Le DG a déclaré que six à huit mois avant que le prestataire ne quitte son emploi, il a commencé à signaler qu’il n’était pas satisfait du rendement professionnel du prestataire. Il a déclaré que l’entreprise avait dû assumer des coûts supplémentaires pour un projet parce qu’il n’avait pas été achevé dans les délais, et que lorsqu’il a remarqué que le nouveau projet n’avançait pas comme prévu, il avait [traduction] « une fois de plus exprimé son mécontentement » au prestataire à plusieurs reprises. Le DG a déclaré que lors de la réunion du 23 février 2018, le prestataire l’a avisé que le projet était en retard. Le DG a déclaré avoir été bouleversé lorsqu’il a appris cette information, et reconnaît qu’il a crié le nom du prestataire et a tapé de sa main sur le bureau tout en disant au prestataire qu’il devait se rendre immédiatement sur le site du projet afin de rencontrer les clients. Le DG a déclaré que c’était le seul incident qui s’était produit, mais que ce n’était pas la première fois que le prestataire était averti des retards du projet.

[44] Le DG a déclaré que lorsqu’il a appris comment le prestataire s’est senti par rapport à leur interaction, il s’est excusé auprès de lui et a dit aux trois autres membres du personnel présents à la réunion qu’il n’était pas censé crier et agir comme il l’avait fait lors de cette réunion. Il a toutefois déclaré que le prestataire n’était pas [traduction] « satisfait de ses excuses » et a demandé à les recevoir par écrit. Le DG a également déclaré que bien que le prestataire souhaitait plus de personnel pour l’aider à assumer sa charge de travail, il ne pensait pas que cela était nécessaire. Il a déclaré que depuis que le prestataire a cessé de travailler, il a commencé à travailler en étroite collaboration avec son adjoint et le projet a très bien progressé sans qu’il soit nécessaire de remplacer le prestataire.  

[45] Le DG a déclaré qu’il était d’accord avec le prestataire en ce qui concerne les réunions hebdomadaires de suivi, mais qu’il n’était pas content que le prestataire refuse de se rendre au travail, et il a déclaré que la tenue de réunions hebdomadaires de suivi n’était pas possible si le prestataire ne se rendait pas au travail. Le DG a déclaré à la Commission qu’en six ans d’emploi, le prestataire n’a jamais été tenu de travailler de la maison et le DG ne pouvait pas s’assurer que le prestataire faisait tout le travail qu’il était tenu de faire lorsqu’il était à la maison. Il a déclaré, par exemple, que s’ils devaient examiner des plans ou des dessins pour le travail, le prestataire devrait être présent au bureau pour prendre part à cette conversation.

[46] La Commission s’est également entretenue avec le prestataire le 31 mai 2018. Il a déclaré que le DG avait été agressif avec lui à une reprise et que c’était le seul incident qui avait eu lieu. Il a ajouté que le comportement agressif en question était le fait que le DG avait crié son nom et frappé du poing sur la table. Le prestataire a déclaré que le DG a fait preuve d’une [traduction] « volonté de s’excuser, mais il ne l’a pas fait par écrit ». Le dossier appuie le fait que le prétendu incident de harcèlement s’est produit le 23 février 2018Note de bas de page 19. Lors de l’audience, le prestataire a expliqué qu’il avait rencontré le DG en janvier 2018 pour discuter de questions relatives à la correspondance que le DG lui avait adressée, et a déclaré que le DG avait été [traduction] « brusque » avec lui. Dans une déclaration, le représentant du prestataire a indiqué que le prestataire avait rencontré le DG le 19 janvier 2018 pour discuter de ses préoccupations concernant les récentes communications qu’il avait reçues du DG, qui étaient [traduction] « dérangeantes » pour le prestataire, car elles [traduction] « tendaient vers le harcèlement et l’intimidation ».

[47] Le prestataire a également confirmé que le DG l’avait averti à deux reprises lors de conversations téléphoniques en mars 2018 qu’il serait congédié s’il ne se présentait pas au travail. Il a ajouté qu’il s’est présenté sur le lieu de travail le 29 mars 2018 parce que le DG n’était pas présent au bureau, mais qu’il a refusé de travailler dans le bureau à compter du 2 avril 2018, car le DG était au bureau, n’avait pas aménagé un endroit sécurisé pour lui, et parce qu’il se sentait [traduction] « menacé ».  

[48] Le 4 juin 2018, la Commission a rendu une décision dans laquelle elle a conclu que le prestataire n’était pas admissible à des prestations régulières d’AE parce qu’il avait quitté volontairement son emploi le 3 avril 2018 sans justification. Le 20 juin 2018, le prestataire a fait une demande de révision, indiquant que la Commission n’avait pas enquêté sur le harcèlement présumé et n’avait pas pris de décision fondée sur le Guide de la détermination de l’admissibilité (GDA).

[49] Le 28 juin 2018, la Commission a parlé au prestataire. Le prestataire a déclaré qu’il n’avait pas reçu l’autorisation de travailler à domicile, mais qu’il avait déjà travaillé de chez lui dans le passé et qu’il n’avait pas eu besoin d’autorisation. Lors de l’audience, il a déclaré qu’il était un gestionnaire principal de projet et qu’il disposait d’une certaine souplesse dans ses modalités de travail. Le prestataire a ensuite fait valoir que, contrairement aux postes de service, pour lesquels des exigences de rendement précises, comme l’heure et le lieu, sont imposées, il est [traduction] « généralement entendu que les cadres supérieurs et les directeurs généraux » peuvent accomplir ces tâches au moment et à l’endroit désirés. Le prestataire a déclaré qu’il se déplaçait fréquemment pour son travail et travaillait souvent de chez lui après les heures de travail.

[50] Lors de l’audience, le prestataire a déclaré qu’il travaillait généralement à partir du bureau local, mais qu’il était tenu d’être en mesure de se déplacer et de travailler sur les lieux de travail ou à domicile. Il a déclaré que l’endroit où il travaillait n’avait [traduction] « jamais été imposé » par l’employeur avant mars 2018, et a affirmé qu’il était un cadre supérieur et qu’il était donc [traduction] « entendu » qu’il savait où il devait être. Il a déclaré qu’avant mars 2018, il travaillait parfois de chez lui et n’avait besoin de l’approbation de personne pour le faire.

[51] Le DG a réfuté cette déclaration lors d’une conversation avec la Commission le 5 juillet 2018. Il a déclaré que le prestataire n’avait pas, en six ans, travaillé à l’extérieur du bureau, à l’exception de déplacements mineurs. Le DG a précisé que le prestataire voyageait occasionnellement pour son travail, mais qu’il ne voyageait pas fréquemment. Il a précisé qu’il ne savait pas si le prestataire travaillait à domicile le soir, mais que cela [traduction] « serait inhabituel ». Lors de l’audience, le DG a déclaré qu’il avait vérifié les dossiers de l’employeur et qu’au cours des 72 derniers mois d’emploi du prestataire, il s’était déplacé 63 fois pour son travail, c’est-à-dire moins d’une fois par mois. Sinon, a déclaré le DG, il travaillait au bureau.

[52] L’offre d’emploi du prestataire, datée du 5 avril 2012, indique que son emploi serait situé au siège social de l’employeur et fournit une adresse préciseNote de bas de page 20. Bien que le prestataire affirme qu’il avait la possibilité de travailler de chez lui, je constate qu’on attendait de lui qu’il travaille à partir d’un bureau local. Même s’il était parfois obligé de voyager, j’estime que la preuve ne permet pas d’affirmer qu’il travaillait régulièrement à domicile ou que son contrat de travail prévoyait qu’il travaille à domicile.

[53] Le prestataire a également déclaré qu’il avait averti le DG en janvier 2018 que son comportement n’était pas acceptable et qu’il utilisait des tactiques d’intimidation et de harcèlement. Je trouve que cette déclaration contredit sa précédente déclaration à la Commission selon laquelle l’incident du 23 février 2018 était le seul incident de harcèlement présuméNote de bas de page 21. De plus, la déclaration décrit l’échange de janvier 2018 comme [traduction] « tend[ant] vers le harcèlement et l’intimidation ». J’estime qu’il est plus probable qu’improbable que le seul incident de harcèlement présumé soit celui du 23 février 2018, car davantage d’éléments de preuve appuient cette conclusion.

[54] Lors de l’audience, le prestataire a déclaré qu’il avait parlé avec le DG le 19 janvier 2018 au sujet de [traduction] « commentaires inappropriés » que le DG avait faits par courriel. Il a fait valoir que le DG avait [traduction] « négligé » ses propos, qu’il n’avait pas reconnu sa mauvaise gestion de la situation et qu’il avait esquivé les préoccupations du prestataire. Selon le prestataire, c’est à ce moment-là que la situation a commencé à [traduction] « se dégrader ». Lorsqu’on lui a demandé de donner des exemples précis d’intimidation, de menaces et de harcèlement, le prestataire a déclaré que cela avait commencé le 19 janvier 2018, lorsque le DG a fait fi de ses préoccupations et n’a pas reconnu les problèmes et la [traduction] « culture de la peur ». Lorsqu’on lui a de nouveau demandé des exemples précis, le prestataire a fait référence de manière générale à la culture et a déclaré que même si le personnel maîtrisait sans doute mieux les exigences, les restrictions et les obstacles pour certains projets, le DG ne recevait pas ces renseignements [traduction] « avec une pensée rationnelle ». Il a déclaré que le DG était autoritaire, indifférent, agressif et sévère.

[55] Dans un échange de courriels le 18 janvier 2018, le prestataire a envoyé un courriel au DG, mettant en copie conforme deux autres employés impliqués dans le projet. Le courriel fournit les raisons pour lesquelles le prestataire n’était pas impliqué dans le budget des frais de justice et traite des questions relatives à la date de clôtureNote de bas de page 22. Le même jour, le DG a répondu à tous ceux qui avaient été mis en copie conforme du courriel en affirmant ce qui suit :

[traduction]

S’il te plaît, mets la main à la pâte à l’égard de ce projet pour faire avancer les choses plus rapidement s’il te plaît. Le [client] peut se réunir pour s’en occuper seul, je suis sûr qu’il connaît nos attentes. Ne parle jamais non plus à des avocats pour un compte ouvert, même si tu n’as pas fait appel à [cabinet d’avocats]. Obtiens un budget de leur part. Je m’attends à ce que tu gères tous les coûts. Il s’agit là d’une piètre excuseNote de bas de page 23.

[56] Le prestataire a répondu à ce courriel le 19 janvier 2018 en ne répondant qu’au DG et en indiquant que le courriel du DG l’accusant de ne fournir qu’une [traduction] « piètre excuse est troublant ». Il a demandé que [traduction] « à l’avenir, si vous avez des inquiétudes concernant mon rendement, je souhaiterais avoir une discussion avec vous directement avant d’impliquer des collègues ». Il suggère également qu’un examen annuel du rendement devrait peut-être avoir lieu. Le DG a répondu au prestataire, lui demandant s’il était libre en après-midi pour avoir une discussion.

[57] Le prestataire a déclaré que la réunion du 19 janvier 2018 avait marqué le début des problèmes relatifs à la relation de travail. Il a affirmé que le DG avait [traduction] « négligé » ses propos, n’avait pas reconnu qu’il aurait pu mieux gérer les choses et avait [traduction] « esquivé » la question pour inciter le prestataire à poursuivre son travail. Bien que le prestataire affirme que le DG a envoyé des commentaires inappropriés par courriel le 18 janvier 2018, je ne suis pas d’accord. J’ai examiné les courriels pertinents et je n’ai trouvé aucune preuve de harcèlement, d’intimidation ou de discrimination dans les messages. J’estime que les commentaires de l’employeur reflètent son évaluation de la situation et la manière dont il estime que le prestataire devrait se comporter. Les commentaires ne sont ni grossiers ni intimidants, et une personne raisonnable lirait les commentaires comme étant de la rétroaction. De plus, j’estime que le DG ne s’attendait probablement pas à ce que ces commentaires causent de l’embarras, de la détresse ou de la souffrance au prestataire.

[58] Le prestataire a également déclaré qu’il avait essayé de parler avec le DG de questions relatives au projet avant la réunion du 23 février 2018, mais qu’il avait été ignoré. Les registres des courriels montrent que le prestataire a envoyé un courriel au DG le 13 février 2018, dans lequel il donnait une mise à jour sur une partie du projet. Il a également demandé au DG de répondre à des questions relatives à l’approbation d’une dépenseNote de bas de page 24. Le prestataire a affirmé que le DG a répondu dans un délai d’un jour, mais qu’il n’a pas répondu à ses questionsNote de bas de page 25, ce qui a incité le prestataire à convoquer la réunion du 23 février 2018 et à y inclure les autres membres du personnel concernés par le projet.

[59] Le DG a déclaré qu’il était en vacances à l’étranger du 13 au 21 février 2018 environ, et qu’il n’était donc pas aussi disponible que d’habitude. Il a fait valoir qu’il ne se souvenait d’aucun problème entre lui et le prestataire entre la réunion de janvier 2018 et l’incident du 23 février 2018. Il a déclaré avoir demandé au prestataire d’organiser des réunions avec les parties prenantes après la réunion de janvier 2018, ce que le prestataire a fait. Le DG a dit qu’il se souvenait d’avoir envoyé un courriel au prestataire pendant ses vacances, car le prestataire avait été impliqué dans un accident de voiture alors qu’il rentrait chez lui après une réunion d’affaires. Il a déclaré qu’il pensait que le travail qui devait être fait se faisait, mais qu’il n’était pas au courant du déroulement exact, car il avait été en vacances.

[60] Le DG a affirmé que le prestataire avait organisé la réunion du 23 février 2018. Il a ajouté qu’il venait de rentrer de vacances et a déclaré qu’il lui est très vite apparu clairement que le projet n’avançait pas comme prévu et que la date limite ne serait probablement pas respectée. Il a dit avoir été surpris par le fait que le projet n’avançait pas, et a admis avoir crié après le prestataire et avoir dit qu’il [traduction] « n’y mettait pas assez d’efforts ». Il a également admis avoir frappé ses poings quatre ou cinq fois sur la table. Il a affirmé qu’après la réunion, le prestataire a accepté de se rendre sur le site des parties prenantes et de faire avancer le projet, ce qu’il a fait juste avant que le DG ne lui ordonne d’utiliser ses crédits de congés annuels reportés.

[61] Le prestataire a déclaré à la Commission que la réunion de février 2018 avait duré une heure et que lorsque l’employeur avait [traduction] « perdu la tête », il avait crié et [traduction] « la moitié du bureau avait entendu cela ». Il a affirmé avoir demandé des excuses écrites au DG parce que d’autres personnes avaient été témoins de ce comportement et qu’il fallait les aviser que cela ne serait pas accepté. Le prestataire a reconnu que le DG avait déclaré qu’il avait déjà parlé aux autres membres du personnel présents à la réunion, mais qu’il n’avait [traduction] « aucun moyen de savoir ce que l’employeur avait dit aux autres ». Il a également fait valoir que le DG lui avait présenté ses excuses, mais qu’il avait [traduction] « demandé [au DG] d’expliquer » ce qu’il entendait par [traduction] « excuses » et que le DG [traduction] « n’a pas voulu élaborer ».

[62] Le prestataire a également déclaré à la Commission que le DG avait enregistré leur conversation du 23 mars 2018. Il a envoyé un fax à la Commission à la suite de la conversation du 28 juin 2018 et a qualifié l’enregistrement d’ [traduction] « illégal », car il a été réalisé à son insu et sans son consentement. Il déclare que l’avocat de l’employeur a fourni la transcription de la conversation, laquelle indique que le DG s’est excusé à plusieurs reprises auprès du prestataire pour lui avoir crié après et pour son comportement lors de la réunion. Le prestataire a noté que le DG n’a pas présenté d’excuses précises pour le harcèlement et n’admet pas qu’il y a eu harcèlement, de sorte qu’aucune excuse n’a été présentée pour le comportement inacceptable.

[63] Le prestataire a fourni ses notes concernant un appel téléphonique qui a eu lieu le 21 mars 2018 entre lui et le DGNote de bas de page 26. Ces notes ne constituent pas une transcription. J’ai examiné les notes, et une grande partie de ce qu’elles contiennent se retrouve dans l’enregistrement de l’appel du 23 mars 2018. Le DG et le prestataire ne sont pas d’accord sur la question de savoir si le prestataire a fait l’objet de harcèlement, et le DG refuse de s’excuser pour ce harcèlement. Le DG a demandé au prestataire s’il voulait discuter de [traduction] « son départ de l’entreprise », mais ne savait pas à quoi cela ressemblerait, et a accepté de lui fournir plus d’informations à ce sujet.

[64] Le dossier contient une transcription de la conversation du 23 mars 2018. Cependant, elle a été préparée par une partie et l’autre partie soutient qu’il manque des renseignementsNote de bas de page 27. Il existe une autre copie d’une transcription figurant dans une autre partie du dossier, qui semble être tirée de la transcription de la première audience du prestataire devant la division généraleNote de bas de page 28. Bien que je considère qu’il s’agit d’un document fiable, j’ai également écouté l’enregistrement audio de la conversation et je me fie au contenu de ce dossier que je considère comme correct. Le prestataire a fait valoir au Tribunal que l’ [traduction] « enregistrement secret » constitue une collecte déraisonnable de renseignements personnels qui enfreint la Loi sur la protection des renseignements personnelsNote de bas de page 29 et qui ne reflète pas les autres conversations entre le prestataire et le DG.

[65] Dans l’enregistrement du 23 mars 2018, le DG déclare qu’il ne pense pas que le prestataire ait besoin d’une aide supplémentaire en personnel pour faire son travail, mais qu’il est prêt à fournir plus de direction et de supervision pour s’assurer que le prestataire optimise son temps. Il déclare également qu’il est prêt à participer à des réunions d’avancement hebdomadaires. En ce qui concerne les excuses, le DG note que bien que le prestataire affirme avoir été victime de harcèlement, le DG pense qu’il a exprimé des directives concernant un problème professionnel. Le DG dit qu’il a élevé la voix et que son comportement aurait pu être meilleur, mais il ne croit pas avoir harcelé le prestataire. Il a d’abord déclaré qu’il était prêt à s’excuser pour son comportement, mais a réitéré qu’il ne pensait pas que son comportement constituait du harcèlement.

[66] Après que le DG se soit excusé de son comportement, il a demandé au prestataire s’il était prêt à retourner au travail. Le prestataire a demandé au DG : [traduction] « Lorsque vous avez élevé la voix, vous n’avez pas eu le sentiment qu’il s’agissait de harcèlement — le feriez-vous à nouveau? ». Le DG a répondu que le prestataire le connaissait depuis six ans et connaissait son comportement. Le DG a ajouté que [traduction] « les choses se sont accumulées » depuis le rendement du prestataire sur un projet précédent et le DG a estimé que c’était la raison pour laquelle il avait atteint [traduction] « ce niveau de frustration ». Le DG a affirmé avoir appris en janvier 2018 que de septembre 2017 à janvier 2018, [traduction] « pratiquement aucune réunion » n’avait eu lieu et que le prestataire n’avait pas fait avancer le projet.

[67] Le prestataire a demandé au DG de confirmer qu’il ne se comporterait pas envers lui de la même manière que lors de la réunion du 23 février 2018, et le DG a répondu [traduction] « c’est ce que je dis ». Le prestataire déclare ensuite : [traduction] « si vous vous êtes engagé à respecter cela, alors présentez simplement des excuses écrites ». Le DG répond qu’il ne présentera pas d’excuses écrites et dit : [traduction] « Je vous ai présenté des excuses ici [...] voyons ». Le prestataire a déclaré que les excuses [traduction] « manquaient de sincérité », car le DG a refusé de les fournir par écrit. Plus tard au cours de l’appel, l’échange suivant a lieu :

[traduction]

Prestataire : Vous êtes désolé de vous être comporté de cette façon.

DG : C’est ce que je vous ai dit. Vous savez, je l’ai fait environ quatre fois au cours de cet appel.

Prestataire : Je veux que vous prononciez les mots.

DG : [...] c’est ridicule, là [...] J’ai fait beaucoup d’efforts hier et aujourd’hui pour essayer de me remettre sur la bonne voie et vous dites que je ne suis pas sincère.

[68] Le DG et le prestataire ont un désaccord fondamental au sujet des excuses, de leur forme et de la personne à qui elles sont dues. Le DG a déclaré au prestataire le 23 mars 2018 que le problème est entre eux. Le prestataire a affirmé que cela les touche tous les deux, ainsi que toutes les personnes qui se trouvaient dans la salle de réunion le 23 février 2018. Le DG a noté que le prestataire avait convoqué la réunion du 23 février 2018 et avait invité les autres membres du personnel à y assister. Le DG a déclaré qu’il ne comprenait pas pourquoi le prestataire avait invité les autres membres du personnel à une réunion qui aurait pu avoir lieu entre eux deux, et il a affirmé qu’il n’avait pas convoqué la réunion et qu’il n’avait pas essayé d’embarrasser le prestataire.

Le prestataire a-t-il connu des conditions de travail qui constituaient un danger pour sa santé ou sa sécurité?

[69] Une partie prestataire peut être fondée à quitter son emploi si ses conditions de travail constituaient un danger pour sa santé ou sa sécuritéNote de bas de page 30

[70] Les tribunaux ont jugé que les décideurs doivent examiner si le fait qu’une partie prestataire ait volontairement quitté son emploi par crainte de conditions dangereuses sur son lieu de travail était la seule solution raisonnable. Une partie prestataire n’est pas considérée comme étant fondée à quitter son emploi parce qu’elle craignait qu’il y avait des conditions de travail dangereuses sans même discuter avec son employeur de la possibilité de prendre des mesures pour réduire ses craintesNote de bas de page 31.

[71] Le prestataire a déclaré qu’il avait choisi de travailler de la maison parce qu’il ne pensait pas que son bureau était un environnement sécurisé. Il a ajouté qu’il était retourné au bureau pour une journée, le 28 mars 2018, parce qu’il savait que le DG ne serait pas là. Cependant, il n’est pas revenu le lundi suivant parce que le DG était de retour au travail. Il a déclaré que pour sa propre santé et sécurité, il a dit au DG qu’il travaillerait de la maison jusqu’à ce que sa plainte pour harcèlement soit examinée.

[72] Lors de l’audience, le prestataire a fait valoir qu’un danger pour sa santé et sa sécurité ne se limitait pas à sa santé physique, mais concernait également sa santé mentale. Il a indiqué qu’il avait consulté une psychologue, qui a constaté qu’il semblait [traduction] « traumatisé par l’expérience de l’agression verbale et physique [...] dont a fait preuve le DG et par l’injustice perçue par la suite en matière de congédiement et de rejet de sa demande d’AENote de bas de page 32 ». Le prestataire a également déclaré qu’après la réunion du 23 février 2018, il était [traduction] « démoli mentalement » par [traduction] « l’événement traumatisant ».

[73] J’ai examiné le rapport médical. La psychologue déclare avoir effectué l’évaluation intitulée « The Workplace Behaviour Inventory » ([traduction] « Inventaire des comportements en milieu de travail »), qui évalue les comportements connus pour être psychologiquement nuisibles et représentatifs de harcèlement psychologique en milieu de travail. Le prestataire a confirmé avoir vécu 20 de ces comportements avec le DG au cours des 12 mois précédant l’évaluation et a déclaré que ces situations l’avaient [traduction] « modérément dérangé ». La psychologue lui a également fait remplir un questionnaire de détection de troubles psychiatriques et a estimé que les réponses du prestataire indiquaient une [traduction] « élévation sur l’échelle du syndrome de stress post-traumatique ».

[74] La psychologue déclare que le prestataire [traduction] « rumine ses expériences et devient en détresse, a des flashbacks [...] et [sa] confiance dans les personnes et les systèmes a été brisée ». Elle déclare que cela correspond à un [traduction] « préjudice moral, qui se produit lorsque des personnes sont témoins d’événements qui sont un affront aux valeurs fondamentales (telles que la dignité et la justice) ou en font l’expérience ». La psychologue ajoute qu’un préjudice moral et du harcèlement psychologique peuvent entraîner des symptômes du syndrome de stress post-traumatique.

[75] Je note que bien que l’on ait constaté que le prestataire avait une [traduction] « élévation sur l’échelle du syndrome de stress post-traumatique », il n’a pas été diagnostiqué comme étant atteint du syndrome de stress post-traumatique. La psychologue soutient que le prestataire a procédé à une évaluation qui était représentative du harcèlement psychologique sur le lieu de travail et a constaté que le prestataire avait relevé 20 comportements figurant dans l’inventaire comme ayant été présents dans les actions du DG au cours de l’année de travail précédente. La lettre ne précise pas le nombre d’options d’inventaire figurant sur la liste ni si la présence de 20 comportements est cohérente avec l’existence d’un harcèlement psychologique.

[76] Je conviens que le prestataire a signalé un certain nombre de comportements figurant dans l’inventaire des comportements en milieu de travail comme existant sur son lieu de travail. Cependant, lorsqu’il s’est adressé à la Commission et pendant l’audience, il n’a pas identifié un modèle de comportement répété qui serait susceptible de constituer un danger pour sa santé ou sa sécurité. En outre, la lettre de la psychologue indique que le prestataire présente un traumatisme à la fois en raison de l’expérience du 23 février 2018, lorsque le DG a crié après lui et a frappé le bureau avec ses poings, et en raison de l’ [traduction] « injustice perçue par son congédiement et le rejet de sa demande d’AE » qui a suivi.

[77] J’estime que le prestataire n’a pas réussi à prouver qu’il a connu des conditions de travail qui constituaient un danger pour sa santé ou sa sécurité. Je conviens que le sens de cette phrase comprend la santé mentale et physique, mais j’estime que l’emploi et l’environnement de travail du prestataire ne constituaient pas un danger pour sa santé mentale ou physique. Le représentant de l’employeur a demandé comment le prestataire pouvait avoir peur du DG, qui a plus de 60 ans. Le prestataire a déclaré que lorsque quelqu’un frappe des poings sur la table, vous ne savez pas ce qu’il peut faire d’autre. J’estime qu’il n’y a aucune preuve à l’appui du fait que le DG était violent ou ait menacé le prestataire de violence physique. La preuve appuie davantage le fait que le DG était en colère et a perdu son sang-froid en cette occasion particulière, le martèlement de ses poings sur la table étant un geste expressif qu’il reconnaît ne pas avoir dû faire.

[78] En ce qui concerne sa santé mentale, le prestataire n’a pas immédiatement consulté un médecin après l’incident du 23 février 2018. Il a plutôt choisi de travailler de la maison et a décrété au DG qu’il resterait à la maison jusqu’à ce que l’employeur puisse assurer sa sécurité au travail. Son évaluation selon laquelle son lieu de travail était mentalement dangereux semble découler de sa perception que l’incident du 23 février 2018 était du harcèlement. Pour les motifs que je vais évoquer ci-dessous, je ne suis pas convaincue que l’environnement était dangereux ou qu’il y a eu harcèlement.

[79] Étant donné que le prestataire n’a pas connu de conditions de travail qui constituaient un danger pour sa santé ou sa sécurité, il n’était pas fondé à quitter son emploi pour ce motif

Le prestataire a-t-il subi du harcèlement de nature sexuelle ou autre?

[80] Une partie prestataire peut être fondée à quitter son emploi si elle a été victime de harcèlement sur le lieu de travailNote de bas de page 33

[81] Le prestataire a fait référence à la définition du harcèlement figurant à la partie I du Code canadien du travail (CCT). Bien que le CCT ne soit pas contraignant pour ma décision, je note que « le harcèlement et la violence » sont définis dans cette législation de la manière suivante :

Tout acte, comportement ou propos, notamment de nature sexuelle, qui pourrait vraisemblablement offenser ou humilier un employé ou lui causer toute autre blessure ou maladie, physique ou psychologique, y compris tout acte, comportement ou propos réglementaireNote de bas de page 34.

[82] Le prestataire a également soumis la définition du harcèlement qui provient du GDA et qui va comme suit :

De façon générale, le harcèlement s’identifie à tout comportement déplacé à l’égard d’une autre personne dont l’importunité était connue de l’auteur ou n’aurait pas dû lui échapper. Le harcèlement peut prendre la forme de propos, d’actions ou de démonstrations répréhensibles qui humilient, rabaissent ou embarrassent une autre personneNote de bas de page 35.

[83] Le terme « harcèlement » n’est défini ni dans la Loi sur l’assurance-emploi ni par les tribunaux en relation avec la Loi sur l’assurance-emploi. La division d’appel du Tribunal a examiné la question du harcèlement sur le lieu de travail et a établi une série de [traduction] « principes clés » pour me guider au moment de décider si une partie prestataire a fait l’objet de harcèlementNote de bas de page 36. Ces principes sont les suivants :

  • les auteurs du harcèlement peuvent agir seuls ou en groupe et n’occupent pas nécessairement un poste de supervision ou de gestion;
  • le harcèlement peut prendre plusieurs formes, notamment un acte, un comportement, un propos, de l’intimidation et une menace;
  • dans certains cas, un seul incident suffit pour être considéré comme du harcèlement;
  • l’accent est mis sur le prétendu auteur du harcèlement et sur le fait de savoir si celui‑ci savait ou aurait raisonnablement dû savoir que son comportement pourrait offenser, embarrasser ou humilier une autre personne ou lui causer toute autre blessure psychologique ou physique.

[84] Le prestataire écrit dans sa lettre du 27 mars 2018 que tous les employeurs sont obligés de fournir à leurs employés un environnement de travail sécurisé, exempt de harcèlement, d’intimidation et de menaces, ce qui est reflété dans le manuel de l’entreprise. Le prestataire a fait valoir que le refus du DG de présenter des excuses écrites pour le manquement à cette obligation et son refus de s’engager à éviter de futurs manquements ont créé un doute quant à l’intention du DG de se conformer à ces obligations à l’avenir. Dans son courriel du 27 mars 2018, le DG a écrit qu’il [traduction] « [n’est] pas prêt à faire ce que vous demandez ». Le DG a déclaré qu’il avait fait ce que le prestataire lui avait demandé, mais qu’il avait le sentiment que le prestataire avait [traduction] « changé ses exigences à la fin » de leur conversation. Cela semble être lié au fait que le DG a déclaré qu’il ne présenterait pas d’excuses écrites. Le DG a déclaré lors de l’appel téléphonique du 23 mars 2018 qu’il était d’accord pour ne pas traiter le prestataire comme il l’avait fait lors de la réunion du 23 février 2018, mais qu’il ne pouvait pas confirmer qu’il n’élèverait plus jamais la voix.

[85] Le 3 juillet 2018, le prestataire a envoyé un fax à la Commission. Il a fait valoir que le DG l’avait harcelé le 23 février 2018 et que la communication qu’il avait eue avec le DG entre cette date et le 2 avril 2018 avait pour but d’obtenir l’assurance que ce harcèlement et ce comportement abusif ne se reproduiraient pas. Il a écrit que le DG avait refusé de garantir que ce comportement ne se reproduirait pas, qu’il avait refusé qu’une tierce partie impartiale enquête sur l’incident et qu’il n’avait fait aucune offre de résolution, entre autres choses.

[86] Le prestataire a écrit dans sa lettre du 26 février 2018 qu’il cesserait immédiatement de fréquenter le bureau et continuerait à travailler de la maison. Le DG a déclaré avoir averti le prestataire le 21 mars 2018 et le 22 mars 2018 que s’il ne se présentait pas au travail, l’on considérerait qu’il avait abandonné son emploi. Le prestataire est retourné au travail le 28 mars 2018 parce qu’il savait que le DG n’était pas présent au bureau, mais il a de nouveau refusé d’y retourner le 2 avril 2018 et le 3 avril 2018 parce que le DG était de retour au travail.

[87] L’un des arguments du prestataire est qu’il travaillait pour l’employeur depuis avril 2012 et que, pendant six ans, il a fourni un service exemplaire. De ce fait, une seule absence le 2 avril 2018, qui, selon lui, était justifiée à la lumière du harcèlement qu’il a subi, ne constituait pas une justification pour son congédiement.

[88] À l’audience, le prestataire a fait valoir que le fait de demander des excuses était raisonnable et indiquerait qu’il y avait un certain remords de la part du DG. Il a également déclaré que des excuses garantiraient dans une certaine mesure que le DG ne referait pas la même chose. Il a répété qu’il avait demandé des excuses écrites parce que d’autres personnes avaient été témoins de ce qui s’était passé et que ce n’était pas un comportement acceptable, et que ces excuses devraient donc être communiquées aux parties qui ont été témoins de l’incident.

[89]Lors de l’audience, le représentant de l’employeur a demandé au prestataire s’il y avait eu des incidents de harcèlement ou d’intimidation entre la réunion de janvier 2018 et l’incident du 23 février 2018. Le prestataire a déclaré qu’il s’agissait d’une [traduction] « situation dégradante », mais a déclaré qu’il n’y avait pas eu de comportement négatif [traduction] « de la même ampleur » que celui dont il a fait l’expérience le 23 février 2018. Le représentant a déclaré qu’il n’y avait [traduction] « pas du tout » eu d’incident de harcèlement ou d’intimidation, et le prestataire a déclaré [traduction] « non, il n’y en a pas eu ». Le prestataire a également reconnu que le DG de l’employeur avait exprimé son mécontentement quant à son rendement en tant que chef de projet sur un projet précis lors de la réunion du 23 février 2018, mais a déclaré que cela avait été fait d’une [traduction] « manière inacceptable ».

[90] Le prestataire a également affirmé que le projet précédent avait également été une situation tendue, mais que le DG ne s’était pas comporté de la même manière. Le prestataire a déclaré que le DG n’a pas [traduction] « eu recours à du harcèlement et à de l’intimidation et n’a pas fait preuve d’agressivité pour que le projet soit mené à bien », contrairement au projet lié à la réunion du 23 février 2018. Le prestataire a déclaré que les cris et l’agressivité lors de la réunion du 23 février 2018 n’étaient pas représentatifs de ses interactions habituelles avec le DG.

[91] Le prestataire a déclaré à la Commission que le DG [traduction] « ne s’est pas excusé ». J’estime que le DG de l’employeur s’est effectivement excusé auprès du prestataire pour la façon dont il l’a traité lors de la réunion du 23 février 2018. Le prestataire a fait de multiples observations sur le type d’excuses qu’il souhaitait, la forme qu’elles devraient prendre et le contenu qu’il considérerait comme étant des excuses légitimes. Le prestataire a déclaré qu’il voulait que l’on reconnaisse que ce que le DG avait fait était mal et qu’on lui confirme que le DG allait suivre les politiques du manuel de l’entreprise à l’avenir. Le prestataire a fait valoir que le DG a refusé d’accepter de faire cela.

[92] Je suis en désaccord avec l’observation du prestataire. J’estime que le DG a présenté de multiples excuses verbales. Il a déclaré qu’il était désolé de son comportement, mais qu’il ne pensait pas qu’il s’agissait de harcèlement. J’estime que la manière dont le DG a qualifié l’incident n’enlève rien au fait qu’il s’est excusé auprès du prestataire pour la manière dont il a agi lors de la réunion du 23 février 2018. Le DG a également affirmé qu’il n’adopterait plus ce genre de comportement à l’égard du prestataire à l’avenir.

[93] Le représentant de l’employeur a convenu que la politique de l’employeur prévoit qu’il doit [traduction] « enquêter sur toutes les plaintes de harcèlement ou de discrimination », mais la structure de l’entreprise s’attendait à ce que le DG se charge lui-même d’enquêter sur les plaintes. Le représentant de l’employeur a déclaré qu’une telle situation n’avait pas été envisagée. Le DG a déclaré qu’il ne pensait pas que les politiques de l’entreprise sur le harcèlement ou les dénonciations avaient été enfreintes. Il a déclaré que le problème entre lui et le prestataire découlait du rendement professionnel de ce dernier. Il a ajouté qu’il était en train de délivrer un message sur le [traduction] « rendement, ou plutôt le manque de rendement ». Le DG a confirmé à la Commission qu’il n’y a pas de département des ressources humaines au sein de l’entreprise et que le DG est la plus haute autoritéNote de bas de page 37.  

[94] L’enregistrement audio du 23 mars 2018 confirme que le DG a présenté des excuses et s’est engagé à ne pas traiter le prestataire de la même manière à l’avenir. Bien qu’il ne s’engage pas à ne plus jamais élever la voix, j’estime que les déclarations du DG selon lesquelles il est prêt à s’excuser ainsi que ses excuses et sa promesse de ne pas traiter le prestataire de la même manière à l’avenir satisfont à la demande d’excuses. Je comprends que le prestataire n’ait pas jugé la réponse satisfaisante, mais je ne suis pas d’accord avec le fait que des excuses écrites étaient nécessaires pour rendre l’acte plus crédible ou plus sincère. Bien que l’existence d’excuses ne soit pas déterminante pour décider s’il y a eu ou non harcèlement, j’estime qu’elles soutiennent les efforts déployés de bonne foi par l’employeur.

[95] Le prestataire a déclaré qu’il voulait des excuses écrites. J’estime que des excuses écrites ne sont pas plus sincères ou authentiques que des excuses verbales. Par conséquent, j’estime que l’observation du prestataire selon laquelle le DG ne s’était pas excusé auprès de lui parce qu’il ne s’était pas excusé de la manière souhaitée par le prestataire n’a que peu de poids pour établir si le prestataire a été victime de harcèlement au travail.

[96] Le prestataire a souvent fait référence au GDA comme étant la source de sa définition du harcèlement. Je tiens à noter que le GDA est un manuel d’interprétation qui a le droit d’être considéré et peut être un facteur important dans l’interprétation des lois, mais qu’il ne s’agit pas d’une loiNote de bas de page 38. J’ai examiné les passages du GDA qui portent sur cette affaire, mais j’estime que le document n’est pas une déclaration de la loi, mais une interprétation élaborée par une organisation.

[97] De même, bien que l’employeur dispose d’un manuel et d’une politique internes qui, selon le prestataire, ont été enfreints, je dois me concentrer sur la question de savoir si le prestataire a fait l’objet de harcèlement au travail et, si tel est le cas, s’il a prouvé qu’il avait été fondé à quitter son emploi en raison de ce harcèlement. Dans des situations de harcèlement, une personne est généralement entièrement fondée à prendre un congé ou à quitter son emploi si c’est sa seule solution raisonnable.

[98] J’estime que le prestataire n’a pas réussi à prouver qu’il a été victime de harcèlement au travail. Le seul incident au cours duquel le DG a crié et frappé ses poings sur la table, et a exprimé sa colère et sa frustration directement au prestataire, ne répond pas à la norme en matière de harcèlement. Bien que le harcèlement puisse se manifester par un seul incident, j’estime que cet incident est insuffisant pour satisfaire à la norme. La relation du prestataire avec le DG a commencé à se détériorer en janvier 2018, lorsque le DG a exprimé son mécontentement quant au rendement professionnel du prestataire. En février 2018, la situation s’est encore plus détériorée lorsque le DG a crié après le prestataire lors d’une réunion organisée par ce dernier et à laquelle ont participé d’autres membres du personnel que le prestataire avait invités. Bien que le prestataire semble avoir été gêné par cette situation. J’estime que le DG ne savait pas et n’aurait pas dû savoir que le prestataire se sentirait humilié, blessé ou gêné par cette situation. Selon lui, il exprimait ses préoccupations quant au rendement du prestataire en ce qui concerne un projet précis, bien qu’il admette maintenant qu’il aurait pu réagir différemment.

[99] Le prestataire affirme que le DG a enfreint la politique de l’employeur parce qu’il n’a pas ordonné d’enquête sur sa plainte pour harcèlement. J’estime que l’employeur n’a pas reconnu la lettre du 26 février 2018 du prestataire comme étant une plainte pour harcèlement. Bien que la lettre demande qu’une enquête soit menée sous les auspices de la politique de dénonciation, le DG était l’enquêteur de fait et également le destinataire de la lettre. Il a affirmé avoir parlé au prestataire, lui avoir ordonné de prendre des vacances et avoir eu de multiples conversations pour soutenir le retour au travail du prestataire, mais ne pas avoir mené d’enquête parce qu’il ne pensait pas que l’interaction du 23 février 2018 constituait du harcèlement. Je ne suis pas saisie de la question de savoir si l’employeur a enfreint sa propre politique et cela n’est pas déterminant dans la présente affaire. Toutefois, je tiens à souligner que je suis d’accord pour dire que le seul incident en cause ne constituait pas du harcèlement. Il n’y a aucune preuve à l’appui du fait que le DG ait rabaissé ou intimidé le prestataire, ou qu’il y ait eu de l’agressivité ou un conflit personnel croissant. Le prestataire a travaillé pour le DG pendant plus de cinq ans sans aucun problème. Le prestataire avait la solution raisonnable de conserver son emploi et de se rendre sur le lieu de travail au lieu d’exiger de travailler uniquement de la maison. Bien qu’il n’ait pas accepté les excuses du DG, il avait la possibilité de retourner au travail et de vérifier si les choses allaient mieux et si la relation s’améliorait, mais il a décidé de ne pas faire cela.

[100] Compte tenu des principes clés énoncés par la division d’appel,Note de bas de page 39 je conclus que le prestataire n’a pas été victime de harcèlement au sens de l’article 29(c)(i) de la Loi sur l’assurance-emploi. J’estime que l’incident isolé du 23 février 2018 n’était pas suffisant pour être qualifié de harcèlement. J’estime que le DG était en colère parce qu’il avait l’impression que le prestataire n’accomplissait pas les tâches relevant de ses fonctions de manière satisfaisante. Il était particulièrement mécontent parce qu’il avait abordé une question semblable avec le prestataire dans le cadre d’un projet précédent. Le DG a admis qu’il était en colère, qu’il avait perdu son sang-froid et qu’il n’aurait pas dû agir comme il l’a fait. J’estime qu’il est plus probable qu’improbable que le DG, étant le harceleur présumé, ne pouvait raisonnablement pas savoir que son comportement allait offenser, embarrasser, humilier ou causer d’autres blessures psychologiques ou physiques au prestataire parce que ses actions étaient liées au rendement du prestataire. Bien que ses commentaires aient pu avoir été dits sur un ton sévère, il ne s’agissait pas d’attaques personnelles, mais d’expressions de frustration liées à l’impression que le prestataire ne faisait pas tous les aspects de son travail.

[101] Le prestataire s’est concentré sur la forme et le contenu des excuses du DG. À la fin de l’audience, il a déclaré que le DG avait dit être désolé de leur désaccord, mais qu’il ne regrettait pas ses actions. Il a ajouté : [traduction] « quand je lui ai demandé de préciser ce qu’il regrettait […] tout le monde sait ce que sont des excuses ». Il a ajouté que le DG [traduction] « a minimisé ce qu’il avait fait » et [traduction] « n’a jamais reconnu l’ampleur […] de la violence et de l’intimidation ».

[102] Le DG reconnaît qu’il n’aurait pas dû crier après le prestataire et taper du poing sur la table lors de la réunion du 23 février 2018. Il soutient toutefois que la question portait sur le rendement et l’accomplissement d’une tâche dans un délai précis. La preuve montre que le DG et le prestataire ont travaillé ensemble pendant plus de cinq ans sans incident et qu’il n’y avait aucun antécédent de harcèlement.

[103] Le prestataire a déclaré qu’il avait essayé de se réconcilier avec le DG, comme en témoigne l’appel du 23 mars 2018, mais [traduction] « il est clair que cela ne fonctionne pas et qu’il n’y a pas d’admission de sa part ». J’ai déjà conclu que le DG s’était excusé auprès du prestataire. Le DG n’a pas admis avoir commis des actes de harcèlement et a clairement indiqué qu’il ne pensait pas qu’il y avait eu harcèlement. Le prestataire a également déclaré que puisque le DG avait refusé de présenter des excuses écrites, il [traduction] « n’acceptait pas ce qu’il avait fait ». 

[104] Le prestataire a déclaré que dans l’enregistrement de l’appel téléphonique du 23 mars 2018 entre lui-même et le DG, il n’a [traduction] « jamais été autorisé à finir » et a déclaré que la voix du DG [traduction] « est dominante et agressive et ne me laisse pas lui expliquer les choses et il n’écoute pas les faits de l’affaire ». J’ai écouté l’enregistrement et, objectivement, je ne suis pas d’accord avec l’observation du prestataire.

[105] J’estime que l’enregistrement est une conversation entre deux parties qui ne sont pas d’accord sur une situation, mais aucune des parties n’est agressive, et le DG ne coupe pas souvent la parole au prestataire.

[106] Compte tenu du fait que le prestataire n’a pas subi de harcèlement de nature sexuelle ou autre, il n’était pas fondé à quitter son emploi pour ce motif.

Le prestataire a-t-il eu des relations conflictuelles avec un superviseur si la cause ne lui était pas essentiellement imputable?

[107] Une partie prestataire peut être fondée à quitter son emploi si elle a eu des relations conflictuelles avec un supérieur dont elle n’était pas la principale responsableNote de bas de page 40. De plus, un conflit de personnalités est une forme d’hostilité ou d’attitude qui, dans la plupart des cas, ne peut être détectée ou déterminée d’après ce qui s’est produit au cours d’un incident ou d’une querelle. Lorsqu’il y a conflit de personnalités, il y a de plus fortes chances que se manifeste au bout d’un certain temps un type de comportement révélateur de relations conflictuellesNote de bas de page 41.

[108] À l’audience, le prestataire a fait valoir qu’il ressort clairement du dossier et des témoignages présentés à l’audience, ainsi que des audiences précédentes, qu’il n’a fait preuve d’aucune hostilité à l’égard du DG.

[109] Le prestataire a indiqué à la Commission que son cas était semblable à une affaire précédente du TribunalNote de bas de page 42, dans laquelle l’employé avait été jugé non responsable de la cessation de son emploi en raison de relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un superviseur. Il a soutenu que, dans cette affaire, l’événement qui a mené à la fin de l’emploi était une seule réunion au cours de laquelle la prestataire avait été attaquée verbalement et qu’elle n’avait pas été avertie au préalable que la réunion serait utilisée à cette fin. L’employée n’a pas repris son travail et l’employeur a considéré qu’elle avait abandonné son emploi. Le Tribunal a estimé que l’employée avait été fondée à quitter son emploi compte tenu des circonstances.

[110] Je ne suis pas liée par les décisions antérieures de ce Tribunal. Toutefois, elles peuvent avoir un effet persuasif sur ma décision. J’estime que l’affaire évoquée par le prestataire se distingue de sa situation. L’affaire concerne une personne qui a quitté son emploi pour cause de maladie, ce qui n’est pas la situation du prestataire. De plus, le prestataire a lui-même organisé la réunion du 23 février 2018; il ne s’agit donc pas d’une situation où l’employeur a organisé une réunion dans l’intention d’attaquer verbalement le prestataire.  

[111] Le prestataire a travaillé pour l’employeur pendant plus de 5 ans sans qu’il y ait eu de relations conflictuelles entre eux. Le prestataire a déclaré que son premier problème avec l’employeur a commencé en janvier 2018, lorsqu’il s’est inquiété de la manière dont le DG lui avait écrit dans un courriel. Il ne semble pas y avoir d’autre problème avant le 23 février 2018, date à laquelle le DG a crié après le prestataire lors d’une réunion et a frappé ses poings sur une table. Le DG a déclaré qu’il avait des problèmes avec le rendement du prestataire, ce qui lui a fait perdre son sang-froid lors de la réunion du 23 février 2018.

[112] J’estime que le rendement du prestataire est le problème qui a causé l’incident isolé du 23 février 2018 décrit ci-dessus. Bien que le prestataire ait contesté le fait que son rendement était insuffisant, le DG a déclaré à de nombreuses reprises que c’était la cause de sa colère et de ses cris lors de la réunion du 23 février 2018. Puisque le DG et le prestataire expriment tous deux leur opinion, j’estime que l’opinion du DG sur les raisons de sa colère est plus crédible que celle du prestataire, car le DG sait de première main pourquoi il s’est emporté le 23 février 2018. J’estime que le DG n’a pas d’antécédents d’impolitesse ou de manque de respect envers le prestataire, et que l’incident en question était un cas unique.

[113] Il n’y a aucun modèle de comportement présent qui pourrait suggérer l’existence de relations conflictuelles entre le prestataire et son employeur, ou que la réunion du 23 février 2018 était conflictuelle. J’estime qu’il est plus probable qu’improbable que le DG ait exprimé son mécontentement à l’égard du travail du prestataire d’une manière brutale qui, comme on l’a vu plus haut, ne satisfait pas aux critères relatifs aux relations conflictuelles. Il ne s’agit pas de savoir si le travail du prestataire présentait réellement des lacunes, mais plutôt de décider si le prestataire a eu des relations conflictuelles avec DG lors de la réunion du 23 février 2018. Cette conclusion signifie également que je n’ai pas à évaluer si le prestataire était la cause des relations conflictuelles, car je conclus que celles-ci n’existaient pas.  

[114] Étant donné que le prestataire n’avait pas de relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur, il n’était pas fondé à quitter son emploi pour ce motif.

L’employeur a-t-il eu des pratiques contraires à la loi?

[115] Une partie prestataire peut être fondée à quitter son emploi si l’employeur a eu recours à des pratiques contraires au droitNote de bas de page 43

[116] Cet article de la Loi sur l’assurance-emploi porte sur les cas où l’employeur exige du prestataire qu’il accomplisse des actes illégaux ou contraires à l’éthique des affaires.

[117] À l’audience, le prestataire a fait valoir que l’employeur avait enfreint ses propres politiques. Il a notamment déclaré que l’employeur était tenu d’enquêter sur sa plainte pour harcèlement, ce qu’il n’a pas faitNote de bas de page 44. Il a ajouté que les politiques relatives au harcèlement et aux dénonciateurs étaient peut-être des politiques de l’employeur, mais qu’elles découlaient de la législation provinciale sur la santé et la sécurité au travail (SST), ce qui, selon lui, soutient sa position selon laquelle l’employeur a enfreint la politique sur la SST.

[118] Le prestataire s’est référé à la législation provinciale en matière de SST pour étayer ses arguments. Bien que je n’aie pas compétence pour appliquer la législation provinciale en matière de SST, je tiens à souligner que le service de SST de l’Alberta a rencontré le DG de l’employeur le 24 janvier 2019, près d’un an après que le prestataire a quitté son emploi, pour discuter des plans, des politiques et des procédures en matière de violence au travail, des plans, des politiques et des procédures en matière de harcèlement au travail, des programmes de sécurité, d’un plan d’intervention d’urgence et des évaluations des risques sur le lieu de travailNote de bas de page 45. Le résultat a été une ordonnance en matière de SST qui a enjoint à l’employeur d’établir une politique et une procédure de prévention de la violence conformes à la législation provinciale, à suivre quand ou si un cas de harcèlement est constaté. Bien que l’employeur ait été jugé non conforme à certains aspects de la législation en matière de SST un an après le départ du prestataire, j’estime que cela ne prouve pas que l’employeur attendait du prestataire qu’il accomplisse des actes illégaux ou contraires à l’éthique des affaires.

[119] Le prestataire a également déclaré que son employeur avait secrètement enregistré leur appel téléphonique le 23 mars 2018. Il affirme qu’il s’agit d’une violation de la vie privée, car il ne savait pas que la conversation avait été enregistrée. J’estime que cette question n’est pas pertinente en ce qui concerne le départ du prestataire, car l’enregistrement a été réalisé dans le contexte de conversations sur l’éventuel retour au travail du prestataire, à un moment où il avait déjà décidé de travailler de la maison. Sa décision de travailler de la maison et de quitter volontairement son emploi ne pouvait pas être liée à la décision de l’employeur d’enregistrer une conversation qui s’est produite après qu’il ait commencé à travailler de chez lui.

[120] Le prestataire a également fait valoir qu’il a été encouragé à [traduction] « utiliser un langage empreint de coercition » pour inciter les clients à prendre des décisions favorables à l’employeur. Il a fait état d’un échange de courriels entre lui et un contact de son employeur. Le prestataire a affirmé que le contact, le directeur des opérations d’une autre entité, lui avait envoyé un courriel dans lequel elle [traduction] « parlait essentiellement de la demande de contournement des processus ». J’ai examiné le courriel, et le contact indique qu’elle pourrait ne pas être en mesure d’aider dans un projet en cours et ajoute que son [traduction] « travail consistait à faire en sorte que [le DG] suive les processus de développement ☺Note de bas de page 46».

[121] Je ne suis pas d’accord avec la caractérisation de ce courriel faite par le prestataire. Bien que le demandeur affirme qu’il s’agit d’une preuve à l’appui du fait que le DG a essayé d’éviter les processus ou les lois pour mener à bien des projets, le courriel ne fait que mentionner le rôle du contact dans les processus de développement. Déclarer qu’elle a travaillé avec le DG pour assurer la conformité ne signifie pas que le DG essayait d’enfreindre la loi. De plus, le ton du courriel est léger et amical, et le contact a ajouté un bonhomme sourire après le commentaire portant sur le fait de suivre les processus, ce qui laisse entendre qu’elle était soit enjouée ou ironique. J’estime que la preuve n’appuie pas le fait que l’employeur s’attendait à ce que le prestataire commette des actes illégaux ou contraires à l’éthique des affaires.

[122] J’estime que le prestataire n’a pas réussi à prouver que, selon la prépondérance des probabilités, il a quitté son emploi en raison de pratiques contraires à la loi menées par l’employeur, car la preuve ne permet pas de conclure que l’employeur se livrait à des pratiques illégales.

[123] Comme je m’appuie sur le contenu de l’enregistrement audio, je vais traiter des observations du prestataire concernant sa légalité. Le prestataire fait valoir que l’enregistrement constituait une collecte déraisonnable d’informations personnelles en violation de la législation relative à la protection de la vie privée, mais ne fait référence qu’à la Loi sur la protection des renseignements personnels et ne précise pas quelle loi il invoque. Je suppose qu’il fait référence au paragraphe 11(1) du chapitre P-6.5 de la loi de l’Alberta, qui prévoit qu’une organisation ne peut recueillir des renseignements personnels qu’à des fins raisonnables. La question de savoir si la collecte d’informations effectuée par le DG était raisonnable ou non ne relève pas de ma compétence. Toutefois, je note que l’enregistrement n’était pas illégal. Le Code criminel du CanadaNote de bas de page 47 interdit généralement l’enregistrement des communications privées, mais il existe une exception lorsque l’une des parties à la communication consent à son enregistrement. Par conséquent, comme le DG était partie prenante à l’appel téléphonique du 23 mars 2018, il était autorisé à enregistrer l’appel sans en aviser l’autre partie.

[124] Étant donné que l’employeur ne se livrait pas à des pratiques contraires à la loi, le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi pour ce motif.

Le prestataire a-t-il subi des pressions indues de la part de son employeur pour qu’il quitte son emploi?

[125] Une partie prestataire peut être fondée à quitter son emploi si elle a subi des pressions indues de la part de l’employeur pour qu’elle quitte son emploiNote de bas de page 48.

[126] Le prestataire a fait valoir qu’il a connu trois incidents de pression indue de la part de l’employeur pour qu’il quitte son emploi. Il a déclaré que le premier incident était celui de la réunion du 23 février 2018, lorsque le DG a crié après lui. Il a fait référence au GDA et a déclaré que le DG rendait l’atmosphère de travail intolérable. J’estime qu’il ne s’agissait pas d’une pression indue exercée par l’employeur sur le prestataire pour qu’il quitte son emploi, car le DG de l’employeur exprimait sa frustration quant au rendement du prestataire lors d’une réunion d’affaires. Bien que la réunion ait été tendue et que le DG ait été en colère et admette avoir perdu son sang-froid, j’estime que le but de sa frustration n’était pas de faire démissionner le prestataire, mais plutôt de lui faire accomplir des tâches d’une certaine manière. Cela est corroboré par les efforts déployés par le DG afin que le prestataire retourne au travail après l’incident du 23 février 2018.

[127] Le demandeur a déclaré que le deuxième incident de pression indue s’est produit lorsque le DG l’a forcé à prendre des vacances. Il a soutenu que cette mesure était peut-être également illégale, mais il a estimé qu’elle entrait dans la catégorie des pressions indues, car le DG a crié après lui pour ne pas avoir fait avancer un dossier, puis lui a ordonné de prendre 16 jours de congé, ce qui garantirait que le projet ne progresse pas.

[128] Dans un courriel daté du 18 mars 2018, ce qui semble être une erreur puisque le courriel devrait indiquer le 4 mars 2018, le DG ordonne au prestataire de prendre ses vacances reportées de 2017 et de lui faire part de tout ce qui pourrait nécessiter une attention particulière en son absenceNote de bas de page 49.

[129] Le DG a déclaré qu’il avait ordonné au prestataire de prendre ses vacances non utilisées en 2017 parce qu’elles étaient reportées en 2018 et que l’entreprise ne permettait généralement pas cette pratique et souhaitait que les vacances soient utilisées avant le premier trimestre de la nouvelle année. Le DG a déclaré que la directive d’utiliser ses vacances restantes n’était pas liée à l’incident du 23 février 2018Note de bas de page 50. J’estime que l’employeur n’a pas exercé de pression indue sur le prestataire pour qu’il quitte son emploi en lui ordonnant de prendre des vacances. J’estime qu’il est de pratique courante pour les entreprises de limiter le report des vacances, et la preuve montre que l’employeur voulait que le prestataire utilise ses 16 jours de vacances supplémentaires.

[130] Le prestataire a déclaré à l’audience qu’il avait été forcé à prendre des vacances. Bien qu’aucune partie n’ait fourni de disposition législative pour soutenir la question de savoir si un employeur qui dicte quand un employé peut prendre des vacances est autorisé, je note qu’en général, les employeurs sont autorisés à décider quand les employés peuvent prendre des vacances. Parfois, cette capacité est soumise à certaines conditions, telles qu’un préavis minimum. Puisqu’on n’a fait aucune référence à des dispositions législatives précises sur ce point et puisque cela ne relève pas de la législation que j’ai le pouvoir d’examiner, je ne me prononce pas sur la question de savoir si l’employeur était ou non autorisé à ordonner au prestataire de prendre ses vacances. En outre, même si je tire une conclusion sur ce point, je ne pense pas que ce serait une conclusion pertinente pour la question en litige. Le prestataire a déclaré dans la lettre du 27 mars 2018 que les vacances [traduction] « ont servi de pause bien appréciée ». Cela laisse entendre que le fait qu’on lui ait dit de prendre ses vacances n’est pas un facteur qui a eu une incidence sur le départ du prestataire de son emploi.

[131] Le prestataire a déclaré que le troisième incident était lié à son système de gestion des mots de passe en ligne Last Pass. Il a déclaré qu’il n’avait pas pu avoir accès à son compte Last Pass lorsqu’il est revenu de ses 16 jours de vacances en mars 2018, compte qui contenait les mots de passe dont il avait besoin pour travailler. Le prestataire a envoyé ses mots de passe par courriel à l’employeur le 5 mars 2018, et le 28 mars 2018, il a envoyé un courriel pour dire qu’il ne pouvait pas accéder à Last Pass et qu’il semblait que le mot de passe pour accéder à ce site avait été changé 28 minutes après qu’il ait envoyé l’information à l’employeur. Le prestataire a été alerté de ce changement, car le programme lui a envoyé un avis de modification par courrielNote de bas de page 51. Il a fait valoir que cela prouvait que l’employeur avait l’intention de le congédier et que cela constituait un obstacle flagrant à sa capacité de remplir ses fonctions.

[132] J’estime que le fait que l’employeur ait changé le mot de passe du système Last Pass et n’ait pas renvoyé le mot de passe au prestataire ne prouve pas qu’il a exercé des pressions indues sur le prestataire pour qu’il quitte son emploi. Le prestataire s’est absenté du travail pendant 16 jours et s’est entretenu de son retour avec le DG. Les discussions, d’après tous les éléments de preuve au dossier, ne semblent pas s’être particulièrement bien déroulées ni avoir abouti à un accord. Le prestataire a dit au DG qu’il ne se présenterait pas au travail si le DG était présent, et le DG a dit au prestataire qu’il considérerait alors que le prestataire a abandonné son travail. Le prestataire a accepté de se rendre au travail un seul jour, alors que le DG n’était pas présent, et a ensuite refusé de se rendre sur le lieu de travail. Il n’est pas déraisonnable de la part de l’employeur de ne pas fournir ses mots de passe alors que le prestataire avait exprimé son intention de potentiellement abandonner son emploi. De plus, puisque le prestataire n’est retourné au travail que pendant une journée, il n’est pas déraisonnable que l’employeur n’ait pas pris le temps de lui envoyer le mot de passe mis à jour, même s’il prévoyait de le faire, puisqu’il n’a été présent que pendant une journée de travail.

[133] J’estime que le prestataire n’a pas subi de pressions indues de la part de l’employeur pour qu’il quitte son emploi, car les exemples individuels fournis par le prestataire ne démontrent pas que l’employeur a exercé des pressions sur le prestataire pour qu’il quitte son emploi.

[134] Étant donné que le prestataire n’a pas subi de pressions indues de la part de l’employeur pour quitter son emploi, il n’était pas fondé à quitter son emploi pour ce motif.

Toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement

[135] On entend par « toute autre circonstance raisonnable prévue » une circonstance énumérée dont il faut tenir compte pour décider si une partie prestataire était fondée à quitter son emploiNote de bas de page 52. Cela fait expressément référence aux circonstances énumérées dans le Règlement sur l’assurance-emploi, qui énonce d’autres circonstances raisonnables, notamment celles selon lesquelles le prestataire est dans l’obligation d’accompagner vers un autre lieu de résidence une personne avec qui il vit dans une relation conjugale depuis moins d’un an, dans l’un ou l’autre des cas suivants : (i) l’un d’eux a eu ou a adopté un enfant pendant cette période (ii) l’un d’eux est dans l’attente de la naissance d’un enfant, (iii) un enfant a été placé chez l’un d’eux pendant cette période en vue de son adoption; b) le prestataire est dans l’obligation de prendre soin d’un proche parentNote de bas de page 53.

[136] Ces circonstances n’étant pas liées à la situation du prestataire, j’estime que le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi en raison d’autres circonstances raisonnables prévues.

[137] Cependant, j’ai estimé que le prestataire avait probablement l’intention de déclarer qu’il avait d’autres facteurs qui, selon lui, faisaient en sorte qu’il avait été fondé à quitter son emploi, et que ces facteurs ne relevaient pas des exceptions précises prévues par la Loi sur l’assurance-emploi.

[138] Le prestataire a déclaré que l’employeur ne savait pas s’il travaillait ou non lorsqu’il a dit qu’il travaillait de la maison. J’estime que le fait que le prestataire était ou non capable de travailler de la maison, ou qu’il travaillait effectivement de chez lui, n’est pas pertinent pour l’issue de la présente décision. La raison est que le refus de l’employeur d’accepter la demande du prestataire de travailler de chez lui n’est pas la question dont je suis saisie. La question dont je suis saisie est celle de savoir si le prestataire était fondé à quitter son emploi. Bien que le prestataire conteste avoir quitté volontairement son emploi, j’ai déjà décidé qu’il l’avait quitté volontairement parce qu’il avait fait le choix de partir lorsqu’il ne s’est pas rendu au travail alors qu’il savait que l’on considérerait qu’il avait abandonné son emploi s’il agissait ainsi.

Autres solutions raisonnables

[139] Une partie prestataire est seulement fondée à quitter son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, elle n’avait pas d’autre choix raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’elle l’a fait. 

[140] Compte tenu de toutes les circonstances mentionnées ci-dessus, j’estime que le prestataire avait d’autres solutions raisonnables plutôt que de quitter son emploi. Le prestataire aurait pu accepter les excuses du DG pour sa conduite lors de la réunion du 23 février 2018 et l’accord de ce dernier pour la tenue de réunions hebdomadaires, et il aurait pu retourner au travail. Il aurait pu chercher un nouvel emploi avant de quitter son travail. Il aurait également pu voir un médecin après la réunion du 23 février 2018 et demander un congé médical s’il sentait que le traitement qu’il recevait au travail était trop accablant pour lui. Il aurait également pu demander un congé à l’employeur au lieu d’exiger unilatéralement de travailler de la maison. Toutes ces solutions sont d’autres solutions raisonnables que plutôt que de quitter son emploi. Le prestataire n’a rien fait de tout cela.

[141] J’estime que le prestataire avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi au moment où il l’a fait. Au moment où il a quitté son emploi, j’estime qu’il n’était pas fondé le faire en raison de l’une des circonstances énuméréesNote de bas de page 54 ou d’autres circonstances et, compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, il n’était pas fondé à quitter son emploi parce qu’il existait des solutions raisonnables à son départ

Conclusion

[142] L’appel est rejeté. Je conclus que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations régulières d’AE. Il a quitté volontairement son emploi et n’a pas prouvé qu’il avait été fondé à le faire parce qu’il avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi au moment où il l’a fait.

Date de l’audience :

Le 18 juin 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

J. A., appelant

Commission de l’assurance-emploi du Canada, intimée

X, mise en cause

Grant Stapon, représentant de la mise en cause

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