Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Décision

[1] L’appel est rejeté. J. P. (prestataire) n’a pas démontré qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploi parce que son départ ne constituait pas la seule solution raisonnable qui s’offrait à elle dans son cas.

Aperçu

[2] La prestataire a déménagé de la Saskatchewan en Ontario et a commencé à travailler comme cuisinière à la résidence privée pour personnes âgées X. Le fils du propriétaire gérait l’entreprise et était le gestionnaire de la prestataire. Lors de sa première journée de travail, la prestataire a été formée par celui-ci. Elle se sentait mal à l’aise dans la cuisine lorsqu’il partait parce que ses collègues étaient hostiles et faisaient des remarques. Lors de sa deuxième journée de travail, son gestionnaire n’était pas disponible pour la former. La prestataire estime que ses collègues étaient hostiles et qu’ils l’intimidaient parce qu’elle ne pouvait pas communiquer en français. Cela avait un effet néfaste sur sa santé. La prestataire a quitté le lieu de travail lors de sa deuxième journée de travail environ deux heures après le début de son quart de travail. Elle a écrit à son gestionnaire pour lui dire qu’elle démissionnait.

[3] Une période de prestations a été établie au profit de la prestataire et elle a reçu des prestations d’assurance-emploi. Après enquête, la Commission de l’assurance-emploi du Canada a exclu la prestataire du bénéfice des prestations parce qu’elle avait quitté volontairement son emploi chez X sans justification. Cela a donné lieu à un trop-payé de prestations de 14 806 $ versé à la prestataire entre le 19 février 2017 et le 14 octobre 2017.

[4] L’appel de la prestataire a été instruit par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La prestataire a ensuite fait appel de la décision de la division générale à la division d’appel du Tribunal. L’affaire m’est maintenant renvoyée pour que je tienne une nouvelle audience.

Questions en litige

Question en litige no 1 : La prestataire a-t-elle quitté volontairement son emploi auprès de X?

Question en litige no 2 : Dans l’affirmative, la prestataire était-elle fondée à quitter son emploi parce qu’elle était victime d’intimidation et que le milieu de travail la rendait malade?

Analyse

[5] Une partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 1. Une partie prestataire peut établir qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploi si elle démontre que compte tenu de toutes les circonstances, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 2.

[6] La Commission a le fardeau de prouver que le départ était volontaire. Ensuite, le fardeau est renversé et la prestataire doit prouver qu’elle était fondée à quitter son emploiNote de bas de page 3. Le fardeau de la preuve dont la prestataire et la Commission doivent toutes deux s’acquitter est celui de la prépondérance des probabilités, ce qui veut dire que les éléments de preuve tendent à suggérer que les événements se sont produits comme ils ont été décrits.

Question en litige no 1 : La prestataire a-t-elle quitté volontairement son emploi auprès de X?

[7] Je conclus que la prestataire a quitté volontairement son emploi.

[8] Les parties s’entendent sur ce point. Devant la Commission et le Tribunal, la prestataire a reconnu qu’elle avait quitté son emploi. Elle a affirmé qu’elle a quitté le lieu de travail lors de sa deuxième journée de travail après avoir travaillé environ deux heures. Elle a envoyé un courriel à son gestionnaire pour l’informer qu’elle démissionnait. L’employeur a corroboré la déclaration de la prestataire. Le relevé d’emploi mentionne également que la prestataire a quitté son emploi.

[9] Par conséquent, je conclus que la prestataire avait le choix de conserver ou de quitter son emploi et qu’elle a décidé de le quitter volontairementNote de bas de page 4.

Question en litige no 2 : La prestataire était-elle fondée à quitter son emploi parce qu’elle était victime d’intimidation et que le milieu de travail la rendait malade?

[10] Je conclus que la prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi comme son départ ne constituait pas la seule solution raisonnable dans son cas. J’estime qu’il aurait été raisonnable que la prestataire discute de sa situation avec un médecin. Il aurait aussi été raisonnable qu’elle discute de sa situation avec son gestionnaire et qu’elle essaie de trouver une solution à son sentiment de rejet avant de démissionner.

[11] La loi énumère des circonstances qui doivent être prises en considération au moment de décider si une partie prestataire était fondée à quitter volontairement son emploiNote de bas de page 5. Une partie prestataire doit établir qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploi en démontrant que compte tenu de toutes les circonstances, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 6.

[12] La prestataire a soutenu qu’elle a quitté son emploi parce qu’elle se sentait intimidée par ses collègues et qu’elle avait l’impression que ceux-ci étaient hostiles envers elle. Elle soutient également qu’elle a démissionné parce que le stress dans le milieu de travail la rendait malade.

Conflits et hostilité en milieu de travail

[13] La prestataire a affirmé que lors de sa première journée de travail, elle a été formée par son gestionnaire. Lorsque celui-ci était avec elle, ses collègues étaient respectueux. Cependant, lorsque le gestionnaire la quittait pour s’occuper d’autres tâches, ses collègues agissaient différemment. La prestataire a affirmé que les incidents suivants se sont produits lors de sa première journée de formation :

  • Ses collègues étaient hostiles envers elle et ne lui répondaient pas lorsqu’elle tentait d’interagir et de discuter avec eux.
  • Alors qu’elle discutait avec son gestionnaire de leurs années d’expérience dans la cuisine, la prestataire a mentionné son âge. Un autre collègue a entendu son commentaire et a crié à travers la cuisine à un autre employé qu’ils n’étaient plus les personnes les plus âgées travaillant là. La prestataire affirme que tout le monde a ri et qu’elle s’est sentie humiliée.
  • Ses collègues l’ignoraient, parlaient en français entre eux et la regardaient comme s’ils parlaient d’elle.
  • Elle avait l’impression que ses collègues lui jetaient des regards méprisants et qu’ils la dévisageaient. Elle estime que c’était parce qu’elle vient de l’ouest du Canada.

[14] Lorsque la prestataire s’est présentée pour sa deuxième journée de travail, elle a appris que son gestionnaire ne serait pas là pour la former. La prestataire a expliqué que son gestionnaire avait demandé à un jeune homme qui travaillait dans la cuisine de la former. Cependant, le jeune homme était réticent à lui montrer comment préparer la nourriture et avait déjà effectué de nombreuses étapes de la préparation de la nourriture pour le service du déjeuner. La prestataire affirme que les serveurs lui donnaient les commandes qui devaient être préparées et que ces commandes étaient rédigées en français. Lorsqu’elle a dit aux serveurs qu’elle ne comprenait pas ce qu’ils avaient écrit, ils ont levé les yeux au ciel. La prestataire a expliqué qu’on l’a reléguée à la préparation des rôties. Elle avait de la difficulté à comprendre quel pain utiliser pour faire des rôties. Environ 30 minutes après le début du service du déjeuner, une jeune collègue lui a demandé pourquoi elle ne savait pas encore ce qu’elle faisait. La prestataire a dit qu’elle s’est sentie dépassée par les événements et qu’elle a quitté son poste de travail pour aller pleurer dans les toilettes. Lorsqu’elle est retournée à son poste de travail, le silence régnait dans la cuisine et certains de ses collègues la regardaient fixement. Un de ses collègues lui a demandé pourquoi elle était partie et elle a expliqué qu’elle avait dû s’absenter. Peu de temps après, elle a dit à son formateur qu’elle allait démissionner et a confirmé cela à son gestionnaire par courriel.

[15] Je reconnais que la prestataire se sentait mal à l’aise en tant que nouvelle employée dans la cuisine et qu’elle avait de la difficulté à s’intégrer, surtout parce que bon nombre de ses collègues parlaient français. Cependant, j’estime que les actes décrits par la prestataire n’appuient pas sa position selon laquelle elle a été victime d’intimidation au travail. Les commentaires et la conduite de ses collègues, même s’ils manquaient de sensibilité, ne constituaient pas de l’intimidation. De plus, j’accepte la déclaration de l’employeur selon laquelle le personnel était bilingue et deux des cuisiniers qui travaillaient avec la prestataire ne parlaient que l’anglais. Par conséquent, le fait que la prestataire ne parlait pas français ne l’empêchait pas d’interagir et de travailler avec ses collègues.

[16] Dans ses documents écrits, la prestataire a soutenu qu’elle avait l’impression que le milieu de travail était hostile. Au cours de son témoignage, elle a précisé qu’hostile n’était peut être pas le bon mot et qu’elle se sentait mal à l’aise. Dans un milieu de travail qui regroupe de multiples personnalités, une période d’adaptation peut être nécessaire avant qu’un nouvel employé se sente à l’aise avec ses collègues. La prestataire a reconnu cela elle-même au cours de l’audience lorsqu’elle a décrit la période d’adaptation requise lorsqu’un nouvel employé se joint à une équipe de cuisine. Ainsi, un nouvel employé est susceptible de vivre un certain niveau d’inconfort et de malaise. Par conséquent, je ne crois pas que la prestataire a été intimidée parce qu’elle ne parlait pas français ou que le milieu de travail était hostile.

Conditions de travail dangereuses pour la santé ou la sécurité de la prestataire

[17] La prestataire a affirmé qu’elle se sentait dépassée et qu’elle devait quitter son emploi. Elle ne se sentait pas la bienvenue dans le milieu de travail. La prestataire a dit qu’elle a travaillé dans d’autres milieux de travail francophones depuis qu’elle a déménagé à X. Dans ceux-ci, elle s’est sentie bien accueillie, mais elle était mal à l’aise face à l’attitude et au comportement de ses collègues chez X. La prestataire a affirmé que le stress dans le milieu de travail la rendait malade. Elle a dit qu’elle souffrait déjà de migraines chroniques, de problèmes de tension artérielle, de zona et de dépression.

[18] Les employés qui invoquent des raisons de santé pour quitter son emploi doivent fournir une preuve médicale pour démontrer que leur emploi est préjudiciable à leur santé (à moins que ce ne soit particulièrement évident). La prestataire a soutenu qu’elle connaissait ses limites et qu’elle sentait qu’elle allait faire une dépression si elle continuait à travailler. Toutefois, sans renseignements médicaux confirmant les sentiments exprimés par la prestataire, je ne peux conclure qu’elle a dû quitter son emploi parce qu’il affectait sa santé. Je reconnais que la prestataire n’avait pas de médecin en Ontario et que pour voir un médecin, elle devait se rendre dans une clinique sans rendez-vous. Cependant, sans renseignements médicaux à l’appui de sa position, je ne peux conclure que ses conditions de travail présentaient un danger pour sa santé.

Autres solutions raisonnables

[19] Compte tenu de toutes les circonstances, je conclus que le départ de la prestataire ne constituait pas la seule solution raisonnable qui s’offrait à elle dans son cas.

[20] La Commission a soutenu que la prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi parce qu’elle aurait dû envisager les solutions suivantes avant de le faire :

  • parler à son médecin de ses problèmes de santé émotionnelle et physique;
  • trouver un autre emploi plus convenable avant de démissionner;
  • tenter de résoudre ses problèmes en milieu de travail avant de démissionner.

[21] La prestataire soutient qu’elle ne pouvait plus continuer de travailler et que la seule solution raisonnable qui s’offrait à elle était de quitter son emploi.

[22] Je reconnais que la prestataire vivait une période difficile sur le plan personnel lorsqu’elle a déménagé en Ontario. Elle a affirmé qu’elle avait quitté son mari, qu’elle vivait pour la première fois loin de ses enfants et qu’elle venait d’apprendre que sa mère avait un cancer du poumon. Elle a également parlé de ses problèmes de santé personnels, notamment son hypertension et sa dépression. J’estime que consulter un médecin aurait été une solution raisonnable dans sa situation. Je ne conteste pas l’argument de la prestataire selon lequel elle n’avait pas de médecin généraliste en Ontario et ne voulait pas qu’un médecin d’une clinique sans rendez-vous ne connaissant pas ses antécédents médicaux ajuste ses médicaments. Sans demander à un médecin d’ajuster ses médicaments, j’estime tout de même qu’une solution raisonnable pour la prestataire aurait été de consulter un médecin pour comprendre si son emploi avait une incidence sur sa santé et d’obtenir une recommandation quant à savoir si elle devait continuer à travailler ou non.

[23] J’estime également que compte tenu des circonstances, il aurait été raisonnable pour la prestataire de discuter de la situation avec son gestionnaire et de tenter de trouver une solution. Elle aurait pu expliquer en détail ce qui la mettait mal à l’aise, décrire l’incidence qu’avait le milieu de travail sur elle, expliquer en quoi le milieu de travail était différent des autres cuisines où elle avait travaillé et décrire précisément ce qui l’aurait rendu plus à l’aise avec ses collègues.

[24] Je conclus que la prestataire n’a pas fait part de ses véritables préoccupations au gestionnaire et que, par conséquent, elle n’a fait aucune tentative pour régler la situation avant de quitter le lieu de travail. La prestataire a confirmé pendant son témoignage qu’elle n’avait pas parlé à son gestionnaire de son expérience dans la cuisine avant de démissionner. Elle a affirmé qu’elle y était [traduction] « peut-être allée un peu trop vite sur ce point ».

[25] Je conclus que le fait que la prestataire n’ait pas pris de mesures pour tenter de régler la situation avant de démissionner signifie qu’elle n’a pas épuisé toutes les solutions raisonnables qui s’offraient à elle.

[26] Il n’y a aucun doute que le témoignage de la prestataire était sincère. Elle a réellement vécu un certain niveau d’inconfort en milieu de travail. Je reconnais que la prestataire estimait avoir de bonnes raisons de quitter son emploi. Cependant, il existe une distinction entre les concepts de « bonnes raisons » et de « justification » à quitter volontairement un emploi. Le terme « justification » tel qu’il est défini dans la loi n’est pas synonyme de « raison » ou de « motif »Note de bas de page 7. Par conséquent, il ne suffit pas que la prestataire démontre qu’elle a agi pour une bonne raison en quittant son lieu de travail. Il lui faut démontrer que compte tenu de toutes les circonstances, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas. La prestataire ne l’a pas fait.

[27] Par conséquent, je conclus que la prestataire n’était pas fondée à quitter volontairement son emploi.

Conclusion

[28] L’appel est rejeté.

Date de l’audience :

Le 4 juillet 2019

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparution :

J. P., appelante

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.