Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c JD, 2021 TSS 101

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-852

ENTRE :

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Appelante

et

J. D.

Intimé


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Stephen Bergen
DATE DE LA DÉCISION : Le 16 mars 2021

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Décision et motifs

Décision

[1] J’accueille l’appel. J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. Le prestataire n’avait aucun motif valable justifiant son retard jusqu’à ce qu’il ait une rechute de sa sclérose en plaques vers la fin de juillet 2019. Au moment de sa rechute, le prestataire n’avait plus assez d’heures d’emploi assurable dans sa période de référence pour recevoir des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[2] L’intimé, J. D. (prestataire), a perdu son emploi le 27 mai 2018. Il a obtenu une indemnité de départ considérable totalisant 65 semaines. Il n’a pas demandé de prestations d’assurance-emploi tout de suite pour deux raisons. Premièrement, il croyait devoir attendre d’avoir épuisé ses semaines d’indemnité de départ. Deuxièmement, il éprouvait des difficultés physiques liées à la progression de sa sclérose en plaques.

[3] Le prestataire a demandé des prestations le 28 avril 2020. L’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, lui a répondu qu’il n’avait pas droit aux prestations parce qu’il n’avait pas accumulé assez d’heures d’emploi assurable durant sa période de référence. Par conséquent, le prestataire a demandé à la Commission d’antidater sa demande à la date où il a perdu son emploi de façon à ce qu’il remplisse les conditions requises pour recevoir des prestations. La Commission a refusé d’antidater sa demande parce qu’elle a rejeté l’idée qu’il avait un motif valable justifiant le retard de sa demande pendant toute la période du retard. La Commission a refusé de modifier cette décision lorsque le prestataire lui a demandé de la réviser.

[4] Le prestataire a porté la décision de la Commission en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a accueilli l’appel, car elle a conclu que le prestataire avait un motif valable pour toute la période du retard. La Commission porte maintenant la décision de la division générale en appel à la division d’appel.

[5] J’ai accueilli l’appel. La division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas examiné la façon dont la jurisprudence pertinente s’appliquait pendant toute la période du retard. J’ai corrigé cette erreur et rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. Je juge que le prestataire n’avait aucun motif valable justifiant son retard jusqu’en juillet 2019, lorsqu’il a eu une grave rechute et que ses symptômes de sclérose en plaques se sont aggravés.

Quels moyens d’appel puis-je examiner?

[6] Les « moyens d’appel » sont les raisons de l’appel. Pour accueillir l’appel, je dois conclure que la division générale a commis un des types d’erreurs suivantsFootnote 1 :

  1. La procédure de la division générale était inéquitable d’une façon ou d’une autre.
  2. La division générale n’a pas statué sur une question qu’elle aurait dû trancher ou elle a statué sur une question qu’elle n’aurait pas dû trancher.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. La division générale a commis une erreur de droit en rendant sa décision.

Questions en litige

[7] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d’appliquer la jurisprudence pertinente à toute la période du retard?

[8] La division générale a-t-elle commis une erreur de fait importante lorsqu’elle a jugé que le problème de santé du prestataire était pertinent pendant toute la période du retard?

Analyse

[9] La Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) prévoit que la période de prestations des prestataires commence le dimanche de la semaine au cours de laquelle survient l’arrêt de rémunération ou le dimanche de la semaine au cours de laquelle la demande initiale de prestations est formulée, selon la date qui survient en dernierFootnote 2. La Commission décide si une personne remplit les conditions requises pour recevoir des prestations au cours de la période de prestations en examinant le nombre d’heures d’emploi assurable qu’elle a accumulées au cours de la période de référence. Habituellement, la période de référence est la période de 52 semaines qui précède la période de prestationsFootnote 3.

[10] Toutefois, la Loi sur l’AE précise également que la Commission peut antidater la demande des prestataires de façon à établir la période de prestations à une « date antérieure ». Pour que la Commission puisse antidater les demandes, les prestataires doivent démontrer l’existence d’un motif valable justifiant leur retard pendant toute la période du retard. Il s’agit de la période qui commence à la date antérieure et se termine le jour où la demande initiale est présentéeFootnote 4.

Question en litige no 1 : Défaut d’appliquer la jurisprudence pertinente à toute la période du retard

[11] La Commission a fait valoir que la division générale n’avait pas appliqué la jurisprudence pertinente. Selon la Commission, la division générale était tenue de suivre l’orientation adoptée par la Cour d’appel fédérale dans la décision intitulée Canada (Procureur général) c SomwaruFootnote 5.

[12] Dans l’affaire Somwaru, le prestataire ne croyait pas qu’il était inadmissible au bénéfice des prestations parce qu’il recevait une pension. Il a demandé des prestations seulement environ trois mois après avoir perdu son emploi, lorsqu’un ami lui a dit qu’il pouvait ou devrait quand même demander des prestations.

[13] La Commission avait affirmé que le prestataire dans l’affaire Somwaru n’avait aucun motif valable justifiant son retard. La Cour était d’accord avec la Commission. Elle a formulé la question de la façon suivante :

Il s’agit donc de déterminer si l’auteur d’une demande qui n’a pris aucune mesure concrète pour vérifier le bien‑fondé de ce qu’il pensait peut invoquer son ignorance de la loi et sa bonne foi comme « motif valable » au sens du paragraphe 10(4).

[14] L’arrêt Somwaru a confirmé que les prestataires doivent vérifier assez rapidement les obligations que leur impose la Loi sur l’AE, sauf en cas de circonstances exceptionnelles. Ces obligations comprennent la nécessité de présenter sa demande initiale en temps opportun. La Cour a mentionné la décision antérieure qu’elle avait rendue dans l’affaire CarryFootnote 6. Elle avait alors affirmé que :

[…] l’on s’attend à ce qu’une personne raisonnable vérifie assez rapidement si elle a droit à des prestations d’assurance-emploi. La Cour a déjà statué que l’ignorance de la loi et la bonne foi, qui ont été invoquées […] pour justifier le [retard], ne constituent pas des motifs valables.

[15] Dans l’arrêt Somwaru, la Cour a conclu que le prestataire n’avait pas agi assez rapidement et que le fait qu’il touchait une pension ne constituait pas une circonstance exceptionnelle.

[16] Dans le présent appel, la Commission soutient que la division générale n’a souligné aucune circonstance exceptionnelle qui dispenserait le prestataire de faire des vérifications assez rapidement durant la période allant du 27 mai 2018 à la fin de juillet 2019 (la première période). La Commission soutient aussi que rien ne prouvait que la division générale aurait pu conclure que la sclérose en plaques du prestataire était une circonstance exceptionnelle durant la première période.

[17] Le représentant du prestataire me demande de déduire que la division générale a aussi tenu compte de l’arrêt Somwaru pour la première période. Il affirme que la division générale a cité l’arrêt Somwaru avant de conclure que le prestataire avait un motif valable. Selon le représentant du prestataire, cela signifie que la division générale a de toute évidence appliqué l’arrêt Somwaru.

[18] La division générale a cité la jurisprudence appropriée, et je comprends que cela donne à penser que la division générale savait comment elle était censée analyser la preuve pour tirer ses conclusions. Je sais aussi que la division générale a finalement décidé que le prestataire avait un motif valable pendant toute la période du retard.

[19] Cependant, je ne suis pas d’accord pour dire que cela me permet de présumer que la division générale a appliqué la loi correctement. La Cour d’appel fédérale a examiné la même question dans l’affaire Canada (Procureur général) c KalerFootnote 7, que la division générale a également mentionnée. Dans l’affaire Kaler, la Cour a considéré que le conseil arbitralFootnote 8 avait cité le critère juridique énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c AlbrechtFootnote 9 sans toutefois examiner les faits en fonction du critère. Le juge-arbitre (le dernier palier d’appel) a confirmé la décision du conseil arbitral, mais la Cour d’appel fédérale a ensuite annulé la décision du juge-arbitre. La Cour a déclaré que le conseil arbitral avait mal appliqué le droit aux faits et que le juge-arbitre aurait dû intervenir.

[20] La division générale n’a pas tiré une conclusion de fait voulant qu’au cours de la première période, le prestataire avait vérifié d’une façon particulière les obligations que lui impose la Loi sur l’AE. Si elle avait appliqué l’arrêt Somwaru, elle aurait été obligée de le faire. La division générale n’a pas non plus tiré les conclusions de fait requises pour établir l’existence de circonstances exceptionnelles. Elle n’a pas conclu qu’avant la rechute du prestataire, les symptômes ou les effets de la sclérose en plaques (ou quoi que ce soit d’autre que les suppositions du prestataire) nuisaient à sa capacité de se renseigner sur ses obligations aux termes de la Loi sur l’AE.

[21] Rien ne me permet de croire que la division générale a appliqué l’arrêt Somwaru aux faits de l’affaire. La division générale a commis une erreur de droit en n’appliquant pas la jurisprudence pertinente.

[22] Je tiens à souligner ceci : je conviens que la jurisprudence citée par la division générale était appropriée et suffisante. Elle n’aurait commis aucune erreur de droit si elle avait tenu compte uniquement des décisions qu’elle a citées comme jurisprudence. Le problème n’est pas que la division générale a cité la mauvaise loi ou a omis de mentionner le droit applicable. Le problème, c’est qu’elle n’a pas appliqué la jurisprudence qu’elle a citée.

[23] Si j’avais pu déduire que la division générale avait appliqué l’arrêt Somwaru d’une façon ou d’une autre, la division générale aurait quand même commis une erreur, car elle n’a pas tiré les conclusions de fait requises. La décision ne montre pas que la division générale a analysé la preuve pour déterminer ce que le prestataire a fait pour vérifier ses obligations au cours de la première période. La division générale n’a pas déterminé les circonstances de la première période qui auraient pu nuire à la capacité du prestataire de vérifier ses obligations. La division générale n’a pas pu conclure (ni conclu) que le prestataire a vérifié « assez rapidement » ses obligations au cours de la première période. Elle n’a pas pu conclure (ni conclu) qu’il y avait des circonstances exceptionnelles au cours de la première période.

[24] Même si le représentant du prestataire avait raison de dire que la division générale a d’une certaine façon comblé le fossé entre la jurisprudence citée et sa conclusion, elle ne m’a pas montré comment elle a procédé. Le représentant du prestataire a essayé d’enjamber le fossé pour moi. Il affirme que des éléments de preuve portés à la connaissance de la division générale laissaient croire que la sclérose en plaques du prestataire nuisait à ses activités même avant sa rechute. Il soutient que le membre de la division générale pensait sûrement à ces éléments de preuve lorsqu’il a conclu que le prestataire avait un motif valable pendant toute la période du retardFootnote 10.

[25] Quoi qu’il en soit, la décision en tant que telle ne me dit pas si la division générale a tenu compte de la preuve pour en arriver aux conclusions de fait nécessaires. Elle ne me dit pas si elle a bien appliqué le droit à ces conclusions. Les motifs de la décision de la division générale ne sont ni transparents ni intelligibles. Même si elle n’avait commis aucune autre erreur de droit, elle aurait quand même fait l’erreur de fournir des motifs inadéquats.

[26] Le prestataire affirme que des éléments de preuve portés à la connaissance de la division générale montraient qu’au cours de la première période, la sclérose en plaques a nui à sa capacité d’obtenir des renseignements sur ses obligations aux termes de la Loi sur l’AE. Ce genre de preuve serait utile pour savoir si la division générale a pris la bonne décision selon les faits. Toutefois, ce genre de preuve ne réfuterait pas l’argument de la Commission selon lequel la division générale a commis une erreur de droit dans la façon de rendre sa décision.

Les autres arguments du prestataire venant appuyer la décision de la division générale

[27] Certains des autres arguments du prestataire visent à appuyer les constatations et les conclusions de la division générale en ce qui a trait aux autres périodes, celles qui suivent la première période (périodes subséquentes).

[28] Toutefois, je vais continuer de me pencher sur la première période. La Commission a dit convenir que la division générale avait raison de considérer le problème de santé du prestataire comme étant une circonstance exceptionnelle après sa rechute à la fin de juillet 2019. Je suis d’accord avec le prestataire et la Commission dans la mesure où la division générale n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a conclu que le prestataire avait un motif valable durant les périodes subséquentes.

[29] Autrement dit, la division générale était libre de conclure que le prestataire avait des problèmes de mémoire et des troubles cognitifs après sa rechute de sclérose en plaques et que ces symptômes nuisaient à sa capacité de demander des prestations. Et la conclusion de la division générale voulant que les problèmes de santé du prestataire (après juillet 2019) constituaient une circonstance exceptionnelle concorde avec la jurisprudenceFootnote 11.

[30] Dans les paragraphes ci-dessous, je traiterai des autres arguments présentés par le prestataire pour appuyer la conclusion de la division générale selon laquelle il y avait un « motif valable » se rapportant à la première période.

1. La division générale avait le droit de se fonder sur une admission de la Commission

[31] Parmi les autres arguments du prestataire, le premier veut que la Commission « a admis » que le prestataire avait un motif valable durant la première périodeFootnote 12. Le prestataire laisse entendre que la division générale était libre de s’appuyer sur cette admissionFootnote 13.

[32] Le prestataire souligne que les observations écrites que la Commission a présentées à la division générale reconnaissaient l’existence d’un motif valable justifiant le retard durant cette périodeFootnote 14. La Commission a écrit que le prestataire [traduction] « aurait dû savoir que son indemnité de départ allait prendre fin le ou vers le 8 août 2019 et, par conséquent, il aurait dû demander des prestations à cette date ou aux alentours de cette dateFootnote 15 ». Le prestataire a compris que cette déclaration signifiait que la Commission admettait qu’il avait un motif valable pendant la première période. Il soutient que la question de savoir s’il avait un motif valable durant la première période n’était pas soumise à l’examen de la division généraleFootnote 16.

[33] Je conviens que les observations que la Commission a déposées à la division générale donnent à penser qu’elle ne contestait pas le fait que le prestataire avait un motif valable durant la première période. Le dossier de révision comprend d’autres remarques par lesquelles une personne employée par la Commission semble avoir reconnu que le prestataire avait un « motif valable » durant la première période. Toutes ces remarques et observations démontrent que la Commission a déjà été du même avis que lui. Toutefois, elles ne prouvent pas que le prestataire avait effectivement un motif valable durant la première période.

[34] La Commission peut adopter la position qu’elle veut, mais la division générale n’est pas obligée d’accepter la position de la Commission. La position de la Commission ne relevait pas le prestataire de l’obligation de prouver qu’il avait un motif valable pendant la première période.

[35] La division générale avait manifestement compétence sur toute la période du retard, y compris la première période. Le prestataire a appelé de la décision de révision rendue le 6 octobre 2020. Cette décision confirmait la décision du 13 août 2020 selon laquelle le prestataire n’avait pas prouvé qu’il avait un motif valable justifiant le retard de sa demande de prestations [traduction] « du 27 mai 2018 au 26 avril 2020Footnote 17 ».

[36] De plus, un « motif valable » n’est pas un fait qu’il est possible d’admettre. Un « motif valable » est une décision judiciaire prise en application de l’article 10(4) de la Loi sur l’AE. La notion a été examinée et interprétée par les tribunaux. La Commission ne peut pas antidater une demande initiale de prestations avant d’avoir conclu que la ou le prestataire a un motif valable. Ainsi, la division générale ne pouvait pas conclure à l’existence d’un « motif valable » durant la première période sans vérifier si les faits établissent un « motif valable », selon l’interprétation de la jurisprudence. Elle était libre d’accepter la concession de la Commission, mais seulement si elle était conforme au droit et aux faits.

2. Le prestataire s’est fondé sur la position de la Commission pour la première période

[37] À l’audience de la division d’appel, le représentant du prestataire ne voulait pas aller jusqu’à dire que l’audience de la division générale était inéquitable. Toutefois, il a soutenu que le prestataire aurait pu présenter plus d’éléments de preuve sur les raisons pour lesquelles il a retardé sa demande durant la première période s’il avait pensé qu’il pouvait démontrer l’existence d’un motif valable pour cette période. Selon le représentant du prestataire, la position de la Commission a fait croire au prestataire qu’il n’avait pas à justifier son retard durant la première période.

[38] J’ai écouté d’un bout à l’autre l’enregistrement audio de l’audience de la division générale. Le prestataire était non représenté et la personne qui représentait la Commission n’a pas assisté à l’audience. Par conséquent, la division générale a tenté d’aider le prestataire à fournir des éléments de preuve en posant des questions.

[39] Je suis d’accord avec le prestataire : bon nombre des questions posées par le membre mettaient l’accent sur les raisons du retard durant les périodes subséquentes et le prestataire a produit peu d’éléments de preuve au sujet de la première période.

[40] Par contre, je rejette l’idée que la division générale a exclu de son examen le retard accumulé durant la première période ou qu’elle aurait dû l’exclure. Vers le début de l’audience, le membre a déclaré qu’il examinerait toute la période du retard, à savoir du 27 mai 2018 au 26 avril 2020Footnote 18.

[41] De plus, le membre a donné au prestataire l’occasion d’expliquer plus longuement les raisons pour lesquelles il a retardé sa demande durant la première période. Après avoir mentionné qu’il [traduction] « remontait » jusqu’à la fin de mai 2018, le membre a dit au prestataire qu’il allait supposer — [traduction] « à moins que le prestataire dise le contraire » — que le prestataire n’avait pas présenté de demande parce qu’il avait reçu une indemnité de départFootnote 19. Le prestataire a confirmé que c’était exact. Plus tard, la division générale a dit au prestataire que rien n’empêchait le prestataire de demander des prestations au moment où il a reçu l’indemnité de départ pour la première fois. Il a ajouté que le prestataire disait depuis le début qu’il n’avait pas présenté de demande parce qu’il touchait l’indemnité de départ et qu’il pensait devoir l’épuiser avant d’être admissibleFootnote 20. Le prestataire a répété que c’était exactFootnote 21.

[42] Peu importe ce que le prestataire pensait des observations de la Commission, la division générale lui a fait savoir qu’elle examinerait toute la période du retard. La division générale lui a donné l’occasion de présenter des éléments de preuve supplémentaires portant sur les raisons de son retard durant la première période. Le prestataire a clairement confirmé qu’il ne croyait pas pouvoir présenter une demande au cours de la première période parce qu’il recevait encore des versements pour l’indemnité de départ, ce qui concorde avec ses déclarations antérieures auprès de la CommissionFootnote 22.

3. L’effet des faux renseignements

[43] Le prestataire a également fait valoir que la division générale aurait pu conclure à l’existence d’un motif valable sur le fondement des faux renseignements que la Commission fournit au sujet de la loiFootnote 23.

[44] Cependant, le prestataire me demande de rejeter l’appel et de confirmer la décision de la division générale. Il ne soutient pas que la division générale a commis une erreur parce qu’elle a ignoré ses éléments de preuve ou écarté ses arguments. Ce que la division générale aurait pu faire n’a rien à voir avec les erreurs avancées par la Commission.

[45] Je reviendrai à l’argument du prestataire concernant les faux renseignements plus loin dans ma décision, lorsque j’aborderai la réparation.

Question en litige no 2 : Prise en compte du problème de santé du prestataire pendant toute la période du retard

[46] La Commission a soutenu que la division générale avait commis une erreur de droit lorsqu’elle avait tenu compte du problème de santé du prestataire pour établir qu’il avait un motif valable pendant toute la période du retard, y compris la première période. La Commission affirme que rien ne prouve que la santé du prestataire a joué un rôle dans le report de sa demande du 27 mai 2018 à la fin de juillet 2019Footnote 24.

[47] Du même coup, la représentante de la Commission a reconnu dans les observations orales qu’elle a présentées à la division d’appel qu’il n’est pas clair si la division générale a effectivement tenu compte des effets de la santé du prestataire durant la première période.

[48] Pour sa part, le prestataire était d’accord avec la Commission sur le fait que la division générale considérait la sclérose en plaques du prestataire comme étant une circonstance pertinente durant toute la période, y compris durant la première période. Par contre, le prestataire ne voit pas cela comme une erreur. Selon l’interprétation du prestataire, la division générale a sûrement compris qu’il éprouvait déjà des difficultés liées à sa maladie durant la première période. Elle a probablement considéré les effets de la sclérose en plaques comme étant une circonstance exceptionnelle même avant la rechute du prestataireFootnote 25.

[49] J’écarte l’argument que la division générale a commis une erreur en considérant que le problème de santé du prestataire a joué un rôle dans le report de sa demande durant la première période. J’ai déjà décidé que la division générale n’avait pas examiné comment le problème de santé du prestataire l’avait affecté durant la première période et qu’elle n’avait pas établi qu’il s’agissait d’une circonstance exceptionnelle à ce moment-là. Comme la Commission l’admet, les motifs de la division générale ne sont pas clairs. Je ne peux présumer de ce que pensait le membre de la division générale lorsqu’il a admis que le prestataire avait un motif valable pendant toute la période du retard.

[50] J’examinerai la preuve pour décider si la sclérose en plaques du prestataire a joué un rôle dans le report de sa demande durant la première période dans la section Réparation de ma décision ci-dessous.

Résumé des erreurs

[51] J’ai conclu que la division générale a commis une erreur de droit dans la façon d’arriver à sa décision. Ainsi, je dois maintenant examiner ce que je dois faire pour corriger cette erreur.

Réparation

[52] J’ai le pouvoir de modifier la décision de la division générale ou de rendre la décision que la division générale aurait dû rendreFootnote 26. Je pourrais aussi renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle réexamine sa décision.

[53] Le prestataire et la Commission avancent tous deux que le dossier de la division générale est complet et que je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je conviens que le dossier est complet. Les deux parties ont eu l’occasion de présenter des éléments de preuve sur chaque question que je dois trancher, et il y a des éléments de preuve pour chaque question. Comme le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale exige que le Tribunal tranche l’appel aussi rapidement que les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent, je rendrai la décision.

La première période

Raison du retard

[54] La seule raison invoquée par le prestataire pour justifier le retard durant la première période était qu’il croyait ne pas pouvoir présenter une demande avant d’avoir épuisé l’indemnité de départ versée par son employeur. Il avait tort sur ce point. Il est vrai qu’il n’aurait pas pu toucher de prestations tant que la Commission n’aurait pas réparti toute son indemnité de départ, mais il aurait rempli les conditions requises pour recevoir des prestations au moment où il a perdu son emploi. La Commission s’attend à ce que les prestataires présentent une demande en temps utile, à savoir, selon elle, quatre semaines après la semaine au cours de laquelle les conditions requises pour demander des prestations sont rempliesFootnote 27. Les prestataires remplissent les conditions requises pour présenter une demande dès qu’il y a un arrêt de rémunération, ce qui survient habituellement après leur dernier jour de paie.

[55] En d’autres mots, le prestataire ignorait les exigences de la Loi sur l’AE. C’est la seule raison pour laquelle il a attendu avant de demander des prestations durant la première période. Il est clair que l’ignorance de la loi n’est pas en soi un motif valable de retard.

Efforts du prestataire pour vérifier ses obligations

[56] Le représentant du prestataire a fait référence à l’arrêt Canada (Procureur général) c Albrecht dans les observations orales qu’il a présentées à la division d’appelFootnote 28. L’arrêt Albrecht a confirmé que l’ignorance de la loi n’excuse pas un retard, mais elle a aussi reconnu que l’ignorance de la loi n’exclut pas un motif valable. Autrement dit, il est possible de conclure que les prestataires ignorent la loi et ont quand même un motif valable.

[57] Le prestataire a raison sur ce point. Cependant, selon le principe tiré de l’arrêt Somwaru, les prestataires qui ignorent les obligations que leur impose la Loi sur l’AE doivent quand même faire des vérifications assez rapidement pour tenter de connaître ces obligations.

[58] Rien ne prouve que le prestataire a fait quelque effort que ce soit pour se renseigner sur ses obligations. Rien n’indique qu’il a téléphoné à la Commission, qu’il s’est présenté en personne à Service Canada ou qu’il a consulté les renseignements sur l’assurance-emploi disponibles en ligne durant la première période. En fait, le prestataire a dit à la Commission qu’il [traduction] « n’avait pas [communiqué avec Service Canada au sujet de ses droits et obligations] et a ajouté qu’il n’avait jamais présenté de demande auparavant, donc il ne savait pas qu’il aurait dû le faireFootnote 29 ». Lorsqu’il a parlé à la division générale de la lettre de cessation d’emploi qu’il a reçue, le prestataire a précisé qu’il se serait attendu à ce que l’employeur lui dise qu’il avait quatre semaines pour présenter une demandeFootnote 30. Il a dit que personne au service des ressources humaines ne lui a conseillé de demander des prestations immédiatementFootnote 31.

[59] Je conclus que le prestataire n’a pas vérifié assez rapidement les obligations que lui impose la Loi sur l’AE.

Circonstances exceptionnelles

[60] Cela dit, l’arrêt Somwaru a également admis que la Commission peut toujours antidater une demande si des circonstances exceptionnelles expliquent pourquoi la ou le prestataire n’a pas fait des vérifications assez rapidement.

1. Effets de la sclérose en plaques comme circonstance exceptionnelle

[61] Je rejette l’argument voulant que la sclérose en plaques du prestataire constituait une circonstance exceptionnelle durant la première période.

[62] Le prestataire a dit à la Commission qu’il avait fait une rechute de sclérose en plaques en juillet 2019, mais qu’il avait été en rémission pendant neuf ansFootnote 32. Cela signifie qu’il vivait déjà avec la maladie depuis plusieurs années avant de perdre son emploi.

[63] Le prestataire soutient que des éléments de preuve portés à la connaissance de la division générale montraient qu’il avait des troubles cognitifs et des problèmes de mémoire même avant sa rechute. Son représentant a souligné les moments précis dans l’enregistrement audio de l’audience de la division générale où, selon lui, le prestataire a parlé des effets de la sclérose en plaques.

[64] J’ai écouté l’enregistrement audio et j’ai porté une attention particulière aux moments soulignés par le représentant du prestataire. Je conviens que le prestataire a parlé en termes généraux des effets de la sclérose en plaquesFootnote 33. Toutefois, il n’a pas expliqué à la division générale comment la maladie l’affectait pendant la première période alors qu’il était encore en rémission. La division générale ne disposait d’aucun élément de preuve concernant des troubles cognitifs, des problèmes de mémoire ou tout autre symptôme ou effet de la sclérose en plaques qui aurait empêché le prestataire de s’informer de ses obligations. Le prestataire lui-même n’a jamais dit que son problème de santé nuisait à sa capacité de présenter une demande durant la première période. Il a toujours soutenu qu’il n’avait pas présenté de demande durant la première période parce qu’il ne savait pas qu’il pouvait le faire avant la fin de son indemnité de départFootnote 34.

2. Faux renseignements comme circonstance exceptionnelle

[65] J’écarte l’idée que les faux renseignements fournis par la Commission constituent une circonstance exceptionnelle expliquant pourquoi le prestataire n’a pas présenté sa demande durant la première période.

[66] Le prestataire soutient que la Commission a mal présenté sa position lorsqu’elle lui a dit qu’il aurait un motif valable pendant qu’il attendait la fin des versements de son indemnité de départ. Cependant, les faux renseignements au dossier de révision et la position adoptée par la Commission dans ses observations à la division générale datent tous de longtemps après la fin des versements de l’indemnité de départ du prestataire. Ces informations n’ont pas poussé le prestataire à retarder sa demande pendant la première période. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une circonstance exceptionnelle pertinente en ce qui concerne le motif du retard de sa demande.

[67] Le prestataire soutient également qu’il est [traduction] « fort probable » que la Commission ait fourni d’autres renseignements erronés au cours de la première périodeFootnote 35. Je pense que le représentant du prestataire croit que la Commission a mal informé le prestataire pendant la première période parce qu’elle l’a mal informé plus d’une fois après qu’il a finalement présenté sa demande de prestations. Son représentant fait référence au témoignage du prestataire selon lequel il avait un ami dans une [traduction] « situation semblable ». Il fait valoir que ces éléments démontrent que la Commission a l’habitude de dire aux prestataires qu’elles ou ils ont un motif valable dans l’attente de la fin de leur indemnité de départ.

[68] J’accorde toutefois peu d’importance à ces propos. La Commission était peut-être disposée à accepter comme motif valable que le prestataire, dans sa situation particulière (ou d’autres prestataires dans leur situation particulière), ignorait qu’il pouvait présenter une demande avant la fin des versements de son indemnité de départ. Cependant, cela ne veut pas dire que la Commission adopte cette pratique dans toutes les situations.

[69] Le prestataire a mentionné seulement une autre personne, un amiFootnote 36. Le peu que nous savons de la situation de cette personne révèle au moins une différence importante. L’ami a accumulé un retard de neuf semaines pendant qu’il attendait supposément l’indemnité de départ. Il s’agit d’une période beaucoup moins longue que les 16 mois qui se sont écoulés de la cessation d’emploi du prestataire à la fin des versements de son indemnité de départ. Avec un retard de neuf semaines, l’ami du prestataire remplissait fort probablement les conditions requises même sans faire antidater sa demande. Cependant, le prestataire n’a pas précisé si son ami avait demandé une antidatation ou s’il en avait eu besoin.

[70] De plus, la Commission peut être disposée à accepter qu’une ou un prestataire ait un motif valable dans une situation particulière, quand la personne a retardé la présentation de sa demande au point de ne plus remplir les conditions requises. Cela ne veut toutefois pas dire que la Commission laissera entendre la même chose aux prestataires qui rempliraient quand même les conditions requises en présentant une demande tout de suite. Dans le cas du prestataire, il semble qu’une personne employée par la Commission était disposée à accepter le motif du prestataire pendant la première période comme étant un motif valable lorsqu’il a voulu faire antidater sa demande. Toutefois, cela ne veut pas dire que la Commission a également conseillé au prestataire de retarder sa demande durant la première période alors qu’il aurait quand même pu remplir les conditions requises.

[71] Je refuse d’en déduire qu’il existe une certaine pratique au sein de la Commission ou que la Commission a conseillé le prestataire à la lumière d’une telle pratique. La preuve qui permettrait d’appuyer une telle inférence est très mince. Je crois qu’il est hypothétique de laisser entendre que la Commission a fourni de faux renseignements au prestataire au sujet des conséquences du report de sa demande, alors que le prestataire était encore dans la première période.

3. Toutes les circonstances

[72] Le prestataire demande également que je tienne compte de l’ensemble de sa situation pour conclure que des circonstances exceptionnelles l’entouraient. J’ai déjà écarté son diagnostic de sclérose en plaques ainsi que les faux renseignements fournis par la Commission parce que rien ne prouvait que ces éléments avaient nui à sa capacité de vérifier les obligations que lui imposait la Loi sur l’AE durant la première période. Le prestataire me demande également de prendre en considération son âge, son manque d’expérience avec le système et un forum en ligne qui était déroutant.

[73] Selon les observations du prestataire, il avait 56 ans à la fin des versements de son indemnité de départFootnote 37. À mon avis, son âge n’a rien de remarquable. Le processus de demande en ligne peut porter à confusion pour certaines personnes, mais on peut toujours téléphoner à Service Canada ou se rendre à un bureau de Service Canada. Le fait qu’il connaissait mal le processus de demande relatif à l’assurance-emploi est vrai pour presque toutes les personnes qui ne demandent pas de prestations parce qu’elles ne sont pas au courant de leurs obligations.

[74] Le prestataire n’a pas vérifié ses obligations assez rapidement durant la première période. Ni son diagnostic de sclérose en plaques, ni les faux renseignements fournis par la Commission, ni aucune combinaison de ces facteurs ne constituaient des circonstances exceptionnelles qui pourraient l’exempter de faire des vérifications assez rapidement.

[75] Avant sa rechute à la fin de juillet 2019, le prestataire n’avait aucun motif valable justifiant son retard.

Périodes subséquentes

[76] J’ai jugé que le prestataire n’avait pas le droit de faire antidater sa demande à une date antérieure à sa rechute de sclérose en plaques parce qu’il n’avait aucun motif valable justifiant son retard avant sa rechute.

[77] Toutefois, je confirme que le prestataire avait un motif valable de retarder sa demande à partir de sa rechute jusqu’à ce qu’il demande des prestations. Comme je l’ai souligné, la décision de la division générale selon laquelle le prestataire avait un motif valable dans les périodes suivant sa rechute est conforme à la loi et elle est appuyée par les faits établis par la division générale.

Conditions requises pour recevoir des prestations

[78] La preuve établit que la rechute du prestataire a eu lieu au cours de la troisième semaine de juillet 2019Footnote 38.

[79] J’ai conclu que le prestataire n’avait pas le droit de faire antidater sa demande à une date antérieure à sa rechute parce qu’il n’avait aucun motif valable justifiant son retard avant sa rechute. Le prestataire aurait eu le droit de faire antidater sa demande à la date où sont apparus les premiers symptômes de sa rechute si ce n’était pas de l’article 10(4) de la Loi sur l’AE qui exige aussi que le prestataire démontre qu’il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations à cette date antérieure.

[80] Les prestataires remplissent les conditions requises pour recevoir des prestations après avoir accumulé un certain nombre d’heures d’emploi assurable durant ce qui est habituellement la période de 52 semaines qui se termine au début de leur période de prestationsFootnote 39. Dans le cas du prestataire, sa période de prestations aurait commencé le 26 avril 2020, le dimanche de la semaine où il a présenté sa demande initiale de prestationsFootnote 40. Le prestataire a cessé de travailler à la fin de mai 2018 et sa rechute est survenue en juillet 2019. Il n’aurait eu aucune heure d’emploi assurable au cours des 52 semaines précédant sa rechute, qui est survenue pendant la troisième semaine de juillet 2019.

[81] Le prestataire éprouve sans aucun doute de nombreuses difficultés parce qu’il est atteint de sclérose en plaques, surtout depuis sa rechute. Je reconnais que la présente décision représente pour lui un autre genre de coup dur. Je suis certain qu’il semble injuste que la Commission puisse changer de position ou que je n’exige pas que la Commission verse des prestations conformément à sa position initiale. Cependant, il me faut respecter la loi. La loi ne me permet pas d’admettre que le prestataire avait un motif valable au cours de la première période simplement parce qu’il a supposé qu’il ne pouvait pas présenter de demande pendant qu’il recevait une indemnité de départ. Le prestataire ne remplissait pas les conditions requises pour recevoir des prestations à la fin de la première période, à moins de pouvoir dénicher un nombre suffisant d’heures d’emploi assurable en prolongeant de quelque façon sa période de référence.

[82] À ma connaissance, la Commission n’a pas vérifié si le prestataire pouvait peut-être faire prolonger sa période de référenceFootnote 41. La Commission a d’abord décidé que le prestataire n’avait pas de motif valable pour toute la période du retard, en particulier à partir du 20 janvier 2020, quand le prestataire s’était partiellement remis de sa rechuteFootnote 42. Il se peut que la Commission n’ait pas envisagé la possibilité de prolonger la période de référence du prestataire parce qu’elle croyait que le prestataire n’avait pas de motif valable après le 20 janvier 2020. J’ai confirmé que le prestataire avait un motif valable justifiant son retard de la troisième semaine de juillet 2019 à la date de sa demande.

Conclusion

[83] J’accueille l’appel. Le prestataire n’avait pas un motif valable pendant toute la période allant du 27 mai 2018, moment où il a quitté son emploi, au 28 avril 2020, quand il a présenté sa demande. Il n’a pas le droit de faire antidater sa demande au 27 mai 2018 ou à tout moment avant la troisième semaine de juillet 2019. Il remplit les conditions requises pour recevoir des prestations seulement à compter de juillet 2019, s’il peut faire prolonger sa période de référence suffisamment pour avoir droit aux prestations à ce moment-là.

Date de l’audience :

Le 9 mars 2021

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

Angela Fricker, représentante de l’appelante
J. D., intimé
Nathanael Bowles, représentant de l’intimé

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