Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : RB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2021 TSS 112

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-869

ENTRE :

R. B.

Appelante

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Pierre Lafontaine
DATE DE LA DÉCISION : Le 26 mars 2021

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel de la prestataire est rejeté.

Aperçu

[2] Lorsque l’employeur a congédié l’appelante (prestataire) le 13 avril 2018, il lui a versé une indemnité de congé et une indemnité de préavis. La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a réparti ces sommes à titre de rémunération à l’encontre de la demande de prestations de la prestataire.

[3] Le 18 avril 2018, l’employeur a offert 22 500 $ à la prestataire en échange de l’acceptation d’un règlement d’ensemble et de la signature d’un formulaire de décharge de responsabilité. La prestataire a refusé cette offre.

[4] Le 2 janvier 2020, la prestataire a intenté une poursuite civile contre son employeur pour 200 000,00 $ de dommages. L’affaire n’est toujours pas réglée. Le 23 janvier 2020, l’employeur a déposé 15 750 $ dans le compte bancaire de la prestataire. La Commission a accepté l’explication de l’employeur selon laquelle la somme de 22 500 $ moins les retenues obligatoires constituait l’indemnité de départ. La Commission a réparti ces sommes à titre de rémunération à l’encontre de la demande de prestations de la prestataire. Cela a donné lieu à un trop-payé.

[5] La prestataire conteste que la somme de 22 500 $ constitue l’indemnité de départ. Elle a demandé à la Commission de réviser sa décision, mais cette dernière a maintenu sa décision initiale. La prestataire a déposé un appel devant la division générale du Tribunal.

[6] La division générale a conclu que la somme de 22 500 $ que l’ancien employeur a versée à la prestataire constitue une rémunération, car le versement provenait de son emploi. La division générale a aussi conclu que la Commission a bien réparti la rémunération.

[7] La division d’appel a accordé à la prestataire la permission de faire appel. La prestataire soutient que la division générale a commis des erreurs de fait et d’interprétation concernant les articles 35 et 36 du Règlement sur l’assurance‑emploi (Règlement sur l’AE).

[8] Je dois décider si la division générale a commis une erreur de fait ou de droit dans son interprétation des articles 35 et 36 du Règlement sur l’AE.

[9] Je rejette l’appel de la prestataire.

Question en litige

[10] La division générale a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit en concluant que la prestataire avait reçu une rémunération au titre de l’article 35(2) du Règlement sur l’AE et en précisant que la rémunération devait être répartie conformément à l’article 36(9) du Règlement sur l’AE?

Analyse

Mandat de la division d’appel

[11] La Cour d’appel fédérale a conclu que lorsque la division d’appel instruit des appels conformément à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loiNote de bas de page 1.

[12] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieureNote de bas de page 2.

[13] Par conséquent, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait commis une erreur de droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Questions préliminaires

[14] La prestataire m’a demandé de suspendre l’appel jusqu’à la fin de la poursuite intentée contre son employeur.

[15] Compte tenu de mon obligation envers les deux parties de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent, j’ai décidé de ne pas suspendre l’appel de la prestataire.

[16] La poursuite de la prestataire en est encore à ses débuts, et aucune date de procès n’a été fixée pour le moment. Des années pourraient s’écouler avant que l’affaire ne soit réglée. Je ne crois pas que repousser le présent appel serait dans l’intérêt de la justice. De plus, la Commission s’est engagée à réviser, sur demande, la répartition des gains de la prestataire une fois la poursuite intentée contre son employeur terminée.

[17] Je rendrai donc une décision concernant l’appel de la prestataire.

Les faits

[18] Le 3 avril 2017, la prestataire a commencé à travailler pour son employeur. Elle recevait un salaire de 3 461,54 $ toutes les deux semaines. Le 12 avril 2018, l’employeur l’a congédiée sans motif. Il lui a versé son indemnité de congé et son indemnité de préavis. Le 18 avril 2018, l’employeur a offert 22 500 $ à la prestataire en échange de l’acceptation d’un règlement d’ensemble et de la signature d’un formulaire de décharge de responsabilité. La prestataire a refusé cette offre.

[19] Le 9 décembre 2019, la prestataire a envoyé une lettre à son employeur pour entamer des discussions de conciliation. Elle n’a reçu aucune réponse du conseiller juridique de l’employeur.

[20] Le 2 janvier 2020, la prestataire a intenté une poursuite judiciaire contre son employeur pour 200 000 $ de dommages, en plus des intérêts avant et après le jugement et des coûts liés à la poursuite. Elle a par la suite reçu de son employeur l’avis d’intention de présenter une défense, daté du 22 janvier 2020.

[21] Le 23 janvier 2020, l’employeur a déposé le montant après impôt de 15 750 $ (ou 22 500 $ avant impôt) dans le compte bancaire de la prestataire, sans son autorisation. La prestataire n’a pas remboursé la somme à son employeur.

[22] La Commission a accepté l’explication de l’employeur selon laquelle la somme de 22 500 $ moins les retenues obligatoires constituait l’indemnité de départ. La Commission a réparti ces sommes à titre de rémunération à l’encontre de la demande de prestations de la prestataire. Cela a donné lieu à un trop-payé.

[23] La poursuite en dommages-intérêts que la prestataire a intentée contre son employeur n’est toujours pas réglée.

Décision de la division générale

[24] La division générale a conclu que la prestataire n’a pas prouvé que la somme de 22 500 $ est autre chose qu’une rémunération qui lui a été versée parce qu’elle a perdu son emploi. La division générale a conclu à partir de la preuve qu’il est plus probable qu’improbable que cette somme d’argent était une indemnité de départ payée parce que l’emploi de la prestataire avait pris fin. La division générale a jugé que de tels versements constituent une rémunération parce qu’ils proviennent d’un ancien travail. Ils doivent donc être répartis à compter de la fin de l’emploi.

Position de la prestataire

[25] La prestataire conteste que la somme de 22 500 $ constituait une indemnité de départ parce qu’elle n’avait droit à aucune indemnité réglementaire de départ en vertu de son contrat de travail et de la Loi sur les normes d’emploi.

[26] La prestataire fait valoir que la somme de 22 500 $ de l’employeur est un paiement partiel pour les dommages-intérêts qu’elle réclame dans le cadre de sa poursuite parce qu’elle a reçu un versement 21 mois après la fin définitive de son emploi. Elle a reçu ce paiement le lendemain que l’employeur a émis son avis d’intention de présenter une défense. La prestataire soutient que depuis son congédiement, elle n’a pas travaillé pour son employeur.

[27] La prestataire demande à la division d’appel d’accueillir son appel et de conclure que le paiement forfaitaire est un versement partiel des dommages-intérêts à répartir une fois qu’un règlement sera conclu ou qu’un jugement sera rendu dans le cadre de sa poursuite.

Position de la Commission

[28] La Commission fait valoir que lorsqu’une partie prestataire reçoit un revenu à la suite de la perte de son emploi, la Commission doit décider si ces gains constituent une rémunération au titre des articles 35 et  36 du Règlement sur l’AE.

[29] La Commission soutient qu’en plus de l’indemnité de congé et de l’indemnité de préavis versées immédiatement à la fin de l’emploi, la prestataire a reçu une somme subséquente de 22 500 $ de l’employeur. La Commission a décidé que la somme en question était une indemnité de départ, ce qui constituait une rémunération selon l’article 35(2) du Règlement sur l’AE. Cette somme devait être répartie conformément à l’article 36(9) du Règlement sur l’AE, car la prestataire a reçu les gains en raison de la fin de son emploi.

[30] La Commission affirme qu’à ce jour, la prestataire n’a fourni aucune copie de l’entente de règlement ou de tout document pour réfuter la présomption de gains. Par conséquent, il était raisonnable pour la division générale de conclure que la prestataire n’avait pas prouvé que le versement était autre chose qu’une rémunération payée parce que son emploi avait pris fin.

La division générale a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit en concluant que la prestataire avait reçu une rémunération au titre de l’article 35(2) du Règlement sur l’AE et en précisant que la rémunération devait être répartie conformément à l’article 36(9) du Règlement sur l’AE?

[31] La prestataire a travaillé pour l’employeur d’avril 2017 à avril 2018. S’il est vrai qu’en vertu de la Loi sur les normes du travail, elle ne serait pas admissible à une indemnité de départ parce qu’elle n’a pas été employée par son employeur pendant au moins cinq ans, son contrat de travail indique ceci :

[traduction]
7. Licenciement

L’emploi de l’employée ou employé peut prendre fin comme indiqué ci-dessous, auquel cas sa rémunération et ses avantages prendront fin, sauf disposition contraire ci-dessous. La société a le droit de licencier l’employée ou employé à tout moment, avec ou sans motif ou préavis, comme le précise l’article suivant :

  1. a) Licenciement sans motif par la société
  2. Si la société met fin à l’emploi de l’employée ou employé alors qu’il n’existe ni motif ni invalidité permanente, la société maintiendra le salaire et les avantages de l’employée ou employé décrits ci-dessous selon les conditions générales suivantes :
    1. […]
    2. (iii) La « période de préavis » prévue dans le présent accord est une période égale à un mois pour chaque année complète de service que l’employée ou employé a accumulée auprès de la société à compter de la date du licenciement, sous réserve d’une période de préavis minimale de trois mois et d’une période de préavis maximale de douze mois, quel que soit l’âge ou l’ancienneté de l’employée ou employé.
    3. (iv) Le maintien du salaire et des avantages durant la période de préavis prévue dans la présente disposition devrait inclure tous les autres avis de licenciement ou indemnités de départ auxquels l’employée ou employé peut avoir droit. L’employée ou employé reconnaît et accepte que la période de préavis constitue un droit ou un avantage plus important que tout préavis légal, indemnité de licenciement ou indemnité de départ qu’elle ou il aurait autrement le droit de recevoir en cas de licenciement [...].

[32] En vertu du contrat de travail, l’employeur accepte de payer un montant supérieur à tout préavis légal, indemnité de licenciement ou indemnité de départ que l’employée ou employé aurait autrement le droit de recevoir en cas de licenciement. Il s’engage à payer un préavis minimal de trois mois, quel que soit l’âge ou l’ancienneté de l’employée ou employé.

[33] Le 18 avril 2018, l’employeur a offert 22 500 $ à la prestataire en échange de l’acceptation d’un règlement d’ensemble et de la signature d’un formulaire de décharge de responsabilité. La prestataire a refusé cette offre. Voici ce que la lettre précise :

[traduction]
En reconnaissance des services rendus à X, des termes de votre contrat de travail et pour vous accompagner dans la transition vers un autre emploi, X vous offre un règlement d’ensemble qui comprend ceci :

1. Indemnisation

La société versera un paiement forfaitaire de 22 500 $ qui équivaut à trois mois de salaire au salaire de base actuel.

[34] La preuve montre que la prestataire recevait un salaire de 3 461,54 $ toutes les deux semaines lorsqu’elle était à l’emploi. Le paiement de 22 500 $ équivaut à trois mois de salaire. L’offre de l’employeur respecte incontestablement les termes du contrat de travail puisque ce dernier propose de verser trois mois de salaire à la prestataire même si elle a seulement accumulé un an de service auprès de l’employeur.

[35] De plus, il est clair que le licenciement a entraîné le paiement de 22 500 $ puisque l’employeur a offert à la prestataire l’équivalent de trois mois de salaire près de deux ans avant qu’elle n’entame sa poursuite.

[36] La prestataire soutient que le paiement de 22 500 $ est un versement partiel des dommages-intérêts dans le cadre de sa poursuite contre l’employeur.

[37] Comme l’a mentionné la division générale, la preuve ne permet tout simplement pas de conclure que le paiement a été effectué pour autre chose que l’indemnisation de la perte de salaire ou d’autres avantages liés à l’emploi.

[38] L’employeur a précisé à maintes reprises que la somme versée à la prestataire constitue une indemnité de départ. Par conséquent, le relevé d’emploi émis par l’employeur le 20 juillet 2020 indique que la somme de 22 500 $ représente une indemnité de départ. La preuve montre également que la prestataire a communiqué avec la Commission parce qu’elle ne savait pas pourquoi l’employeur avait effectué le paiement.

[39] La prestataire avait le fardeau de prouver à la division générale que, selon la prépondérance des probabilités, la somme constituait autre chose que l’indemnisation de la perte de salaire ou d’autres avantages liés à l’emploi.

[40] La prépondérance de la preuve devant la division générale montre qu’il est plus probable qu’improbable que cette somme d’argent représentait une indemnité de départ, versée parce que l’emploi de la prestataire avait pris fin. De tels versements constituent une rémunération parce qu’ils proviennent d’un ancien travail. Ils doivent donc être répartis à compter de la fin de l’emploi.

[41] La prestataire soutient également que la division générale est intervenue à tort dans un litige en cours avec son employeur et qu’aucune somme ne devrait être répartie avant qu’un règlement complet et définitif ne soit conclu entre les deux parties.

[42] Ainsi, la prestataire fait valoir que la division générale a commis une erreur en ignorant le Guide de la détermination de l’admissibilité (Guide) qui précise que si une employée ou un employé refuse l’offre de l’employeur, aucune somme ne doit être répartie avant qu’un règlement ne soit conclu et accepté par la partie prestataireNote de bas de page 3.

[43] Il est important de réitérer le fait que le Guide est un guide d’interprétation qui n’a pas force exécutoire sur le TribunalNote de bas de page 4. Cela étant dit, je ne décèle aucune contradiction entre la décision de la division générale et le libellé du Guide. Celui-ci indique également que si une employée ou un employé refuse l’offre d’un employeur, le paiement peut quand même être considéré comme ayant été reçu et accepté dans certaines circonstances.

[44] Dans la déclaration que la prestataire a déposée contre son employeur, la prestataire demande une indemnité pour environ 12 mois de perte de revenu et d’avantages en raison de son licenciement (100 000,00 $), sans oublier d’autres dommages personnels. L’employeur lui a offert trois mois de salaire au salaire de base actuel. Il semble que la perte de salaire de la prestataire soit un élément important du litige. Qui plus est, la prestataire n’a pas remboursé le versement à l’employeur,

[45] Dans ces circonstances, l’indemnité de départ, qui a été offerte à la prestataire et que celle-ci a refusée, a clairement été versée à la prestataire au sens de l’article 36(9) du Règlement sur l’AE.

[46] Pour les motifs énoncés précédemment, j’estime que la division générale a conclu à juste titre que, selon les éléments portés à sa connaissance, la somme représentait une indemnité de départ qui constitue une rémunération au titre de l’article 35(2) du Règlement sur l’AE. Celle-ci doit être répartie conformément à l’article 36(9) du Règlement sur l’AE parce qu’elle a été reçue en raison de la fin de l’emploi.

Conclusion

[47] L’appel de la prestataire est rejeté.

[48] Le Tribunal prend connaissance de l’engagement de la Commission à réviser, sur demande, la répartition des gains de la prestataire si un règlement est conclu ou un jugement est rendu concernant sa poursuite pour dommages-intérêts intentée contre l’employeur.

 

Date de l’audience :

Le 24 mars 2021

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

R. B., appelante

Suzanne Prud’Homme, représentante de l’intimée

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.