Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

AE – antidatation – durée du retard – raison du retard – pandémie de COVID 19

Le prestataire travaillait comme coiffeur dans l’industrie du cinéma et de la télévision. Il a eu de la difficulté à trouver du travail au cours de l’été 2020 et a reçu la Prestation canadienne d’urgence (PCU). Il a demandé des prestations d’assurance-emploi le 30 novembre 2020. Il a demandé à la Commission de faire remonter (d’antidater) sa demande au 25 octobre 2020. Il aurait pu recevoir des prestations à partir du 25 octobre s’il n’avait pas attendu au 30 novembre pour présenter sa demande. La Commission a refusé d’antidater sa demande. Elle affirmait qu’il n’avait aucune raison valable de retarder sa demande. Après révision, la Commission n’a pas modifié sa décision.

La division générale (DG) a rejeté l’appel du prestataire. Malgré le fait que la durée du retard est importante, la question la plus importante est de savoir si, dans cette affaire, le prestataire avait une raison valable (des circonstances exceptionnelles) justifiant le retard de sa demande. Le prestataire n’avait aucune raison valable. Il n’a pas agi de façon raisonnable ou prudente et sa situation n’était pas particulière par rapport à d’autres. Le prestataire n’a pas vérifié rapidement quand il pouvait commencer à recevoir des prestations. D’autres Canadiennes et Canadiens qui demandaient des prestations ont dû composer avec la confusion et essayer de comprendre les critères changeants pour obtenir des prestations comme la PCU, les prestations d’assurance-emploi et la prestation d’assurance-emploi d’urgence pendant la pandémie de la COVID 19.

La division d’appel (DA) a accueilli l’appel du prestataire. Même s’il a présenté sa demande avec 36 jours de retard, son véritable retard était seulement de 2 jours par rapport au délai de 4 semaines supplémentaires pendant lequel la Commission considère qu’une demande est présentée à temps (délai de grâce). Il s’agit donc d’un petit retard. La DG n’a pas tenu compte du fait que, pour voir si une raison valable justifie le retard, il faut faire la comparaison avec ce que seraient les attentes en temps normal, sans la COVID-19. Le prestataire avait assez de connaissances pour vérifier les conditions à remplir pour avoir droit aux prestations en temps normal, mais la situation actuelle n’est pas normale. La confusion règne. Les prestataires devraient avoir plus de 2 jours supplémentaires pour vérifier s’il y a eu des changements récents aux prestations d’AE ou quels sont les critères à remplir pendant la situation particulière engendrée par la pandémie de la COVID 19. Le prestataire n’a pas à démontrer que sa situation est particulière comparativement à celle de toutes les autres personnes qui demandent des prestations d’AE au milieu de la pandémie de la COVID 19. Il doit plutôt démontrer que sa situation est spéciale par rapport à celle des personnes qui demandent des prestations en temps normal, en l’absence de pandémie. Les détails de l’affaire montrent que le prestataire a été dérouté par les exigences changeantes permettant d’obtenir des prestations durant la pandémie de la COVID 19. Pour toutes ces raisons, la DA a accueilli l’appel. Elle a décidé que le prestataire avait une raison valable justifiant son retard et qu’il pouvait demander l’antidatation de sa demande à la date antérieure.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : MC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2021 TSS 312

Numéro de dossier du Tribunal: AD-21-124

ENTRE :

M. C.

Appelant

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Stephen Bergen
DATE DE LA DÉCISION : Le 2 juillet 2021

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] J’accueille l’appel. J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. J’ai conclu que le prestataire était admissible à l’antidatation de sa demande au 25 octobre 2020.

Aperçu

[2] L’appelant, M. C. (prestataire), travaillait comme coiffeur dans l’industrie du cinéma et de la télévision. Il a éprouvé de la difficulté à obtenir des contrats au cours de l’été 2020 et a touché la Prestation canadienne d’urgence (PCU) pendant un certain temps. Il a toutefois obtenu quelques semaines de travail en septembre et en octobre 2020. Le 30 novembre 2020, le prestataire a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi (AE), conformément aux exigences d’admissibilité assouplies. Il a demandé à la Commission de l’assurance-emploi du Canada d’antidater sa demande au 25 octobre 2020, mais celle-ci a refusé de le faire. La Commission a également conclu que le prestataire n’avait pas de motif valable pour avoir retardé la présentation de sa demande de prestations. La Commission a refusé de modifier sa décision après la demande de révision du prestataire.

[3] Le prestataire a ensuite fait appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, qui a rejeté son appel. Il fait maintenant appel devant la division d’appel.

[4] J’accueille l’appel parce que la division générale a commis des erreurs de fait et de droit. J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. Le prestataire avait un motif valable pour le retard tout au long de la période allant du 25 octobre 2020 au 28 novembre 2020, et il aurait été admissible à des prestations le 25 octobre 2020. Sa demande peut être antidatée au plus tôt le 25 octobre 2020.

Questions en litige

[5] La division générale a-t-elle interféré avec le droit du prestataire d’être entendu en omettant de s’enquérir de ses efforts pour communiquer avec la Commission avant de demander des prestations?

[6] La division générale a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit en faisant des suppositions quant aux répercussions de la COVID-19 sur les coiffeurs de l’industrie du cinéma et de la télévision?

[7] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d’examiner la pertinence de la durée du retard du prestataire?

[8] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit dans sa façon d’interpréter les « circonstances exceptionnelles »?

Quels moyens d’appel puis-je considérer?

[9] Les « moyens d’appel » sont les raisons de l’appel. Pour que je puisse accueillir l’appel, je dois d’abord conclure que la division générale a commis l’un des types d’erreurs suivantsNote de bas de page 1  :

  1. La division générale n’a pas offert un processus d’audience équitable.
  2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher, ou elle a tranché une question qui dépassait sa compétence.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. La division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a rendu sa décision.

Analyse

[10] Selon l’article 10(1) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), la période de prestations commence normalement le dimanche de la semaine où survient un arrêt de rémunération ou le dimanche de la semaine où est présentée une demande initiale de prestations. On retient la date la plus tardive.

[11] Cependant, une « partie prestataire » peut demander que sa période de prestations commence à une date antérieure (j’utiliserai « partie prestataire » ou le pluriel « les prestataires » pour désigner « il ou elle » et « une ou un prestataire »), si elle peut démontrer qu’elle avait un motif valable pour avoir présenté sa demande en retard, et ce pendant toute la durée du retard.

[12] Parallèlement, il ne suffit pas qu’une partie prestataire affirme qu’elle n’a pas présenté sa demande plus tôt parce qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait le faire. Pour avoir un motif valable justifiant son retard, une partie prestataire doit démontrer qu’elle a fait ce qu’une personne raisonnable et prudente aurait fait pour se renseigner sur ses droits et obligations aux termes de la Loi sur l’AENote de bas de page 2 .

[13] Cependant, il peut y avoir des circonstances exceptionnelles dans lesquelles une partie prestataire, qui a présenté sa demande en retard parce qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait faire une demande, pourrait quand même démontrer un motif valable – même si la partie prestataire n’a pas pris de mesures pour se renseigner sur ses droits et obligations. Même l’inaction d’une partie prestataire peut parfois être justifiée par des circonstances exceptionnellesNote de bas de page 3 .

Question en litige no 1 : défaut de se renseigner et droits de justice naturelle

[14] Le prestataire a déclaré qu’il avait essayé de communiquer avec Service Canada à plusieurs reprises avant de finalement présenter une demande de prestations, mais qu’il n’avait pas été en mesure de parler à qui que ce soit. Il a dit que c’était la raison pour laquelle il avait dit qu’il n’avait pas communiqué avec la Commission.

[15] Comme la Commission l’a souligné lors de l’audience de la division d’appel, aucune preuve de ces efforts répétés n’a été apportée devant la division générale. La manière dont le prestataire a maintenant clarifié et étoffé ses déclarations passées à la Commission constitue une nouvelle preuve. Par conséquent, je ne peux pas en tenir compteNote de bas de page 4 .

[16] Cependant, je comprends l’argument du prestataire selon lequel il aurait pu parler de ces efforts à la division générale, si seulement la division générale lui avait demandé ce qu’il voulait dire par ses déclarations à la Commission. Le prestataire a soutenu que la division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas cherché à savoir si le prestataire avait appelé ou tenté d’appeler Service Canada ou la CommissionNote de bas de page 5 .

[17] Le prestataire a raison de dire que la division générale ne l’a pas interrogé sur ses tentatives de communication avec la Commission. Cependant, il ne s’agit pas d’une erreur de droit. L’audience devant la division générale ne constitue pas une enquête et le Tribunal n’a pas l’obligation d’enquêter. Plutôt, le prestataire avait l’obligation de présenter à la division générale les éléments de preuve sur lesquels il avait l’intention de s’appuyer.

[18] Parallèlement, la justice naturelle exige que la division générale donne au prestataire une occasion équitable d’être entendu et de défendre sa cause. Pour établir si le prestataire avait un motif valable pour le retard, le Tribunal a dû évaluer si le prestataire a fait ce qu’une personne raisonnable et prudente aurait fait dans les mêmes circonstances. Le facteur déterminant pour la division générale était que le prestataire ne s’est pas renseigné sur son admissibilité aux prestations d’AE avant le 30 novembre 2020. La division générale a déclaré que rien n’empêchait le prestataire d’appeler Service Canada, mais qu’il n’a pas tenté de le faireNote de bas de page 6 . Elle a conclu que le prestataire n’avait pas pris de mesures raisonnables et rapides pour s’informer de ses droits et obligations en matière de demande de prestations d’AENote de bas de page 7 .

[19] Je reconnais que la preuve des efforts du prestataire pour contacter la Commission était très pertinente, voire le facteur décisif, dans la décision de la division générale. Cependant, le dossier comprend une preuve claire montrant que le prestataire n’a pas tenté de communiquer avec Service Canada. Selon les notes de la Commission, le prestataire a déclaré qu’il n’avait pas contacté la Commission pour savoir s’il était admissibleNote de bas de page 8 . Des notes ultérieures indiquent que le prestataire n’a pas essayé d’appeler ou de faire des recherches sur l’AENote de bas de page 9 .

[20] Le Tribunal a divulgué tous ces éléments de preuve au prestataire avant l’audience. La membre de la division générale a également dit au prestataire qu’il devait démontrer qu’il avait un motif valable pour son retard. Elle lui a dit qu’il devait démontrer qu’il avait agi comme l’aurait fait une personne raisonnable et prudente dans la même situation que lui. Ainsi, le prestataire aurait dû savoir qu’il était important d’expliquer toute tentative infructueuse qu’il aurait pu faire pour communiquer avec Service Canada (dans le but d’obtenir des précisions sur son admissibilité ou sur le processus de demande). Si le prestataire n’était pas d’accord avec la façon dont la Commission avait interprété ses déclarations antérieures, il lui appartenait de signaler ces erreurs à la division générale et de mettre au point le dossier. Une procédure équitable n’exige pas que la division générale interroge le prestataire sur tout ce qu’il aurait dit et qu’elle lui demande si c’était vraiment vrai, ou s’il a en fait dit ou voulu dire autre chose.

[21] La division générale n’a pas interféré avec le droit du prestataire d’être entendu ni commis d’autre erreur de justice naturelle en ne remettant pas en question les déclarations du prestataire contenues dans le dossier.

Question en litige no 2 : connaissance d’office erronée et mauvaise interprétation de la preuve

[22] Le prestataire a fait valoir que la division générale a commis une erreur en admettant d’office que [traduction] « les services personnels tels que les salons de coiffure et les barbiers seraient parmi les premières entreprises à être fermées pour des raisons de santé publique [c’est-à-dire en raison de la COVID-19] ». Le prestataire a déclaré que la division générale ne devrait prendre connaissance que des faits qui sont [traduction] « si notoires ou généralement acceptés qu’ils ne font pas l’objet d’un débat entre personnes raisonnablesNote de bas de page 10  ».

[23] Le prestataire a correctement énoncé le critère relatif à la connaissance d’office. Cependant, la division générale n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a constaté que les services personnels seraient parmi les premières entreprises à être fermées à cause de la COVID-19. À mon avis, ce fait était largement connu et généralement accepté par des personnes raisonnables.

[24] Toutefois, le prestataire a soulevé un deuxième point concernant l’affirmation de la division générale selon laquelle les restrictions de santé publique liées à la COVID-19 ont eu des répercussions importantes sur les coiffeurs de sa propre industrie. Je conviens que les répercussions de la COVID-19 sur les coiffeurs de l’industrie du cinéma et de la télévision n’étaient pas un fait notoire ni généralement accepté.

[25] Toutefois, je ne suis pas d’accord pour dire que la division générale a pris connaissance d’office de ce fait. La division générale a plutôt mal compris une lettre du syndicat du prestataire. La division générale a déclaré que la lettre mentionnait que la COVID-19 avait des [traduction] « répercussions graves sur les coiffeurs de sa propre industrie ». Cette affirmation était inexacte. La lettre du syndicat ne parle pas de répercussions [traduction] « graves » ni de répercussions particulières des restrictions liées à la COVID-19 sur les coiffeurs syndiqués. On y lit seulement que [traduction] « les productions cinématographiques et télévisuelles ont dû réduire le nombre de membres engagés dans les équipes, ce qui a eu pour conséquence de limiter les possibilités de travail pour nos membres ».

[26] La division générale a mal compris la lettre du syndicat déposée comme preuve. Toutefois, pour qu’il s’agisse d’une « erreur de fait » telle que décrite dans les « moyens d’appel », il doit s’agir d’une erreur sur laquelle la division générale a fondé sa décision. Dans la présente affaire, la division générale n’a pas accepté que l’intention du prestataire de chercher du travail ou d’éviter de toucher des prestations d’AE ait pu constituer un motif valable pour le retardNote de bas de page 11 . Par conséquent, sa conclusion selon laquelle le prestataire n’avait pas de motif valable pour le retard ne dépendait pas de son opinion sur les possibilités d’emploi pour les coiffeurs dans l’industrie du film et de la télévision.

[27] La division générale n’a pas commis d’erreur de fait importante en présumant les effets des restrictions de la COVID-19 sur les coiffeurs dans l’industrie du prestataire.

Question en litige no 3 : défaut de prendre en compte la durée du retard

Application de la politique de la Commission

[28] Le prestataire a présenté une demande de prestations le 30 novembre 2020 et a demandé à la Commission d’antidater sa demande au 25 octobre 2020. Il a déclaré à la Commission qu’il n’avait pas travaillé ni perçu de salaire après le 25 octobreNote de bas de page 12 .  

[29] Par conséquent, la division générale a déclaré que la période de retard était du 25 octobre 2020 au 30 novembre 2020Note de bas de page 13 . La division générale a initialement déclaré que son dernier jour de travail était à la fin du mois d’octobre 2020Note de bas de page 14 . Plus loin dans la décision, la division générale a dit que le contrat de travail du prestataire avait pris fin le 25 octobre 2020Note de bas de page 15 . Je n’ai aucune raison d’interférer avec la conclusion de la division générale selon laquelle le 25 octobre 2020 était le dernier jour de travail du prestataire.

[30] La politique de la Commission permet aux prestataires de prendre un délai raisonnable pour soumettre leur demande de prestations. La politique prévoit que les prestataires sont réputés avoir déposé leur demande « à temps » lorsque la demande de prestations est faite au plus tard quatre semaines civiles après la semaine civile au cours de laquelle l’arrêt de rémunération est survenu ou le dernier jour de travail rémunéré de la partie prestataireNote de bas de page 16 .

[31] Le premier jour où la période de prestations du prestataire aurait pu commencer aurait été le dimanche de la semaine au cours de laquelle l’arrêt de rémunération du prestataire est survenuNote de bas de page 17 . Le 25 octobre était un dimanche. Conformément à la politique de la Commission, le prestataire aurait dû bénéficier de quatre semaines supplémentaires au-delà de la semaine du 25 octobre. Autrement dit, la semaine du 25 octobre au 31 octobre ne compterait pas comme l’une des quatre semaines. Cela signifierait que le délai de grâce du prestataire s’étendrait jusqu’au 28 novembre 2020. Le prestataire a présenté une demande de prestations le 30 novembre 2020Note de bas de page 18 .

[32] Le 30 novembre dépasse de deux jours la période de grâce établie par la politique de la Commission.

Pertinence de la durée du retard

[33] Je ne peux pas être certain que la division générale ait compris que le prestataire n’avait que deux jours de retard selon la politique de la Commission. Cependant, ce qui semble clair, c’est que cela n’avait pas d’importance pour la division générale.

[34] La division générale a reconnu que le temps qu’il avait fallu au prestataire était [traduction] « relativement court », soit 36 joursNote de bas de page 19 , mais a refusé d’antidater la demande parce qu’elle a jugé que le prestataire n’avait pas agi [traduction] « de manière raisonnable ou prudente »Note de bas de page 20 . À l’appui de sa décision, la division générale a écrit ce qui suit : [traduction] « Bien que la durée du retard soit pertinente, le facteur le plus important est la raison du retard ». Elle a cité l’arrêt Canada (Procureur général) c Burke, une décision de la Cour d’appel fédérale, à l’appui de ce principe.

[35] Dans l’arrêt Burke, la Cour d’appel fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la Commission concernant une décision du juge-arbitre dans laquelle ce dernier avait jugé raisonnable un délai de 121 joursNote de bas de page 21 . La Commission avait fait valoir que la décision du juge-arbitre était déraisonnable parce que le juge-arbitre avait calculé à tort que la période de retard était de 90 jours. La Cour a rejeté l’argument de la Commission selon lequel cette erreur de calcul de la période de retard avait été déterminante dans la décision du juge-arbitre.

[36] Dans l’arrêt Burke, le prestataire avait apparemment une raison suffisante pour justifier son retard et la Cour a confirmé l’antidatation de sa demande. La raison était la chose la plus importante – malgré le fait que le retard dans cette affaire était important.

[37] L’arrêt Burke n’aborde pas la question des conséquences d’un retard minime. Il ne précise pas non plus que la durée du délai n’est jamais importante, ou qu’il faut lui accorder peu d’importance.

[38] On pourrait s’attendre à ce qu’il soit plus facile de conclure à l’existence d’un motif valable dans le cas d’un retard très court, même si un long retard (comme celui dans l’arrêt Burke) n’exclut pas nécessairement la présence d’un « motif valable ».

[39] Comme la division générale, j’accepte que la période écoulée est de 36 jours dans la présente affaire. Toutefois, la Commission accepte généralement une demande comme ayant été présentée dès qu’elle aurait pu l’être si elle est présentée pendant la période de grâce de la politique. Dans la présente affaire, un retard de 36 jours signifie que le prestataire n’a dépassé le délai de grâce que de deux jours. Autrement dit, la Commission n’a pas antidaté sa demande parce qu’il l’a présentée deux jours trop tard. Il s’agit d’un retard minime en toutes circonstances.

[40] La membre de la division générale n’a pas expliqué pourquoi elle n’a accordé aucun poids, ou si peu de poids, à la durée du retard. En fait, malgré le fait que la division générale ait fait référence à l’arrêt Burke, je ne suis pas convaincu que la division générale ait le moindrement pris en compte la durée du retard.

[41] Au cours de l’audience, la membre de la division générale a dit au prestataire que la durée du retard n’avait pas d’importance une fois que le prestataire avait dépassé le délai de quatre semaines. Elle a dit que cela n’avait pas d’importance qu’il s’agisse d’un retard d’un jour ou de cinq mois.

[42] Cela est erroné. La raison du retard peut être plus importante, mais la durée du retard est toujours pertinente et peut également être importante.

[43] Je conclus que la division générale a commis une importante erreur de droit en ne tenant pas compte de la durée relativement courte du retard et de la raison du retard invoquée par le prestataire.

[44] Par ailleurs, je conclus que la division générale a commis une erreur de droit, car ses motifs n’expliquent pas pourquoi elle a accordé si peu de poids à un retard aussi court.

Question en litige no 4 : erreur d’interprétation des « circonstances exceptionnelles »

[45] La division générale a commis une erreur de droit dans la manière dont elle a interprété les « circonstances exceptionnelles » lorsqu’elle a estimé que le prestataire n’avait pas de motif valable pour le retard.

[46] Lors de l’audience, la division générale a expliqué que les circonstances exceptionnelles étaient les choses qui [traduction] « empêchaient physiquement » une partie prestataire de demander des prestations.

[47] La division générale a fait fi de la COVID-19 et des exigences juridiques changeantes pour les prestations de soutien du revenu, y compris la PCU, les prestations d’AE et la prestation d’urgence. Elle a compris que le prestataire avait eu des difficultés à se tenir au courant des prestations disponibles, sans juger qu’il s’agisse d’une circonstance exceptionnelle qui pouvait le dispenser de prendre des mesures pour comprendre ses droits et obligations. La division générale a dit au prestataire qu’il n’avait pas de circonstances exceptionnelles qui justifieraient sa demande tardive, disant que sa situation n’était pas différente de celle des autres Canadiennes et Canadiens. La division générale a noté que toutes les parties prestataires étaient soumises à la circonstance exceptionnelle extraordinaire qu’est la COVID-19.

[48] La Cour d’appel fédérale ne partage pas le point de vue de la division générale sur les circonstances exceptionnelles. La Cour a déclaré que pour qu’il y ait motif valable, le prestataire n’a pas à établir que des circonstances indépendantes de sa volonté l’ont empêché de présenter une demande de prestations dans le délai impartiNote de bas de page 22 . En rejetant cette exigence, la Cour a déclaré que le bon critère à appliquer est « la capacité du prestataire de démontrer qu’il a fait ce que toute personne sensée et prudente aurait fait dans les mêmes circonstancesNote de bas de page 23  ».

[49] L’explication que la division générale a donnée au prestataire laisse entendre que la division générale a également compris qu’une [traduction] « circonstance exceptionnelle » doit nécessairement être une exception par rapport à ce que les autres Canadiennes et Canadiens vivaient à ce moment-là. Elle n’a pas examiné si une circonstance exceptionnelle pouvait être une circonstance exceptionnelle par rapport à la pratique normale ou aux exigences normales en temps normal (pas en situation de COVID).

[50] La division générale a commis une erreur de droit en appliquant une définition inexacte des circonstances exceptionnelles.

Résumé

[51] Puisque j’ai conclu que la division générale a commis des erreurs dans sa décision, je dois examiner comment y remédier (réparation).

Réparation

[52] J’ai le pouvoir de modifier la décision de la division générale ou de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je pourrais aussi renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle réexamine sa décisionNote de bas de page 24 .

[53] Le prestataire a laissé entendre que j’avais tous les éléments de preuve dont j’avais besoin pour rendre la décision et que je devrais donc m’exécuter. La Commission a demandé que je rejette l’appel, mais a suggéré qu’il soit renvoyé à la division générale pour une nouvelle audience.  

[54] La demande visant à renvoyer l’affaire à la division générale semble être fondée sur le fait que le prestataire a présenté un argument fondé sur de nouveaux éléments de preuve. Il a fait valoir qu’il n’avait pas été en mesure d’expliquer qu’il avait tenté de contacter la Commission entre son dernier jour de travail et la présentation de sa demande. Toutefois, je n’ai pas besoin d’examiner l’argument fondé sur les nouveaux éléments de preuve pour trancher le présent appel.

[55] Je reconnais que le prestataire a eu une occasion équitable de présenter des éléments de preuve à la division générale et que j’ai tout ce dont j’ai besoin pour rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[56] Je conclus que le prestataire a été induit en erreur par les modifications apportées aux prestations et aux exigences en matière d’admissibilité en raison de la pandémie de COVID-19, ou il était confus par ces modifications. Je parle du passage d’un soutien au revenu fourni par le programme de la PCU à des prestations offertes par une nouvelle forme d’AE, pour laquelle il était beaucoup plus facile d’être admissible.

[57] Le prestataire avait touché des prestations d’AE, puis la PCU, avant de présenter une nouvelle demande d’AE en novembre 2020. Avant la COVID-19, pendant sa période de prestations récente, et jusqu’au 27 septembre 2020Note de bas de page 25 , le prestataire pouvait seulement être admissible aux prestations d’AE en utilisant ses propres heures d’emploi assurable. Il a déclaré qu’il avait eu 20 jours de travail en septembre et en octobre. Il avait donc probablement raison de croire qu’il n’aurait pas été admissible aux prestations sans les 300 heures supplémentaires qui n’ont été offertes qu’aux prestataires qui ont présenté une demande après le 27 septembre 2020.

[58] Je pense que la confusion du prestataire quant à son admissibilité et sa confiance en son expérience avec l’AE sont tout à fait compréhensibles dans les circonstances. Dans les circonstances, j’admets qu’il est raisonnable pour lui de ne pas avoir pensé à vérifier son admissibilité à l’AE pendant environ un mois. Cependant, la division générale a souligné qu’il n’a pas fait ce qu’une personne prudente aurait fait.

[59] Je conviens qu’une personne raisonnable et prudente pourrait éventuellement penser à vérifier les modifications importantes apportées à l’AE après la fin de la PCU. Cependant, je ne pense pas que même une « personne prudente », dans les circonstances du prestataire, aurait pensé à confirmer son admissibilité aux prestations dans un délai d’environ un mois après la fin du dernier contrat.

[60] La preuve a confirmé que les membres de l’industrie du prestataire travaillent sur une base contractuelle pour de multiples employeurs. Le prestataire a l’habitude de travailler sous contrat et de chercher le prochain contrat à la fin de chaque contrat. Il connaissait également bien le régime d’AE et il avait une idée précise de ce qu’il fallait faire pour être admissible à l’AE en temps normal.

[61] Quand le prestataire s’est retrouvé sans travail plus tôt dans l’année, il avait exploré la disponibilité d’autres prestations en raison de la COVID-19. Il avait reçu la PCU, que le gouvernement avait créée pour les personnes qui ne pouvaient pas être admissibles aux prestations d’AE. Le prestataire a fini par arrêter de toucher la PCU et a trouvé un travail contractuel à court terme. Quand son travail contractuel avait pris fin, le programme de la PCU avait également pris fin. Le prestataire savait par expérience qu’il ne serait pas admissible à l’AE.

[62] Le gouvernement a pris la décision de confier à nouveau le versement des prestations au régime d’AE à compter du 27 septembre 2020. Toutefois, cette décision a été prise après avoir prolongé au moins une fois le programme original de la PCU. Le prestataire n’a pas immédiatement pensé à vérifier si le gouvernement avait décidé de continuer à accorder une forme de soutien exceptionnel au revenu en raison de la COVID, par une autre méthode qu’une autre prolongation des prestations liées à la COVID. Il n’a pas pensé à vérifier si le programme habituel d’AE avait été modifié.

[63] En temps normal, une partie prestataire ne doit démontrer un motif valable de retard qu’après une période d’environ quatre semaines à partir du moment où elle aurait pu faire sa demande. Le prestataire a présenté une demande d’AE dans les deux jours suivant la date à laquelle la Commission permet habituellement aux prestataires de présenter une demande sans préjudice.

[64] Cependant, nous ne traversons pas une période ordinaire. Nous sommes dans une période déroutante. La Commission accorde aux parties prestataires quatre semaines pour comprendre ce qu’elles sont censées faire en temps normal. En temps normal, on présume, selon la politique, qu’une partie prestataire agit comme une personne raisonnable et prudente lorsqu’elle présente sa demande dans un délai de quatre semaines. Un délai de quatre semaines est considéré comme raisonnable à une époque où les programmes de prestations, le versement des prestations et l’admissibilité aux prestations sont stables et prévisibles.

[65] À mon avis, une partie prestataire devrait disposer de plus de deux jours supplémentaires pour vérifier si des modifications récentes ont été apportées aux prestations d’AE ou aux critères d’admissibilité en raison des circonstances extraordinaires de la COVID-19.

[66] J’estime que le prestataire a agi comme une personne raisonnable et prudente en présentant une demande de prestations dans les 36 jours suivant la fin de son contrat.

[67] Si je me trompe à ce sujet, j’estime tout de même que le prestataire avait un motif valable, car ses circonstances étaient exceptionnelles. On n’aurait pas dû s’attendre à ce que le prestataire prenne des mesures supplémentaires pour vérifier sa compréhension de ses droits et obligations au titre de la loi.

[68] Ces circonstances exceptionnelles comprennent la raison de son retard. Je suis d’accord avec le prestataire pour dire que la pandémie de COVID-19 et la modification apportée très récemment par le gouvernement aux critères d’admissibilité à l’AE font partie de ce qui fait que ses circonstances sont exceptionnelles. Le retard du prestataire est attribuable à son expérience récente en matière de critères d’admissibilité à l’AE et à sa compréhension de ces critères. Sa compréhension aurait été exacte même un mois avant la fin de son dernier contrat.

[69] Je ne suis pas convaincu que le prestataire doit démontrer que ses circonstances sont exceptionnelles, comparativement à toutes les autres personnes qui demandent des prestations d’AE en plein milieu de la pandémie de COVID-19. L’article 10(4) de la Loi sur l’AE n’a pas été rédigé dans le contexte de la COVID-19, pas plus que l’article 3.1.1 sur la politique de grâce de quatre semaines de la Commission. Le prestataire doit démontrer que ses circonstances sont exceptionnelles par rapport aux circonstances ordinaires en temps normal.

[70] J’ai constaté que la durée du retard n’était que de deux jours au-delà de ce qui est généralement acceptable. Ce que l’on attend d’une partie prestataire pour s’assurer qu’elle comprend ses droits et obligations dépend en partie de la durée du retard.

[71] Le prestataire a fait une demande de prestations dès qu’il a appris qu’il pouvait y être admissible. Par conséquent, la raison invoquée par le prestataire pour avoir présenté une demande tardive (que j’ai considérée comme un motif valable) s’appliquait pendant toute la période de retard. Il avait donc un motif valable pendant toute la période du retard.

[72] La division générale a déclaré que la question de savoir si le prestataire avait accumulé suffisamment d’heures pour être admissible aux prestations d’AE à compter du 25 octobre 2020 n’était pas contestée, et la Commission n’a pas contesté cette déclaration. Par conséquent, j’accepte également le fait que le prestataire aurait été admissible à des prestations à compter du 25 octobre 2020.

[73] Le prestataire est donc admissible à l’antidatation de sa demande au 25 octobre 2020.

Conclusion

[74] J’accueille l’appel. Le prestataire est admissible à l’antidatation de sa demande à la date antérieure du 25 octobre 2020.

 

Date de l’audience :

Le 21 juin 2021

Mode d’instruction :

Vidéoconférence

Comparutions :

M. C., appelant

Josée Lachance, représentante de l’intimée

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