Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : X c Commission de l’assurance-emploi du Canada et HM, 2021 TSS 88

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-829

ENTRE :

X

Appelant

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée

et

H. M.

Partie mise en cause


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Pierre Lafontaine
DATE DE LA DÉCISION : Le 10 mars 2021

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] Le Tribunal accueille l’appel de l’employeur.

Aperçu

[2] La partie mise en cause (prestataire) a perdu l’emploi qu’elle occupait depuis 22 ans au service de la comptabilité du complexe hôtelier et spa de l’appelant (employeur). L’employeur a congédié la prestataire pour le vol de 172 660 $ qui a eu lieu en 2017, ou, accessoirement, il a congédié la prestataire pour négligence grave dans l’exercice de ses fonctions parce qu’elle n’a pas constaté qu’il manquait de l’argent au cours de l’année 2017.

[3] L’intimée, la Commission de l’assurance‑emploi du Canada, a décidé que la prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite. À l’étape de la révision, la prestataire a présenté une décision de la cour qui l’acquittait de deux accusations de vol et de fraude en vertu du Code criminel. La Commission a ensuite révisé sa décision initiale en faveur de la prestataire. L’employeur a porté en appel, devant la division générale, la décision découlant de la révision de la Commission.

[4] La division générale a conclu que l’employeur n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la prestataire avait commis le vol. Elle a aussi conclu que l’employeur n’avait pas démontré que la prestataire avait fait preuve d’une grande négligence dans l’exercice de ses fonctions. Compte tenu de ses conclusions, la division générale a conclu que la prestataire n’avait pas perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[5] La division d’appel a accueilli la demande de permission d’en appeler de l’employeur. Ce dernier affirme que la division générale a commis des erreurs de droit, et a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[6] Je dois décider si la division générale a commis des erreurs de droit et a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[7] J’accueille l’appel de l’employeur.

Questions en litige

[8] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’application du principe de la chose jugée relativement à la décision de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan?

[9] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ignorant la preuve de l’employeur et en rendant sa décision qui était fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

Analyse

Mandat de la division d’appel

[10] La Cour d’appel fédérale a décidé que lorsque la division d’appel instruit des appels conformément à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), son mandat lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loiNote de bas de page 1.

[11] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif pour les décisions rendues par la division générale et ne saurait exercer un pouvoir de surveillance similaire à celui d’une cour supérieureNote de bas de page 2.

[12] Par conséquent, à moins que la division générale n’ait omis d’observer un principe de justice naturelle, qu’elle ait commis une erreur de droit ou qu’elle n’ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, je dois rejeter l’appel.

Affaires préliminaires

[13] Compte tenu des motifs d’appel de l’employeur, j’ai écouté les enregistrements de l’enquête de l’employeur et l’enregistrement de l’audience de la division générale.

[14] Étant donné que les pouvoirs de la division d’appel sont limités selon l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS, j’examine seulement, dans ma décision, la preuve présentée à la division générale.

[15] De plus, compte tenu de ma décision d’accueillir l’appel de l’employeur, il n’est pas nécessaire que je décide si des exceptions s’appliquent pour accepter de nouveaux éléments de preuve à la division d’appel.

La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’application du principe de la chose jugée relativement à la décision de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan?

[16] Non. Selon moi, la division générale n’a pas commis d’erreur de droit en ne tenant pas compte de l’application du principe de la chose jugée relativement à la décision de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan.

[17] Les critères d’application de cette théorie sont les suivants :

  1. que la même question ait été décidée;
  2. que la décision judiciaire soit finale;
  3. que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes personnesNote de bas de page 3.

[18] Bien que le critère de l’identité des parties soit interprété d’une manière générale par la jurisprudence, j’estime que les parties ne se sont pas retrouvées dans des procédures parallèlesNote de bas de page 4.

[19] Devant la Cour du Banc de la Reine, la prestataire s’est défendue contre Sa Majesté la Reine d’accusations de vol et de fraude. L’employeur ne participait pas à cette procédure en tant que partie. Les parties qui se sont retrouvées devant la division générale pour débattre de la question de l’inconduite de la prestataire n’étaient pas les mêmes.

[20] Un critère n’est pas satisfait, et la théorie de la chose jugée ne s’applique donc pas.

[21] Pour ces raisons, j’estime que la division générale n’a commis aucune erreur de droit en ne tenant pas compte de l’application du principe de la chose jugée relativement à la décision de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan.

La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ignorant la preuve de l’employeur et en rendant sa décision qui était fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

[22] Le rôle de la division générale est d’examiner la preuve présentée par les deux parties afin de relever les faits pertinents, à savoir les faits qui concernent précisément la contestation qu’elle doit trancher et d’expliquer par écrit la décision qu’elle a rendue concernant ces faits.

[23] La division générale a établi que l’employeur avait mis fin à l’emploi de la prestataire pour un vol d’argent en 2017 et que, si elle n’avait pas volé l’argent, l’employeur avait congédié la prestataire pour une négligence grave dans l’exercice de ses fonctions parce qu’elle n’avait pas constaté qu’une somme de 172 660 $ était manquante.

[24] Cependant, la division générale a établi que l’employeur n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la prestataire avait commis le vol. Elle a aussi conclu que l’employeur n’avait pas démontré que la prestataire avait commis une négligence grave dans l’exercice de ses fonctions. Compte tenu de ces conclusions, la division générale a conclu que la prestataire n’avait pas perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[25] En tout respect, et pour les raisons que je vais décrire plus en détail ci-dessous, je dois intervenir parce que j’estime que la division générale a ignoré la preuve de l’employeur et des déclarations de la prestataire pour conclure que la prestataire n’avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite. J’estime que la division générale n’a pas tenu compte de tous les faits pertinents à la cause et qu’elle a donc commis une erreur de droitNote de bas de page 5.

[26] Je vais donc rendre la décision que la division générale aurait dû rendre conformément à l’article 59(1) de la Loi sur le MEDS.

[27] La prestataire a travaillé pour l’employeur pendant 22 ans avant son congédiement survenu le 24 février 2018.

[28] La preuve non contestée montre qu’en 2017, l’une des tâches de la prestataire était de remplir les deux guichets automatiques des sections spa et hôtel du complexe hôtelierNote de bas de page 6. Pour ce faire, elle devait préparer un chèque que le chef de la direction et directeur général devait signer, se rendre à la banque locale Coopérative de crédit Affinity à X, endosser le chèque et l’encaisser. Chaque chèque équivalait à 3 000 $ en billets de 20 $ qui devaient être insérés dans les guichets automatiques du complexe hôtelier.

[29] En revenant de la banque, la prestataire et une autre employée, LDM, retiraient les cassettes des guichets, les amenaient au bureau, remplissaient les guichets, comptaient le total de l’argent inséré dans les guichets, et signaient toutes les deux le registre comptable des guichets.

[30] La prestataire et LDM remplissaient les guichets automatiques régulièrement le vendredi. La prestataire retirait parfois une somme supplémentaire à la banque lors des longues fins de semaine et l’entreposait dans le coffre‑fort afin de pouvoir approvisionner les guichets rapidement le lundi ou le mardi si leur solde était faibleNote de bas de page 7. Il n’y avait aucun registre de l’argent supplémentaire entreposé dans le coffre‑fort.

[31] En février 2018, lorsque le comptable professionnel a examiné les relevés financiers exhaustifs concernant l’exercice 2017, il a constaté que des fonds des guichets, qui totalisaient 172 660 $, étaient manquants et avaient disparu.

[32] L’employeur fait valoir que la prestataire avait encaissé elle-même chacun des chèques pour les guichets automatiques figurant dans le registre et que sa signature est apposée sur chacun de ces chèques. Il affirme que la prestataire était la seule personne qui prenait l’argent à la banque et le ramenait à l’entreprise. L’employeur fait aussi valoir que la prestataire avait participé à chaque approvisionnement des guichets en argent comptant. Il affirme que la preuve prépondérante montre que la prestataire a pris les fonds manquants des guichets de l’employeur.

[33] La prestataire affirme qu’au moins trois autres personnes avaient accès au coffre‑fort, y compris le chef de la direction, son épouse et LDM. Elle affirme que la preuve de l’employeur est circonstancielle et qu’il n’existe aucune preuve directe qu’elle a pris l’argent. Elle fait valoir que la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan l’a trouvée crédible et l’a acquittée de toutes les accusations.

[34] Devant le Tribunal, et plus précisément dans les causes d’assurance‑emploi, l’employeur a le fardeau de démontrer l’inconduite de la partie prestataire selon la prépondérance des probabilités, et non hors de tout doute raisonnable. La présente instance n’est pas une procédure criminelle.

[35] La question à laquelle je dois répondre en m’appuyant sur la preuve présentée à la division générale est la suivante :

- L’employeur s’est-il acquitté de son fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la prestataire a pris l’argent manquant des guichets automatiques?

[36] L’employeur a fourni en preuve des pages manuscrites, qualifiées de [traduction] « registre comptable de la prestataire », qui comprennent des colonnes datées du 13 janvier 2017 au 29 décembre 2017, et montrent la date à laquelle la prestataire et LDM ont introduit l’argent dans les guichets, le nombre de billets de 20 $ qui ont été insérés et les initiales des deux employées qui ont rempli les guichetsNote de bas de page 8. Il a aussi fourni en preuve tous les chèques pour les guichets signés par la prestataire et encaissés au cours de l’année 2017 afin de remplir les guichetsNote de bas de page 9.

[37] La prestataire a décidé de ne pas témoigner devant la division générale. Elle n’a pas contesté le fait que sa signature figurait sur tous les chèques pour les guichets encaissés en 2017, et qu’elle transportait l’argent des guichets de la banque à l’hôtel et, finalement, qu’il s’agissait de son registre comptable des guichets pour l’année 2017.

[38] Dans sa demande de prestations, la prestataire précise que [traduction] « des fonds supplémentaires étaient retirés pour les longues fins de semaine afin d’avoir suffisamment d’argent disponible et ces fonds étaient entreposés dans le coffre‑fort de l’entreprise, mais la vérification de fin d’exercice de 2017 montre qu’il manque une somme considérable ».

[39] Cette déclaration initiale de la prestataire, seulement quelques jours après son congédiement, laisse entendre que la somme manquante est plus importante que la somme placée dans le coffre-fort de l’entreprise pour les longues fins de semaine.

[40] Lorsqu’elle a répondu aux questions d’une agente de la Commission, la prestataire a confirmé qu’elle était responsable des guichets automatiques, et de l’ajout de l’argent comptant provenant des chèques encaissés à la banque. La prestataire a déclaré qu’elle rapportait occasionnellement une somme supplémentaire en prévision des fins de semaine fériées et qu’elle l’entreposait dans le coffre‑fort afin d’être en mesure de réapprovisionner rapidement les guichets si leur solde était faible le lundi ou le mardiNote de bas de page 10.

[41] Au cours de l’enquête interne de l’employeur, la prestataire a de nouveau mentionné qu’il n’était pas arrivé [traduction] « très souvent » que de l’argent comptant supplémentaire soit entreposé dans le coffre‑fortNote de bas de page 11.

[42] LDM, l’employée qui remplissait les guichets avec la prestataire et qui signait avec elle le registre, a confirmé ces déclarations formulées par la prestataire pendant son témoignage lors de l’enquête préliminaire de la prestataire. LDM a affirmé qu’elles introduisaient dans les guichets tout l’argent comptant contenu dans un sac noir dès que la prestataire revenait de la banque, sauf qu’à l’occasion, elles entreposaient de l’argent comptant supplémentaire dans le coffre‑fort, seulement pour les longues fins de semaine. LDM a aussi affirmé que dans la mesure où un chèque avait été honoré dans le compte de l’entreprise au cours du mois, le chèque serait autorisé dans le cadre du rapprochement mensuelNote de bas de page 12.

[43] Cette preuve me porte à croire qu’il est très improbable que la somme de 172 660 $ ait été placée dans le coffre‑fort comme réserve pour les longues fins de semaine. Les fonds manquants ne peuvent pas être considérés comme [traduction] « un peu d’argent supplémentaire » en réserve pour tenir compte « parfois » de douze longues fins de semaine au cours d’une année. Les fonds manquants représentent presque 35 % de l’ensemble des chèques pour les guichets encaissés par la prestataire en 2017.

[44] La preuve prépondérante n’appuie pas le fait que de si rares occasions où de l’argent comptant est placé dans le coffre-fort représenteraient un manque à gagner totalisant 172 660 $. Le fait que l’employeur n’ait pas produit de séquence vidéo de la caméra de surveillance faisant face au coffre-fort ne change rien à cette conclusion évidente tirée de la preuve.

[45] J’estime que la preuve montre qu’il est plus probable qu’improbable que les fonds des guichets ne se sont jamais rendus de la banque à l’hôtel. La prestataire et LDM ont toutes les deux confirmé que la somme d’argent que la prestataire avait dans son sac noir à son arrivée à l’hôtel était introduite dans les guichets et qu’il arrivait à l’occasion qu’une petite somme supplémentaire soit entreposée dans le coffre‑fort. La seule personne qui avait accès à l’argent de la banque à l’hôtel était la prestataire.

[46] J’estime par conséquent que, selon la prépondérance des probabilités, la prestataire a pris les fonds des guichets de son employeur. Elle a reconnu dans sa demande de prestations que l’employeur appliquait une politique de tolérance zéro à l’égard du vol. Par conséquent, la prestataire savait ou aurait dû savoir que de tels gestes mèneraient à son congédiement. La preuve prépondérante montre aussi que l’employeur a congédié la prestataire pour cette raison. Compte tenu de ces conclusions, je conclus que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite.

[47] Il est bien établi dans la jurisprudence qu’un vol commis par une employée ou un employé aux dépens de son employeur constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploi (Loi sur l’AE)Note de bas de page 13.

[48] De plus, même si j’avais conclu que la prestataire n’avait pas pris les fonds, cette dernière, en tant que personne directement responsable d’encaisser les chèques et d’approvisionner les guichets, a agi avec une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire qu’elle a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement. Cela constitue aussi une inconduite au sens de la Loi sur l’AENote de bas de page 14.

[49] Pour les raisons mentionnées ci-dessus, j’accueille l’appel de l’employeur.

Conclusion

[50] Le Tribunal accueille l’appel de l’employeur.

 

Date de l’audience :

Le 2 février 2021

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

Jacob Watters, représentant de l’appelant

Melanie Allen, représentante de l’intimée

Attila Hadjirezaie, représentant de l’intimée

John Will, représentant de la partie mise en cause

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.