Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

AE – choix des prestations parentales – irrévocabilité – obstacles linguistiques – équité

La prestataire a remarqué que le montant de ses versements de prestations parentales était petit. La Commission a expliqué que c’était parce qu’elle avait choisi les prestations prolongées. Son choix ne pouvait pas être modifié parce qu’elle avait déjà reçu le premier paiement de prestations parentales prolongées. Après révision, la Commission a maintenu sa décision.

La division générale (DG) a accueilli son appel. La DG a conclu que la prestataire avait toujours eu l’intention de demander des prestations parentales standards. Elle avait indiqué qu’elle voulait des prestations prolongées par erreur. La DG a pris note des obstacles linguistiques qui avaient nui à la compréhension de la prestataire.

Le Commission a fait appel devant la division d’appel (DA). La DA a conclu que la DG avait commis une erreur importante en concluant que la prestataire avait choisi les prestations prolongées par erreur. La DA a accepté le fait que la prestataire avait connu des difficultés parce que les formulaires étaient en anglais. Cela dit, la DG est allée plus loin et a, pour ainsi dire, mis des mots dans la bouche de la prestataire. Celle-ci avait peut-être eu de la difficulté à comprendre l’interaction et les différences entre les prestations de maternité et les prestations parentales, mais ce n’est pas ce qu’elle avait dit. La DG n’a pas posé d’autres questions sur la compréhension de la prestataire des questions sur le formulaire et celle-ci n’a rien ajouté à ce sujet. Il n’était pas raisonnable que la DG en vienne à la conclusion que la prestataire avait fait ce choix de prestations parentales en raison de ses difficultés de compréhension. On ne sait pas non plus précisément ce que la prestataire avait compris de l’information sur le formulaire de demande. La DA a accueilli l’appel de la Commission. Elle a renvoyé l’affaire devant la DG afin qu’elle soit tranchée de nouveau parce que la prestataire n’avait pas eu l’occasion de présenter ses éléments de preuve.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c BA, 2021 TSS 297

Numéro de dossier du Tribunal: AD-21-108

ENTRE :

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Appelante

et

B. A.

Intimée


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Stephen Bergen
DATE DE LA DÉCISION : Le 24 juin 2021

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] J’accueille l’appel de la Commission. Je renvoie l’affaire à la division générale pour réexamen.

Aperçu

[2] L’intimée, B. A. (prestataire), a demandé des prestations de maternité et des prestations parentales de l’assurance-emploi. En remplissant le formulaire de demande, elle a choisi les prestations prolongées pour une période de 48 semaines. Lorsqu’elle a reçu son premier versement de prestations parentales, elle a remarqué que le montant était beaucoup moins élevé que les prestations qu’elle recevait jusqu’à ce moment-là. Par conséquent, elle a communiqué avec l’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada. Celle-ci lui a expliqué qu’elle avait réduit le montant de ses prestations parce qu’elle avait choisi les prestations prolongées.

[3] La prestataire a dit à la Commission que les prestations prolongées étaient insuffisantes, et elle lui a demandé de changer ses prestations parentales. La Commission l’a informée qu’elle ne pouvait pas le faire puisque la prestataire avait déjà reçu un paiement de prestations parentales prolongées. La prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision, mais la Commission a décidé de maintenir sa décision.

[4] La prestataire a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale et elle a obtenu gain de cause. La division générale a accueilli son appel. Elle a conclu que la prestataire avait toujours voulu demander des prestations standards et qu’elle avait fait une erreur lorsqu’elle avait déclaré vouloir les prestations prolongées. La Commission demande maintenant la permission de porter la décision de la division générale en appel à la division d’appel.

[5] J’accueille l’appel. La division générale a commis une erreur de fait importante lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait choisi par erreur les prestations prolongées. Elle a fondé cette conclusion sur une mauvaise compréhension de la preuve de la prestataire.

[6] Je renvoie l’affaire à la division générale pour qu’elle la réexamine parce que la prestataire n’a pas eu une chance équitable de présenter sa preuve.

Quels moyens d’appel puis-je examiner?

[7] Les « moyens d’appel » sont les raisons de l’appel. Pour accueillir l’appel, je dois conclure que la division générale a commis un des types d’erreurs suivantsNote de bas page 1 :

  1. La procédure de la division générale était inéquitable d’une façon ou d’une autre.
  2. La division générale n’a pas statué sur une question qu’elle aurait dû trancher ou elle a statué sur une question qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. La division générale a commis une erreur de droit en rendant sa décision

Questions en litige

[8] La division générale a-t-elle commis une erreur de fait importante en déformant les raisons pour lesquelles la prestataire a choisi les prestations prolongées?

[9] La division générale a-t-elle commis une erreur de fait importante en ignorant des éléments de preuve, soit le formulaire de demande de prestations et l’explication qui y figure sur les choix de prestations parentales?

[10] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait choisi un autre type de prestations que celui sélectionné dans son formulaire de demande?

Analyse

[11] Lorsque les prestataires remplissent les conditions requises pour recevoir des prestations parentales, il leur est possible de « choisir » entre les prestations standards et les prestations prolongéesNote de bas page 2. Les prestations standards sont versées au taux de 55 % de la rémunération hebdomadaire des prestataires pour une période maximale de 35 semaines. Les prestations parentales prolongées sont versées à un taux réduit de 33 % de la rémunération hebdomadaire des prestataires, mais pour une période maximale de 61 semainesNote de bas page 3.

[12] Dès que la Commission a versé des prestations parentales aux prestataires, il ne leur est plus possible de changer d’avis et de demander un autre type de prestations. Le choix des prestataires est « irrévocableNote de bas page 4 ».

Question en litige no 1 : Mauvaise interprétation des raisons pour lesquelles la prestataire a choisi les prestations prolongées

[13] La division générale a commis une erreur de fait importante. La division générale a admis que la prestataire avait fait une erreur lorsqu’elle a choisi les prestations prolongées parce qu’elle croyait avoir besoin de ces prestations pour couvrir les 48 semaines de congé qu’elle avait prévu de prendre. (Elle pensait qu’un an équivalait à 48 semaines.) La division générale a jugé que sa méprise était compréhensible, « étant donné qu’elle a eu de la difficulté à remplir la demande en raison de sa mauvaise maîtrise de l’anglais ».

[14] À l’audience de la division générale, le membre a soulevé la possibilité d’une barrière linguistique avec la prestataire; il lui a demandé si elle avait eu des difficultés parce que le formulaire était en anglais. Par l’entremise d’un interprète, la prestataire a répondu : [traduction] « Oui, [elle] a eu de la difficulté avec les questions concernant les prestations parentales et de maternité. »

[15] Je remarque que la prestataire n’a pas spontanément déclaré qu’elle avait eu de la difficulté à lire la demande en anglais. La question de la division générale laissait plutôt entendre qu’il s’agissait peut-être d’une raison pour laquelle la prestataire avait possiblement mal compris les renseignements du formulaire. Je note aussi que la réponse de la prestataire ne permet pas de savoir précisément avec quelle partie de la suggestion du membre de la division générale la prestataire est d’accord. Il se peut qu’elle ait convenu du fait qu’elle avait eu de la difficulté à comprendre certaines questions du formulaire ou du fait qu’elle avait eu de la difficulté à comprendre ces questions en raison de sa capacité limitée à lire l’anglais.

[16] Malgré ces problèmes posés par la preuve de la prestataire, j’admets qu’elle a répondu de façon affirmative lorsque la division générale lui a demandé si elle avait eu de la difficulté parce que les formulaires étaient en anglais. Je ne peux pas conclure que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a tenu compte du fait que la prestataire avait peut-être eu de la difficulté à comprendre les renseignements sur les prestations parce qu’elle ne parlait pas couramment l’anglais.

[17] Toutefois, la division générale a bel et bien déformé la preuve de la prestataire d’une autre façon.

[18] La division générale a précisé que « [l]a prestataire a déclaré qu’elle avait de la difficulté à comprendre la façon dont les prestations de maternité et les prestations parentales interagissent et diffèrentNote de bas page 5 ». Lorsque le membre de la division générale a demandé à la prestataire pourquoi elle avait dit qu’elle voulait des prestations prolongées, la prestataire a seulement dit que [traduction] « d’après [ce qu’elle a compris] de ce qui était sur le formulaire, selon [elle], il était indiqué que 48 semaines correspondaient à un anNote de bas page 6 ».

[19] Cela ne semble pas répondre à la question du membre, mais je ne suis pas certain que c’était sa réponse complète. La réponse de la prestataire a été filtrée par un interprète. J’ai écouté l’enregistrement audio et j’ai pu entendre que la prestataire a utilisé le mot anglais « extended » [prolongées] lorsqu’elle a répondu à la question. Cependant, l’interprétation de sa réponse n’utilise pas le mot « prolongées » ou un autre mot au sens équivalent, et elle ne mentionne rien au sujet du type de prestations que la prestataire a choisi.

[20] Je ne peux pas savoir exactement ce que la prestataire a dit. Elle a peut-être dit qu’elle avait compris en lisant le formulaire que les prestations offertes pour 48 semaines ou un an étaient les prestations prolongées. Elle a peut-être dit qu’elle avait compris qu’elle pouvait obtenir 48 semaines ou un an (ce qu’elle voulait) seulement en choisissant l’option prolongée. Ou elle a peut-être dit quelque chose de complètement différent.

[21] La division générale n’a posé aucune autre question sur la façon dont la prestataire a interprété les questions du formulaire de demande, et la prestataire n’a rien dit de plus à ce sujet. Il n’y avait pas d’autres éléments de preuve portant sur le genre de difficultés que la prestataire a eues en ce qui concerne les questions sur les prestations parentales et les prestations de maternité ou sur ce qui aurait pu lui causer des difficultés.

[22] La division générale a commis une erreur de fait importante parce qu’elle a remplacé ou embelli le témoignage de la prestataire.

[23] Il se peut que la prestataire a bel et bien eu de la difficulté à comprendre l’interaction et les différences entre les prestations de maternité et les prestations parentales, mais ce ne sont pas les mots qu’elle a utilisés pour s’exprimer. Elle n’a pas parlé de sa compréhension de chaque type de prestations parentales, ni mentionné la raison pour laquelle elle pensait pouvoir choisir les prestations parentales prolongées dans le formulaire tout en touchant ses prestations parentales au taux des prestations standards. La façon dont la division générale a résumé la preuve de la prestataire était inexacte. La division générale ne pouvait pas non plus raisonnablement déduire de la preuve que le choix fait par la prestataire découlait de sa difficulté à comprendre chaque type de prestations et la façon dont les prestations interagissent.

Question en litige no 2 : Mise à l’écart de la preuve fournie dans le formulaire de demande de prestations

[24] La Commission a déclaré que le formulaire de demande fait la distinction entre les prestations de maternité et les prestations parentales et qu’il explique clairement les différences entre les prestations parentales standards et les prestations parentales prolongées. Elle soutient que la division générale n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve lorsqu’elle a évalué la compréhension de la prestataire à l’égard des options de prestations et du choix qu’elle devait faire.

[25] Je conviens que la division générale a commis une erreur de fait importante lorsqu’elle a décidé que la prestataire avait mal compris son choix sans tenir compte des renseignements figurant dans le formulaire de demande.

[26] La division générale a conclu que la prestataire ne comprenait pas ce qu’elle choisissait. Toutefois, elle n’a pas évalué si les renseignements figurant dans le formulaire pouvaient même appuyer la façon dont la prestataire a interprété son choix.

[27] La preuve ne montre pas clairement comment la prestataire a interprété les renseignements figurant dans le formulaire de demande. La prestataire n’a pas dit qu’elle pensait avoir compris l’information fournie par le formulaire et les options qu’elle avait. Elle a plutôt dit à la division générale qu’elle avait [traduction] « de la difficulté » avec les questions sur les prestations de maternité et les prestations parentales.

Question en litige no 3 : Aucun pouvoir de modifier le choix de la prestataire

[28] La Commission a également soutenu que la division générale n’avait pas le pouvoir de modifier le choix fait par la prestataire. Elle a fait valoir que la division générale permettait effectivement à la prestataire de révoquer son choix de prestations, ce qu’interdit expressément l’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi. Selon la Commission, il s’agit d’une erreur de droit.

[29] Je ne suis pas d’accord. La loi prévoit que les prestataires ne peuvent pas changer leur choix de prestations parentales après avoir touché le premier versement de prestations parentales. Toutefois, la division générale a quand même le pouvoir, au titre de l’article 64(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, de trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur l’appel. Cela comprend la capacité d’évaluer la preuve portant sur l’intention des prestataires au moment de remplir la demande, pour que la division générale puisse décider si le choix a bel et bien été fait ou s’il était valable.

[30] À mon avis, l’objet de l’article 23(1.2) est d’empêcher les prestataires de changer d’avis après avoir fait un choix. Il n’a pas été adopté pour empêcher les prestataires faisant preuve d’une diligence raisonnable de recevoir les prestations qu’elles ou ils croient par erreur avoir demandées. La division d’appel a adopté une approche raisonnablement cohérente à l’égard de cette question, et il n’y a aucune raison de s’écarter de son raisonnement dans la présente affaireNote de bas page 7.

[31] Comme j’ai jugé que la division générale a commis une erreur dans la façon dont elle a rendu sa décision, je dois envisager ce que je dois faire pour corriger l’erreur (accorder une réparation).

Réparation

[32] J’ai le pouvoir de modifier la décision de la division générale ou je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je peux aussi renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle réexamine sa décisionNote de bas page 8.

[33] La Commission m’a suggéré de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. La prestataire aurait préféré que je rejette l’appel de la Commission. Toutefois, elle m’a suggéré de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre si je décidais qu’il y avait une erreur dans sa décision. Elle maintient que je devrais confirmer qu’elle a bel et bien choisi les prestations standards.

[34] Je rendrais une décision seulement si je pouvais admettre qu’il y a des éléments de preuve sur toutes les questions que je dois trancher et que les deux parties eu la juste possibilité de présenter leurs arguments. Dans la présente affaire, je ne peux pas rendre une décision. Je ne suis pas convaincu que la prestataire ait eu une occasion équitable de présenter ses arguments.

[35] J’ai constaté que la division générale a commis une erreur de fait parce qu’elle a rendu une décision fondée en partie sur ses suppositions quant aux raisons pour lesquelles la prestataire a choisi les prestations prolongées plutôt que sur la preuve réelle. Il y avait des éléments de preuve montrant que la prestataire avait l’intention de prendre un an de congé, mais aucun élément ne permettait d’établir un lien clair entre cette intention et son choix de prestations prolongées.

[36] Comme je l’ai mentionné, j’ai des raisons de croire que l’interprétation était inexacte ou incomplète. Plus précisément, je crois que la réponse de la prestataire à la question du membre de la division générale concernant les raisons pour lesquelles elle a choisi les prestations prolongées a été mal interprétée. Elle a utilisé le mot anglais « extended » dans sa réponse, mais l’interprète n’a pas utilisé ce mot. Selon l’interprétation fournie, la prestataire a seulement dit qu’elle avait compris en lisant le formulaire que 48 semaines correspondaient à un an.

[37] Pour autant que je sache, la prestataire a donné une réponse significative à la question, mais je ne peux que faire des suppositions sur la nature de ses propos.

[38] Tout au long de l’audience, la division générale a posé des questions et la prestataire a répondu par l’entremise de l’interprète. À la fin de l’audience, le membre de la division générale a demandé à la prestataire si elle avait quelque chose à ajouter. Elle a dit qu’elle n’avait rien à ajouter.

[39] Toutefois, la division générale n’a pas expliqué à la prestataire qui devrait prouver qu’elle avait l’intention de choisir les prestations standards et non les prestations prolongées au moment de faire sa demande. Elle n’a pas demandé à la prestataire ce qu’elle savait des renseignements et des instructions figurant dans le formulaire de demande, ni quelle était sa compréhension de ces renseignements. Elle ne l’a pas informée que sa compréhension des renseignements figurant dans la demande pourrait être un élément important pour sa décision.

[40] Il est peu probable que la prestataire ait su que ces éléments étaient pertinents. Elle semblait se fier à la division générale, qui lui posait des questions sur tous les faits pertinents.

[41] Dans de telles circonstances, je dois renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle réexamine sa décision. Je juge qu’à l’audience, la prestataire n’a pas eu une possibilité équitable d’appuyer son affirmation selon laquelle elle n’avait pas l’intention de choisir les prestations prolongées.

Conclusion

[42] J’accueille l’appel.

[43] Je renvoie l’affaire à la division générale pour qu’elle réexamine sa décision.

Date de l’audience :

Le 18 juin 2021

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

Rachel Paquette, représentante de l’appelante
B. A., intimée

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