Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

AE – 55 du Règlement sur l’AE – hors Canada – disponibilité au travail

La prestataire a perdu son emploi en mars 2020. Elle a demandé des prestations régulières d’AE mais a plutôt reçu la prestation canadienne d’urgence (PCU). En septembre 2020, elle a quitté le Canada pour visiter son père gravement malade. Une fois la PCU terminée, la prestataire devait commencer à toucher des prestations régulières. Mais elle ne les a pas reçues parce qu’elle se trouvait à l’étranger et n’était pas disponible pour travailler. La division générale (DG) a conclu qu’elle pouvait toucher des prestations régulières pendant au moins une semaine. Elle lui a accordé selon une exception du Règlement sur l’AE qui s’applique lorsqu’on rend visite à un membre de sa famille gravement malade.

La Commission en a appelé à la division d’appel (DA). La DA a conclu qu’il était sans importance que la prestataire ne sache pas qu’elle devait prouver sa disponibilité pour toucher des prestations. Elle ne pouvait recevoir des prestations hors Canada que s’il était possible d’appliquer une exception du Règlement. Mais elle devait quand même démontrer être disponible au travail selon les termes de la Loi sur l’AE (voir Elyoumni, 2013 CAF 151). Elle ne l’a pas fait. Au minimum, elle n’a pas pris d’arrangements pour être jointe à l’étranger si une occasion d’emploi se présentait. Elle ne pouvait donc pas bénéficier de l’exception prévue au Règlement. La DA a accueilli l’appel de la Commission. Elle a conclu que la DG avait commis une erreur de droit en accordant une semaine de prestations sur la base de l’exception réglementaire.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c SP, 2021 TSS 191

Numéro de dossier du Tribunal: AD-21-58

ENTRE :

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Appelante

et

S. P.

Intimée


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Stephen Bergen
DATE DE LA DÉCISION : Le 11 mai 2021

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] J’accueille l’appel de la Commission.

[2] J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. La prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations pendant la période où elle était à l’étranger. Elle n’est pas libérée d’une partie de cette inadmissibilité parce qu’elle rendait visite à son père atteint de la maladie d’Alzheimer.

Aperçu

[3] L’intimée, S. P. (prestataire) a été mise à pied en mars 2020. Elle a demandé des prestations d’assurance-emploi, mais on lui a plutôt accordé la prestation canadienne d’urgence (PCU). En septembre 2020, la prestataire a quitté le Canada pour rendre visite à son père, qui est atteint de la maladie d’Alzheimer. Alors qu’elle se trouvait à l’étranger, l’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a fait passer ses prestations de la PCU à des prestations d’assurance-emploi (prestations d’AE). La Commission a décidé que la prestataire n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’AE parce qu’elle était à l’étranger et non disponible pour travailler. La prestataire a demandé une révision à la Commission, mais celle‑ci a refusé de modifier sa décision.

[4] La prestataire a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a conclu qu’elle se trouvait à l’étranger pour visiter un proche parent qui était gravement malade. À cause de cela, la division générale a décidé qu’elle était admissible à une semaine de prestations aux termes de l’article 55(1)(d) du Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement), même si elle était à l’étrangerNote de bas de page 1. La Commission fait appel de la décision de la division générale à la division d’appel.

[5] J’accueille l’appel. La division générale a commis une erreur de droit en décidant que la prestataire était admissible à une semaine de prestations. J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre et j’estime que la prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations pour la période pendant laquelle elle était à l’étranger.

Quels moyens d’appel puis-je prendre en considération?

[6] Les « moyens d’appel » sont les motifs de l’appel. Pour accueillir l’appel, je dois juger que la division générale a commis l’un des types d’erreurs suivantsNote de bas de page 2 :

  1. Le processus d’audience de la division générale n’était pas équitable.
  2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher, ou elle a tranché une question qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une importante erreur de fait.
  4. La division générale a commis une erreur de droit au moment de rendre sa décision.

Question en litige

[7] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a décidé que la prestataire était admissible à une semaine de prestations d’AE parce qu’elle rendait visite à son père malade?

Analyse

[8] Selon l’article 37 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), la partie prestataire qui est à l’étranger n’est pas admissible au bénéfice des prestations. L’article 55(1) du Règlement prévoit seulement quelques exceptions. L’une d’entre elles s’applique aux parties prestataires qui sont à l’étranger pour visiter un proche parent qui est gravement maladeNote de bas de page 3. Une partie prestataire admissible selon cette exception peut avoir droit à des prestations pour une période ne dépassant pas sept jours.

[9] La division générale a jugé que l’exception s’appliquait et que la prestataire devrait être admissible à sept jours de prestations parce qu’elle était à l’étranger pour visiter son père malade. Du même coup, la division générale a conclu que la prestataire n’était pas disponible pour travailler au sens de la Loi sur l’AE pendant la période durant laquelle elle était absente du CanadaNote de bas de page 4.

[10] Le fait que la division générale a conclu que la prestataire était toujours admissible aux sept jours de prestations après avoir établi qu’elle n’était pas disponible constitue une erreur de droit.

[11] La Commission a soutenu devant la division générale que l’exception ne devrait pas s’appliquer, car la période de prestations d’AE de la prestataire a commencé plus de sept jours après son départ du CanadaNote de bas de page 5. La division générale a rejeté cet argument. Elle n’a pas admis que l’exception pouvait seulement s’appliquer au cours des sept premiers jours après le départ de la prestataire du CanadaNote de bas de page 6.

[12] Peu importe que l’exception soit conçue pour s’appliquer seulement pendant la première semaine de la prestataire à l’étranger. La prestataire doit répondre à toutes les exigences pour bénéficier d’une exception aux termes de l’article 55(1) du Règlement.

[13] L’une de ces exigences est la disponibilité pour travailler, ce que prévoit l’article 55(1) « sous réserve » de l’article 18 de la Loi sur l’AE. Autrement dit, une partie prestataire peut seulement toucher des prestations aux termes de l’une des exceptions si elle répond également aux exigences de l’article 18. Selon l’article 18(1) de la Loi sur l’AE, une partie prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations pour tout jour ouvrable d’une période de prestations pour lequel elle ne peut prouver qu’elle était capable de travailler et disponible à cette fin.

[14] La Cour d’appel fédérale a interprété l’article 55(1) dans l’arrêt ElyoumniNote de bas de page 7. La Cour a affirmé que les parties prestataires qui demandent des prestations aux termes de l’une des exceptions doivent demeurer disponibles pour travailler aux fins de l’article 18(1) de la Loi sur l’AE.

[15] La division générale a conclu que la prestataire n’était pas disponible pour travailler alors qu’elle était à l’étranger. Si c’est le cas, la prestataire ne pouvait bénéficier d’une exception, quelle que soit la période de sept jours pour laquelle l’exception est demandée.

Résumé

[16] J’ai conclu que la division générale avait commis une erreur de droit. Je dois maintenant examiner ce que je dois faire pour corriger la situation (réparation).

Réparation

Nature de la réparation

[17] J’ai le pouvoir de modifier la décision de la division générale ou de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je peux également renvoyer l’affaire devant la division générale aux fins de réexamen de sa décisionNote de bas de page 8.

[18] La prestataire et la Commission sont d’accord pour que je rende la décision qui aurait dû être rendue.

[19] J’admets que la prestataire a eu l’occasion équitable de présenter tous ses éléments de preuve à la division générale et que j’ai toutes les preuves dont j’ai besoin pour rendre une décision. Je vais donc rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

Ma décision

[20] La loi est formelle; une partie prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations régulières d’AE alors qu’elle est à l’étranger, sauf pour les prestations limitées qu’elle pourrait toucher aux termes de l’une des exceptions de l’article 55(1) du Règlement.

[21] Pour que l’exception s’applique à toute période durant laquelle la prestataire était à l’étranger pour visiter son père gravement malade, elle doit quand même démontrer qu’elle était disponible pour travailler.

[22] Dans l’arrêt Faucher, la Cour d’appel fédérale a maintenu que la disponibilité se vérifie par l’analyse de trois éléments. La partie prestataire doit avoir le désir de retourner sur le marché du travail, avoir exprimé ce désir par des efforts pour trouver un emploi et ne pas avoir établi de conditions personnelles pouvant limiter indûment ses chances de retourner sur le marché du travailNote de bas de page 9.

[23] Cependant, dans l’arrêt Elyoumni il est précisé que la disponibilité doit être interprétée « en contexte ». L’arrêt Elyoumni ne fait pas référence à la décision antérieure de Faucher et il n’examine pas non plus les trois facteurs décrits dans Faucher.

[24] Le contexte de la décision Elyoumni est semblable à celui du cas qui nous occupe. Dans Elyoumni, le prestataire était également à l’étranger et cherchait à obtenir des prestations aux termes de l’une des exceptions de l’article 55(1). La Cour d’appel fédérale a déclaré qu’une partie prestataire qui est à l’étranger doit, à tout le moins, pouvoir démontrer qu’elle a pris des dispositions pour être jointe si un emploi lui est offert.

[25] Dans le présent cas, la prestataire ne répond pas à l’exigence minimale relevée par la Cour d’appel fédérale dans Elyoumni. Elle n’a pas pris de dispositions pour être jointe à l’étranger concernant des possibilités d’emploi.

[26] Il y a des renseignements contradictoires au dossier à propos de la question de savoir si la prestataire était disponible pour travailler lorsqu’elle était à l’étranger. La prestataire a rempli deux versions du questionnaire concernant les absences du Canada. Dans la première version, qu’elle a présentée en septembre 2020, elle a dit avoir pris des dispositions pour qu’on la joigne. Elle a aussi déclaré pouvoir rentrer dans les 48 heures si un emploi était offertNote de bas de page 10. Dans la version d’octobre 2020, la prestataire a dit qu’elle avait pris des dispositions pour être jointe, mais qu’elle ne pouvait pas rentrer dans les 48 heuresNote de bas de page 11. Lorsqu’elle a parlé à la Commission le 1er décembre 2020, elle a confirmé ses réponses au second questionnaire, répétant qu’elle avait pris des dispositions pour être jointe, mais qu’elle ne pouvait pas rentrer chez elle dans les 48 heures en raison du coût de la modification de son vol de retourNote de bas de page 12.

[27] Par contre, la prestataire a de nouveau parlé à la Commission de sa demande de révision au début de janvier 2021. Durant cet entretien, elle a dit qu’elle n’avait pris aucune disposition pour être jointe au sujet d’offres d’emploiNote de bas de page 13.

[28] À son audience devant la division générale, la prestataire a déclaré ne pas avoir tenté de chercher du travail alors qu’elle était à l’étrangerNote de bas de page 14. La division générale lui a demandé de préciser ce qui se passerait si on lui offrait un emploi alors qu’elle se trouvait à l’extérieur du CanadaNote de bas de page 15. On lui a également demandé d’expliquer les renseignements différents dans ses deux questionnaires et si elle avait pris des dispositions pour être jointe au sujet d’une offre d’emploiNote de bas de page 16. En guise de réponse, la prestataire a dit qu’on ne pouvait pas la joindre par téléphone, mais qu’il était possible de le faire par courriel. Elle n’a cependant pas dit si elle avait bel et bien pris des dispositions afin que l’on puisse la joindre à propos d’une occasion d’emploi, par courriel ou autrement. Elle a plutôt affirmé qu’elle n’aurait pas pu changer son vol, même si on lui avait offert un emploiNote de bas de page 17.

[29] J’estime que la prestataire n’a pas pris de dispositions pour être jointe dans l’éventualité d’une possibilité d’emploi. Elle a d’abord dit qu’elle avait pris des dispositions pour qu’on la joigne, mais elle est depuis revenue sur cette affirmation. De plus, il n’y a ni preuve de disposition quelconque prise par la prestataire ni détails à ce sujet.

[30] Je ne doute pas qu’il était possible, en théorie, de la joindre par courriel alors qu’elle était à l’étranger. Je n’admets cependant pas que la prestataire avait pris des dispositions pour être jointe concernant des possibilités d’emploi. La prestataire savait qu’elle rentrerait seulement au Canada au moment prévu pour son retour. Il semble donc qu’elle n’aurait pas accepté une offre de travail commençant avant cette date, même si elle avait laissé des instructions pour qu’une personne la joigne concernant un emploi possible.

[31] La prestataire a également soutenu que la transition vers les prestations régulières l’avait placée dans une situation injuste. Elle a affirmé qu’elle aurait pris des dispositions pour être jointe, si elle avait su qu’elle allait devoir prouver sa disponibilité. La prestataire a signalé qu’elle ne recevait pas de prestations d’AE quand elle a quitté le Canada. Elle recevait la PCU, qui n’exigeait pas qu’elle prouve sa disponibilité.

[32] Avant son départ du Canada, la prestataire avait appelé Service Canada (à titre d’agent de la Commission) pour savoir si elle allait continuer de recevoir la PCU. Selon elle, on lui a dit qu’elle pouvait quitter le pays en continuant à toucher la PCU. La personne a ajouté qu’on la ferait automatiquement passer aux prestations d’AE quand la PCU prendrait fin. La prestataire a compris que cela signifiait qu’elle continuerait de recevoir des versements de prestations après la transition.

[33] Quand ses versements de prestations ont cessé, la prestataire a communiqué avec Service Canada pour savoir ce qui s’était passé. C’est alors qu’elle a appris que la PCU avait pris fin et qu’elle ne pouvait pas être admissible à des prestations d’AE parce qu’elle était à l’étranger et non disponible pour travailler.

[34] Je comprends pourquoi la prestataire était surprise de constater que ses prestations avaient pris fin. Avant de cesser de toucher des versements de prestations, elle n’a pas eu de préavis selon lequel sa PCU prenait fin ou qu’on la faisait passer aux prestations d’AE. La prestataire se trouvait à l’étranger lorsqu’elle a appris que ses prestations étaient touchées. Elle ignorait que la transition vers les prestations régulières l’obligerait à prouver sa disponibilité et de quelle manière cela pouvait être fait.

[35] Malheureusement, je suis tenu d’appliquer la loi. Il importe peu que la prestataire aurait pu faire les choses différemment si elle avait su quand sa PCU prendrait fin ou qu’elle devait prouver sa disponibilité pour travailler. Selon la loi, une partie prestataire n’est pas admissible aux prestations régulières d’AE pour toute période qu’elle passe à l’étranger, à l’exception des prestations limitées décrites à l’article 55(1) du Règlement.

[36] La prestataire ne pouvait être admissible à aucune de ces exceptions à moins d’être également disponible pour travailler. Elle pouvait seulement être disponible si elle avait, à tout le moins, pris des dispositions pour être jointe dans l’éventualité d’une possibilité d’emploi.

[37] Je conclus que la prestataire n’était pas disponible pour travailler au sens de l’article 18(1) de la Loi sur l’AE pendant la période au cours de laquelle elle était à l’étranger. Par conséquent, l’exception qui permet le versement d’une prestation limitée à une partie prestataire qui est à l’étranger pour rendre visite à un proche parent ne fait pas partie des options qui lui étaient offertes.

Conclusion

[38] L’appel est accueilli.

[39] J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. La prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations pour la période pendant laquelle elle était à l’étranger aux termes de l’article 37(b) de la Loi sur l’AE. Elle n’est dégagée d’aucune partie de cette inadmissibilité par l’article 55(1)(d) du Règlement.

 

Date de l’audience :

Le 22 avril 2021

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

Isabelle Thiffault, représentante de l’appelante

S. P., intimée

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