Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2020 TSS 1051

Numéro de dossier du Tribunal: GE-20-1913

ENTRE :

D. M.

Appelant

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale — Section de l’assurance-emploi


DÉCISION RENDUE PAR : Teresa M. Day
DATE DE L’AUDIENCE : Le 30 septembre 2020
DATE DE LA DÉCISION : Le 30 septembre 2020

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] La Commission n’a pas prouvé que, selon la prépondérance des probabilités, la cessation d’emploi de l’appelant chez Sterling Crane était attribuable à son inconduite.

Aperçu

[3] L’appelant a travaillé chez Sterling Crane pendant environ deux semaines avant d’être congédié parce qu’il ne s’était pas présenté au travail. Il a demandé des prestations d’assurance-emploi (prestations d’AE) et l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a enquêté sur la raison de sa cessation d’emploi. L’employeur a affirmé que l’appelant avait reçu un avertissement écrit à cause de ses retards et de son manque d’assiduité et qu’il savait que s’il arrivait en retard ou manquait un autre quart de travail, il serait congédié. L’appelant a affirmé avoir été en retard au travail parce qu’il avait pris un médicament contre le rhume qui l’avait fait dormir et manquer les sonneries de son réveil et qu’il avait attrapé un rhume parce que l’employeur n’assurait pas le chauffage dans la cabine de la grue qu’il conduisait. La Commission a décidé que l’appelant avait perdu son emploi en raison de son inconduite et a imposé une exclusion à l’égard de sa demande de prestations d’AE

[4] L’appelant a demandé à la Commission de réviser sa décision, soutenant que la maladie ayant causé son retard et son absence était attribuable au défaut de l’employeur de chauffer la grue dans des conditions hivernales. La Commission a maintenu l’exclusion à l’égard de la demande de l’appelant, et celui-ci a interjeté appel au Tribunal de la sécurité sociale du Canada.

[5] Le 15 juin 2020, le Tribunal a rejeté son appel. L’appelant a porté cette décision en appel devant la division d’appel du Tribunal, faisant valoir que le Tribunal avait commis une erreur de droit en ignorant le rôle de l’employeur dans sa cessation d’emploi. Le 9 septembre 2020, la division d’appel a accueilli l’appel et a renvoyé l’affaire à la division générale aux fins de réexamen. 

[6] Je dois décider si l’appelant a perdu son emploi chez Sterling Crane en raison d’un comportement qui constitue une inconduite pour l’application de l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE). Si tel est le cas, il est exclu du bénéfice des prestations d’AE.   

[7] La Commission affirme que l’absence de l’appelant du travail après réception d’un avertissement écrit pour ses retards et son absentéisme était un geste délibéré ou insouciant ayant entraîné la perte de son emploi. Elle fait également valoir que la grue non chauffée ne dégageait pas l’appelant de sa responsabilité de se présenter au travail à l’heure ou de prévenir son employeur de son absence. L’appelant n’est pas d’accord pour dire que son geste était délibéré ou insouciant. Il soutient que le manquement de l’employeur aux exigences provinciales relatives à la santé et à la sécurité au travail a fait qu’il est tombé malade, et que c’est pour cette raison qu’il est arrivé en retard au travail.    

[8] J’estime que les retards de l’appelant et son absence du travail le 6 avril 2018, après réception de l’avertissement écrit, n’étaient pas une conduite délibérée ou d’une insouciance frôlant le caractère délibéré. Ainsi, son comportement ne constitue pas une inconduite au titre de l’article 30 de la Loi sur l’AE.

[9] En conséquence, l’appelant n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’AE

Question en litige

[10] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations d’AE parce qu’il a perdu son emploi en raison d’un comportement constituant une inconduite au titre de l’article 30 de la Loi sur l’AE?

Analyse

[11] L’article 30 de la Loi sur l’AE prévoit qu’une partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’AE si elle perd son emploi en raison de son inconduite. 

[12] Il incombe à la Commission de prouver que, selon la prépondérance des probabilités, l’appelant a perdu son emploi chez Sterling Crane en raison de son inconduite (Larivee, A-473-06; Falardeau, A-396-85).

[13] Le terme « inconduite » n’est pas défini dans la Loi sur l’AE. Son sens pour l’application de la Loi sur l’AE a plutôt été établi par les décisions des tribunaux et des entités administratives qui ont examiné l’article 30 de la Loi sur l’AE et qui ont énoncé des lignes directrices, qu’il faut suivre selon les circonstances de chaque affaire.

[14] Afin de prouver que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduite au sens de l’article 30 de la Loi sur l’AE, il doit être démontré qu’il a été congédié parce qu’il s’est comporté autrement que ce qu’il aurait dû faire et qu’il l’a fait de façon intentionnelle, délibérée ou si insouciante qu’elle frôlait le caractère délibéré (Eden, A-402-96). Pour qu’un geste soit qualifié d’inconduite, il doit également être démontré que l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, par conséquent, le congédiement était une réelle possibilité (Lassonde, A-213-09; Mishibinijima, A-85-06; Hastings, A-592-06, Lock, 2003 CAF 262).

[15] La Cour fédérale a affirmé que, dans certaines circonstances, je dois aussi analyser la conduite de l’employeur avant l’« inconduite » présumée, afin d’apprécier correctement si la conduite de l’employé était intentionnelle ou non [Astolfi c Canada (PG), 2020 CF 30].

[16] L’analyse principale est cependant énoncée par la Cour d’appel fédérale : je dois établir la véritable cause de la cessation de l’emploi de l’appelant et décider si elle représente une inconduite au titre de l’article 30 de la Loi sur l’AE (Macdonald, A-152-96).

Question en litige no 1 : Quel est le comportement ayant mené à la cessation d’emploi de l’appelant?

[17] La première étape de l’analyse consiste à établir le motif de la cessation d’emploi de l’appelant chez Sterling Crane. 

[18] L’employeur a déclaré ce qui suit à la Commission :

  • L’appelant a été congédié parce qu’il était constamment en retard au travail et ensuite s’est absenté du travail les 6 et 7 avril 2018 sans communiquer avec l’employeur.
  • Il avait déjà reçu des avertissements verbaux et un avertissement écrit qu’il a signé.
  • L’avertissement écrit a été émis le 29 mars 2018 pour [traduction] « assiduité ». Il est rédigé ainsi : 

    [traduction]
    La présente est un avertissement écrit qui vous est remis en raison de votre manque d’assiduité et de votre avis d’absence tardif le 28 mars.

    Vous n’aurez pas d’autre avertissement. Si vous vous présentez en retard ou manquez un autre quart de travail, vous serez congédié. (GD3-16)

[19] L’appelant a déclaré ce qui suit à la Commission :

  • Il a commencé à assurer le quart de nuit et trouvait [traduction] « extrêmement difficile » d’effectuer la transition vers les nuits. À son deuxième ou troisième quart, il s’est réveillé trop tard.
  • La grue qu’il conduisait n’était pas chauffée, et rester dans une cabine froide 10 heures par nuit au mois de mars a fini par l’affecter et il a contracté une grippe.
  • Il a abordé le manque de chaleur avec son superviseur à plusieurs reprises. Il a dit à l’employeur que le chauffage de la grue ne fonctionnait pas. Ils lui ont dit de mettre une toile par-dessus la cabine et de réchauffer le moteur, mais n’ont pris aucune autre mesure.
  • D’après le syndicat, l’employeur était tenu de chauffer sa grue.
  • Puis, une semaine plus tard environ, il s’est de nouveau réveillé trop tard – cette fois parce qu’il était malade.
  • Il était incapable de s’endormir et avait pris du Nyquil pour traiter son mauvais rhume de cerveau. Cela l’a rendu si somnolent qu’il n’a même pas entendu les sonneries de son réveil.
  • Il avait pris la précaution de régler plusieurs sonneries. Mais après avoir été incapable de dormir toute la nuit, il était épuisé et ne s’est pas réveillé avec les sonneries. 
  • Il a appelé son superviseur et a dit qu’il arriverait avec environ 90 minutes de retard, mais on lui a dit de ne pas se présenter.
  • Il s’est absenté le jour suivant également en raison de sa maladie.

[20] L’appelant a fourni à la Commission un reçu pour les médicaments contre le rhume qu’il a achetés le 2 avril 2018 (GD3-23). 

[21] J’estime que l’appelant a été congédié de son emploi chez Sterling Crane parce qu’il s’est absenté du travail le 6 avril 2018. L’employeur a catégoriquement cité l’absence pour justifier le congédiement, et l’appelant ne conteste pas l’incident ni le fait que cela a entraîné son congédiement. Il admet avoir trop dormi et avoir été absent du travail, mais affirme qu’il s’agissait d’un geste non délibéré qui était attribuable au défaut de l’employeur de chauffer la grue.

Question en litige no 2 : Ce comportement constitue-t-il une « inconduite » au titre de la Loi sur l’AE?

[22] Je dois ensuite décider si le comportement considéré comme ayant causé la cessation d’emploi de l’appelant constitue une inconduite au sens de l’article 30 de la Loi sur l’AE (Marion, 2002 CAF 185). 

[23] J’estime que ce n’est pas le cas.

[24] Dans ses documents d’appel, l’appelant a indiqué que son contremaître savait à quel point il était malade et qu’il n’aurait même pas dû se rendre au travail le jour où il a trop dormi. Il dormait mal [traduction] « depuis des jours » et s’assoyait dans une grue sans chauffage [traduction] « depuis plus d’une semaine » (GD2-2).

[25] L’appelant a témoigné que la température à ce moment-là était de -25℃. 

[26] J’accepte la preuve de l’appelant et son témoignage selon lesquels il était malade, mais tout de même prêt à continuer de travailler et à terminer le contrat de fermeture de quatre semaines avec Sterling Crane. Il n’a pas appelé pour dire qu’il était malade et ne venait pas travailler. Au lieu de cela, il a pris un médicament pour le rhume et a essayé de dormir. Il a réglé de nombreuses sonneries pour s’assurer de se lever à temps pour son quart de travail du lendemain. Il n’avait pas l’intention d’arriver en retard ou de manquer le travail, et l’on ne peut pas dire que la prise d’un médicament pour le rhume et le réglage de multiples sonneries d’appoint pour se réveiller est un comportement insouciant. Le fait qu’il a fini par dormir malgré ses sonneries et qu’il ne s’est pas présenté au travail était malheureux et lui a coûté son emploi. Il ne s’agissait cependant pas d’un geste délibéré ou volontaire et, à ce titre, cela ne constitue pas une inconduite pour l’application de l’article 30 de la Loi sur l’AE

[27] Il n’incombe pas au Tribunal de décider si les mesures prises par l’employeur étaient appropriées ou justifiées (Caul, 2006 CAF 251). Je ne peux toutefois pas ignorer le rôle de l’employeur dans les événements ayant mené l’appelant à ne pas se présenter au travail le 6 avril 2018. 

[28] L’appelant avait le droit d’utiliser de l’équipement chauffé de manière adéquate par temps froid. L’article 14.05 de la Saskatchewan Provincial Operating Engineers’ Agreement (Crane Rental) [entente provinciale des mécaniciens d’exploitation de la Saskatchewan (location de grues)] prévoit ce qui suit :

[traduction]
Tout équipement de levage muni de cabines doit être chauffé adéquatement par temps froid. Les employés seront protégés contre la chaleur, le froid et le bruit excessifs. Aucun employé ne fera l’objet de mesures disciplinaires pour avoir refusé de travailler dans des conditions dangereuses ou contrevenant aux règles et règlements de sécurité établis. (AD1C-22)

[29] Les événements à l’étude ont eu lieu en mars à Regina, en Saskatchewan. L’appelant a toujours déclaré à la Commission qu’il n’y avait pas de chauffage dans la cabine de la grue qu’il conduisait. Il a même dit qu’on ne s’attendrait pas à ce qu’un animal travaille dans de telles conditions (GD3-33). Il n’y a pourtant aucune preuve au dossier indiquant que la Commission ait interrogé l’employeur à propos de l’absence de chauffage dans la grue qu’il a demandé à l’appelant de conduire. Ou que la Commission ait demandé si l’employeur savait que l’appelant, au détriment de sa santé, avait passé plusieurs nuits d’affilée dans la cabine d’une grue non chauffée à la fin mars alors que la température était de -25℃. En l’absence de tout renseignement de ce genre de la part de l’employeur, il n’y a aucune raison de mettre en doute la crédibilité de l’appelant à ce sujet.

[30] Je juge donc que l’employeur n’a pas respecté les droits de l’appelant lorsqu’il a omis d’assurer de conditions de travail adéquates et de remédier au problème de chauffage de la grue après la plainte de ce dernier. 

[31] Je juge également que la maladie dont souffrait l’appelant, et qui a entraîné son défaut de se présenter au travail le 6 avril 2018, a été causée ou à tout le moins considérablement aggravée par le non-respect des exigences provinciales de santé et de sécurité relatives à la conduite des grues dont a fait preuve l’employeur. 

[32] L’inaction de l’employeur a eu de graves répercussions négatives. Et ces répercussions ajoutent des éléments contextuels importants pour mon évaluation de la question de savoir si la conduite ayant entraîné la perte de l’emploi de l’appelant était intentionnelle. La première répercussion touche la santé de l’appelant et la seconde, son emploi. L’appelant a perdu son emploi parce qu’il a omis de se présenter au travail, mais la raison de son absence était qu’il est tombé malade à cause du non-respect des exigences de santé et de sécurité en milieu de travail dont a fait preuve l’employeur. Il y a un lien direct entre la conduite de l’employeur avant le 6 avril 2018 et celle de l’appelant omettant de se présenter au travail ce jour-là. Par conséquent, on ne peut affirmer que le fait que l’appelant a trop dormi était un geste délibéré ou intentionnel.

[33] Pour tous ces motifs, je juge que rien ne prouve de façon concluante un comportement délibéré ou insouciant de la part de l’appelant lorsqu’il a par inadvertance omis de se présenter au travail le 6 avril 2018. Il ne peut donc pas être exclu du bénéfice des prestations d’AE pour avoir perdu son emploi en raison de son inconduite. 

Conclusion

[34] La Commission n’a pas prouvé que, selon la prépondérance des probabilités, l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduite.

[35] Par conséquent, le Tribunal conclut que l’appelant n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’AE conformément à l’article 30 de la Loi sur l’AE

[36] L’appel est accueilli. 

 

Date de l’audience :

Le 30 septembre 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparution :

D. M., appelant

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