Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : RR c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2020 TSS 864

Numéro de dossier du Tribunal: GE-20-1415

ENTRE :

R. R.

Appelante

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de l’assurance-emploi


DÉCISION RENDUE PAR : Angela Ryan Bourgeois
DATE DE L’AUDIENCE : Le 19 août 2020
DATE DE DÉPÔT DU DERNIER
DOCUMENT :
Le 26 août 2020
DATE DE LA DÉCISION : Le 3 septembre 2020

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. L’appelante (prestataire) n’est pas inadmissible aux prestations du 21 août 2019 au 9 septembre 2019Note de bas page 1.

Aperçu

[2] Lorsqu’une partie prestataire quitte un emploi sans justification trois semaines avant la date à laquelle l’emploi aurait pris fin, la partie prestataire n’est pas admissible aux prestations d’assurance‑emploi durant la période pendant laquelle elle aurait pu travaillerNote de bas page 2. Avoir une justification signifie qu’il n’existait aucune autre solution raisonnable que le départNote de bas page 3.

[3] La prestataire était chef cuisinière dans un camp d’été. Elle a quitté son emploi le 20 août, même si l’emploi devait prendre fin le 9 septembre de toute manière.

[4] La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a décidé qu’elle ne pouvait pas lui verser des prestations pour la période du 21 août au 9 septembre, car la prestataire a quitté son emploi sans justificationNote de bas page 4.

[5] La prestataire croit qu’elle avait une justification pour quitter son emploi, c’est pourquoi elle a fait appel de la décision de la Commission devant le Tribunal.

[6] Je dois décider si la prestataire avait une justification pour quitter son emploi.

Documents déposés après l’audience

[7] Les deux parties ont déposé des documents ou observations après l’audience. Je les ai admis en preuve. Afin de donner le temps aux parties de répondre aux nouveaux documents et aux nouvelles observations, j’ai attendu une semaine après le dépôt des derniers documents pour rendre ma décision.

Question en litige

[8] Pour décider si la prestataire avait une justification, je dois répondre aux questions suivantes :

  • Quelles sont les circonstances dans lesquelles la prestataire a quitté son emploi?
  • Existait-il des solutions raisonnables autres que le départ?

Analyse

La prestataire a quitté son emploi trois semaines avant la date de fin de l’emploi

[9] Tous conviennent que la prestataire a quitté son emploi trois semaines avant la date de fin de son emploi. Puisque je ne constate aucun élément de preuve montrant le contraire, j’accepte cela comme étant un fait.

Que dit la loi au sujet de la justification?

[10] La loi prévoit qu’une partie prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations si elle a quitté volontairement son emploi sans justification trois semaines avant la fin de son emploiNote de bas page 5. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que l’on était justifié à le faire. Une personne est fondée à quitter son emploi (c’est-à-dire qu’elle avait une justification) si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ était la seule solution raisonnable dans son casNote de bas page 6. C’est à la partie prestataire qu’il revient d’en faire la preuveNote de bas page 7.

[11] Pour prouver qu’elle était fondée à quitter son emploi, la prestataire doit démontrer qu’il est plus probable que le contraire que le départ était la seule solution raisonnable dans son cas au moment où elle a quitté son emploiNote de bas page 8.

[12] La prestataire fait valoir que s’il y a équilibre des preuves, je devrais lui accorder le bénéfice du doute. Elle se fonde sur l’article 49(2) de la Loi sur l’assurance‑emploi. Cependant, cette disposition s’applique uniquement à la Commission, pas au Tribunal. Pour qu’un élément soit prouvé devant le Tribunal, il faut que cet élément soit plus probable qu’improbable. Ainsi, s’il y a équilibre des preuves, c’est que la personne qui a le fardeau de la preuve ne s’en est pas acquittée.

[13] Je dois examiner toutes les circonstances qui existaient au moment où la prestataire a quitté son emploi. Certaines circonstances sont établies par la loiNote de bas page 9. Une fois que j’ai décidé quelle circonstance s’applique à la situation de la prestataire, elle doit démontrer que le départ était la seule solution raisonnable à ce moment-làNote de bas page 10.

Que se passait-il lorsqu’elle a quitté son emploi?

[14] La prestataire a mentionné plusieurs circonstances qui ont eu une incidence sur sa décision de quitter son emploi. L’une de ces circonstances était la relation difficile qu’elle avait avec une cuisinière subalterne, B. La Commission affirme que la prestataire a quitté son emploi en raison de BNote de bas page 11. J’estime que B a harcelé la prestataireNote de bas page 12. Je vais expliquer pourquoi ci‑dessous.

Qu’est-ce que le harcèlement?

[15] Le harcèlement n’est pas défini dans la Loi sur l’assurance‑emploi, et il n’a pas été interprété par les tribunaux. Je dois donc décider ce que cela signifie. Aucune partie n’a suggéré de définition. J’ai donc examiné ce que le Gouvernement du Canada dit à propos du harcèlement. Il dit qu’il s’agit d’un comportement inopportun envers une autre personne dont la personne savait ou aurait dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Cela comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d’intimidation ou de menace. Il peut aussi s’agir d’une série d’incidents ou être constitué d’un seul incident grave lorsqu’il a un impact durable sur la personneNote de bas page 13.

[16] J’ai aussi tenu compte de ce que la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a dit dans une décision récenteNote de bas page 14. Après avoir examiné deux définitions du harcèlement, la division d’appel a noté quelques principes clés. Je souligne ceux qui s’appliquent aux circonstances de la prestataire :

  • Les personnes qui pratiquent le harcèlement n’occupent pas nécessairement un poste de supervision ou de gestion.
  • Le harcèlement peut prendre plusieurs formes, notamment un acte, un comportement, un propos, de l’intimidation et une menace.
  • L’accent est mis sur la prétendue ou le prétendu responsable du harcèlement et sur le fait de savoir si cette personne savait ou aurait raisonnablement dû savoir que son comportement pourrait offenser, embarrasser ou humilier une autre personne.

B a harcelé la prestataire

[17] J’estime que la prestataire a été harcelée par B. Dès sa première journée de travail, B a refusé de coopérer avec la prestataire. Lorsque la prestataire lui a parlé au sujet du fait qu’elle n’aidait pas, qu’elle était en retard, qu’elle portait sa sortie de bain dans la cuisine du camp, et qu’elle prenait trop de journées de congé, B est devenue hostile envers la prestataire. Elle a menacé de quitter son emploi et a fait des allégations concernant la prestataire. B minait l’autorité de la prestataire en parlant à son sujet à d’autres membres du personnel. Elle a parlé de la prestataire lors d’une conversation au téléphone cellulaire dans la salle à manger de manière à ce que les personnes présentes, y compris la prestataire, puissent l’entendre. Elle disait que la prestataire rendait l’environnement de travail toxique et qu’elle prévoyait d'entamer une poursuite contre elle.

[18] Le témoignage de la prestataire au sujet du comportement de B envers elle est appuyé par de nombreux messages textes qu’elle a envoyés à son employeur afin de lui demander de l’aide avec B. Je reconnais que l’employeur a dit à la Commission qu’il ne savait pas qu’il y avait un conflit entre la prestataire et une collègueNote de bas page 15. Compte tenu des nombreux messages textes envoyés à son employeur concernant B, je considère que la déclaration de l’employeur à la Commission n’est pas fiable.

[19] J’estime que le comportement de B visait à rabaisser et à embarrasser la prestataire. J’estime que B aurait dû savoir que son mépris et son insubordination manifestes offenseraient et embarrasseraient la prestataire. Ses menaces de quitter son emploi et de poursuivre la prestataire faisaient en sorte qu’il était impossible pour la prestataire de continuer à la superviser. Elle craignait que B se venge de ses instructions en mettant sa menace à exécution.

La prestataire avait des douleurs à l’épaule

[20] J’estime que la prestataire avait des douleurs à l’épaule avant de quitter son emploi. La prestataire affirme avoir eu un important accès de douleur à l’épaule. Elle croit qu’il a été déclenché par les mouvements répétitifs de son bras et parce qu’elle dormait sur un matelas mince. Sa douleur nuisait à son sommeil. Elle a fourni des éléments de preuve qui démontrent qu’elle a cherché à obtenir un traitement médical pour sa douleur à l’épaule après avoir quitté son emploi.

[21] La preuve n’est pas claire quant à ce qu’elle a dit (si tel est le cas) à son employeur au sujet de sa douleur. Même si elle n’en a pas parlé à son employeur, j’estime tout de même qu’il est probable qu’elle avait de la douleur avant de quitter son emploi en raison de l’aide médicale qu’elle a demandée à ce sujet.

Existait-il d’autres solutions raisonnables que le départ?

[22] Non. J’estime que la prestataire a épuisé toutes les solutions raisonnables autres que le départ avant de quitter son emploi.

[23] La prestataire affirme qu’elle ne pouvait pas continuer à travailler puisque la situation a atteint un point culminant; elle devait partir.

[24] La Commission est en désaccord. Elle dit que la prestataire aurait pu attendre que B soit congédiée ou qu’elle quitte son emploi, ou qu’elle ait pu chercher à obtenir un traitement pour son épaule. Je ne suis pas d’accord.

[25] Premièrement, j’estime qu’il n’est pas raisonnable qu’une personne faisant l’objet de harcèlement demeure en poste dans l’espoir que la personne qui la harcèle soit congédiée ou quitte son emploi.

[26] Deuxièmement, je crois que la menace de quitter son emploi proférée par B aurait pu avoir pour but d’embarrasser ou d’humilier davantage la prestataire en essayant d’obliger l’employeur à choisir entre les deux.

[27] Finalement, je pense que l’employeur n’avait probablement pas l’intention réelle de congédier B. Je crois cela parce que B travaillait encore quand la prestataire a quitté son emploi, et l’employeur a dit qu’il ne savait pas qu’il existait un conflit entre B et la prestataireNote de bas page 16.

[28] Pour tenter de composer avec le harcèlement, la prestataire a essayé différents horaires de travail pour B et a demandé à l’employeur de lui parler. Cela n’a toutefois pas mis fin au harcèlement. Je ne vois pas ce qu’elle aurait pu faire d’autre pour améliorer la situation.

[29] De plus, je crois que la capacité de la prestataire à composer avec le harcèlement de B était réduite en raison de sa douleur physique et de son manque de sommeil.

[30] Compte tenu du harcèlement continu, de sa capacité réduite à composer avec le stress mental causé par le harcèlement et de ses tentatives pour améliorer la situation, je considère qu’elle a épuisé toutes les solutions raisonnables autres que le départ.

[31] Pour démontrer qu’elle était fondée à quitter son emploi, la prestataire n’a pas à prouver qu’elle a épuisé toutes les solutions possibles, pas plus qu’elle doit démontrer que ses conditions de travail étaient si intolérables qu’elle n’avait d’autre choix que de quitter son emploi immédiatementNote de bas page 17. Ce qu’elle doit démontrer, c’est que dans les circonstances qui prévalaient à ce moment-là, aucune autre solution raisonnable ne s’offrait à elle.

[32] Compte tenu de l’ensemble des circonstances, je considère que la prestataire n’avait pas d’autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi. Cela signifie qu’elle n’est pas inadmissible aux prestations parce qu’elle a quitté son emploi.

La prestataire dit qu’il existait d’autres circonstances pertinentes

[33] La prestataire a mentionné d’autres circonstances, notamment la difficulté de trouver un emploi alors qu’elle travaillait loin de la maison, ainsi que des problèmes d’installations et de paie. Après avoir tenu compte de l’ensemble des circonstances, j’estime que ma décision selon laquelle la prestataire était fondée à quitter son emploi ne serait pas affectée par ces éléments.

Plaintes au sujet de la commission

[34] La prestataire a soulevé quelques préoccupations concernant Service Canada et la Commission, que la Commission réfute. Je n’ai pas le pouvoir d’examiner les questions de cet ordre. Ma compétence se limite à la décision révisée par la Commission (c’est‑à‑dire si elle est inadmissible au bénéfice des prestations au titre de l’article 33 de la Loi sur l’assurance‑emploi)Note de bas page 18.

Conclusion

[35] Je conclus que la prestataire n’est pas inadmissible aux prestations d’assurance‑emploi pour la période du 21 août 2019 au 9 septembre 2019. Cela signifie que son appel est accueilli.

Date de l'audience :

Le 19 août 2020

Mode d'instruction :

Téléconférence

Comparutions :

R. R., appelante

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.