Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

Assurance-Emploi – choix des prestations parentales – intention – confusion – 23(1.1) et (1.2) de la Loi sur l’AE

Dans sa demande de prestations de maternité et de prestations parentales, la prestataire a sélectionné les prestations parentales prolongées. Elle aussi demandé 60 semaines de prestations. Après avoir commencé à recevoir ses prestations parentales, la prestataire a communiqué avec la Commission. Elle a demandé de changer son « choix » pour passer de l’option prolongée à l’option standard. Elle a dit avoir fait une erreur, et avoir eu l’« intention » de choisir l’option standard (avoir toujours voulu faire ce choix), comme elle ne voulait pas s’absenter du travail aussi longtemps. La Commission a refusé de faire le changement. Il était trop tard pour changer son choix parce qu’elle avait déjà commencé à toucher des prestations prolongées. La Commission a maintenu sa décision après révision.

La prestataire a donc fait appel à la division générale (DG). La DG a accueilli son appel. Elle a conclu que la prestataire avait commis une erreur en remplissant son formulaire de demande. Elle a jugé que la prestataire avait toujours voulu choisir l’option standard, comme elle voulait prendre environ un an de congé. La DG a conclu que la prestataire s’était mélangée en faisant son choix.

La Commission a fait appel de cette décision devant la division d’appel (DA). La DA a conclu que la DG avait commis une erreur de fait importante dans ce dossier. Cette erreur concernait la durée pendant laquelle la prestataire prévoyait d’être en congé. La DG a conclu que la prestataire avait choisi l’option standard parce qu’elle avait toujours voulu être en congé pendant un an. Il s’agissait pourtant d’une erreur, car la prestataire avait clairement dit à la DG qu’elle avait toujours voulu être en congé pendant « environ 14 mois ». À cause de cette erreur, la DA a pu intervenir et rendre la décision que la DG aurait dû rendre. Comme dans le jugement Karval de la Cour fédérale (2021 CF 395), une prestataire qui est perplexe et incertaine des options offertes devrait poser des questions avant de choisir ses prestations. À moins que la Commission lui eût donné des informations officielles erronées qui l’auraient induite en erreur, la loi ne peut rien faire pour régler la situation. La DA a décidé que la prestataire avait choisi l’option prolongée. En effet, ce choix cadrait davantage avec l’idée qu’elle avait toujours eu de s’absenter pendant « environ 14 mois » et les 60 semaines de prestations qu'elle avait choisies dans son formulaire de demande. Dès que des prestations prolongées ont commencé à être versées à la prestataire, son choix devenait « irrévocable », c’est-à-dire définitif. La DA a annulé la décision de la DG. Elle l’a remplacée par sa propre décision, pour les raisons qui précèdent. L’appel de la Commission a été accueilli.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c AP, 2021 TSS 397

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Louise LaViolette
Partie intimée : A. P.

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 25 mai 2021
(GE-21-739)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 4 août 2021
Personne présente à l’audience : Représentante de l’appelante
Date de la décision : Le 13 août 2021
Numéro de dossier : AD-21-180

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel. Je rends la décision que la division générale aurait dû rendre. L’intimée, A. P. (prestataire), a choisi de recevoir des prestations parentales prolongées. Son choix est irrévocable.

Aperçu

[2] L’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, porte la décision de la division générale en appel. Celle-ci a conclu que la prestataire avait choisi de recevoir des prestations parentales standards plutôt que des prestations parentales prolongées.

[3] La Commission soutient que la division générale a commis plusieurs erreurs de droit et de fait. Elle demande que l’appel soit accueilli et que la division d’appel rende la décision que la division générale aurait dû rendre, à savoir que la prestataire a choisi de recevoir des prestations parentales prolongées et que son choix était irrévocable dès que des prestations parentales lui ont été versées.

[4] La prestataire n’a déposé aucune observation.

[5] Je conclus que la division générale a commis une erreur de fait importante sur la période pendant laquelle la prestataire avait l’intention d’être en congé. La division générale a conclu que la prestataire avait eu l’intention de recevoir des prestations parentales standards et qu’elle avait donc fait ce choix sur la base d’une conclusion erronée, soit qu’elle avait l’intention de s’absenter du travail pendant un an. La prestataire a déclaré clairement qu’elle avait l’intention de s’absenter du travail pendant [traduction] « environ 14 moisNote de bas page 1 ».

[6] Je conclus que la preuve établit que la prestataire a choisi de recevoir des prestations parentales prolongées. Je conclus également que son choix est devenu irrévocable dès que des prestations lui ont été versées.

Question préliminaire – Communication de la décision de la division générale

[7] Je suis convaincue que le Tribunal de la sécurité sociale a fait parvenir à la prestataire une copie de la décision de la division générale. Le Tribunal a également communiqué avec la prestataire par courriel et lui a laissé des messages téléphoniques pour lui rappeler la tenue de l’audience. Par conséquent, je suis convaincue que l’audience peut avoir lieu en l’absence de la prestataire.

Questions en litige

[8] Les questions à trancher dans la présente affaire sont les suivantes :

  1. La division générale a-t-elle ignoré la preuve de la prestataire qui montrait qu’elle avait l’intention de prendre jusqu’à 14 mois de congé?
  2. La division générale a-t-elle omis d’analyser la preuve de façon pertinente?
  3. La division générale a-t-elle omis d’appliquer l’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi?
  4. La division générale a-t-elle omis d’appliquer les principes de l’affaire KarvalNote de bas page 2?
  5. Si la réponse à l’une ou l’autre des questions ci-dessus est « oui », quelle est la réparation appropriée? Autrement dit, comment dois-je corriger les erreurs?

Analyse

[9] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social permet à la division d’appel d’intervenir dans des décisions de la division générale. Cependant, seules des circonstances précises le justifient. L’article ne donne pas à la division d’appel le pouvoir d’effectuer une nouvelle évaluation.

[10] La division d’appel peut intervenir en cas d’erreurs de compétence, de procédure, de droit ou de faitNote de bas page 3.

a) Contexte factuel

[11] Dans sa demande de prestations de maternité et de prestations parentales, la prestataire a choisi les prestations parentales prolongées. Elle a aussi demandé 60 semaines de prestations. Après avoir reçu des prestations parentales, elle a communiqué avec la Commission. Elle voulait choisir les prestations standards au lieu des prestations prolongées. Elle prétendait avoir commis une erreur et avoir eu l'intention de choisir l’option standard, car elle n’avait pas prévu de prendre un congé aussi long.

[12] La Commission a informé la prestataire qu’elle ne pouvait pas changer son choix parce que des prestations parentales lui avaient déjà été versées. La Commission a maintenu cette position après avoir fait une révision, de sorte que la prestataire a fait appel à la division générale.

[13] La division générale a accueilli l’appel de la prestataire. Elle a conclu que la prestataire avait commis une erreur en remplissant sa demande de prestations. Elle a jugé que la prestataire avait eu l’intention de choisir les prestations parentales standards, car elle voulait prendre environ un an de congé. La division générale a conclu que la prestataire avait mal compris les choses lorsqu’elle avait fait son choix.

[14] La Commission soutient que la division générale a commis plusieurs erreurs de droit et de fait au titre de l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.

b) La division générale a-t-elle ignoré la preuve de la prestataire qui montrait qu’elle avait l’intention de prendre jusqu’à 14 mois de congé?

[15] La Commission soutient que la division générale a ignoré la preuve de la prestataire montrant qu’elle n’avait fixé aucune date de retour au travail et qu’elle avait l’intention de prendre jusqu’à 14 mois de congé. La Commission fait valoir que, si la division générale avait examiné ces éléments de preuve, elle aurait nécessairement conclu qu’un congé allant jusqu’à 14 mois était compatible avec le choix des prestations parentales prolongées. Ainsi, selon la Commission, la division générale aurait été obligée de conclure que la prestataire avait choisi les prestations parentales prolongées.

[16] La prestataire avait deux emplois. À l’audience devant la division générale, la prestataire a déclaré qu’elle avait l’intention de s’absenter du travail [traduction] « pendant environ 14 moisNote de bas page 4 ». Elle en avait discuté avec ses employeurs et il était convenu qu’elle serait en congé pendant cette durée.

[17] Les employeurs de la prestataire ont rempli des relevés d’emploi montrant qu’ils ignoraient quand la prestataire retournerait au travailNote de bas page 5. De même, dans son formulaire de demande d’assurance-emploi, la prestataire a déclaré ne pas savoir quand elle retournerait au travailNote de bas page 6.

[18] La division générale a aussi demandé à la prestataire si elle avait décidé quand elle retournerait au travail. La prestataire a répondu qu’elle prévoyait de retourner au travail [traduction] « vers le mois de décembre, au début de décembreNote de bas page 7 ». Il s’agissait d’une période approximative de 13,5 mois après sa dernière journée de travail à la mi-octobre 2020.

[19] Autrement dit, aucun des éléments de preuve présentés à la division générale ne permettait de conclure que la prestataire avait l’intention de retourner travailler après un an.

[20] La division générale a pris note du témoignage de la prestataire. La division générale a écrit ce qui suit : [traduction] « À l’audience, elle a expliqué que les deux employeurs savaient qu’elle avait l’intention de prendre un congé de maternité de 12 à 14 mois après la naissance de son enfant, car elle en avait discuté avec euxNote de bas page 8. » (C’est moi qui souligne.)

[21] La division générale a mal cité le témoignage de la prestataire. Celle-ci n’a jamais déclaré qu’elle avait l’intention de prendre un congé de 12 à 14 mois ni qu’elle en avait parlé aux entreprises qui l’employaient. La prestataire a déclaré clairement qu’elle avait l’intention de s’absenter du travail [traduction] « pendant environ 14 mois ».

[22] La division générale a également commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la prestataire voulait [traduction] « passer un an de congé avec son bébéNote de bas page 9 » et qu’elle voulait [traduction] « environ une année de prestationsNote de bas page 10 ».

[23] La division générale a défini [traduction] « environ une année de prestations » comme étant équivalente à la période totale pendant laquelle les prestataires peuvent recevoir les prestations de maternité suivies des prestations parentales standards. Il s’agit donc de plus de 50 semaines, soit près de 12 mois, puisque les prestataires peuvent toucher 15 semaines de prestations de maternité suivies d’un maximum de 35 semaines de prestations parentales standards.

[24] La conclusion de la division générale selon laquelle la prestataire voulait [traduction] « un an de congé » et [traduction] « environ une année de prestations » et qu’elle avait probablement l’intention de choisir une au total de prestations de maternité et de prestations parentales ne correspond pas à la preuve. Comme je l’ai mentionné plus haut, la prestataire a déclaré clairement qu’elle avait l’intention de prendre [traduction] « environ 14 mois » de congé.

[25] La division générale a fondé sa décision principalement sur les erreurs de fait ci-dessus. Si la division générale avait apprécié la preuve de la prestataire voulant qu’elle avait l’intention de prendre [traduction] « environ 14 mois » de congé, elle n’aurait probablement pas conclu que cette durée était compatible avec le choix des prestations parentales standards.

[26] Bref, je juge que la division générale a commis une erreur de fait importante sur laquelle elle a fondé sa décision. Étant donné la nature de l’erreur, il est inutile d’examiner les autres arguments de la Commission.

Réparation

[27] Comment puis-je réparer l’erreur de la division générale? Plusieurs options s’offrent à moiNote de bas page 11. Je peux substituer ma décision à celle de la division générale ou renvoyer l’affaire à la division générale pour un réexamen. En cas de substitution, je peux tirer des conclusions de faitNote de bas page 12.

[28] La Commission me demande de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Cette solution semble appropriée. Il y a assez d’éléments de preuve au dossier. Ils sont clairs et directs. De plus, les parties ont abordé toutes les questions nécessaires pour me permettre de rendre une décision.

[29] La prestataire a écrit qu’elle voulait recevoir des prestations parentales immédiatement après ses prestations de maternité, au lieu de recevoir seulement jusqu’à 15 semaines de prestations de maternitéNote de bas page 13.

[30] Le formulaire de demande explique les différences entre les prestations parentales standards et les prestations parentales prolongées dans les termes suivants :

Option standard :

  • Un taux de prestations de 55 % de votre rémunération hebdomadaire assurable jusqu’à concurrence d’un montant maximal.
  • Jusqu’à 35 semaines de prestations payables à un parent.
  • Si les prestations parentales sont partagées, jusqu’à un total combiné de 40 semaines payables si l’enfant est né ou a été confié en vue de son adoption.

Option prolongée :

  • Un taux de prestations de 33 % de votre rémunération hebdomadaire assurable jusqu’à concurrence d’un montant maximal.
  • Jusqu’à 61 semaines de prestations payables à un parent.
  • Si les prestations parentales sont partagées, jusqu’à un total combiné de 69 semaines payables si l’enfant est né ou a été confié en vue de son adoption.

[31] La prestataire a sélectionné les prestations parentales prolongéesNote de bas page 14.

[32] La prestataire avait l’intention de s’absenter du travail pendant [traduction] « environ 14 mois ». Elle a aussi demandé 60 semaines de prestations. Ces deux éléments concordent avec l’option des prestations parentales prolongées que la prestataire a sélectionnée.

[33] La prestataire affirme avoir commis une erreur. Elle a dit à la Commission qu’elle croyait avoir demandé les 35 semaines de prestations parentales standardsNote de bas page 15. Lorsqu’elle a demandé à la Commission de réviser sa décision lui refusant de changer de type de prestations, la prestataire a écrit : [traduction] « Erreur de ma part, je voulais cocher l’option standard pour les prestations parentales. Je ne voulais pas être en congé aussi longtemps, je ne comprenais pas bien les choses au moment de demander mon congé de maternitéNote de bas page 16. »

[34] À l’audience de la division générale, la prestataire a déclaré qu’elle avait l’intention de prendre [traduction] « environ 14 mois » de congé. Elle a également dit qu’elle comprenait mal les choses lorsqu’elle avait rempli le formulaire de demande. Le processus n’était pas clair, car elle n’avait jamais demandé de prestations auparavant. Elle avait lu le formulaire, mais elle ne l’avait pas compris. Elle ne savait pas que les prestations de maternité et les prestations parentales étaient différentes. Elle croyait que les deux prestations étaient [traduction] « combinéesNote de bas page 17 ».

[35] La prestataire a calculé que 15 semaines de prestations de maternité et 35 semaines de prestations parentales standards totalisaient 50 semaines de prestations. La prestataire a demandé 60 semaines de prestations (parentales) dans sa demande. La division générale n’a pas cherché à savoir pourquoi la prestataire avait demandé 60 semaines de prestations, et la prestataire n’a pas expliqué pourquoi, même si elle aurait eu l’intention de recevoir des prestations parentales standards depuis le départ.

[36] Dans une affaire appelée Karval, la Cour fédérale a confirmé que :

[…] lorsqu’une prestataire comme Mme Karval n’est pas induite en erreur, mais qu’elle ne possède tout simplement pas les connaissances nécessaires pour répondre correctement à des questions qui ne sont pas ambiguës, il n’y a aucun recours possible en droit. Il incombe fondamentalement au prestataire d’analyser soigneusement les options possibles et de tenter de les comprendre puis, si des doutes subsistent, de poser des questions. Mme Karval a délibérément opté pour des prestations prolongées et, si elle avait lu le formulaire, elle aurait compris que le montant des prestations était alors moindreNote de bas page 18.

[37] Tout comme dans l’affaire Karval, si la prestataire ne comprenait pas bien les choses et doutait des options qui s’offraient à elle, elle avait le devoir de poser des questions avant de faire son choix. À moins que des renseignements officiels et incorrects ne l’aient induite en erreur, aucun recours judiciaire n’est possible.

[38] Rien dans la preuve présentée à la division générale n’appuyait les affirmations de la prestataire voulant qu’elle ait eu l’intention de choisir les prestations parentales standards.

[39] La Loi sur l’assurance-emploi ne permet plus l’annulation ou la modification d’un choix dès que des prestations parentales ont été verséesNote de bas page 19. Cette explication figure également dans le formulaire de demande, où l’on peut lire ceci : [traduction] « Une fois que des prestations parentales ont été versées pour le même enfant, le choix fait entre les prestations parentales standards et prolongées est irrévocable. »

[40] La preuve appuie la conclusion selon laquelle la prestataire a choisi de recevoir des prestations parentales prolongées. Elle ne peut pas modifier ou annuler son choix puisque des prestations lui ont été versées.

Conclusion

[41] L’appel est accueilli.

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