Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

AE – droits à l’égalité de la Charte – prolongation de la période de référence – incapacité mentale
Ce prestataire a un trouble de stress post-traumatique depuis l’explosion de train de Lac-Mégantic. En 2015, il a touché des prestations de maladie de l’AE, puis il est retourné au travail. Il a éventuellement quitté son emploi et demandé des prestations régulières d’AE. Mais il n’avait pas suffisamment d’heures au cours de sa période de référence pour en recevoir. La Commission a rejeté sa demande initiale et sa demande de révision. Devant la division générale (DG), le prestataire a soutenu que la limite prévue par la loi pour la prolongation des périodes de référence portait atteinte à son droit à l’égalité garanti par la Charte. Il a affirmé que la limite était discriminatoire à son égard en raison d’une déficience mentale; cette limite aux prolongations a pour effet d’empêcher le versement de prestations aux personnes ayant une telle déficience. La DG a conclu que le prestataire n’avait pas démontré que la loi créait une distinction fondée sur une déficience mentale et a rejeté l’appel.

Le prestataire a interjeté appel à la division d’appel (DA) qui a conclu que la DG avait commis deux erreurs. La DA les a corrigées, mais a tout de même rejeté la contestation fondée sur la Charte en fin de compte :
- D’abord, la DG a affirmé que le prestataire n’avait montré aucune preuve selon laquelle la loi créait une distinction fondée sur la déficience mentale. La DA a conclu qu’une telle affirmation ne tient pas compte d’éléments de preuve incontestés obtenus à l’audience et sous forme de documents;
- Ensuite, puisque la DG n’a pas tenu compte de cette preuve, elle a commis une erreur de droit en appliquant le critère juridique relatif à la Charte.

La DA a convenu que la loi crée une distinction entre les prestataires ayant besoin d’une prolongation plus longue et ceux qui n’en ont pas besoin. La DA a tout de même conclu que le prestataire n’avait pas prouvé que cette distinction représentait de la discrimination selon la Charte. La DA a en fait constaté le contraire; puisque la loi permet une prolongation de la période de référence, elle répond mieux aux besoins des prestataires ayant des déficiences mentales. Elle augmente le nombre possible d’heures assurables pour ceux qui n’ont pas travaillé récemment. La DA a cependant conclu que cette limite des prolongations ne pouvait être repoussée indéfiniment, et qu’on ne pouvait la déclarer discriminatoire. Sur cette base, entre autres choses, la DA a rejeté l’appel.

Contenu de la décision

Citation : JP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2021 TSS 118

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-769

ENTRE :

J. P.

Appelant

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Pierre Lafontaine
DATE DE LA DÉCISION : Le 31 mars 2021

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] Le Tribunal rejette l’appel.

Aperçu

[2] L’appelant (prestataire) a présenté une demande de prestations régulières le 11 août 2017. La période de référence du prestataire a été établie du 7 août 2016 au 5 août 2017.

[3] Puisque le prestataire n’a accumulé que 441 heures d’emploi assurable pendant sa période de référence et qu’il lui fallait 700 heures pour faire établir une période de prestations, l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission), a refusé de lui verser des prestations d’assurance-emploi.

[4] Le prestataire a contesté cette décision et il a également déposé un avis de contestation constitutionnelle devant la division générale.

[5] La division générale a conclu que le prestataire n’avait pas démontré que l’article 8(7) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) le distingue sur la base d’une déficience mentale et qu’il le traite de façon discriminatoire au sens de l’article 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte).

[6] Le prestataire a obtenu la permission d’en appeler à la division d’appel. Il soutient que le mode d’audience par vidéoconférence ne lui a pas donné l’occasion de faire valoir adéquatement sa position. De plus, il soutient que la division générale a ignoré certains éléments de preuve et erré en droit dans son interprétation de l’article 15(1) de la Charte.

[7] Je dois décider si la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle, si elle a ignoré certains éléments de preuve, et finalement si elle a erré dans son interprétation de l’article 15(1) de la Charte.

[8] Pour les motifs ci-après mentionnés, je rejette l’appel du prestataire.

Questions en litige

[9] Est-ce que le choix de la division générale de procéder par vidéoconférence a eu pour effet d’empêcher le prestataire de faire valoir adéquatement sa position?

[10] Est-ce que la division générale a ignoré certains éléments en preuve et erré dans son interprétation de l’article 15(1) de la Charte?

Analyse

Mandat de la division d’appel

[11] La Cour d’appel fédérale a déterminé que la division d’appel n’avait d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS)Footnote 1.

[12] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure.

[13] En conséquence, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait erré en droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Remarques préliminaires

[14] Le prestataire a demandé à ce que la division d’appel procède par le mode d’audience questions et réponses.

[15] Puisque mes pouvoirs sont limités par l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS, et qu’il ne s’agit pas d’une audience de nouveau, ma décision ne tient compte que de la preuve présentée devant la division générale. Aucune exception à cette règle ne trouve application dans le présent dossier.

[16] J’ai donc invité les parties à expliquer en détails dans leurs observations écrites pourquoi la décision de la division générale devrait être annulée, modifiée ou maintenue, et le remède recherché, ce qu’ils ont fait. Chacune des parties a également eu l’occasion de répondre aux observations de l’autre partie.

[17] Suite à l’expiration du délai accordé aux parties pour déposer leurs observations, et conformément à ma décision accordant la permission d’en appeler, je vais rendre ma décision finale sur la foi du dossier.Footnote 2

Faits et procédures

[18] Le prestataire travaillait pour son employeur depuis le mois de septembre 1984.

[19] Le X juillet 2013, le prestataire était sur place lors de la tragédie du X. L’incident s’est déroulé à quelques mètres de lui. Il a échappé à la mort alors que ce ne fut pas le cas pour quelques amis proches. À la suite de cette tragédie, le prestataire a été atteint du syndrome de stress post-traumatique. Il s’est absenté du travail jusqu’au mois de novembre 2013.

[20] À son retour au travail, le prestataire a été confronté aux nouvelles exigences de son employeur. Il a déposé un grief faisant notamment valoir le fait que son employeur ne tenait pas compte de ses problèmes de santé et refusait de l’accommoder dans ses tâches. L’arbitre a tranché en faveur du prestataire dans une décision rendue le 22 août 2016.

[21] Dans l’intervalle, le prestataire a reçu 15 semaines de prestations de maladie du 30 août au 12 décembre 2015. Il n’a pas occupé de poste entre le 2 avril 2014 et le 1er septembre 2016.

[22] Le prestataire a par la suite travaillé en retour progressif pour son employeur. Il a accumulé 441 heures d’emploi assurable du 1er septembre 2016 au 7 janvier 2017. Il a cependant quitté son emploi le 9 janvier 2017, et ce, définitivement.

[23] Une entente a été conclue entre le prestataire et son employeur qui confirme son départ pour des raisons de santé. Le prestataire en avait assez de l’attitude de l’employeur. L’entente indique notamment que le prestataire est en congé sans traitement du 8 janvier 2017 au 31 mars 2018, date à laquelle prendra fin son lien employeur/employé et qu’il s’engage à prendre sa retraite à la fin de son congé.

[24] Le prestataire a déposé une demande initiale de prestations d’assurance-emploi le 11 août 2017. Sa période de référence pour établir sa demande de prestations est du 7 août 2016 au 5 août 2017. Il a accumulé 441 heures d’emploi assurable au cours de sa période de référence.

[25] La Commission a avisé le prestataire qu’il n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’il avait besoin de 700 heures d’emploi assurable dans la période du 7 août 2016 au 5 août 2017, alors qu’il avait accumulé 441 heures.

[26] Le prestataire a porté en appel devant la division générale la décision de la Commission concernant le refus de sa demande de prestations régulières. En soutien à son appel, il a déposé de nombreux documents (griefs, décisions arbitrales, expertises, contre-expertises, etc.) démontrant le contexte de travail qui a mené à son départ pour des raisons de santé.

[27] Le prestataire a également soulevé une question constitutionnelle devant la division générale. Il a fait valoir que l’article 8(7) de la Loi sur l’AE, qui limite la prolongation de la période de référence à 104 semaines, est discriminatoire en vertu de l’article 15(1) de la Charte. Il a soutenu que les personnes qui souffrent de maladies mentales pendant une période prolongée sont désavantagées par la limite de 104 semaines imposée par la Loi sur l’AE parce qu’ils se voient refuser systématiquement l’accès aux prestations d’assurance-emploi.

[28] La Commission a initialement demandé à la division générale de rejeter la contestation constitutionnelle du prestataire et que la cause soit entendue comme un appel régulier. Elle a fait valoir que le prestataire n’est pas directement touché par la question en litige puisqu’il n’est pas affecté par la limite prévue à l’article 8(7) de la Loi sur L’AE et que le prestataire n’a pas la légitimité d’agir dans l’intérêt public.

[29] La Commission a fait valoir que, puisque le prestataire avait reçu des prestations de maladie jusqu’au 12 décembre 2015, une prolongation additionnelle de sa période de référence ne donnerait pas accès à davantage d’heures d’emploi assurable que les 441 heures déjà considérées.

[30] La division générale a rejeté la demande de la Commission. Elle a jugé la demande prématurée étant donné qu’aucune décision n’avait été prise quant à la validité constitutionnelle des dispositions contestées. La division générale a conclu que la contestation constitutionnelle n’était pas purement théorique.

[31] Le 3 août 2020, la division générale a procédé à l’audience par vidéoconférence.

[32] La division générale a conclu que le prestataire n’avait pas suffisamment d’heures dans sa période de référence pour être admissible à des prestations régulières. Elle a également conclu que le prestataire n’avait pas démontré que l’article 8(7) de la Loi sur L’AE limitant la prolongation de la période de référence à 104 semaines le distingue sur la base d’une déficience mentale et qu’il est en conséquence traité de façon discriminatoire au sens de l’article 15(1) de la Charte.

[33] Le prestataire a obtenu la permission d’en appeler à la division d’appel.

Est-ce que le choix de la division générale de procéder par vidéoconférence a eu pour effet d’empêcher le prestataire de faire valoir adéquatement sa position?

[34] Le prestataire reproche à la division générale d’avoir procédé à la tenue de l’audience par vidéoconférence alors qu’il avait exigé une audience en personne. Il fait valoir qu’il a été ainsi empêché de présenter adéquatement sa position. Il soutient que la division générale a esquivé des points importants de ses observations lors de l’audience par vidéoconférence.

[35] Après avoir entendu l’enregistrement de l’audience devant la division générale, je suis d’avis que le choix du type d’audience par la division générale n’a pas porté atteinte à l’appel du prestataire.

[36] Le prestataire a eu l’occasion de présenter chacun de ses moyens d’appel devant la division générale. Il a produit de nombreuses observations écrites avant l’audience devant la division générale. Il a également produit une synthèse de son argumentation une semaine avant l’audience devant la division générale.

[37] Le représentant du prestataire, avant de se retirer du dossier, a également produit une argumentation détaillée relative à la CharteFootnote 3.

[38] La division générale a expédié une lettre au prestataire expliquant que le membre qui entendrait la cause aurait pris connaissance de l’ensemble du dossier avant l’audience et que le débat serait centré sur les arguments concernant la disposition contestée.

[39] Le prestataire n’a soulevé aucune objection portant sur l’équité procédurale lors de l’audience devant la division générale. Il ne s’est également pas opposé au choix du mode d’audience par la division générale suite à la réception de l’avis d’audience.

[40] Je suis d’avis que le prestataire n’a pas réussi à démontrer que le mode d’audience choisi par la division générale a eu pour effet de l’empêcher de faire valoir adéquatement sa position ou que la division générale a mal exercé sa discrétion en procédant à une audience par vidéoconférence.Footnote 4

[41] Ce moyen d’appel est rejeté.

Est-ce que la division générale a ignoré certains éléments de preuve et erré dans son interprétation de l’article 15(1) de la Charte?

[42] Je dois maintenant décider si la division générale a ignoré certains éléments de preuve du prestataire et si elle a erré dans son interprétation de l’article 15(1) de la Charte.

La décision de la division générale

[43] La division générale a conclu que le prestataire n’avait pas démontré que l’article 8(7) de la Loi sur L’AE permettant de prolonger la période de référence pour une période maximale de 104 semaines le distingue sur la base d’une déficience mentale et qu’il est en conséquence traité de façon discriminatoire au sens de l’article 15(1) de la Charte.

Position des parties

[44] Le prestataire fait valoir que bien que l’article 8(7) de la Loi sur l’AE ne fasse pas expressément mention de la notion de déficience physique ou mentale, le fait de limiter la période de référence à 104 semaines vient empêcher les gens qui ont souffert de maladies graves de bénéficier de prestations de l’assurance-emploi.

[45] Le prestataire soutient que l’article 8(2)(a) de la Loi sur l’AE a pour but de permettre à une personne qui a souffert d’une maladie de pouvoir prolonger sa période de référence de la même durée que la période d’absence du travailleur. Toutefois, l’article 8(7) de la Loi sur L’AE limite à 104 semaines la prolongation de ce délai. Cela a pour effet d’empêcher certaines personnes de bénéficier de l’assurance-emploi alors qu’ils sont en congé de maladie prolongée pour des raisons hors de leur contrôle.

[46] Le prestataire soutient que l’article 8(7) de la Loi sur l’AE crée une distinction fondée sur la déficience physique ou mentale d’une personne lorsque lesdites déficiences sont majeures et de longue durée. Il fait valoir que l’assurance-emploi ne couvre pas les personnes qui doivent s’absenter du travail en raison d’une maladie pour une période de plus de 104 semaines.

[47] Pour ces motifs, il soutient qu’il subit un désavantage découlant de la Loi sur l’AE en raison de sa déficience mentale et que les conditions du test applicable à l’article 15(1) de la Charte sont répondus.

[48] La Commission est d’avis que le prestataire n’a pas établi l’existence d’une discrimination, faute de preuve et d’une démonstration fondée en droit. Elle fait valoir que le prestataire n’a pas fait la démonstration que cette disposition crée une distinction qui a pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire.

[49] La Commission soutient également que la disposition contestée ne porte pas atteinte au droit du prestataire à l’égalité que lui garantit l’article 15(1) de la Charte et, à titre subsidiaire, est justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte.

Le critère juridique de l’article 15(1) de la Charte

[50] La jurisprudence établit un critère à deux volets pour évaluer une plainte fondée sur l’article 15(1) de la Charte :

  1. La loi crée elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?
  2. La distinction crée t elle un désavantage par la perpétuation d’un préjudice ouFootnote 5 l’application de stéréotypes ?

[51] La première étape de l’analyse fondée sur l’article 15(1) vise à s’assurer que les tribunaux examinent seulement les distinctions que la Charte vise à interdire. L’article 15(1) de la Charte ne protège que les distinctions fondées sur des motifs énumérés ou analogues.

[52] Un motif analogue est « une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelleFootnote 6 ».

[53] Cependant, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue ne suffit pas pour établir une violation au titre de l’article 15(1) de la Charte. À la seconde étape, il faut démontrer que la mesure législative a un effet discriminatoire parce qu’elle perpétue un préjugé ou un stéréotypeFootnote 7.

[54] L’analyse des droits garantis par la Charte doit être effectuée en fonction de l’objet visé et du contexte, alors que la principale préoccupation de l’article 15(1) de la Charte consiste à combattre la discrimination qui se présente sous forme de perpétuation d’un désavantage ou d’un stéréotype.

[55] Dans le cadre de mon analyse finale, je dois me demander si, compte tenu de tous les facteurs contextuels pertinents, y compris la nature et l’objet des dispositions législatives contestées se rapportant à la situation du prestataire, la distinction contestée crée une discrimination en perpétuant un désavantage à l’égard du groupe ou en lui appliquant des stéréotypes.

Régime législatif

[56] Le régime d’assurance emploi est un régime contributif qui fournit une assurance sociale aux Canadiennes et Canadiens qui ont subi une perte de revenu à la suite de la perte de leur emploi ou qui sont incapables de travailler en raison d’une maladie, d’une grossesse ou de la naissance d’un enfant ou des responsabilités parentales dont ils doivent s’acquitter pour prendre soin d’un nouveau né ou d’un enfant nouvellement adopté.

[57] Le régime d’assurance-emploi repose sur la participation récente au marché du travailFootnote 8. L’objectif est d’indemniser les chômeurs pour la perte de revenus provenant de leur emploi et d’assurer leur sécurité économique et sociale pendant un certain temps pour ainsi leur permettre de retourner sur le marché du travail.

[58] La personne assurée qui désire recevoir des prestations doit faire une demande et démontrer qu’elle remplit les conditions nécessaires à l’établissement d’une période de prestations et qu’elle répond aux critères d’admissibilité du type de prestations applicable.

[59] L’article 7(2) de la Loi sur l’AE établit un seuil d'admissibilité aux prestations d'assurance-emploi fondé sur les heures travaillées dans le cadre d'un emploi assurable (entre 420 et 700 heures), selon le taux de chômage régional. Les heures d’emploi assurables doivent toutes avoir été accumulées au cours de la période de référence qui est définie comme les 52 semaines précédant immédiatement le début de la période de prestations.

[60] Dans certaines situations, la période de référence peut être prolongée pour fournir au prestataire un nombre suffisant d'heures d'emploi assurable afin d'établir une demande de prestations.

[61] L’article 8(2) de la Loi sur L’AE stipule que lorsqu’une personne prouve, qu’au cours d’une période de référence de 52 semaines visée à l’article 8(1)(a) de la Loi sur l’AE, qu’elle n’a pas exercé, pendant une ou plusieurs semaines, un emploi assurable pour l’une ou l’autre des raisons ci-après, cette période de référence est prolongée d’un nombre équivalent de semaines :

  1. a) elle était incapable de travailler par suite d’une maladie, d’une blessure, d’une mise en quarantaine ou d’une grossesse prévue par règlement;
  2. b) elle était détenue dans une prison, un pénitencier ou une autre institution de même nature et n’a pas été déclarée coupable de l’infraction pour laquelle elle était détenue ni de toute autre infraction se rapportant à la même affaire;
  3. c) elle recevait de l’aide dans le cadre d’une prestation d’emploi;
  4. d) elle touchait des indemnités en vertu d’une loi provinciale du fait qu’elle avait cessé de travailler parce que la continuation de son travail la mettait en danger ou mettait en danger son enfant à naître ou l’enfant qu’elle allaitait.

[62] Ces circonstances possèdent la caractéristique commune de toucher des situations dans lesquelles un prestataire n'est pas disponible pour travailler en raison de circonstances externes indépendantes de sa volonté.

[63] Cependant, l’article 8(7) de la Loi sur l’AE limite la prolongation d’une période de référence à un total de 104 semaines.

Décider si le prestataire a subi un traitement différentiel

[64] Dans la jurisprudence liée à la Charte et précédant la décision Withler, la première étape à suivre pour démontrer que la mesure législative en question a instauré une distinction préjudiciable consiste à comparer l’effet de la mesure législative sur un « groupe de comparaison » exempt de la caractéristique discriminatoire.

[65] Le prestataire soutient que l’article 8(2)(a) de la Loi sur l’AE a pour but de permettre à une personne qui a souffert d’une maladie de pouvoir prolonger sa période de référence parce qu’il est incapable de travailler par suite d’une maladie. Toutefois, l’article 8(7) de la Loi sur L’AE limite à 104 semaines la prolongation de ce délai. Cela a pour effet d’empêcher certaines personnes qui sont en congé de maladie prolongée de bénéficier de l’assurance-emploi.

[66] Le prestataire fait essentiellement valoir que le groupe de comparaison au regard duquel il faut mesurer la distinction préjudiciable qu’il a subie devrait comprendre des prestataires qui bénéficient d’une prolongation de la période de référence parce qu’ils sont incapables de travailler par suite d’une maladie au titre de l’article 8(2)(a) de la Loi sur l’AE.

[67] Le prestataire se fonde sur la preuve non contredite qu’il a présentée et selon laquelle il a été incapable de retourner sur le marché du travail pour une période prolongée compte tenu de sa déficience mentale. Il soutient que, parce qu’il a été malade longtemps, une situation qui était bien involontaire, il s’est vu refuser les prestations.

[68] Selon le prestataire, la limite de prolongation de la période de référence imposée par l’article 8(7) de la Loi sur l’AE et le fait qu’il a dû s’absenter de son emploi pour une durée prolongée suite au choc post-traumatique qu’il a subi ont contribué à établir une distinction préjudiciable fondée sur sa déficience mentale.

[69] La Cour suprême du Canada a indiqué que, dans les cas où il n’y a tout simplement pas, à première vue, de distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, il est alors plus difficile d’établir une distinction. La Cour a également précisé que dans les cas de discrimination indirecte, comme dans la présente affaire, « le demandeur aura une tâche plus lourde à la première étapeFootnote 9 ».

[70] Tel que souligné à bon droit par la division générale, il est vrai que le prestataire n’a pas présenté certains éléments de preuve que l’on retrouve habituellement en soutien d’une contestation en vertu de la Charte. Sans donnée statistique adéquate, je ne peux présumer que le prestataire s’est vu refuser une prestation qui a été accordée à d’autres ou qu’en raison d’une caractéristique personnelle et contrairement aux autres, il porte un fardeau qui cadre avec les motifs énumérés ou analogues énoncés à l’article 15(1) de la Charte.

[71] Cependant, une violation de l’article 15(1) de la Charte peut être démontrée par d’autres moyens et peut exister même si aucune autre personne possédant les mêmes caractéristiques que le prestataire ne subit le même traitement injusteFootnote 10. Il n’est également pas toujours nécessaire de présenter une preuve statistique pour établir qu’une loi contrevient à l’article 15(1) de la CharteFootnote 11.

[72] Je suis d’avis que la division générale a rendu sa décision sans tenir compte des autres moyens de preuve présentés par le prestataire. Je vais donc rendre la décision qui aurait dû être rendue par la division générale en vertu des pouvoirs qui me sont octroyés par l’article 59(1) de la Loi sur le MEDS.

[73] L’article 8(2)(a) de la Loi sur L’AE permet la prolongation de la période de référence lorsqu’une personne est incapable de travailler par suite d’une maladie puisqu’il s’agit d’une circonstance externe indépendante de sa volonté.

[74] Le témoignage et la preuve documentaire non contestés du prestataire démontre que suite au tragique évènement de X, il a développé une déficience mentale qui a eu pour effet de prolonger son absence du milieu du travail pour plus de 104 semaines. Il s’agit manifestement d’une circonstance externe indépendante de sa volonté. Cependant, la limite imposée par l’article 8(7) de la Loi sur l’AE aurait eu pour effet d’exclure le prestataire du bénéfice des prestations d’assurance-emploi s’il n’avait pas reçu des prestations de maladie jusqu’au 12 décembre 2015.

[75] Je suis d’avis que l’article 8(7) de la Loi sur l’AE créer une distinction préjudiciable entre un prestataire qui a développé une déficience mentale grave qui a pour effet de prolonger son absence du milieu du travail pour plus de 104 semaines et ceux qui bénéficient d’une prolongation de la période de référence en raison de la maladie pour la durée de leur absence sur le marché du travail.

[76] Tel que souligné par la Cour d’appel fédérale, par définition, les lois qui confèrent une protection sociale entraînent une différence de traitement. Lorsque ces lois définissent des catégories de bénéficiaires et des conditions d’admissibilité, elles traitent différemment les personnes qui sont exclues de leur champ d’application et à qui les prestations sont par conséquent refuséesFootnote 12.

[77] En tenant compte des enseignements de la Cour d’appel fédérale, et en considérant les autres moyens de preuve présentés par le prestataire, je suis disposé à reconnaître que le prestataire a été traité différemment en raison de sa déficience mentale qui l’a tenu à l’écart du marché du travail pour une période prolongée, même si je doute qu’il existe un lien de causalité entre le refus des prestations et les caractéristiques du prestataire.Footnote 13

Motifs énumérés ou analogues

[78] Dans le présent dossier, le motif invoqué en vertu de la Charte est celui de la déficience mentale ou physique. Il ne fait aucun doute qu’une distinction fondée sur une déficience mentale ou physique peut constituer le fondement d’une contestation formulée en vertu de l’article 15 de la Charte.

[79] Ce point m’amène à la prochaine étape de l’analyse de l’article 15(1) de la Charte, c’est à dire examiner la question de savoir si le traitement différentiel correspond à une discrimination au titre de l’article 15(1) de la Charte.

Décider si le traitement différentiel correspond à une discrimination au titre de l’article 15(1) de la Charte

[80] Compte tenu de mes conclusions sur la question du traitement différentiel, je suis d’avis que la division générale a également commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 15(1) de la Charte en ne déterminant pas si le traitement différentiel correspond à une discrimination en vertu de l’article 15(1) de la Charte.

[81] L’objet de l’article 15 de la Charte est :

[d’]empêcher qu’il y ait atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles au moyen de l’imposition de désavantages, de stéréotypes ou de préjugés politiques ou sociaux, et de promouvoir une société dans laquelle tous sont également reconnus dans la loi en tant qu’êtres humains ou que membres de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect et la même considérationFootnote 14.

[82]C’est à la deuxième étape de l’analyse de l’article 15(1) que l’on traite le plus directement du concept de dignité humaine.

[83] La Cour suprême du Canada a défini quatre facteurs contextuels en rapport avec la troisième étape de l’analyse d’une discrimination :

  1. la préexistence d’un désavantage, de stéréotypes, de préjugés ou de vulnérabilité;
  2. la correspondance, ou l’absence de correspondance, entre le ou les motifs sur lesquels l’allégation est fondée et les besoins, les capacités ou la situation propres au demandeur ou à d’autres personnes;
  3. l’objet ou l’effet d’amélioration de la loi, du régime ou de l’activité contesté eu égard à une personne ou à un groupe défavorisés dans la société;
  4. la nature et l’étendue du droit touché par l’activité gouvernementale contestéeFootnote 15.

[84] Le prestataire soutient que le fait d’exempter un prestataire de la limite imposée par l’article 8(7) de la Loi sur l’AE, en considérant ses problèmes de santé mentale et son absence prolongée du travail, signifierait seulement qu’il pourrait remplir les conditions requises pour recevoir le même montant de prestations que les autres prestataires de sa région qui ont travaillé un nombre équivalent d’heures et ont touché la même rémunération, et ce, pendant une période d’une même durée.

[85] La Commission soutient que bien que les individus ayant des déficiences mentales ont plus de difficulté à atteindre le nombre d’heures d’emploi assurable dans la période de référence, cela ne fait pas en sorte que des dispositions neutres sont discriminatoires sur la base des déficiences mentales.

[86] La Commission fait également valoir que le fait de changer un critère d’admissibilité pour répondre aux besoins de certains groupes de prestataires pourrait en théorie entraîner d’autres changements qui toucheraient d’autres groupes, et que cela pourrait à terme mener à une situation où les prestations d’assurance emploi deviendraient une forme d’assistance sociale offerte à toutes les personnes qui en ont besoin.

[87] La Commission soutient finalement que le prestataire voudrait que la limite soit retirée afin qu’un prestataire puisse satisfaire aux exigences d’admissibilité prévues par la Loi sur l’AE d’une façon qui n’est pas prévue par celle ci. Elle fait valoir qu’il appartient au Parlement de modifier les dispositions de la Loi sur l’AE et non au Tribunal.

[88] Selon le premier facteur contextuel, je dois examiner s’il y a préexistence d’un désavantage, de stéréotypes, de préjugés ou de vulnérabilité à l’égard de la personne ou du groupe.

[89] Il est certainement vrai que les personnes souffrant d’une déficience mentale font face à des obstacles depuis longtemps pour intégrer et demeurer sur le marché du travail, et que ces obstacles reposent sur des stéréotypes et des préjudices.

[90] Il n’a cependant pas été démontré que l’assurance-emploi traînait un long passé de désavantages, de stéréotypes, de vulnérabilité et de préjudices, découlant de l’obligation imposée à un prestataire d’atteindre le nombre d’heures d’emploi assurable requis dans une période de référence donnée pour être admissible aux prestations.

[91] L’exigence d’accumuler le nombre d’heures requis pendant la période de référence de 52 semaines, ou pendant la période prolongée de 104 semaines, ne crée et ne renforce aucun stéréotype selon lequel les personnes souffrant d’une déficience mentale ne sont pas des atouts importants pour le marché du travail. De plus, elle ne porte pas atteinte à la dignité de ces personnes en donnant à penser que leur travail ne mérite pas autant de reconnaissance.

[92] Toute personne qui accumule le nombre d’heures d’emploi assurable requis pendant la période de référence applicable sera admissible au bénéfice des prestations.

[93] Dans le cadre d’une analyse des effets préjudiciables comme celle ci, je me dois d’établir une distinction entre les effets qui sont causés en totalité et en partie par une disposition contestée et les circonstances sociales qui existent indépendamment de la disposition en questionFootnote 16.

[94] Dans ce contexte, je suis d’avis que le régime d’assurance emploi n’a pas pour effet de perpétuer un désavantage historique qui aggrave la situation des personnes ayant des déficiences mentales ou qui renforce des stéréotypes à leur égard.

[95] Selon le deuxième facteur contextuel, je dois examiner la correspondance entre le ou les motifs et les besoins, les capacités ou la situation propres au prestataire et à d’autres personnes.

[96] À mon avis, les conditions contestées ne correspondent pas aux besoins réels du prestataire et des personnes dans sa situation. En fait, la preuve soutient la position contraire.

[97] Le législateur a porté de 52 à 104 semaines la période pendant laquelle les gains assurables pouvaient être comptés pour établir l’admissibilité aux prestations de certains groupes de prestataires retirés de la population active pour des raisons indépendantes de leur volonté. On peut donc affirmer que la Loi sur l’AE prend en considération les particularités et circonstances des personnes atteintes d’une déficience mentale.

[98] La disposition contestée améliore la correspondance entre la Loi sur l’AE et les besoins de ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale, en incluant les heures d’emploi assurable nonobstant le fait qu’ils n’ont pas pu travailler récemment.

[99] Il est manifeste que la prolongation de la période de référence ne peut se prolonger indéfiniment. Cela entraînerait ultimement l’annulation de la période de référence prévue dans la Loi sur l’AE et aurait pour effet de ne pas respecter le principe de proximité du régime d’assurance-emploi entre, d’une part, la participation récente au marché du travail et le paiement de cotisations et d’autre part, le versement des prestations.

[100] Le troisième facteur contextuel porte sur l’effet d’amélioration des dispositions législatives et se rapporte presque essentiellement aux situations relatives à ce qu’il est convenu d’appeler la discrimination positive. La présente affaire ne concerne pas une allégation de discrimination formulée par une personne « avantagée ».

[101] Conformément au quatrième facteur contextuel, je dois examiner la nature et l’étendue du droit touché par la loi contestée. Plus les effets des dispositions législatives sont graves et localisés pour le groupe touché, plus il est probable que la discrimination soit fondée.

[102] En l’espèce, les effets ne sont ni graves ni localisés pour les personnes souffrant d’une déficience mentale. En fait, il n’y a aucune preuve qui appuie l’argument selon lequel les effets de la disposition contestée sont localisés. Le traitement différentiel existe entre les personnes qui n’ont pas accumulé le nombre d’heures requis dans une période de référence donnée et celles qui ont atteint ce seuil. Il ne concerne d’aucune façon les personnes souffrant d’une déficience mentale.

[103] Bien que le prestataire souffre d’une déficience mentale suite au choc post-traumatique qu’il a malheureusement subi le X juillet 2013, il n’est pas exclu de la participation au régime d’assurance emploi.

[104] Le prestataire a d’ailleurs bénéficié de prestations de maladie après son retour au travail en novembre 2013. Ceci confirme que le prestataire, comme tous les Canadiennes et Canadiens, est admissible au bénéfice des prestations d’assurance emploi s’il subit un arrêt de rémunération et qu’il satisfait aux exigences de la Loi sur l’AE.

[105] Tel que souligné par la Cour d’appel fédérale, « les conditions d’admissibilité ne sont pas la manifestation d’un manque de respect ou de dignité. Il s’agit d’un instrument administrativement nécessaire conçu pour répondre aux exigences d’un régime viable d’assurance par cotisations. »Footnote 17

[106] En raison des motifs susmentionnés, je conclus que le prestataire ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le droit dont il disposait en vertu de l’article 15(1) de la Charte a été violéFootnote 18.

Conclusion

[107] Le Tribunal rejette l’appel.

Mode d’audience :

Sur la foi du dossier

Comparutions:

J. P., appelant

Suzette Bernard, représentante de l’intimée

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