Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : VD c Commission de l’assurance-emploi du Canada et X, 2021 TSS 1

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-747

ENTRE :

V. D.

Appelant / prestataire

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée/Commission

et

X

Mise en cause / employeuse


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Janet Lew
DATE DE LA DÉCISION : Le 2 janvier 2021

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. L’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen. 

Aperçu

[2] L’appelant, V. D. (prestataire), fait appel de la décision de la division générale. La division générale a conclu que le prestataire avait quitté l’emploi qu’il occupait auprès de son ancienne employeuse, la mise en cause, alors que son départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Le prestataire travaillait pour une boulangerie, exploitée à même la demeure de la propriétaire. La division générale a conclu que le prestataire n’avait pas été fondé à quitter son emploi.

[3] Le prestataire soutient que la division générale a commis plusieurs erreurs. Il avance que le membre de la division générale s’est montré partial à l’endroit de l’employeuse. Il affirme aussi que la division générale a ignoré certains éléments de preuve et commis des erreurs de droit. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, accepte certains de ses arguments. L’employeuse conteste que le départ du prestataire aurait été fondé.

[4] Je conclus que la division générale a commis des erreurs dans sa décision. Par ailleurs, je constate aussi que la preuve est déficiente à l’égard d’un enjeu déterminant. Pour cette raison, je renvoie l’affaire à la division générale aux fins d’un réexamen.

Questions en litige

[5] Le prestataire a soulevé plusieurs questions, que voici :

  • La division générale a-t-elle négligé d’examiner si les obligations familiales du prestataire conféraient une justification à son départ?
  • La division générale a-t-elle négligé d’examiner si les relations conflictuelles avec sa superviseure conféraient une justification à son départ?
  • La division générale a-t-elle négligé d’examiner si le départ du prestataire était fondé du fait que les pratiques de son employeuse auraient été contraires au droit?
  • La division a-t-elle négligé d’examiner si toute autre circonstance raisonnable conférait une justification au départ du prestataire?
  • La division générale a-t-elle omis de considérer l’effet cumulatif de tous les motifs ayant suscité le départ du prestataire?
  • La division générale a-t-elle accordé un poids démesuré à des témoignages sans serment?
  • La division générale a-t-elle ignoré la preuve du prestataire relative à ses efforts pour trouver un emploi?
  • La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées au paragraphe 17 de sa décision?
  • Y a-t-il une crainte raisonnable de partialité?

Analyse

[6] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) permet à la division de toucher aux décisions de la division générale, mais seulement dans ces situations bien circonscrites. Cette disposition ne donne pas à la division d’appel la compétence de réexaminer un dossier.

[7] La division d’appel peut intervenir si des erreurs de droit ont été commises. La division d’appel peut également intervenir si la division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait, tirée sans égard pour les éléments portés à sa connaissance. La division d’appel peut aussi intervenir si la division générale a transgressé un principe de justice naturelle.

[8] Le prestataire affirme que la division générale a commis plusieurs des erreurs décrites à l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS.

La division générale a-t-elle négligé d’examiner si les obligations familiales du prestataire conféraient une justification à son départ?

[9] Non. Je juge que la division générale n’a pas négligé d’examiner si le départ du prestataire était fondé à cause de ses obligations familiales. Cette question n’a simplement pas été soulevée auprès de la division générale.

[10] Aux termes de l’article 29(c)(v) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), le prestataire peut être fondé à quitter volontairement son emploi s’il y avait nécessité qu’il prenne soin d’un enfant ou d’un proche parent.

[11] Le prestataire est un parent seul ayant quatre enfants à sa charge. Il soutient que sa situation correspond parfaitement à celle que décrit la disposition, vu la nécessité qu’il prenne soin de ses quatre enfants. 

[12] Dans ma décision lui accordant la permission d’en appeler, j’ai recensé les éléments de preuve laissant entrevoir pourquoi le prestataire avait quitté son emploi. Toutefois, rien ne donnait à penser que ses obligations familiales expliquaient son départNote de bas de page 1.

[13] Le prestataire n’a invoqué aucune preuve pour me détromper. À défaut de preuves ou d’indices révélant que le prestataire aurait quitté son emploi parce qu’il devait prendre soin d’un membre de sa famille, rien ne justifiait que la division générale cherche à savoir si l’article 29(c)(v) de la Loi sur l’AE s’appliquait.

La division générale a-t-elle négligé d’examiner si les relations conflictuelles avec sa superviseure conféraient une justification à son départ?

[14] Oui. Je juge que la division générale n’a pas cherché à savoir si le départ du prestataire était fondé en raison de relations conflictuelles avec sa superviseure.

[15] En vertu de l’article 29(c)(x) de la Loi sur l’AE, le prestataire peut être fondé à quitter volontairement son emploi s’il a des relations conflictuelles avec un superviseur, dont la cause n’est pas imputable au prestataire, et si son départ était la seule solution raisonnable dans son cas.

[16] La Commission est d’accord avec l’affirmation du prestataire voulant que la division générale n’a pas tenu compte de l’article 29(c)(x) de la Loi sur l’AE.

[17] La Commission soutient que la division générale aurait dû analyser la relation entre le prestataire et son employeuse. Elle affirme, plus précisément, que la division générale aurait dû déterminer si leurs relations étaient conflictuelles et à qui cette dynamique était imputable.

[18] La Commission avance également que la division générale aurait dû chercher à savoir si, compte tenu de sa relation avec son employeuse, le départ du prestataire était la seule solution raisonnable dans son cas.

[19] L’employeuse, elle, soutient que la division générale n’a pas erré dans sa décision. Elle ni toute relation conflictuelle avec le prestataire. En effet, la propriétaire a dit qu’elle travaillait [traduction] « très rarementNote de bas de page 2 » avec le prestataire.

[20] Toutefois, il me faut déterminer si la division générale a même examiné la question de savoir si le prestataire avait quitté son emploi en raison de relations conflictuelles avec sa superviseure. Si la division générale a négligé cette question et omis de l’examiner, elle aurait effectivement commis une erreur. C'est seulement ensuite qu'il faudrait déterminer comment donner corriger cette erreur; ce n’est qu’à ce stade que j'évaluerais s’il existait bel et bien des relations conflictuelles. 

[21] La division générale a noté que le prestataire soutenait avoir dû démissionner à cause de ses conditions de travail et des relations conflictuelles avec son employeuseNote de bas de page 3.

[22] Les conditions de travail et les relations conflictuelles sont deux considérations distinctes. Après tout, les conditions de travail peuvent simplement désigner des conditions de travail dangereuses, comme une mauvaise ventilation. Quant aux relations conflictuelles, elles impliquent généralement une dynamique d’hostilité et d’opposition entre les individus.

[23] Pourtant, il n’est pas clair que la division générale ait examiné la seconde question, soit de savoir si le prestataire pourrait avoir quitté son emploi à cause de relations conflictuelles avec son employeuse.

[24] Au paragraphe 17 de sa décision, la division générale a écrit que le prestataire avait dit qu’il avait quitté son emploi à cause de ses conditions de travail. Rien n’était dit au sujet de relations conflictuelles.

[25] La division générale a énuméré les conditions de travail du prestataire :

  1. Pauses-repas inexistantes
  2. Réprimandes pour une arrivée hâtive dans le logement
  3. Travailleur désordonné
  4. Toilettes
  5. Ventilateur d’extraction
  6. Porte de la boulangerie laissée ouverte
  7. Insultes
  8. Rabaissement de la part de la gestion
  9. Conflit de pouvoirs au sein de la gestion
  10. Livraisons
  11. Intimidation
  12. Heures insuffisantes
  13. Perte de poids et stress

[26] Certaines de ces conditions pourraient être à l’origine d’un environnement conflictuel. Toutefois, il est difficile de dire si la division générale a envisagé ces conditions dans un tel contexte.

[27] Même si la division générale a mentionné des relations conflictuelles au premier paragraphe de sa décision, elle ne les a jamais mentionnées de nouveau et n’en a pas traité ailleurs dans sa décision, ni traité de sujet analogue.

[28] Il se peut que la division générale ait rejeté l’idée qu’il existait des relations conflictuelles entre le prestataire et son employeuse. Après tout, la division générale a notamment conclu que la gestion ne rabaissait pas le prestataire. Elle a aussi conclu qu’il n’était pas victime d’intimidation.

[29] Cependant, comme la division générale n’a pas expressément fait mention de relations conflictuelles ou de toute chose semblable, il est difficile de dire si elle a cherché à savoir s’il existait effectivement des relations conflictuelles entre le prestataire et sa superviseure, ou si le départ du prestataire aurait pu être attribuable à des relations conflictuelles.

[30] Pour cette raison, je conclus que la division générale a erré en négligeant d’examiner si le départ du prestataire était fondé en vertu de l’article 29(c)(x) de la Loi sur l’AE. En d’autres termes, la division générale a omis de déterminer si des relations conflictuelles entre le prestataire et sa superviseure conféraient une justification à son départ.

La division générale a-t-elle négligé d’examiner si le départ du prestataire était fondé du fait que les pratiques de son employeuse auraient été contraires au droit?

[31] Non. La division générale n’a pas cherché à savoir si les pratiques de l’employeuse étaient contraires au droit. Cela dit, la preuve était insuffisante pour étayer ces allégations de quelque façon que ce soit.

[32] En vertu de l’article 29(c)(xi) de la Loi sur l’AE, un prestataire est fondé à quitter son emploi si les pratiques de son employeur sont contraires au droit.

[33] Le prestataire avance qu’il a droit, en vertu de l’article 20 de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi de l’Ontario, à des « pauses-repas d’au moins 30 minutes […], à des intervalles tels qu’il ne travaille pas plus de cinq heures consécutives sans pause-repas. » Le prestataire prétend qu’il travaillait plus de cinq heures par jour presque toujours, sinon toujours. Il affirme que l’employeuse bafouait son droit.

[34] Le prestataire affirme que la division générale s’est simplement concentrée sur la question de savoir s’il avait une pause-repas, et sur l’offre de l’employeuse pour qu’il utilise la salle à manger familiale durant sa petite pause. Voici ce qu’a écrit la division générale :

[traduction]
1. Pauses-repas inexistantes – Le prestataire affirme qu’on ne lui donnait pas de pauses-repas et ajoute qu’il devait s’asseoir sur les marches pour manger son dîner. En invoquant les normes provinciales à cet égard, il a utilisé un critère établi en fonction d’une journée de travail de huit heures, ce qui n’est pas son cas. À l’audience, l’employeuse a réfuté sa prétention et dit qu’il avait été invité à maintes reprises à utiliser la salle à manger familiale pour manger son dîner durant la pause à cet effet. Cette déclaration n’a pas été contestée par le prestataireNote de bas de page 4.

[35] La Commission soutient que la division générale s’est penchée sur la question des pauses-repas. La division générale a rejeté les allégations du prestataire voulant que son employeuse le privait de ces pauses. Elle a aussi noté qu’il pouvait utiliser la salle à manger familiale de l’employeuse.

[36] La division générale a souligné que le prestataire n’avait pas réfuté la preuve de l’employeuse au sujet des pauses-repas. La division générale a accepté la preuve de l’employeuse, et jugé que le prestataire bénéficiait en réalité de pauses-repas.

[37] Dans son avis d’appel à l’intention de la division générale, le prestataire a d’abord soutenu que son employeuse ne lui donnait pas de pauses-repas. Dans son avis d’appel, il prétendait qu’il n’y avait [traduction] « aucune pause-repasNote de bas de page 5 ». Le prestataire avait écrit ceci : [traduction] Quand je demandais pourquoi on n’avait pas de pauses-repas, on me disait “je vous paye pour votre pause dîner alors mange ton dîner rapidement et retourne travailler”. Il n’y avait pas de coin-repas, de table ni de chaises, alors je m’asseyais sur une marche pour vite manger mon sandwichNote de bas de page 6. » Le prestataire a aussi témoigné qu’il n’y avait pas de pauses-repasNote de bas de page 7.

[38] Cependant, après que l’employeuse eut affirmé que le prestataire bénéficiait bel et bien d’une pause-repas, le prestataire a reconnu que cela était le cas. Les parties ont convenu que le prestataire prenait environ 10 à 15 minutes pour dîner.

[39] À ce stade, les arguments du prestataire ont changé. Il a soutenu qu’il ne bénéficiait pas d’une pause-repas complète de 30 minutes, et non qu’il n’avait pas du tout de pause-repas.

[40] La propriétaire de l’entreprise a convenu que, avec le recul, elle [traduction] « aurait probablement dû lui donner une demi-heure non payée pour sa pause dînerNote de bas de page 8. » En même temps, la propriétaire a aussi affirmé que le prestataire était rémunéré pendant ses pauses-repas.

[41] La division générale ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si les pauses-repas du prestataire remplissaient les exigences prévues à l’article 20 de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi. Comme le prestataire avait prétendu, dans son avis d’appel, qu’il n’avait aucune pause-repas, la division générale a plutôt cherché à savoir si ces pauses étaient effectivement inexistantesNote de bas de page 9.  

[42] Selon moi, un employeur qui rémunère une pause-repas de 15 minutes ne se soustrait pas aux obligations que lui impose l’article 20 de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi.

[43] Cela étant dit, j’estime que la preuve ne permet pas de conclure que les pauses-repas de 15 minutes du prestataire reflétaient nécessairement les pratiques de l’employeuse. Rien ne démontrait que l’employeuse interdisait au prestataire de prendre une pause de 30 minutes ou plus, ou encore deux pauses de 15 minutes sur une période de 5 heures.

[44] En effet, selon le témoignage de l’employeuse, le prestataire était encouragé à se rendre à l’étage pour prendre sa pause-repas à la table de la salle à manger. Elle affirme qu’elle pouvait même retrancher une demi-heure de sa paie quotidienne. Elle affirme qu’elle lui disait [traduction] « vas-y, mais il ne le faisait jamais, alors [elle] le payaitNote de bas de page 10 ». La preuve laisse à tout le moins penser qu’il y avait une certaine flexibilité à l’égard des pauses, et que le prestataire choisissait de ne pas prendre une pause non rémunérée de 30 minutes.

[45] Le prestataire prétend aussi que l’employeuse pourrait avoir mené des activités [traduction] « au noir »Note de bas de page 11. Cependant, ces allégations sont très imprécises, comme le souligne la Commission. À défaut de détails sur la nature de ces activités, et de toute preuve les corroborant, je juge que la division générale n’était pas apte à déterminer si ces autres pratiques étaient contraires au droit.

[46] Je reconnais que le prestataire a soutenu, devant la division générale, que l’employeuse aurait dû laisser fonctionner sa ventilation d’extraction quand les fours étaient en marche. La division générale a jugé qu’il s’agissait de l’opinion du prestataire. Celui-ci prétend qu’il était nécessaire, selon la loi, que la ventilation soit en marche. Or, il n’a invoqué aucune exigence réglementaire précise à ce sujet. La preuve ne permettait pas d’établir que cette pratique contrevenait au droit.

[47] Je conclus que la division générale n’a commis aucune erreur relative à l’article 29(c)(xi) de la Loi sur l’AE.

La division a-t-elle négligé d’examiner si toute autre circonstance raisonnable conférait une justification au départ du prestataire?

[48] Non. La division générale n’a pas négligé d’examiner si le prestataire avait été fondé à quitter son emploi grâce à toute autre circonstance raisonnable.

[49] Le prestataire fait valoir que sa situation financière justifiait son départ. Il affirme qu’il lui fallait quitter son emploi pour investir tous ses efforts dans la recherche d’un emploi qui lui procurerait une meilleure rémunération et davantage de stabilité.

[50] Cet argument n’a aucun fondement juridique.

[51] En vertu de l’article 29(c)(xiv) de la Loi sur l’AE, un prestataire peut être fondé à quitter son emploi pour toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.

[52] Pour l’application de l’article 29(c)(xiv) de la Loi sur l’AE, les circonstances en question sont énoncées à l’article 51.1 du Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement sur l’AE). Elles comprennent les circonstances où le prestataire est dans l’obligation d’accompagner vers un autre lieu de résidence une personne avec qui il vit dans une relation conjugale depuis moins d’un an, dans l’un ou l’autre des cas suivants :

  1. (i) l’un d’eux a eu ou a adopté un enfant pendant cette période,
  2. (ii) l’un d’eux est dans l’attente de la naissance d’un enfant,
  3. (iii) un enfant a été placé chez l’un d’eux pendant cette période en vue de son adoption[.]

[53] Comme je l’ai mentionné précédemment, j’ai présenté, dans ma décision accordant la permission d’en appeler, les éléments de preuve laissant entrevoir pourquoi le prestataire avait quitté son emploi.

[54] Les circonstances prévues à l’article 51.1 du Règlement sur l’AE n’ont jamais fait l’objet d’une mention ni d’un élément de preuve.

[55] Le prestataire ne m’a indiqué aucun élément de preuve montrant le contraire. En l’absence de preuve ou d’indice révélant que le prestataire avait quitté son emploi pour l’une des circonstances prévues par règlement, rien ne justifiait que la division générale cherche à savoir si l’article 29(c)(xiv) de la Loi sur l’AE s’appliquait.

[56] Le prestataire soutient que son départ était fondé compte tenu de considérations financièresNote de bas de page 12. Il ne se fonde pas sur l’article 29(c)(xiv) de la Loi sur l’AE, mais bien sur une décision du juge-arbitre du Canada sur les prestations datant de 2003, soit CUB 57874.

[57] Dans cette affaire, une prestataire avait quitté l’emploi qu’elle occupait au Nouveau-Brunswick pour déménager dans la région de Toronto comme son salaire était bas et elle trouvait qu’il était difficile de gagner sa vie. La région de Toronto offrait de meilleures possibilités d’emploi. Le conseil arbitral a jugé que la prestataire n’avait pas été fondée à quitter son emploi. Par contre, le juge-arbitre a conclu que, pour décider si le départ d’un prestataire était fondé, il faut examiner l’ensemble de ses circonstances, incluant sa situation financière.

[58] En toute déférence, je souligne que la décision CUB 57874 est incompatible avec l’article 29 de la Loi sur l’AE ainsi qu’avec la jurisprudence constante. La Cour d’appel fédérale a établi que des circonstances analogues à celle du prestataire ne justifiaient pas un départ volontaire.

[59] À titre d’exemple, le prestataire dans TremblayNote de bas de page 13 avait quitté son emploi en raison d’une paie insuffisante. La Cour d’appel fédérale a statué comme suit :

Nous sommes tous d’avis que le juge arbitre a erré en droit en jugeant que la prétendue insuffisance du salaire gagné pouvait constituer une justification au sens de l’article 28 [aujourd’hui l’article 29]. Le fait qu’un emploi ne soit pas, aux yeux du prestataire, suffisamment rémunérateur ne saurait en soi le justifier de l’abandonner et d’ainsi forcer les tiers à le faire vivre au moyen de prestations d’assurance-chômage.

[60] Je suis liée par les décisions de la Cour d’appel fédérale : contrairement à celles du juge-arbitre, je suis tenue de suivre et d’appliquer les décisions de la Cour d’appel fédérale. Ainsi, il est clair que la situation financière du prestataire ne conférait pas une justification à son départ volontaire conformément à l’article 29 de la Loi sur l’AE. Je conclus que la division générale n’a pas erré en droit du fait qu’elle n’a pas examiné la situation financière du prestataire.

La division générale a-t-elle omis de considérer l’effet cumulatif de tous les motifs ayant suscité le départ du prestataire?

[61] Oui. J’estime que la division générale n’a pas tenu compte de l’effet cumulatif de tous les motifs pour lesquels le prestataire a quitté son emploi.

[62] Le prestataire affirme que son départ avait été motivé par plusieurs raisons. Il soutient que le concept de justification ne se limite pas à une circonstance unique. Il affirme qu’un ensemble de circonstances, considérées d’un point de vue cumulatif, peut conférer une justification au départ.

[63] Le prestataire souligne que la division générale a conclu que chacune de ses circonstances, de manière individuelle, n’était [traduction] « pas suffisamment grave pour que [le prestataire] quitte impulsivement son emploiNote de bas de page 14 ». Selon le prestataire, la division générale avait ainsi examiné ses circonstances indépendamment les unes des autres, plutôt que d’un point de vue cumulatif, comme elle aurait dû le faire.

[64] Le prestataire insiste sur le fait que l’approche de la division générale était fautive. Il soutient qu’elle aurait dû reconnaître que son départ avait été suscité par un ensemble de circonstances. Il dit que la division générale aurait dû examiner ces circonstances ensemble pour décider s’il avait été fondé à quitter son emploi.

[65] Le prestataire fait valoir que la division générale a commis une erreur de droit en négligeant d’examiner l’effet cumulatif de plusieurs circonstances. Il invoque la cause SW c Commission de l’assurance-emploi du Canada.Note de bas de page 15 Dans cette affaire, le membre de la division d’appel a conclu qu’une erreur de droit est commise si les circonstances sont examinées de façon individuelle, advenant la présence de plus d’une circonstance. Le membre a aussi conclu que l’effet cumulatif des circonstances peut surpasser l’effet individuel de chacune des circonstances.

[66] La Commission croit que la division générale a ignoré les efforts qu’avait faits le prestataire pour régler certains problèmes. Elle croit aussi qu’en s’attardant de façon individuelle sur chacun des exemples donnés par le prestataire, la division générale a perdu de vue les effets progressif et cumulatif de circonstances multiples ayant motivé sa décision de quitter son emploi.

[67] L’employeuse n’a présenté aucune observation à ce sujet.

[68] D’après moi, la division générale a effectivement examiné chaque circonstance de façon individuelle. Elle n’a pas tenu compte de l’effet cumulatif des différentes circonstances du prestataire.

[69] Le prestataire soutient qu’il y avait eu plusieurs incidents qui, ensemble, démontraient la présence de relations conflictuelles. À cet égard, la division générale aurait dû examiner l’effet cumulatif possible de circonstances multiples sur la décision du prestataire de quitter son emploi.

La division générale a-t-elle accordé un poids démesuré à des témoignages sans serment?

[70] Non. La division générale avait compétence pour décider du poids à accorder aux témoignages sans serment.

[71] Le prestataire soutient que la division n’aurait dû montrer aucune déférence aux témoignages sans serment. L’employeuse avait obtenu l’appui de ses employés sous la forme de témoignages. Ces employés avaient parlé favorablement de l’employeuse et de leurs conditions de travail.

[72] J’en comprends que le prestataire croit que la division générale a accordé trop d’importance à ces éléments de preuve. Il soutient que la division générale aurait dû leur accorder une valeur faible, voire nulle, pour deux principales raisons : (1) il existait [traduction] « un potentiel de partialité et les employés n’auraient pas intérêt à parler négativement de leur employeuse, vu le risque de nuire à leur relation d’emploiNote de bas de page 16 », et (2) les témoignages étaient sans serment.

[73] Idéalement, l’employeuse aurait produit les témoins, ou le prestataire lui aurait demandé de produire les témoins afin de mener un contre-interrogatoire. Toutefois, les instances à la division générale sont très peu formelles, et la division générale peut accepter des témoignages sans serment, à savoir des déclarations de témoins.

[74] Les membres de la division générale devraient, dans la mesure du possible, contrôler de tels éléments de preuve avec rigueur, pour s’assurer de leur fiabilité et de leur exactitude, et voir s’ils sont en harmonie avec le reste de la preuve. En l’espèce, c’est ce que semble avoir fait le membre de la division générale.

[75] De toute façon, même s’il ne l’avait pas fait, la division générale est le juge des faits, et il lui revient entièrement d’évaluer et d’apprécier le poids qu’il convient d’accorder à ces éléments de preuveNote de bas de page 17. À moins que la division générale ait ignoré des éléments de preuve ou tiré des conclusions de façon abusive, je ne vais pas interférer avec sa compétence de tirer des conclusions de fait. Le membre de la division générale était en droit d’attribuer à la preuve le poids qu’il lui jugeait adéquat.

La division générale a-t-elle ignoré la preuve du prestataire relative à ses efforts pour trouver un emploi?

[76] Oui. Je juge que la division générale a ignoré la preuve du prestataire quant aux efforts qu’il a déployés pour trouver un autre emploi avant de quitter le sien.

[77] Au paragraphe 22 de sa décision, la division générale a écrit que [traduction] « le [prestataire] n’a[vait] cherché aucun emploi non plus avant de démissionner. »

[78] Toutefois, comme le note la Commission, certains éléments de preuve révélaient que le prestataire avait cherché du travail. Il avait cherché un emploi quand il avait été temporairement mis à pied. Dans son avis d’appel, le prestataire a notamment écrit ce qui suit :

[traduction]

12. Heures insuffisantes

Nous avons tous été mis à pied à la fin de décembre 2019 parce que c’était assez mort, et j’ai décidé de chercher un nouvel emploi à ce moment-là.Note de bas de page 18

[79] Le prestataire a cherché un emploi alors qu’il était mis à pied. La division générale semble tout de même avoir ignoré ce fait. Comme le souligne la Commission, il y avait aussi d’autres preuves à cet effet :

  • Dans un entretien téléphonique avec la Commission, le 6 avril 2020, le prestataire a affirmé qu’il avait cherché du travail et qu’il avait eu plusieurs entrevues, sans avoir pu décrocher un emploi ailleurs avant de quitter le sienNote de bas de page 19.
  • Dans un courriel daté du 5 mai 2020, le prestataire a écrit ceci : [traduction] « En janvier 2020, j’essayais aussi de trouver un nouvel emploi. J’ai donc appelé un de mes amis… il n’était pas très occupé, alors il m’avait dit peut-être plus tard… J’ai dit à [l’employeuse] que je voulais trouver un emploi avec plus d’heuresNote de bas de page 20. »

[80] La preuve dont disposait la division générale montrait que le prestataire avait cherché un emploi. Par conséquent, la division générale a commis une erreur de fait en concluant que le prestataire n’avait pas cherché de travail ailleurs avant de quitter son emploi et que son départ n’était donc pas la seule solution raisonnable dans son cas.

[81] Je ne veux pas dire que les solutions raisonnables manquaient au prestataire – je tiens à le préciser. Je tire plutôt la conclusion que la division générale n’a pas tenu compte de l’impact de sa recherche d’emploi sur cette question.

La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées au paragraphe 17 de sa décision?

[82] Le prestataire soutient que la division générale a tiré plusieurs conclusions de fait erronées sur lesquelles elle a fondé sa décision, à savoir :

  1. Les pauses-repas du prestataire étaient conformes aux exigences de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi de l’Ontario – Le prestataire affirme qu’il n’avait pas une pause-repas complète de 20 minutes. Selon lui, les pratiques de son employeuse étaient contraires au droit étant donné qu’il ne bénéficiait pas de 30 minutes pour dîner. Il affirme que la division générale n’a pas pris acte des pratiques de son employeur.

    Comme je l’ai noté plus tôt, le prestataire ne m’a indiqué aucune preuve montrant que son employeuse lui interdisait de prendre une pause de 30 minutes ou qu’il prenait moins de 30 minutes pour sa pause-repas ou pour deux pauses totalisant 30 minutes pour manger.
  2. L’employeuse du prestataire le réprimandait quand il entrait chez elle – Le prestataire explique pourquoi il était entré chez elle et dit que cet incident avait attisé les relations conflictuelles entre son employeuse et lui.

    Le prestataire laisse entendre que l’employeuse n’avait pas été justifiée de le réprimander. La division générale n’a pas tiré une conclusion de fait erronée du simple fait que le prestataire était entré chez l’employeuse pour une raison légitime. En effet, les parties sont d’accord pour dire que l’employeuse s’était fâchée contre le prestataire quand il était entré chez elle. Aucune erreur n’a été commise sur ce fait précis.

    La division générale a cependant commis une erreur de fait d’ordre technique à ce sujet. Elle a constaté que le prestataire était entré dans la demeure de l’employeuse à 7 h. Le prestataire affirme qu’il y était entré avant son quart de travail qui débutait à 7 hNote de bas de page 21. Dans son avis d’appel, le prestataire a expliqué qu’il était entré dans le logement cinq minutes plus tôt que prévuNote de bas de page 22. Par contre, j’estime qu’il ne s’agit pas d’un enjeu déterminant, comme la division générale n’a pas ultimement fondé sa décision quant au départ non fondé du prestataire sur la question de savoir s’il était entré dans le logement 7 h pile ou plus tôt.
  3. Elle a conclu que le prestataire n’avait pas essayé de régler le problème d’accès aux toilettes – Le prestataire affirme que, quand il essayait d’aller aux toilettes au travail, les trois chiens de l’employeuse sautaient sur lui. Le prestataire a fait savoir à son employeuse qu’il ne devrait pas avoir affaire aux chiens chaque fois qu’il essaie d’aller aux toilettes.

    La division générale a jugé qu’il revenait au prestataire d’essayer de régler cette situation avant son employeuse. La division générale s’est fondée sur cette conclusion pour décider que le départ du prestataire n’avait pas été la seule solution raisonnable dans son cas.

    Le prestataire avance que la division générale a commis une erreur de fait parce que, dans les faits, il avait parlé à son employeuse dans le but de régler cette situation.

    Je vois difficilement ce que le prestataire aurait pu faire d’autre pour essayer de régler ce problème. Je conclus donc que la division générale a tiré une conclusion de fait erronée en concluant que le prestataire aurait dû faire des efforts pour régler cette situation, alors que la preuve révélait qu’il en avait fait.
  4. Elle a conclu que le prestataire n’avait pas donné son avis à l’employeur – Voici ce qu’a écrit la division générale : [traduction] « Encore une fois, si le fait de laisser la porte ouverte avait un effet négatif sur les produits de l’employeuse, des employés et des gérants responsables devaient soulever et régler ce problème; ce n’est pas une raison pour quitter son emploiNote de bas de page 23. »

    Le prestataire nie qu’il était irresponsable et maintient qu’il avait attiré l’attention de son employeuse à ce sujet. Il affirme qu’il l’avait mise en garde contre le fait de laisser la porte ouverte comme cela nuisait à la qualité des produits de boulangerie. Il prétend que son employeuse avait ignoré son avis. Il dit aussi que l’employeuse rejetait la faute sur lui si les produits de boulangerie ne répondaient pas à ses attentes.Note de bas de page 24

    Le prestataire [traduction] « se lamentait d’avoir froidNote de bas de page 25 ». Toutefois, il est difficile de dire, d’après l’avis d’appel, si le prestataire avait réellement dit à son employeuse que la pâte se dessécherait et donnerait de mauvais résultats.

    Je n’insinue pas que ce scénario soit improbable. Cependant, rien ne montre que le prestataire avait dit à son employeuse que le fait de laisser la porte ouverte nuisait à la qualité des produits de boulangerie. Cette allégation a fait surface dans l’appel du prestataire à la division d’appel.
  5. Elle a conclu que l’employeur rejetait la faute sur le prestataire pour les erreurs de préparation – Le prestataire avance que l’employeuse n’était pas en droit de [traduction] « le réprimander seulement lui pour l’erreur de [préparation des carrés aux dates] comme [la superviseure est responsable] de s’assurer que tout est bien faitNote de bas de page 26. »

    Dans son avis d’appel, le prestataire soutient que la propriétaire lui avait dit qu’il était [traduction] « con et ne [savait] rienNote de bas de page 27 » et qu’elle devrait baisser son salaire. Il trouvait qu’elle le rabaissait avec de tels commentaires. Dans son avis d’appel, le prestataire a aussi écrit que la propriétaire lui rappelait souvent qu’elle avait une [traduction] « armoire pleine de ses erreurs, et qu’il n’avait plus de marge d’erreurNote de bas de page 28. »

    À l’audience devant la division générale, le prestataire a témoigné que son employeuse le rabaissait [traduction] « tout le temps et le dénigraitNote de bas de page 29 », au point où il ne pouvait plus le tolérer.Note de bas de page 30

    L’employeuse dit ne jamais avoir rabaissé le prestataire. La propriétaire a témoigné que [traduction] « ça n’était jamais arrivéNote de bas de page 31 » et qu’elle [traduction] « ne se permettrait jamais de le rabaisserNote de bas de page 32 ». L’employeuse a aussi témoigné que, comme propriétaire, elle était souvent à l’étage ou ailleurs que sur le lieu de travailNote de bas de page 33. Elle se fiait donc aux déclarations de ses employés, qui travaillaient aux côtés du prestataire et plus étroitement avec lui qu’elle.

    Le membre de la division générale a noté que les autres employés trouvaient que l’employeuse était respectueuse avec tout le monde. En conséquence, la division générale semble avoir rejeté l’allégation du prestataire voulant que l’employeuse faisait des commentaires dénigrants. La division générale n’a cependant pas tiré de conclusion explicite quant à la question de savoir si l’employeuse avait effectivement adressé au prestataire les commentaires qu’il lui reprochait, comme de l’avoir traité de con.

    Toutefois, les déclarations des employés sont essentiellement des témoignages de moralité. Les employés ont parlé de la relation qu’ils entretenaient eux-mêmes avec l’employeuse, et de leurs interactions avec le prestataire. Ils n’ont fait part d’aucune observation quant aux interactions entre le prestataire et l’employeuse. Les déclarations des témoins étaient donc peu utiles à cet égard.

    Revenons à la preuve de l’employeuse. Même si celle-ci a nié avoir rabaissé le prestataire, elle a laissé entendre qu’elle pourrait avoir été pointilleuse. Voici son témoignage :

    [traduction]
    [Le prestataire] a travaillé pour moi probablement six à sept ou huit mois ou quelque chose du genre. Elle s’est dit que si elle « rabaissait » ou était pointilleuse et que sa façon de faire était la seule façon de faire, et si je te critique encore après six, sept ou mois de travail, tu ne fais pas bien ton travail. Et tu ne le fais pas bien depuis un certain temps si je dois toujours te corriger et te dire que tu ne le fais pas bien. Tu ne l’es pas après huit mois. [sic]


    Le membre de la division générale n’a pas fait clarifier le témoignage de l’employeuse ni déterminé si elle avait été pointilleuse et ce que cela impliquait. Même si l’employeuse a nié avoir fait un quelconque commentaire pour rabaisser le prestataire, la division générale aurait dû examiner le contexte où les critiques ont été faites et leur fréquence. Il aurait alors fallu examiner l’attitude de l’employeuse, son ton et le vocabulaire employé. Après tout, selon le contexte, nous pourrions avoir eu affaire à des commentaires dénigrants ou même à de l’intimidation. 

    Le prestataire soutient que l’employeuse était très exigeante. Il laisse entendre que, compte tenu de ses attentes élevées, son comportement dépassait parfois les bornes.

    Le prestataire souligne que la division générale a reconnu que l’employeuse avait des attentes élevées. La division générale a écrit que les attentes élevées de l’employeuse étaient nécessaires [traduction] « et louablesNote de bas de page 34 ». Selon le prestataire, la division générale aurait cependant manqué de voir les pratiques d’intimidation et de rabaissement de l’employeuse du fait qu’elle était impressionnée par ses exigences.

    Il est difficile de dire si la division générale a jugé que l’employeuse avait été justifiée de faire des remarques désobligeantes en raison de ses attentes élevées.

    Ultimement, la division générale n’a pas traité des remarques que le prestataire reprochait expressément à l’employeuse ni de la question de savoir si ces remarques correspondaient à du rabaissement.

    Le prestataire laisse aussi entendre que la division générale n’a pas non plus tenu son gérant responsable des erreurs de production. Rien ne démontre que le prestataire avait soulevé cette question devant la division générale. Je ne peux donc pas reprocher à la division générale de ne pas avoir traité d’une question qui n'a jamais été portée à sa connaissance.

Y a-t-il une crainte raisonnable de partialité?

[83] Le prestataire soutient que la division générale s’est montrée partiale en faveur de l’employeuse. Il affirme qu’on peut le constater dans la décision :

[traduction]

Intimidation

… L’employeuse, dans l’intention d’assurer la qualité invariable de ses produits, exige un certain niveau de compétence pour leur préparation, selon ses méthodes et ses directives. Le vieil adage est applicable ici. Règle numéro 1: le chef a toujours raison. Règle numéro 2 : en cas de doute, vous reporter à la règle numéro 1.Note de bas de page 35

(mise en évidence par la soussignée)

[84] Selon le prestataire, en s’exprimant ainsi, le membre montrait qu’il estimait justifiables les actions de l’employeuse, compte tenu de sa relation avec le prestataire. Le prestataire soutient que la position d’employeur ne justifie pas de l’intimider ni d’être hostile envers lui. Pourtant, il prétend que le membre était prêt à excuser tout comportement de l’employeuse du fait que ses attentes étaient élevées et qu’un employeur a [traduction] « toujours raison ».  

[85] Au passage, l’employeuse a dit qu’elle trouvait drôle que la division générale parle d’un [traduction] « vieil adage », parce qu’elle avait une affiche au travail avec un énoncé de ce genre. Son affiche indiquait ceci : [traduction] « Je ne suis pas autoritaire, j’ai simplement toujours raison. » Pour elle, cette affiche est une blague.

[86] Il existe une crainte raisonnable de partialité s’il est raisonnablement possible que le décideur n’ait pas agi de façon impartiale. Le critère pour une crainte raisonnable de partialité est le suivant : « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision justeNote de bas de page 36? »

[87] En l’espèce, je juge que la division générale, au paragraphe 17 de sa décision, laisse croire à une crainte raisonnable de partialité. Une personne bien renseignée verrait effectivement un préjugé en lisant le passage où le membre traite d’intimidation. En écrivant que l’employeur a [traduction] « toujours raison », sous la rubrique de l’intimidation, le membre semblait insinuer que tout était virtuellement acceptable de la part de l’employeuse, y compris de l’intimation, si son objectif était d’assurer la qualité des produits de boulangerie. Il est à souligner que l’employeuse a reconnu que le membre [traduction] « n’aurait probablement pas dû dire çaNote de bas de page 37».

Réparations

[88] La division générale a commis certaines des erreurs énumérées à l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS. Ainsi, il me faut maintenant déterminer la réparation qui convient. Plusieurs options s’offrent à moi.Note de bas de page 38 Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, avec certaines directives, ou annuler ou modifier totalement ou partiellement sa décision.

[89] Le prestataire affirme que, si la division générale devait instruire l’appel à nouveau, il n’aurait aucune nouvelle preuve à soumettre, mis à part une lettre qu’il a déposée avec son appelNote de bas de page 39. La lettre confirme que le prestataire a participé à une foire d’emploi en mars 2020. Cependant, comme le tout avait eu lieu après la démission du prestataire, cette lettre n’est pas pertinente. Elle ne permet pas de déterminer s’il avait cherché un autre emploi avant de quitter celui qu’il occupait à la boulangerie.

[90] Initialement, la Commission soutenait que je devais renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen. Toutefois, comme le prestataire affirme qu’il n’a pas de nouvelles preuves à présenter, la Commission m’exhorte maintenant à rejeter l’appel tout entier. Même si elle convient que la division générale a commis des erreurs conformément à l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS, la Commission soutient que ces erreurs n’ont aucune incidence sur l’issue de l’affaire. Selon la Commission, le prestataire n’a tout simplement pas démontré qu’il avait été fondé à quitter son emploi.

[91] La superviseure du prestataire affirme qu’elle n’avait pas tous les documents du dossier lors de l’audience. Malgré tout, elle affirme qu’elle a pu défendre sa position. Elle nie les allégations du prestataire. Selon elle, la division générale a rendu la bonne décision. Elle défend le rejet de l’appel formé par le prestataire.

[92] Il serait préférable de déterminer si le prestataire avait été fondé à quitter son emploi, plutôt que de renvoyer l’affaire à la division générale. L’affaire serait ainsi réglée de façon définitive.

[93] Néanmoins, je renvoie l’affaire à la division générale aux fins d’une nouvelle audience. En effet, je ne partage pas l’avis des parties, selon qui le dossier de preuve serait complet. À mon avis, la preuve comporte plutôt des lacunes sur un enjeu déterminant, soit sur la question de savoir s’il existait des relations conflictuelles entre le prestataire et son employeuse et si cette dynamique expliquait son départ.

[94] Le prestataire soutient qu’il avait été fondé à quitter son emploi en raison de raisons conflictuelles, dont la cause ne lui était pas imputable, avec son employeuse. Le prestataire affirme que son employeuse était hostile à son endroit et qu’on le rabaissait constamment. La division générale a présenté certaines de ces allégations au paragraphe 17 de sa décision.

[95] La division générale a jugé que chacun des incidents ne conférait pas une justification au départ du prestataire. Dans une certaine mesure, le prestataire reconnaît que chacun des incidents, individuellement, ne l’avait pas amené à quitter son emploi. Il soutient plutôt que c’est l’accumulation de tous ces incidents qui expliquait son départ.

[96] Aux yeux du prestataire, il était déraisonnable que l’on s’attende à ce qu’il continue de travailler dans un milieu où il était rabaissé et victime d’hostilité. Il soutient que l’effet cumulatif des incidents a fait de son départ la seule solution raisonnable dans son cas.

[97] Il rejette totalement l’idée qu’il aurait pu rester à la boulangerie jusqu’à avoir trouvé un autre emploi. Il dit que son travail y était devenu intolérable.

[98] Le prestataire nie aussi l’idée qu’il aurait pu parler de ses préoccupations à son employeuse. Il est d’avis que son employeuse n’aurait jamais résolu ou atténué ses inquiétudes.

[99] Le prestataire affirme que, même si la propriétaire le rassurait toujours en disant qu’ [traduction] « elle s’en occuperaitNote de bas de page 40 », l’employeuse n’avait rien fait, ultimement, pour régler l'objet de ses préoccupations. Il relève notamment qu’elle n’avait rien fait lorsqu’il s’était plaint des chiens qui se mettaient sur son passage lorsqu’il allait aux toilettes. Elle lui avait simplement répondu que les chiens étaient libres comme ils étaient chez eux.

[100] À l’audience devant la division générale, l’employeuse a généralement rejeté les allégations d’hostilité, d’intimidation et de rabaissement que le prestataire portait contre elle. Cela dit, la propriétaire n’a notamment produit aucune preuve relativement à sa prétention qu’il devait faire face à ses chiens quand il voulait utiliser les toilettes, ou à sa prétention qu’elle lui reprochait souvent d’être brouillon. Le prestataire jugeait que ces commentaires servaient à le rabaisser.

[101] Même si la propriétaire nie avoir rabaissé le prestataire, elle a aussi reconnu qu’elle était pointilleuse et que [traduction] « sa façon de faire était la seule façon de faireNote de bas de page 41 ». La division générale aurait dû demander à la propriétaire de préciser son témoignage à cet égard. Après tout, comme je l’ai écrit plus tôt, son attitude pointilleuse, dans un certain contexte, aurait pu constituer du rabaissement ou même de l’intimidation.

[102] La propriétaire s’en est remise aux déclarations des témoins. Cependant, elles étaient d’une utilité limitée. Aucun des témoins n’a parlé des interactions observées entre la propriétaire et le prestataire. De plus, l’expérience propre à chacun ne reflète pas nécessairement ce qu’a vécu le prestataire avec la propriétaire. Après tout, les témoins étaient beaucoup plus jeunes et avaient moins d’expérience dans le domaine que le prestataire. Il est évident que la dynamique entre le prestataire et l’employeuse était différente de la leur.

[103] Dans son témoignage, la propriétaire a raconté qu’elle avait été fâchée quand le prestataire avait utilisé ses toilettes à 7 heures, peu après être arrivé pour son quart de travail. La boulangerie se trouvait au sous-sol, où il n’y avait pas de toilettes. Les employés utilisaient donc les toilettes se trouvant dans la partie résidentielle de l’immeuble. La propriétaire a affirmé qu’elle avait vu un problème à ce que le prestataire utilise ses toilettes si tôt après son arrivée du fait qu’il habitait à proximité et aurait pu aller aux toilettes chez lui. Voici son témoignage :

[traduction]

Mon problème avec [le prestataire], c’est qu’il arrivait chez moi à 7 heures le matin alors que j’étais encore dans mon lit, et il [utilisait] mes toilettes pour déféquer. Il habitait à seulement 15 minutes de chez moi, mais ne pouvait pas le faire chez lui. Il devait venir le faire chez moi à 7 heures le matin et, oui, ça m’a fâchée un peu parce que la situation a perduré. Il l'a fait plusieurs fois.Note de bas de page 42

[104]  Le prestataire a nié qu’il habitait à proximité ou à 15 minutes du travail. Il a affirmé qu’il fallait au moins 35 minutes pour s’y rendre de chez lui. Selon les conditions météorologiques, il lui fallait parfois plus de temps. En effet, la propriétaire a témoigné que la boulangerie était en campagne et à 25 minutes d’une épicerie. S’il fallait certaines provisions pour la boulangerie, le prestataire les achetait donc sur son chemin du retour vers la maison.

[105] Cela laisse croire que le prestataire vivait plus loin de la boulangerie que le disait la propriétaire. Autrement dit, il était probablement inévitable pour le prestataire d’utiliser les toilettes sur les lieux de son travail de temps à autre, même si la propriétaire se fâchait contre lui.

[106] L’accès aux toilettes était un problème récurrent. La propriétaire était manifestement mécontente que le prestataire utilise ses toilettes après son arrivée au travail. Le prestataire était manifestement mécontent que la propriétaire soit contrariée qu’il les utilise et qu’elle le décourage de les utiliser, alors qu’aucune autre toilette n’était disponible pour les employés.

[107] Je souligne que la propriétaire demandait souvent au prestataire s’il aimait travailler à la boulangerie. J’ignore cependant si elle trahissait ainsi sa connaissance de son mécontentement, ou si elle essayait ainsi de régler les problèmes auxquels il faisait face.

[108] Le prestataire a affirmé qu’au début, quand la propriétaire lui demandait s’il était content, il lui faisait part de ses préoccupations. Il a toutefois dit que la propriétaire faisait des commentaires s’il exprimait un quelconque mécontentement.

[109] La propriétaire a elle-même révélé qu’elle avait une affiche au travail indiquant ceci : [traduction] « Je ne suis pas autoritaire, j’ai simplement toujours raisonNote de bas de page 43. » Curieusement, le prestataire n’a jamais mentionné cette affiche. S’il savait qu’elle existait, on peut croire qu’il ne considérait pas son propos comme blessant ou condescendant, comme il n’en avait jamais fait mention dans l’instance devant la division générale. Par ailleurs, même si cette affiche avait été suspendue en guise de blague par la propriétaire, on peut présumer qu'elle serait représentative de son attitude envers ses employés. Il pourrait être pertinent d’évaluer l’impact de cette affiche dans le milieu de travail.

[110] Je suis prête à accepter qu’au moins trois de ces incidents pesaient sur le prestataire, au point où il se sentait rabaissé et percevait une certaine hostilité de la part de la propriétaire. Ces incidents comprennent les suivants :

  • Le prestataire devait faire face à trois chiens pour aller aux toilettes. Même la division générale a reconnu qu’il [traduction] « serait intimidant » que de devoir faire face aux trois chiens de la propriétaire pour aller aux toilettes et en revenir.
  • La propriétaire disait souvent que le prestataire était brouillon.
  •  La propriétaire reprochait au prestataire d’utiliser les toilettes à son arrivée au travail.

[111] Malgré ces incidents à cause desquels le prestataire aurait ressenti l’hostilité de l’employeuse à son endroit, je ne peux ignorer les arguments que l’employeuse a avancés devant la division générale.

[112] En effet, l’employeuse a soutenu que les conditions de travail ne pouvaient être aussi déplaisantes ou misérables que le prestataire le laissait croire. Si un ensemble de circonstances avaient créé une situation aussi déplaisante, il semble plutôt illogique que le prestataire ait, au début de février 2020, peu avant son départ, tenté d’obtenir des emplois d’été à la boulangerie pour ses filles jumelles. L’employeuse soulève une question légitime : s’il la trouvait hostile, pourquoi le prestataire risquerait-il de mettre ses filles dans un milieu de travail malsain?

[113] La division générale a basé sa décision sur cette considération, en bonne partie. Le membre de la division générale a jugé que la question des possibilités d’emploi d’été pour les filles du prestataire nuisait à la crédibilité de ce dernier.

[114] La division générale a permis au prestataire de répondre aux observations de l’employeuse, mais il a soit manqué de voir l’importance de cet argument, soit évité de l’aborder. Dans un cas comme dans l’autre, le membre de la division générale aurait dû porter son attention précisément sur cette question soulevée par l’employeuse.

[115] En effet, le membre aurait dû lui demander d’expliquer pourquoi il cherchait à obtenir des emplois d’été pour ses filles jumelles à la boulangerie s’il trouvait cet environnement hostile au point de le faire quitter son emploi. Même si le prestataire ne se serait pas nécessairement justifié, il aurait ainsi donné une forme de réponse.

[116] Cette question est déterminante et doit être abordée par le prestataire avant que puisse être tirée toute conclusion quant aux relations conflictuelles dans son milieu de travail, et quant à la question de savoir si cette situation de conflit était grave au point de susciter son départ.

[117] Il sera probablement nécessaire de déterminer si un événement ou un changement majeur s’était produit entre le moment où il a voulu obtenir des emplois pour ses filles et le moment où il a quitté son emploi. Je reconnais que l’employeuse a fermé la boulangerie en raison des conditions météorologiques. Toutefois, la preuve permet difficilement de savoir comment cette fermeture cadrait avec une dynamique conflictuelle ou y avait contribué, au point de susciter le départ immédiat du prestataire.

[118] Il y a aussi la question de savoir si le départ du prestataire constituait la seule solution dans son cas. Je reconnais que, si les conditions de travail étaient effectivement hostiles et intolérables, il aurait été irréaliste de s’attendre à ce qu’un employé reste en poste ainsi. Cela dit, comme je l’ai souligné, la preuve est insuffisante sur un enjeu déterminant pour déterminer si, oui ou non, les relations étaient conflictuelles au point de susciter le départ du prestataire.

Conclusion

[119] J’accueille l’appel et je renvoie l’affaire à la division générale pour qu’un membre différent de la division générale réexamine l’affaire.

 

Date de l’audience :

Le 14 octobre 2020

Mode d’audience :

Téléconférence

Comparutions :

V. D., appelant

Josée Lachance, représentante de l’intimée

A.W., représentant de la mise en cause

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