Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : LF c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2021 TSS 334

Numéro de dossier du Tribunal: GE-21-225

ENTRE :

L. F.

Appelante (prestataire)

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée (Commission)


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de l’assurance-emploi


DÉCISION RENDUE PAR : Raelene R. Thomas
DATE DE L’AUDIENCE : Le 1er mars 2021
DATE DE LA DÉCISION : Le 8 mars 2021

Sur cette page

Décision

[1] L. F. est l’appelante dans le présent appel. Je l’appellerai la prestataire. La Commission de l’assurance-emploi du Canada est l’intimée. Je l’appellerai la Commission.

[2] J’accueille l’appel de la prestataire. La Commission ne s’est pas acquittée du fardeau de prouver que la prestataire a quitté volontairement son emploi. Cela signifie que la prestataire n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] La prestataire faisait des quarts de nuit de 12 heures dans un établissement de soins de longue durée. Elle devait demeurer à l’établissement pendant ses pauses-repas et était rémunérée pour le faire. La prestataire s’était entendue avec son employeur pour s’absenter du travail pendant sa pause-repas afin de s’occuper de certaines choses à la maison. Au début de son dernier quart de travail, la prestataire a découvert que l’établissement était à court de personnel. Elle a donc demandé à sa gestionnaire ce qu’elle devait faire. Il y a eu une confrontation entre la prestataire et la gestionnaire. Celle-ci a demandé à la prestataire de remettre sa démission. Une autre personne a été appelée au travail, ce qui a permis à la prestataire de s’absenter pendant une heure. La prestataire est ensuite retournée sur son lieu de travail, a remis sa lettre de démission et a terminé son quart de travail. L’employeur a avisé la prestataire avant son prochain quart de travail que sa présence n’était plus nécessaire.

[4] La Commission a examiné les motifs que la prestataire a invoqués pour justifier sa démission et a d’abord décidé qu’elle était fondée à quitter son emploi. La Commission a dit à l’ancien employeur de la prestataire qu’elle accueillait sa demande de prestations d’assurance‑emploi. L’employeur a demandé à la Commission de réviser sa décision. Après révision, la Commission a décidé que la prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi. La prestataire n’est pas d’accord. Elle affirme qu’elle s’était entendue avec son employeur pour s’absenter pendant une heure et qu’on l’avait obligée à démissionner. Elle dit aussi qu’elle planifiait quitter son emploi de toute façon parce qu’elle s’était blessée au travail.

[5] Je dois décider si la prestataire était fondée à quitter son emploi lorsqu’elle l’a fait.

Question préliminaire – Je n’ai pas mis l’employeur en cause dans l’appel

[6] Le Tribunal a envoyé une lettre à l’ancien employeur de la prestataire pour lui demander s’il souhaitait être une partie mise en cause dans le présent appel. Pour être mise en cause dans un appel, la partie doit démontrer qu’elle a un « intérêt direct ». Autrement dit, elle doit démontrer que ses droits sont directement touchés, que des obligations en droit lui sont imposées ou qu’on lui porte préjudice d’une manière ou d’une autreFootnote 1.

[7] L’employeur a répondu qu’il croit avoir un intérêt direct dans le présent appel parce qu’il estime que les renseignements qu’il a fournis au sujet du départ de la prestataire ne la rendraient pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi. Cela me laisse croire que l’employeur s’intéresse aux motifs (preuve) de la prestataire pour justifier sa démission ainsi qu’à l’issue de l’appel. Que ma décision soit favorable ou non à la prestataire, rien ne prouve qu’elle imposera une obligation en droit à l’employeur, qu’elle aura force exécutoire sur lui ou qu’elle lui causera un préjudice direct d’une manière ou d’une autre. Sans cette preuve, l’employeur n’a pas prouvé qu’il a un intérêt direct dans l’appel de la prestataire. Pour cette raison, j’ai rejeté la demande de l’employeur d’agir comme partie mise en cause dans le présent appel.

Question en litige

[8] Je dois décider si, au titre de la Loi sur l’assurance-emploi, la prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi. Il y a deux étapes à suivre pour rendre cette décision. Premièrement, je dois examiner si la prestataire a choisi de quitter son emploi. Deuxièmement, je dois décider si elle était fondée à le faire.

Analyse

[9] Selon la loi, une personne qui quitte son emploi sans justification ne peut recevoir de prestations d’assurance-emploiFootnote 2.

La prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi

[10] Pour décider si la prestataire a quitté volontairement son emploi, la question à trancher est celle de savoir si elle avait le choix de conserver ou de quitter son emploiFootnote 3.

[11] La prestataire a déclaré que son ancien partenaire et elle avaient acheté 11 chiens lorsqu’ils étaient ensemble. Quand ils ont rompu il y a plusieurs années, ils ont convenu qu’ils demeureraient tous deux responsables du soin des chiens. Cette entente est restée en vigueur jusqu’à la fin de la première semaine d’octobre 2020. Les chiens de la prestataire sont en cage lorsqu’elle est au travail. Elle fait des quarts de nuit de 12 heures et ne peut pas laisser les chiens sans surveillance aussi longtemps. Elle doit aussi demeurer sur son lieu de travail pendant ses pauses‑repas. La prestataire a demandé à sa gestionnaire si elle pouvait s’absenter pendant sa pause-repas pour prendre soin de ses chiens. En échange, la prestataire demeurerait au travail une heure de plus à la fin de son quart de travail, le matin, soit le moment le plus occupé pour les résidentes et résidents. La gestionnaire a accepté l’accord, à condition qu’il prenne fin le 31 octobre 2020.

[12] La prestataire offre des soins aux résidentes et résidents d’un établissement de soins de longue durée. La gestionnaire a dit à la Commission qu’il est nécessaire de maintenir un certain niveau des effectifs dans l’établissement. Elle a précisé qu’il avait été plus difficile de respecter ces conditions avec la pandémie de la COVID‑19.

[13] La prestataire a expliqué qu’une personne fait un [traduction] « petit quart de travail » tous les soirs. Lorsque la prestataire s’est rendue au travail le 22 octobre 2020, elle a découvert que la personne responsable du petit quart de travail était absente pour la soirée. Vers 18 h 30, la prestataire a envoyé le message texte suivant à la gestionnaire : [traduction] « Qu’est-ce que je vais faire? » La gestionnaire lui a répondu ceci : [traduction] « Je ne sais pas, [nom de la prestataire]. Avez-vous formé une personne de votre entourage pour les surveiller? Je ne peux pas revenir ce soir, je ne suis même pas encore partie. » La prestataire lui a renvoyé le message texte suivant : [traduction] « Je suis désolée, mais je refuse de laisser mes chiens en cage pendant 13 heures et demie. Si personne n’est ici à 21 h 30, je suis désolée, mais je ne reviendrai pas. Appelez-moi si vous avez le temps. »

[14] La prestataire a déclaré que le dernier message texte était erroné. Elle ne voulait pas écrire [traduction] « je ne reviendrai pas », mais plutôt [traduction] « je reviendrai ».

[15] La prestataire a dit que la gestionnaire l’avait appelée pour lui demander de se présenter au bureau. Elle a dit que la gestionnaire lui avait crié dessus et qu’elle ne lui avait pas laissé le temps d’expliquer son erreur dans le message texte. La gestionnaire a éclaté en sanglots et a dit à la prestataire qu’elle ne se sentait pas appréciée et qu’elle était surmenée. La prestataire a déclaré que la gestionnaire lui avait demandé sa démission lors de cette rencontre. La gestionnaire avait ensuite demandé à une autre personne de remplacer la prestataire. Celle-ci a déclaré qu’elle savait qu’une autre personne avait été appelée au travail. Elle a donc quitté les lieux à 21 h 30 pendant une heure et est revenue à 22 h 30. Elle a rédigé sa lettre de démission et l’a laissée sur le comptoir de la cuisine lorsqu’elle est retournée au travail. La prestataire était au téléphone avec une personne responsable d’un hôpital local lorsqu’elle a vu la gestionnaire ramasser la lettre de démission sur le comptoir vers 23 h. La prestataire a terminé son quart de travail et est rentrée chez elle le matin du 23 octobre 2020.

[16] Voici ce que précise la lettre de démission de la prestataire, datée du 22 octobre 2020 :

[traduction]

Je soussignée, [nom de la prestataire], démissionne de mon poste chez [nom de l’employeur] à compter d’aujourd’hui, le 22 octobre 2020.

Je donnerai respectivement un préavis de deux semaines, après quoi je terminerai mon dernier quart de travail le 5 novembre 2020, à condition que je puisse m’absenter pendant une heure pour tous mes quarts de travail restants.

[17] La prestataire a déclaré que son prochain quart de travail était le lundi 26 octobre 2020 à 19 h. Elle a dit que ce jour-là, à midi, la gestionnaire lui a laissé un message sur sa boîte vocale. La gestionnaire a dit que la prestataire n’avait pas besoin de travailler pendant ses semaines de préavis et que son emploi chez [nom de l’employeur] prenait fin immédiatement.

[18] La prestataire soutient qu’il n’était pas juste que l’employeur renonce à son accord de la laisser s’absenter du travail pendant une heure. Elle a dit que la gestionnaire avait accepté que l’accord reste en vigueur jusqu’au 31 octobre 2020. La prestataire a soutenu qu’il n’était pas juste que la gestionnaire revienne sur sa parole. Elle a noté que la gestionnaire avait dit à la Commission que l’établissement devait maintenir un certain niveau des effectifs. La prestataire a fait valoir que si c’était bien le cas, la gestionnaire n’aurait jamais dû accepter qu’elle s’absente du travail pendant une heure à chacun de ses quarts de travail. La prestataire a dit qu’elle s’était sentie obligée de démissionner. La gestionnaire ne l’a pas laissée expliquer l’erreur dans son message texte et lui a demandé de remettre sa démission. C’est ce qu’elle a fait. La prestataire a dit qu’elle pensait quitter son emploi de toute façon parce qu’elle s’était blessée au dos et que son médecin lui avait dit que son état ne s’améliorerait pas si elle continuait d’occuper ce même poste.

[19] Comme il a été mentionné précédemment, je dois d’abord décider si la prestataire avait le choix de conserver ou de quitter son emploi. La preuve m’indique que l’employeur a accepté un accord temporaire selon lequel la prestataire pouvait subvenir à ses besoins à la maison. L’accord [traduction] « s’appliquait » à condition que le nombre requis d’effectifs ait été présent dans l’établissement de soins de longue durée. La prestataire a déclaré que lorsqu’elle a découvert que la personne responsable du petit quart de travail était absente, elle a envoyé un message texte à la gestionnaire pour lui demander ce qu’elle devait faire. La gestionnaire lui a répondu en lui demandant si elle avait formé une personne de son entourage pour qu’elle puisse s’occuper des chiens. Elle lui a aussi dit qu’elle ne pouvait pas retourner au travail cette nuit-là. La prestataire a renvoyé un message texte pour lui dire qu’elle était désolée, mais qu’elle refusait de laisser ses chiens en cage pendant 13 heures et demie. Elle a ajouté que [traduction] « si personne n’est ici à 21 h 30, je suis désolée, mais je ne reviendrai pas ». La prestataire a déclaré qu’elle ne voulait pas écrire qu’elle ne reviendrait pas, mais plutôt qu’elle reviendrait.

[20] La prestataire a déclaré qu’on l’a appelée pour lui demander de se présenter au bureau. La gestionnaire lui a alors crié dessus et ne lui a pas donné la chance de s’expliquer. La prestataire dit que la gestionnaire a éclaté en sanglots. Elle affirme que c’est la gestionnaire qui lui a demandé de lui remettre sa lettre de démission lors de cette rencontre. La gestionnaire a demandé à une autre personne de remplacer la prestataire. Celle-ci est donc rentrée chez elle pendant une heure, puis est retournée au travail et a remis sa démission. La prestataire a terminé son quart de travail et est rentrée chez elle.

[21] La Commission a interrogé la gestionnaire. Celle-ci a dit à la Commission que la prestataire lui avait envoyé un message texte à 18 h 30 pour lui dire que si personne ne venait la remplacer, elle s’absenterait quand même du travail à 21 h 30. La gestionnaire a ajouté qu’elle avait réussi à trouver une personne pour empêcher la prestataire de partir ce soir-là. Elle a dit que la prestataire avait été avisée cette même soirée qu’il ne serait plus possible de satisfaire à sa demande de rentrer à la maison pendant sa pause-repas et qu’elle devrait trouver une personne pour s’occuper de ses chiens. La gestionnaire a dit à la Commission que la prestataire s’était présentée au travail le lendemain et qu’elle avait apporté une lettre de démission avec un préavis de deux semaines. La gestionnaire a ajouté que la prestataire avait été avisée que l’employeur ne pouvait pas garantir qu’une personne pourrait la remplacer tous les jours et qu’il avait besoin d’elle. Le dossier de la Commission précise ensuite que l’employée a fini par quitter son emploi ce jour-là et qu’elle n’y est jamais retournée.

[22] La Commission a soutenu que la prestataire avait pris la décision personnelle de démissionner. Elle précise que la prestataire a pris l’initiative de mettre fin à son emploi parce que l’employeur avait refusé de satisfaire à sa demande de s’absenter pendant une heure pour s’occuper de ses animaux au cours de ses quarts de travail. La Commission a dit que la prestataire avait lancé un ultimatum à son employeur. Si l’employeur ne l’autorisait pas à s’absenter du travail pendant une heure, la prestataire le ferait de toute façon, même si on ne lui avait pas donné la permission.

[23] Dans le cas présent, j’estime que c’est la gestionnaire qui a amorcé la cessation d’emploi lorsqu’elle a demandé à la prestataire de remettre sa démission lors de la rencontre du 22 octobre 2020. La gestionnaire a dit à la Commission que la prestataire avait menacé de démissionner le soir du 22 octobre 2002 [sic] et qu’elle était retournée au travail le lendemain avec sa lettre de démission. Cependant, il n’y a pas d’élément de preuve qui appuie le fait que la prestataire est retournée au travail le lendemain pour remettre sa démission. Je suis plutôt d’avis que la preuve démontre que la prestataire a remis sa démission parce que sa gestionnaire lui a demandé de le faire. Le relevé d’emploi indique que le dernier jour de travail rémunéré de la prestataire était le 22 octobre 2020. La lettre de démission de la prestataire est datée du 22 octobre 2020. La prestataire a déclaré qu’elle a rédigé la lettre de démission parce que la gestionnaire lui avait demandé de le faire le soir du 22 octobre 2020. On lui a demandé de remettre sa lettre de démission avant de savoir si elle pouvait s’absenter pendant sa pause-repas et avant de savoir qu’une autre personne avait été appelée au travail. La prestataire a rédigé la lettre après avoir quitté les lieux pendant sa pause-repas d’une heure le 22 octobre 2020. Elle a déposé la lettre sur le comptoir de la cuisine lorsqu’elle est revenue de sa pause-repas le soir du 22 octobre 2020. Elle a déclaré qu’elle a vu la gestionnaire ramasser la lettre vers 23 h cette nuit-là. La déclaration de la prestataire dans la lettre de démission selon laquelle elle travaillerait pendant la période de préavis à condition qu’elle puisse s’absenter pendant une heure n’est pas déterminante dans le présent appel. La question consiste plutôt à savoir si la prestataire avait le choix de conserver ou de quitter son emploiFootnote 4. La demande de la gestionnaire selon laquelle la prestataire devait remettre une lettre de démission m’indique que la gestionnaire est à l’origine de la cessation d’emploi de la prestataire. Une fois cette demande faite, la prestataire n’avait pas le choix de conserver son emploi, car on lui avait dit de démissionner. Par conséquent, je conclus que la Commission ne s’est pas acquittée du fardeau de prouver que la prestataire a quitté volontairement son emploi.

Pas besoin de décider si la prestataire était fondée à quitter son emploi

[24] Étant donné que j’ai conclu que la prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi, je n’ai pas besoin de décider si elle était fondée à le faire.

Conclusion

[25] L’appel est accueilli.

Date de l’audience :

Le 1er mars 2021

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparution :

L. F., appelante

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