Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c SK, 2021 TSS 40

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-810

ENTRE :

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Appelante

et

S. K.

Intimée


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Stephen Bergen
DATE DE LA DÉCISION : Le 8 février 2021

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] J’accueille l’appel et je renvoie l’affaire à la division générale pour réexamen.

Aperçu

[2] L’intimée, S. K. (prestataire), travaillait dans une garderie comme éducatrice de la petite enfance (EPE). Son employeur a licencié la prestataire après l’avoir accusée d’avoir frappé une enfant dont elle prenait soin. Elle a demandé des prestations d’assurance-emploi et l’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a initialement accepté sa demande. Son employeur ne pensait pas que la Commission devrait accepter sa demande, mais il n’a donné à celle-ci aucune preuve à l’appui de son accusation.

[3] L’employeur a ensuite communiqué une courte vidéo de l’incident à la Commission et a demandé une révision. Après avoir examiné la preuve vidéo, la Commission a modifié sa décision. Elle a conclu que l’employeur avait licencié la prestataire en raison de son inconduite, et a jugé que la prestataire devrait être exclue du bénéfice des prestations.

[4] La prestataire a interjeté appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, qui a accueilli son appel. La division générale a conclu que la Commission n’avait pas prouvé que la prestataire savait ou aurait dû savoir que son comportement entravait l’exécution des tâches dues à son employeur et qu’en conséquence, il était réellement possible que l’employeur mette fin à son emploi.

[5] La Commission en appelle de la décision de la division générale à la division d’appel.

[6] J’accueille l’appel. La division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait qui était abusive ou arbitraireFootnote 1. Je renvoie l’affaire à la division générale aux fins de réexamen.

Quels moyens d’appel puis-je prendre en considération?

[7] Les « moyens d’appel » sont les motifs de l’appel. Pour accueillir l’appel, je dois conclure que la division générale a commis l’un des types d’erreurs suivantsFootnote 2 :

  1. Le processus d’appel de la division générale n’était pas équitable à certains égards.
  2. La division générale n’a pas tranché une question alors qu’elle aurait dû le faire ou a tranché une question qui excédait ses compétences.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une importante erreur de fait.
  4. La division générale a commis une erreur de droit en rendant sa décision.

Questions en litige

[8] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de décisions des tribunaux affirmant que la violence en milieu de travail est inacceptable?

[9] Était-il abusif ou arbitraire de la part de la division générale de conclure que la Commission n’avait pas prouvé que la prestataire savait ou aurait dû savoir que de frapper une enfant entravait les tâches dues à son employeur et que son licenciement était une réelle possibilité?

Analyse

[10] Selon la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), une partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle a perdu son emploi en raison de son inconduiteFootnote 3. Il incombe à la Commission de prouver qu’une partie prestataire est coupable d’une inconduite et qu’on l’a renvoyée en raison de cette inconduiteFootnote 4.

[11] La Loi sur l’AE ne définit pas le terme « inconduite ». Cependant, les tribunaux ont défini l’inconduite pour y inclure les éléments suivants :

  • La partie prestataire s’est livrée à l’acte ou à l’omission considéré comme étant le fondement de son inconduite.
  • Le comportement de la partie prestataire était volontaire. Cela peut comprendre un geste délibéré ou même insouciantFootnote 5.
  • Le comportement de la partie prestataire était tel qu’elle savait ou aurait dû savoir
    • que sa conduite pouvait nuire à l’exécution des tâches dues à son employeurFootnote 6 et
    • qu’en conséquence, il était réellement possible que l’employeur mette fin à son emploiFootnote 7.

[12] La division générale n’a pas analysé ce que la prestataire savait ou aurait dû savoir sur l’incidence de son comportement sur son emploi indépendamment de ce qu’elle savait ou aurait dû savoir à propos des répercussions de son comportement. Elle a examiné les deux parties ensemble. Cela est compatible avec l’approche adoptée par la Cour d’appel fédérale dans une affaire intitulée Meunier c CanadaFootnote 8. La Cour a statué que l’inconduite implique « un manquement d’une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’il serait susceptible de provoquer son congédiement ».

[13] La division générale a conclu que la Commission n’avait pas prouvé que la prestataire savait ou aurait dû savoir que son comportement pouvait nuire à l’exécution des tâches dues à son employeur et qu’en conséquence, il était réellement possible que l’employeur mette fin à son emploiFootnote 9.

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de décisions des tribunaux affirmant que la violence en milieu de travail est inacceptable?

[14] La Commission a soutenu que la division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas tenu compte de la « jurisprudenceFootnote 10 ». Elle a affirmé qu’il existe une jurisprudence abondante et constante selon laquelle la violence physique en milieu de travail est inacceptableFootnote 11.

[15] La Commission a soumis la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada c KabaFootnote 12. Dans les faits de cette affaire, un prestataire avait giflé une collègue de travail qui avait insulté sa famille. La Cour a conclu que le prestataire aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraîner son congédiement parce que « [l]a violence physique ou verbale en milieu de travail n’a pas sa place et elle ne saurait être sanctionnée par un droit aux prestations ».

[16] Parce que la Commission a fait référence à « une jurisprudence abondante et constante », j’ai demandé à sa représentante si elle voulait que je prenne en compte d’autres sources jurisprudentielles. Je m’intéressais tout particulièrement aux décisions comportant des faits semblables ou qui pourraient permettre de définir le terme « violence » dans le contexte de l’inconduite. J’ai donné 10 jours à la Commission pour soumettre toute source jurisprudentielle supplémentaire.

[17] La Commission a répondu le 20 janvier 2021. Elle a déclaré qu’elle ne pouvait trouver d’autre jurisprudence directement liée à celaFootnote 13. Toutefois, elle a renvoyé à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada c HastingsFootnote 14. La décision Hastings concernait un prestataire qui a frappé et rendu hors d’usage un ordinateur et une imprimante de l’entreprise alors qu’il diffusait un message offensant pour l’employeur dans les haut-parleurs de l’usine, en utilisant un langage vulgaire. Les faits de cette affaire sont très différents de ceux qui me sont présentés. La décision dans l’affaire Hastings ne m’aide pas à rendre ma décision.

[18] Selon moi, il y a également une différence importante entre les faits de l’affaire Kaba et les faits du présent appel. La décision Kaba peut être « écartée », ce qui signifie que la division générale n’aurait pas été obligée de la suivre.

[19] Dans l’affaire Kaba, le prestataire a dit que sa collègue de travail l’avait provoqué. Il a délibérément giflé une autre collègue en réaction à cette provocation. On peut supposer qu’il était en colère ou contrarié et qu’il avait probablement l’intention de faire du mal à sa collègue ou d’infliger de la douleur. Dans l’affaire Kaba, la Cour a fondé sa décision sur son opinion selon laquelle les actes du prestataire étaient de la « violence ».

[20] Dans la présente affaire, les gestes de la prestataire n’étaient pas de la violence. Le dictionnaire en ligne Merriam-Webster définit la violence de différentes façons. Dans une définition, il s’agit du [traduction] « recours à la force physique pour blesser, maltraiter, endommager ou détruire ». Une autre définition de violence est [traduction] « une action ou force intense, turbulente ou brutale et souvent destructriceFootnote 15 ».

[21] Rien dans la preuve vidéo ou dans les déclarations ou le témoignage de la prestataire n’indique qu’elle avait l’intention de blesser ou de maltraiter l’enfant. L’enfant est très petite, mais la prestataire n’a même pas exercé assez de force pour la faire sursauter ou la distraire, encore moins la blesser. Les gestes de la prestataire n’étaient pas intenses, turbulents, brutaux ou destructeurs non plus. Elle était calme, et ses gestes mesurés.

[22] Le libellé utilisé par la division générale pour décrire la vidéo sous-entend que la prestataire a utilisé plus de force qu’il n’en paraît. La division générale a affirmé que la prestataire a giflé l’enfant. Une gifle sous-entend un mouvement oscillant du bras. J’ai visionné la vidéo attentivement et à plusieurs reprises. La prestataire a fait un mouvement du poignet. La division générale a également dit que la prestataire a giflé l’enfant avec la paume de sa main. La vidéo montre que la prestataire n’a frappé l’enfant que des doigts de sa main ouverte. L’enfant continue de pleurer et de se débattre sans pause ni hésitation; sa détresse n’augmente pas visiblement non plusFootnote 16.

[23] La prestataire a témoigné des circonstances entourant l’incident. Elle a dit à la division générale qu’elle n’avait pas eu l’intention de frapper l’enfant. Elle a expliqué que l’enfant n’avait pas été habituée à l’environnement en garderie selon leurs procédures habituelles. Elle a déclaré que l’enfant les avait touchés et griffés, elle et ses collègues, ainsi que les autres enfants. L’enfant avait pleuré sans arrêt durant son premier jour de garde et avait recommencé à pleurer continuellement le deuxième jour, quand l’incident est survenu. La prestataire a aussi dit à la division générale que des parents surveillent la garderie au moyen d’une caméra vidéo et qu’on avait téléphoné pour se plaindre de la façon dont cette enfant incontrôlée affectait les autres enfants. La prestataire a affirmé avoir demandé à sa directrice comment gérer la situation les deux jours et avoir essayé de réconforter l’enfant.

[24] Dans la décision Kaba, la Cour a affirmé que le prestataire (dans ce cas) aurait dû savoir que le fait d’agir violemment pouvait entraîner son congédiement. Cependant, le cas présent est différent. Le comportement de la prestataire n’était pas « violent ». La division générale n’a commis aucune erreur de droit en n’appliquant pas la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Kaba.

Question en litige no 2 : Était-il abusif ou arbitraire de la part de la division générale de conclure que la Commission n’avait pas prouvé que la prestataire savait ou aurait dû savoir que de frapper une enfant entravait les tâches dues à son employeur et que son licenciement était une réelle possibilité?

[25] La Commission ne soutient pas que la division générale a ignoré ou mal compris la preuve. Elle fait valoir que les conclusions de la division générale étaient abusives ou arbitraires.

[26] La division générale a admis que la prestataire a frappé l’enfant, mais qu’elle n’avait pas [traduction] « eu l’intention de frapper l’enfantFootnote 17 ». Comme je l’ai mentionné, j’ai visionné la vidéo. La prestataire a frappé l’enfant. Il est évident que ce n’était pas accidentel. Rien dans la vidéo ou dans aucun autre élément de preuve n’indique que la prestataire avait une quelconque obligation de frapper l’enfant. Par conséquent, lorsque la division générale a affirmé qu’elle n’avait pas eu l’intention de frapper l’enfant, je pense qu’elle voulait dire que la prestataire n’avait pas prévu de le faire. Cela serait compatible avec sa conclusion selon laquelle le comportement de la prestataire était d’une telle insouciance qu’il frôlait le caractère délibéré.

[27] La division générale a accueilli l’appel parce que la Commission n’avait pas fait la preuve de tous les éléments du critère juridique relatif à l’inconduite. Elle a accepté que la prestataire s’était livrée au comportement reproché et qu’elle l’avait fait volontairement. Elle n’a toutefois pas admis que la prestataire aurait dû savoir que ses agissements pouvaient nuire à l’exécution des tâches dues à son employeur et que son licenciement était une réelle possibilité.

[28] Dans sa demande de permission d’en appeler, la Commission a soutenu que la preuve ne pouvait qu’appuyer la conclusion selon laquelle la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission a développé ses arguments pendant l’audience devant la division d’appel. Elle a affirmé que la prestataire est une EPE de formation et que l’employeur a des politiques interdisant le châtiment corporel. La Commission a également noté que la prestataire travaillait dans un centre de la petite enfance et qu’elle avait frappé une enfant confiée à ses soins. La Commission a soutenu que — de ces faits — la division générale ne pouvait que conclure que la conduite de la prestataire portait atteinte au lien de confiance entre la prestataire et l’employeur. La Commission a fait valoir qu’il était abusif ou arbitraire de la part de la division générale de ne pas conclure que la prestataire aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraîner son licenciementFootnote 18.

[29] Je conviens que la division générale a commis une erreur de droit. Elle a jugé que la Commission n’avait pas établi que la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraîner son congédiement. Il s’agissait d’une conclusion de fait abusive ou arbitraire.

[30] Je vais maintenant examiner de plus près les arguments de la Commission concernant ce que la prestataire savait ou aurait dû savoir.

Formation de la prestataire à titre d’éducatrice de la petite enfance

[31] L’un des arguments de la Commission est que la formation d’EPE de la prestataire est la preuve qu’elle savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraîner son licenciement.

[32] La prestataire a témoigné de ce qu’elle a appris au cours de sa formation d’EPE. Elle a déclaré qu’elle était censée se montrer patiente et positive et veiller à ce que les enfants soient en santé et en sécurité. Elle savait que de frapper un enfant, [traduction] « faire du mal » à un enfant, est une mauvaise chose. Elle a dit que sa formation comprenait trois stages en centres de la petite enfance, et qu’aucun n’avait abordé les répercussions du châtiment physique ou corporelFootnote 19.

[33] La prestataire a affirmé qu’elle savait qu’elle ne devrait pas faire de mal à un enfant, et rien ne prouvait qu’elle avait vraiment fait du mal à un enfant. En conséquence, ses agissements correspondaient à ce dont elle se souvenait de sa formation d’EPE.

[34] La Commission semble dire que la prestataire devait savoir qu’elle ne pouvait agir comme elle l’a fait à cause de sa formation d’EPE. La division générale ne pouvait cependant pas faire des hypothèses concernant le contenu de la formation des EPE. Elle ne pouvait pas présumer que la prestataire avait été entraînée à éviter le recours à la force physique en toute circonstance. Elle ne pouvait pas supposer qu’on lui avait dit que tout employeur considérerait le recours au châtiment corporel comme un manquement à son devoir envers cette entreprise. Elle ne pouvait pas déduire que la prestataire aurait été avertie qu’on pouvait la licencier de n’importe quel emploi en centre de la petite enfance pour avoir eu recours au châtiment corporel.

[35] Le fardeau de la preuve incombe à la Commission, qui doit montrer que l’employeur a licencié la prestataire en raison d’une inconduite. La prestataire a témoigné de ce qu’elle a appris, et la division générale l’a trouvée crédible dans l’ensembleFootnote 20. La Commission n’a pas répondu à la preuve de la prestataire au moyen d’éléments de preuve spécifiques sur la teneur de la formation et de l’accréditation d’EPE dans son ensemble, ou du programme de la prestataire en particulier.

[36] Le fait que la prestataire a été formée à titre d’EPE ne veut pas dire que la division générale doit conclure que la prestataire savait ou aurait dû savoir que l’on pouvait la licencier en raison de sa conduite.

Politiques de l’employeur

[37] La Commission a également soutenu que la prestataire était au courant des politiques de l’employeur interdisant le châtiment corporel.

[38] La prestataire a déclaré qu’elle ne se rappelait pas de tout ce que contenaient les politiques de gestion du comportement de l’employeur. Elle a également dit qu’elle ignorait si elle avait compris toutes les politiques. Elle a dit à la division générale qu’il s’agissait de son premier emploi et qu’elle était submergée par le plein cartable de politiques. Elle a déclaré qu’elle était tenue de signer le document de politiques de l’employeur, mais que celui-ci ne lui a remis aucun exemplaire imprimé qu’elle aurait pu conserver, ni l’accès à une copie électronique. Elle a aussi dit que l’employeur n’avait pas parcouru les politiques avec elle, ni discuté de sa politique sur le châtiment corporelFootnote 21. La prestataire a déclaré qu’elle n’était pas au courant de ce qui se passerait si elle enfreignait les politiques de gestion du comportement.

[39] La division générale a fait référence aux politiques de gestion du comportement fournies par l’employeur. Ces renseignements comprenaient des énoncés de politique sur le recours au châtiment physique ou corporel. La politique précise que l’employeur n’autorise pas le châtiment corporelFootnote 22. Elle indique également que le châtiment physique ou corporel infligé à un enfant entraînera la mise à pied immédiate de l’employéFootnote 23.

[40] Cependant, la division générale a indiqué que rien ne prouvait que la version de la politique remise à la Commission par l’employeur était la même que celle que la prestataire avait lue et signée. La prestataire avait apparemment revu et signé les politiques de l’employeur le 15 avril 2019 ou aux environs de cette date, lorsque l’employeur l’a embauchée. Toutefois, la division générale a souligné que les extraits de la politique de gestion du comportement que la Commission avait reçus de l’employeur n’étaient pas signés par la prestataire. Les documents de politiques communiqués par l’employeur étaient également non datés. L’employeur n’a communiqué ces documents qu’un certain temps après la demande du 14 juillet 2020 de la CommissionFootnote 24, soit presque 15 mois après que la prestataire aurait revu et signé les politiques de l’entreprise.

[41] La division générale a soupesé la preuve et a conclu que la Commission n’avait pas prouvé que la prestataire était au courant des politiques précises de l’employeur. Certains éléments de preuve appuyaient la conclusion de la division générale, qui découle de manière rationnelle de l’évaluation de la preuve par cette dernière.

[42] La division générale aurait pu conclure que la prestataire n’était pas au courant de politiques précises selon lesquelles son employeur pouvait la licencier pour avoir eu recours au châtiment corporel. En conséquence, le simple fait que l’employeur possède actuellement une politique sur le châtiment corporel ne signifie pas que la division générale n’avait d’autre choix que de conclure que la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraîner son licenciement.

Ce que la prestataire « aurait dû savoir »

[43] Enfin, la Commission a soutenu que la conclusion de la division générale était abusive ou arbitraire parce que la conduite en l’espèce concernait une agression physique de la part d’une employée de garderie à l’endroit d’une enfant confiée à ses soins. Selon la Commission, la nature de son travail et le caractère de sa conduite étaient tels que la division générale aurait dû conclure que la prestataire aurait dû savoir qu’on pouvait la licencier.

[44] La Commission n’a pas eu besoin de montrer que la prestataire avait effectivement connaissance que sa conduite pouvait entraîner son congédiement. Il fallait seulement qu’elle prouve à la division générale que la prestataire aurait dû savoir ou aurait dû prévoir que son comportement nuirait à l’exécution des tâches dues à son employeur et qu’en conséquence, l’employeur pouvait mettre fin à son emploi. La question n’est pas de savoir ce que la prestataire savait réellement. La question est de savoir ce qu’une personne dans la situation de la prestataire serait raisonnablement censée connaître.

[45] Il est raisonnable de s’attendre à ce que chaque personne connaisse et respecte la loi. Les agissements de la prestataire contrevenaient à la loi.

[46] La loi relative à la garde des enfants de l’Ontario interdit le recours au châtiment corporel dans les centres de garde agréés. Est coupable d’une infraction une personne employée par une entreprise de services de garde se livrant au châtiment corporel dans un centre de garde d’enfantsFootnote 25. La loi de l’Ontario ne définit pas le châtiment corporel, mais ce terme est généralement compris comme étant toute mesure de discipline ou de punition physique. Il est contraire à la loi pour une personne employée en service de garde d’enfants d’avoir recours au châtiment corporel même si le niveau de la force employée est très faible.

[47] Selon le Code criminel, la personne qui se livre à des voies de fait commet une infraction. Je suis certain que la prestataire ne considère pas sa conduite comme une « agression » contre l’enfant. Toutefois, le Code criminel prévoit que commet des voies de fait une personne qui, d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentementFootnote 26. Le Code criminel ne requiert pas que la force soit déraisonnable ou excessive.

[48] Le Code criminel présente un moyen de défense face à une accusation au criminel de voies de fait aux parents ou enseignants employant une force raisonnable pour corriger un enfantFootnote 27. La Cour suprême du Canada a cependant interprété la signification de « force raisonnable ». La Cour a maintenu que le châtiment corporel infligé à un enfant de moins de deux ans ou consistant en des coups portés à la tête ne peut pas être considéré comme étant de « force raisonnableFootnote 28 ».

[49] Le comportement de la prestataire était contraire à la loi relative à la garde des enfants de l’Ontario, et probablement illégal aux termes du Code criminel. La preuve portée à la connaissance de la division générale a établi que la prestataire a eu recours à la force physique à l’égard d’une enfant d’un an qui avait été confiée à ses soins. Les éléments de preuve ont également établi que la conduite de la prestataire était d’une insouciance telle qu’elle frôlait le caractère délibéré.

[50] Je comprends que la prestataire ne savait peut-être pas que ses agissements étaient contraires à la loi, ou même qu’elle n’y ait pas trop réfléchi. La prestataire a employé un très faible niveau de force et il est évident que ses agissements n’étaient pas violents. Elle n’avait pas l’intention de faire du mal à l’enfant d’une quelconque façon, et elle n’a pas vraiment causé de tort à l’enfant.

[51] Cependant, ce qu’elle savait réellement au sujet de la loi n’a pas d’importance puisqu’elle ne se souciait pas de savoir si sa conduite était illégale. La société a présumé que les personnes qui la composent connaissent les lois qui s’appliquent à elles. [Traduction] « Ignorer la loi » n’est pas un moyen de se soustraire aux conséquences de la loi.

[52] La prestataire était une employée de garderie. Il est raisonnable de s’attendre à ce que les employés de centres de la petite enfance aient une certaine connaissance des activités qui sont formellement interdites au personnel des garderies. Il est également raisonnable de s’attendre à ce que la prestataire évite une conduite interdite par le droit pénal au Canada.

[53] Je dois dire que je suis d’accord avec la Commission. Il était abusif ou arbitraire de la part de la division générale de ne pas conclure que la prestataire aurait dû prévoir que sa conduite pouvait entraîner son licenciement. Sa conduite était illégale et touchait directement les tâches dues à son employeur.

[54] J’ai conclu que la division générale avait commis une erreur. Cela signifie qu’il me faut décider de la réparation appropriée.

Réparation

[55] J’ai le pouvoir de modifier la décision de la division générale ou de rendre la décision que la division générale aurait dû rendreFootnote 29. Je peux aussi renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle réexamine sa décision.

[56] Les deux parties préféreraient que je rende la décision que la division générale aurait dû rendre. Toutefois, je ne peux rendre la décision que si le dossier est complet. Cela signifierait que j’accepte que les parties ont eu la possibilité de témoigner devant la division générale sur toutes les questions que je dois trancher. Il est également nécessaire que le dossier d’appel contienne suffisamment de preuve pour me permettre de parvenir à une conclusion éclairée pour chacune de ces questions.

[57] Dans le cas présent, le dossier est incomplet; je renvoie donc l’affaire à la division générale pour qu’elle réexamine sa décision.

[58] Pour qu’une partie prestataire soit exclue du bénéfice des prestations en raison d’une inconduite, la Commission doit établir que ses actions correspondent à la définition de l’inconduite. La Commission doit cependant confirmer également que la conduite était essentielle à la décision de l’employeur de licencier la partie prestataire.

[59] La Cour d’appel fédérale a affirmé qu’il incombe à la Commission de prouver qu’une partie prestataire a perdu son emploi « en raison de sa propre inconduite ». Elle a aussi affirmé que l’inconduite doit être le motif et non l’excuse du congédiementFootnote 30.

[60] La division générale a conclu que la prestataire n’avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite. Toutefois, je n’accepte pas que la division générale ait réfléchi au motif de l’employeur pour licencier la prestataire. La division générale avait déjà conclu que la conduite de la prestataire ne constituait pas une inconduite au sens de la Loi sur l’AE. La division générale n’aurait pas eu à examiner la question de savoir si l’employeur l’avait congédiée pour sa conduite, si ce comportement ne constituait pas une inconduite selon la Loi sur l’AE.

[61] La division générale a commenté le décalage entre l’incident et le licenciement de la prestataire. Elle a souligné que l’employeur n’avait pas expliqué le délai, et que la Commission ne s’était pas penchée sur la question. La division générale n’a cependant rien dit d’autre sur les raisons qu’avait l’employeur pour congédier la prestataire. Elle n’a pas dit si la Commission avait établi que la prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

[62] Il existe des preuves au dossier de révision qui semblent indiquer que la conduite de la prestataire était la raison de son licenciement. Toutefois, je ne suis pas certain que la division générale a donné à la prestataire une occasion équitable de répondre à cette preuve. Par conséquent, je renvoie l’affaire à la division générale pour un réexamen.

Conclusion

[63] J’accueille l’appel et je renvoie l’affaire à la division générale pour qu’elle réexamine sa décision.

Date de l’audience :

Le 12 janvier 2021

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions:

Rachel Paquette, représentante de l’appelante

S. K., intimée

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