Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

Assurance-emploi – exclusion – démission – justification – milieu de travail malsain

La prestataire a quitté son emploi dans un cabinet comptable puisqu’elle faisait face à de comportements inadéquats et répétés dans son milieu de travail. La situation était trop difficile à supporter : elle vivait du stress et était surmenée. Elle a ensuite changé d’idée, pensant que les choses s’amélioreraient. Rien n’a changé et la prestataire a fini par démissionner. Elle a alors demandé des prestations d’assurance-emploi (AE). La Commission a toutefois conclu qu’elle ne pouvait pas recevoir des prestations puisqu’elle avait quitté son emploi sans raison valable (c’est-à-dire sans bonne raison selon la loi). La Commission a maintenu sa décision après révision. La prestataire a donc fait appel devant la division générale (DG).
La DG a conclu que la prestataire avait quitté son emploi sans bonne raison selon la loi. La DG a conclu que le départ de la prestataire n’avait pas été la seule solution raisonnable dans son cas. Elle a donc conclu que la prestataire ne pouvait pas recevoir de prestations d’AE. La prestataire a fait appel de cette décision devant la division d’appel (DA).
La DA a conclu que la DG avait commis certaines erreurs dans sa décision. De plus, la DA avait assez d’informations pour rendre la décision que la DG aurait dû rendre. Conformément à la loi, un prestataire a une bonne raison de quitter son emploi si son départ est la seule solution raisonnable dans son cas, compte tenu de toutes les circonstances. Ces circonstances incluent le harcèlement, la discrimination fondée sur un motif illicite, des conditions de travail qui sont dangereuses pour sa santé ou sa sécurité, de même que des heures supplémentaires excessives ou non rémunérées par l’employeur. Ainsi, la prestataire avait été fondée à quitter son emploi. La prestataire travaillait des heures supplémentaires excessives où son employeur refusait de les lui rémunérer. Même quand l’employeur avait tenté de résoudre la situation, la prestataire avait continué à faire des heures supplémentaires non rémunérées. La prestataire ne pouvait pas compter sur l’aide de son collègue. Celui-ci l’avait humiliée et l’employeur semblait ne rien faire. La requérante a reçu beaucoup de commentaires dégradants par rapport à son travail. Il n’était pas réaliste de s’attendre à ce qu’elle achève tout son travail, vu le nombre de fois où on l’interrompait et la quantité de travail qu’on lui donnait. Elle a expliqué que l’employeur l’intimidait et la traitait différemment des autres. Il n’était pas réaliste de s’attendre à ce qu’elle continue de faire des heures supplémentaires sans être payée, tout en étant intimidée et humiliée. La DA a accueilli l’appel. Elle a conclu que la prestataire n’était pas exclue du bénéfice des prestations et qu’elle pouvait en recevoir. D’après la loi, la prestataire avait eu une bonne raison de quitter son emploi puisque son départ avait été la seule solution raisonnable dans son cas.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation: CE c Commission de l’assurance-emploi du Canada et X, 2021 TSS 388

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-768

ENTRE :

C. E.

Appelante / Prestataire

et

Commission de l’assurance-emploi du Canada

Intimée / Commission

et

X

Partie mise en cause / Employeuse


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Janet Lew
DATE DE LA DÉCISION : Le 4 août 2021

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. La prestataire était fondée à quitter son emploi.

Aperçu

[2] L’appelante, C.E. (prestataire), fait appel de la décision de la division générale. La division générale a conclu que la prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi dans une firme comptable. La division générale a établi que la prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de démissionner. Cela signifie que la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[3] La prestataire soutient que la division générale a commis plusieurs erreurs de droit et de fait. La prestataire souhaite que son appel soit accueilli. Elle demande également à la division d’appel d’annuler l’exclusion du bénéfice des prestations et de conclure qu’elle était fondée à quitter son emploi. Si cela n’est pas possible, elle demande que la division d’appel renvoie l’affaire devant la division d’appel pour une nouvelle audience devant un autre membre.

[4] L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, est d’accord avec la prestataire au sujet des erreurs de droit de la division d’appel. Toutefois, la Commission affirme que le dossier est incomplet. Pour cette raison, elle demande à la division d’appel de rendre sa propre décision.

[5] La partie mise en cause, X (l’employeuse), soutient que la division générale n’a commis ni erreur de droit ni de fait. L’employeuse soutient que, dans le cas où la division générale aurait vraiment commis des erreurs de droit, celles-ci n’auraient pas d’incidence sur l’issue de l’appel. D’une façon ou d’une autre, l’employeuse soutient que l’appel devrait être rejeté. Si cela n’est pas possible, l’employeuse soutient que la division d’appel devrait renvoyer l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience.

[6] Je conclus que la division générale a commis des erreurs dans sa décision. Je conclus que la preuve établit que la prestataire était fondée à quitter son emploi parce qu’elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que de démissionner.

Questions préliminaires

[7] La prestataire peut-elle seulement présenter des arguments sur les moyens d’appel pour lesquels j’ai accordé la permission d’en appeler?

[8] L’employeuse soutient que la division d’appel a accordé la permission d’en appeler sur le fondement de deux questions étroites et brèves. L’employeuse soutient que l’appel doit donc être restreint à ces deux questions.

[9] Toutefois, une demande de permission d’en appeler est soit accordée, soit rejetée. Comme la Cour fédérale l’a indiqué dans une affaire intitulée TsagbeyNote de bas de page 1 , l’article 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) ne permet pas en tant que tel à la division d’appel de restreindre la portée d’un appel si la permission est accordée. « Le libellé de la loi prévoit uniquement un résultat sans réserve. »

[10] La prestataire n’a pas l’interdiction d’avancer d’autres arguments en plus des moyens d’appel grâce auxquels j’ai accordé la permission d’en appeler.

Questions en litige

[11] La prestataire a soulevé plusieurs questions, à savoir :

  1. La division générale a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve qui expliquaient pourquoi la prestataire avait annulé sa démission?
  2. La division générale a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve au sujet de l’utilisation de parfums dans le milieu de travail?
  3. La division générale a-t-elle commis une erreur de fait relative aux tentatives de la prestataire de consulter un médecin?
  4. La division générale a-t-elle mal interprété la preuve de la prestataire relative à son collègue de travail?
  5. La division générale a-t-elle omis d’appliquer le critère pour la discrimination?

Analyse

[12] L’article 58(1) de la Loi sur le MEDS permet à la division d’appel d’intervenir dans les décisions de la division générale. Toutefois, la division d’appel ne peut intervenir qu’en présence de circonstances particulières. Cet article ne donne pas à la division d’appel le pouvoir de faire une réévaluation.

[13] La division d’appel peut intervenir s’il y a des erreurs de compétence, de procédure, de droit ou de faitNote de bas de page 2 . La prestataire soutient que la division générale a commis plusieurs erreurs de droit et de fait au titre de l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS.

i. La division générale a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve qui expliquaient pourquoi la prestataire avait annulé sa démission?

[14] Oui. La division générale a omis de tenir compte d’éléments de preuve qui expliquaient pourquoi la prestataire avait annulé sa démission.

La position des parties

[15] La division générale a conclu que la prestataire avait exagéré les raisons pour lesquelles elle avait quitté son emploi. Elle a tiré cette conclusion, car « elle a annulé sa démission et a continué de travailler, ce qui montre que la situation au travail n’était pas assez grave pour la pousser à partirNote de bas de page 3 . »

[16] La prestataire soutient que la division générale a omis de tenir compte d’éléments de preuve qui montraient pourquoi la prestataire avait annulé sa démission. Elle a annulé sa démission parce qu’elle pensait que les conditions de travail allaient s’améliorer.

[17] La prestataire soutient que si la division générale avait tenu compte de ces éléments de preuve, elle aurait conclu qu’elle subissait un degré intolérable de harcèlement et de discrimination. De plus, elle était débordée de travail. Elle soutient que la division générale aurait aussi conclu qu’elle était fondée à quitter son emploi.

[18] La prestataire a expliqué pourquoi elle avait démissionné initialementNote de bas de page 4 . Elle était débordée et trouvait que son travail était très stressant. La prestataire n’a pas directement dit que la propriétaire lui faisait subir de la discrimination ou du harcèlement. Le plus près qu’elle s’est approchée de cela était lorsqu’elle a écrit qu’on la [traduction] « faisait sentir inadéquateNote de bas de page 5  ». Elle a réalisé que son employeuse ne répondait pas à ses demandes de rencontre. Elle ne se sentait pas appréciée et elle était sous-payée. Elle a aussi écrit que les hommes au sein du personnel manquaient de respect et de professionnalismeNote de bas de page 6 .

[19] La prestataire a plus tard affirmé à la Commission qu’elle était [traduction] « maltraitée par la propriétaireNote de bas de page 7  ».

[20] Lorsque la prestataire a présenté sa demande de prestations d’assurance-emploi, elle a expliqué qu’elle avait démissionné en janvier à cause de la propriétaire. Elle trouvait cela difficile de travailler avec la propriétaire. Elle affirme que la propriétaire avait la réputation de maltraiter ses employés.

[21] Malgré l’opinion de la prestataire au sujet des conditions de travail, elle a annulé sa démission après quelques jours. Elle l’a fait parce qu’elle pensait que la propriétaire allait aborder les problèmes qu’elle avait soulevés. La prestataire pensait que son environnement de travail et sa relation avec la propriétaire allaient s’améliorer.

[22] Elle affirme que la preuve montrait qu’elle avait des raisons de croire qu’elle pouvait rester au sein de la firme.

  • D’abord, la propriétaire avait reconnu qu’il y avait des problèmes dans le milieu de travail. Elle a reconnu que le travail était stressantNote de bas de page 8 . La propriétaire a écrit dans un courriel ce qui suit : [traduction] « Oui, parfois les gens (moi y compris) ne communiquent pas avec suffisamment de délicatesse, peut-être parce qu’on est occupé ou pressé ou parce qu’on est nous-même sous pressionNote de bas de page 9 . »
  • La prestataire pensait que la propriétaire l’encourageait à revenir sur sa décision. Dans le même courriel, la propriétaire a aussi écrit qu’elle [traduction] « ne voulait certainement pas qu’elle parteNote de bas de page 10  ».
  • La propriétaire a promis d’apporter des changements. La prestataire a reçu l’assurance qu’elle obtiendrait de l’aide avec sa charge de travailNote de bas de page 11 . La propriétaire a aussi mentionné que la prestataire pouvait embaucher quelqu’un pour l’aider. Aussi, il était possible qu’un autre employé commence à travailler à temps pleinNote de bas de page 12 .
  • La prestataire a soutenu que jusqu’à ce qu’elle démissionne en janvier, la propriétaire avait fait preuve d’abus et d’intimidation à son endroit à plusieurs reprises. Pendant une rencontre qu’elle a sollicitée, elle a demandé à la propriétaire de [traduction] « cesser de lui parler de cette manièreNote de bas de page 13  ». La propriétaire [traduction] « a promis de changerNote de bas de page 14  ». La prestataire pensait que cela signifiait que la propriétaire allait mieux la traiter.

[23] La prestataire soutient que la division générale aurait dû tenir compte d’éléments de preuve qui montraient pourquoi la prestataire avait annulé sa démission.

[24] La Commission est d’accord avec la prestataire sur le fait que la division générale aurait dû aborder tous ces éléments de preuve. Elle soutient que la division générale a mal compris ou mal interprété les éléments de preuve. La Commission soutient que le fait d’avoir ignoré ces éléments de preuve a mené à une conclusion tirée de façon abusive ou arbitraire selon laquelle la situation au travail [traduction] « n’était pas assez grave », puisque la prestataire a continué à travailler.

[25] Elle affirme que la preuve pouvait expliquer ce qui avait mené la prestataire à annuler sa démission. La Commission soutient que la division générale a omis d’examiner adéquatement ces éléments de preuve ou d’expliquer pourquoi elle a ignoré les échanges de courriels entre la prestataire et son employeuse.

[26] L’employeuse soutient que la division générale a adéquatement examiné tous les éléments de preuve et les circonstances qui ont mené au départ de la prestataire. Elle nie que des éléments de preuve montraient que la propriétaire a reconnu avoir fait du harcèlement ou de l’intimidation, et qu’elle avait fait à la prestataire la promesse que son comportement allait être corrigé.

[27] L’employeuse soutient notamment que la prestataire n’a jamais témoigné que la propriétaire lui avait fait quelque promesse que ce soit pour la convaincre de rester à son emploi. La prestataire n’a pas plus affirmé dans son témoignage que la reconnaissance de l’existence de conditions de travail stressantes ou les encouragements de la propriétaire l’avaient incitée à annuler sa démission.

[28] L’employeuse soutient qu’au mieux, la prestataire a témoigné que les communications de la propriétaire l’avaient rendue [traduction] « mal à l’aise » et que ce n’était [traduction] « pas bon pour le personnelNote de bas de page 15  ». L’employeuse soutient que, si les assurances qu’elle lui a données ont été une des raisons majeures pour la décision de la prestataire de continuer à travailler pour la firme, celle-ci en aurait au moins fait mention dans son témoignage.

[29] L’employeuse soutient que le témoignage de la prestataire contredit son affirmation selon laquelle elle a décidé de continuer à travailler pour la firme en raison de la promesse de la propriétaire qu’elle allait changer.

Mes conclusions

[30] J’estime que la majeure partie du témoignage de la prestataire, jusqu’à ce qu’elle parle des communications avec la propriétaire, était largement centrée sur ses émotions par rapport à sa surcharge de travail. Elle a commencé à travailler en automne, mais se sentait déjà épuisée en décembre. Elle a exprimé qu’elle était sur le point de s’effondrer et qu’elle avait besoin de plus de vacances. Elle avait l’impression qu’elle méritait d’être payée davantage pour toutes les responsabilités qu’elle avait.

[31] La prestataire a témoigné que la propriétaire a finalement accepté de la rencontrer. La propriétaire a accepté de la rencontrer. La prestataire a souligné que cela était seulement après qu’elle ait remis sa démission.

[32] Pendant la rencontre, la propriétaire a accepté d’accorder plus de vacances à la prestataire. Cela a fait le bonheur de la prestataire, car elle sentait qu’elle travaillait trop. La prestataire et la propriétaire ont parlé des moyens pour offrir du soutien à la prestataire. Elles se sont entendues qu’un collègue allait passer d’un horaire à temps partiel à un horaire à temps pleinNote de bas de page 16 . La propriétaire a dit qu’elle allait aussi embaucher quelqu’un d’autre.

[33] La majeure partie du témoignage de la prestataire portait sur le fait qu’elle sentait qu’elle travaillait trop. Cela dit, il y avait des éléments de preuve qui montraient que la prestataire était préoccupée par la façon dont elle était traitée par la propriétaire. Elle était mal à l’aise avec la façon dont la propriétaire communiquait avec elle. La prestataire a aussi posé la question suivante : [traduction] « Peut-on s’améliorer?Note de bas de page 17  »

[34] Après cette rencontre, la prestataire a accepté de continuer à travailler pour la firme. La prestataire a affirmé qu’elle aimait son travail et qu’elle n’aurait eu aucune raison de le quitter [traduction] « si on l’avait bien traitée au départNote de bas de page 18  ». Elle pensait alors que la propriétaire faisait des concessions. Elle avait aussi l’impression que la propriétaire allait faire des efforts pour changer.

[35] De manière isolée, ces remarques (« peut-on s’améliorer » et « si on l’avait bien traitée au départ ») ne prouvent rien. Elles n’indiquent pas forcément que la propriétaire avait donné à la prestataire l’assurance qu’elle allait changer sa façon de communiquer avec elle. On pourrait interpréter ces remarques comme si elles voulaient dire que la prestataire se sentait maltraitée par la firme en la surchargeant de travail.

[36] Cela dit, le contexte est important. La prestataire venait de se plaindre de la façon dont la propriétaire communiquait avec elle. La demande d’amélioration de la prestataire devait avoir rapport en partie avec les communications de la propriétaire avec elle. Dans ce contexte, « si on l’avait bien traitée au départ » ne voudrait pas normalement dire qu’on a une charge de travail déraisonnable, surtout si la propriétaire avait déjà offert des concessions pour réduire la charge de travail.

[37] De plus, la preuve de la prestataire comprenait les documents du dossier d’appel, et pas seulement son témoignage oral. La preuve contenue dans le dossier d’audience appuyait les déclarations de la prestataire, selon lesquelles elle comprenait qu’elle pouvait s’attendre à des changements dans les conditions de travail. Les documents du dossier d’audience fournissaient aussi plus de contexte au témoignage oral de la prestataire.

[38] La division générale devait examiner le témoignage oral ainsi que les documents du dossier d’audience. Cela comprenait des éléments de preuve documentaire qui appuyaient les déclarations de la prestataire selon lesquelles la propriétaire avait dit qu’elle allait changer. Les notes de conversation téléphonique de la CommissionNote de bas de page 19 montrent que la prestataire a affirmé qu’elle avait annulé sa démission parce qu’elle avait reçu des promesses de la propriétaire. Elle a affirmé que la propriétaire avait [traduction] « promis de changerNote de bas de page 20  ».

[39] La preuve était importante, compte tenu de la conclusion de la division générale selon laquelle les conditions de travail n’ont pas pu être si terribles si la prestataire avait annulé sa démission et était retournée au travail. Cela dit, si la prestataire pensait que l’attitude de la propriétaire envers elle allait s’améliorer, cela pourrait expliquer de façon crédible pourquoi la prestataire a décidé de continuer à travailler pour la firme.

[40] Le fait que la prestataire pensait que les conditions de travail allaient s’améliorer était pertinent pour comprendre pourquoi elle avait annulé sa démission.

[41] De façon générale, on peut présumer qu’un décideur a tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Par contre, le décideur doit fournir les motifs de sa décision et expliquer pourquoi il a rejeté un élément de preuve ou y a accordé peu de poids.

[42] La division générale aurait dû tenir compte des éléments de preuve qui expliquaient pourquoi la prestataire avait annulé sa démission. Ce n’est pas clair si le membre de la division générale a tenu compte des éléments de preuve de la prestataire qui indiquaient que la propriétaire lui avait promis de changer. Le membre n’en a pas fait mention du tout, même si c’était pertinent et que cela aurait pu avoir une incidence sur l’issue de l’appel. Si le membre de la division générale a en fait tenu compte de la preuve de la prestataire, il aurait dû expliquer pourquoi il l’a rejetée ou pourquoi il ne lui a accordé que peu de poids.

[43] Compte tenu de la nature de l’erreur, il n’est pas nécessaire d’aborder le reste de l’argument de la prestataire. Toutefois, je vais le faire puisqu’ils peuvent avoir une certaine incidence sur l’issue de l’appel.

ii. La division générale a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve au sujet de l’utilisation de parfums dans le milieu de travail?

[44] Oui. La division générale a omis de tenir compte d’éléments de preuve au sujet de l’utilisation de parfums dans le milieu de travail. Toutefois, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour montrer que c’était un facteur important dans la démission de la prestataire.

La position des parties

[45] La prestataire soutient que la division générale a omis de tenir compte d’éléments de preuve au sujet de l’utilisation de parfums dans le milieu de travail.

[46] La prestataire indique qu’elle avait dit être allergique au parfum dans son témoignage et qu’en raison de l’exposition au parfum en milieu de travail, elle avait parfois de la difficulté à respirer, des maux de tête et des problèmes de concentration. Elle affirme qu’elle a mentionné son allergie à son employeuse et à l’époux de la directrice, mais que l’employeuse n’a rien fait pour l’aiderNote de bas de page 21 .

[47] Ainsi, la prestataire a écrit un courriel à un occupant qui portait un parfum qu’elle trouvait [traduction] « très fortNote de bas de page 22  ». Dans son courriel, elle a affirmé que le bureau [traduction] « ne permettait pas le port de parfum en raison de la présence de personnes allergiques au parfum et aux fragrancesNote de bas de page 23  ».

[48] L’employeuse a pris connaissance du courriel envoyé à l’occupant par la prestataire. Elle a indiqué que la prestataire ne s’était pas précédemment opposée au port du parfum.

[49] L’employeuse n’a adopté aucune politique sur l’interdiction des parfums pendant que la prestataire travaillait pour elle.

[50] La prestataire soutient que les employeurs ont l’obligation, selon les lois sur les droits de la personne, d’offrir des mesures d’adaptation aux personnes qui ont des handicaps, y compris des allergies ou des sensibilités environnementales. La prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de droit en omettant d’aborder cet élément de preuve lorsqu’elle a examiné si elle était fondée à quitter son emploi en raison de discrimination fondée sur le handicap physique de la prestataire.

[51] L’employeuse soutient qu’elle n’était pas au courant des allergies de la prestataire et qu’ainsi, elle n’avait pas fait preuve de discrimination. Aussi, puisqu’elle n’était pas au courant des sensibilités de la prestataire, elle nie qu’elle avait le devoir de lui offrir des mesures d’adaptation.

[52] La directrice de la firme indique que la prestataire ne s’était jamais opposée lorsqu’elle portait du parfum ou des désodorisants. De plus, lorsque la directrice a pris connaissance du courriel envoyé par la prestataire à l’occupant, elle a immédiatement demandé qui avait des allergiesNote de bas de page 24 . Il est peu probable que l’employeuse aurait dû faire ces demandes si la prestataire avait précédemment soulevé ses préoccupations à la directrice. Soit cela, soit la directrice n’avait pas été attentive et n’avait pas compris que la prestataire avait des sensibilités environnementales lorsque la prestataire lui a initialement soulevé ses préoccupations.

[53] Malgré le courriel de l’employeuse qui demandait qui avait des allergies, la prestataire n’a pas réagi. Ainsi, l’employeuse affirme qu’elle ne savait pas que quiconque avait besoin de mesures d’adaptation. L’employeuse doute que la prestataire ait des sensibilités environnementalesNote de bas de page 25 .

[54] Compte tenu de ces considérations, l’employeuse soutient qu’il n’y avait aucune raison que la division générale évalue s’il y avait eu discrimination sur le fondement du handicap physique de la prestataire.

[55] La prestataire affirme aussi que la réponse de l’employeuse à la question des parfums s’inscrivait dans le harcèlement qu’elle devait endurer. Aussi, elle affirme que, partiellement en raison de la question des parfums, elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

[56] Le Commission est d’accord avec la prestataire. La Commission affirme qu’il y avait des éléments de preuve que les parfums utilisés au travail nuisaient à la santé et au bien-être de la prestataire. La Commission soutient que si la preuve appuie l’existence d’une circonstance, la division générale devait au moins tenir compte de la circonstance.

[57] Elle affirme que, puisque la prestataire dit qu’elle avait soulevé la question des parfums auprès de l’employeuse, et puisque l’employeuse a le devoir d’offrir des mesures d’adaptation à ses employés, la division générale aurait dû examiner si ses pratiques étaient en infraction de l’article 29(c)(xi) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[58] L’employeuse soutient que la division générale n’a pas omis de tenir compte de la question des parfums parce qu’il n’y avait simplement pas assez d’éléments de preuve. Elle soutient en particulier qu’il n’y avait aucune preuve que l’utilisation de parfums au travail était une des raisons principales pour laquelle la prestataire avait démissionné. En effet, c’est l’employeuse et non la prestataire qui a d’abord soulevé la question des parfums.

Mes conclusions

[59] La division générale a reconnu que la prestataire avait émis [traduction] « une directive non autorisée concernant le port de parfum au travailNote de bas de page 26  ». Par ailleurs, elle n’a pas tenu compte de la question de savoir si les sensibilités environnementales de la prestataire ont fait en sorte qu’elle a dû quitter son emploi. Plus précisément, la division générale n’a pas tenu compte des sensibilités environnementales de la prestataire dans le contexte des articles 29(c)(iii) et 29(c)(iv) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[60] Il peut y avoir une justification pour avoir quitté son emploi au titre de l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi. Il y a peut-être justification s’il existe entre autres :

  1. (i) du harcèlement, sexuel ou d’une autre nature;
  2. (iii) une discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne;
  3. (iv) des conditions de travail dangereuses pour la santé ou la sécurité;
  4. (x) des pratiques de l’employeuse contraires au droit.

[61] La prestataire n’a pas vigoureusement invoqué des arguments sur ses sensibilités environnementales. Elle n’a pas soulevé cette question comme moyen d’appel. Malgré cela, la division générale aurait dû comprendre qu’il s’agissait d’une question sur laquelle elle devait se pencher. Elle aurait dû aborder la question de savoir si la prestataire était fondée à quitter son emploi au titre de l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[62] Toutefois, il aurait fallu que l’une de ces circonstances soit une des raisons pour lesquelles la prestataire a démissionné de son emploi. La preuve n’est pas convaincante à cet égard.

[63] Par exemple, la prestataire n’a pas répondu au courriel de l’employeuse demandant qui était allergique. Elle a aussi continué à travailler pendant deux autres mois, sans tenter de nouveau de soulever ses préoccupations à l’employeuse. Lorsque la prestataire a remis sa démission, le 2 mars 2020, elle a expliqué qu’elle quittait son emploi parce qu’elle se sentait dépassée, qu’elle se sentait victime d’abus émotionnel et d’intimidation. Elle n’a rien dit de l’échec de l’employeuse de lui offrir des mesures d’adaptation pour son handicap.

[64] De plus, lorsque la prestataire a présenté sa demande de prestations d’assurance-emploi, elle a expliqué qu’elle avait quitté son emploi principalement parce qu’elle trouvait l’emploi trop exigeant et stressantNote de bas de page 27 . La prestataire n’a soulevé aucune préoccupation par rapport à ses sensibilités environnementales.

[65] La prestataire n’est pas d’accord avec la Commission. Cela dit, il n’y avait aucune mention d’exposition aux parfums au travail ni à l’échec de l’employeuse de lui offrir des mesures d’adaptation pour ses sensibilités environnementalesNote de bas de page 28 .

[66] En effet, la première fois que la prestataire a soulevé la question de ses sensibilités environnementales à la Commission ou au Tribunal de la sécurité sociale, c’était en réponse à la description de l’employeuse des interactions de la prestataire avec les autres, y compris avec l’occupant de bureau.

[67] Ces considérations indiquent que la démission de la prestataire n’était pas liée à ses sensibilités environnementales. Je conclus que la prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi sur le fondement de la question des parfums au titre des articles 29(c)(i), 29(c)(iii), 29(c)(iv) ou 29(c)(xi) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[68] Si les parfums avaient été un facteur important dans la démission de la prestataire, elle aurait eu des solutions raisonnables autres que de démissionner. Par exemple, après avoir capté l’attention de l’employeuse, elle aurait pu tenter de résoudre le problème.

[69] Même si l’employeuse n’avait rien fait auparavant, il y avait une autre occasion pour que la prestataire puisse tenter de régler la situation. Elle aurait pu répondre au courriel de l’employeuse. Elle aurait pu dire à l’employeuse qu’elle avait des sensibilités environnementales si elle ne le savait pas déjà.

iii. La division générale a-t-elle commis une erreur de fait relative aux tentatives de la prestataire de consulter un médecin?

[70] Oui. La division générale a commis une erreur de fait relative aux tentatives de la prestataire de consulter un médecin.

La position des parties

[71] La prestataire affirme que la division générale a commis une erreur de fait relative à ses tentatives de consulter un médecin.

[72] Au paragraphe 35, la division générale a rejeté l’affirmation de la prestataire selon laquelle elle avait été incapable de consulter un médecin en raison de la COVID-19. La division générale a conclu que la prestataire aurait pu consulter un médecin avant de démissionner le 2 mars 2020. La province n’a pas imposé de restrictions avant au moins le 16 mars 2020. En d’autres mots, la division générale a conclu que les cabinets de médecins étaient demeurés ouverts.

[73] La prestataire nie avoir essayé de consulter un médecin avant de démissionner le 2 mars 2020. Elle s’attendait à voir son médecin après avoir quitté son emploiNote de bas de page 29 . Par contre, à ce moment-là, il y avait des restrictions dues à la pandémie et elle ne pouvait consulter son médecin que virtuellementNote de bas de page 30 .

[74] L’employeuse soutient que l’argument sous-entendu de la division générale était que si le stress et l’anxiété de la prestataire étaient la cause de sa démission, elle aurait dû obtenir de l’aide médicale avant de démissionner. Effectivement, le membre de la division générale a conclu qu’il n’y avait pas de preuve qui montrait que la prestataire avait reçu le conseil médical de quitter son emploi au moment de sa démissionNote de bas de page 31 .

Mes conclusions

[75] La division générale a conclu que si la prestataire n’a pas cherché à obtenir de l’aide médicale avant de démissionner, son stress et son anxiété au travail ne devaient pas être si graves. S’ils n’étaient pas si graves, elle n’était donc pas fondée à quitter son emploiNote de bas de page 32 .

[76] Le membre a aussi établi que la prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de démissionner. Le membre a conclu que l’une de ces solutions aurait été d’obtenir de l’aide médicale pour son stress avant de démissionnerNote de bas de page 33 . De cette perspective, le fait que la prestataire nie avoir tenté de voir un médecin avant de démissionner n’aide pas sa cause.

[77] Malgré cela, la division générale a commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait dit qu’elle avait été incapable de consulter un médecin en raison de la COVID-19. L’erreur est survenue lorsque la division générale a présumé que la prestataire prétendait avoir essayé de voir un médecin avant démissionner, ou peu après avoir démissionné, alors qu’en fait, la preuve montre qu’elle avait l’intention de consulter son médecin peu après avoir quitté son emploi. Il n’y avait aucun élément de preuve pour appuyer l’une ou l’autre de ces présomptions. La prestataire a pu avoir l’intention de voir un médecin peu après avoir quitté son emploi. Cela ne veut toutefois pas dire forcément qu’elle ait effectivement consulté un médecin peu après avoir démissionné.

[78] L’erreur du membre de la division générale était importante parce qu’il s’est fondé sur celle-ci pour conclure que la prestataire n’était pas crédibleNote de bas de page 34 .

iv. La division générale a-t-elle mal interprété la preuve de la prestataire relative à son collègue de travail?

[79] Oui. La division générale a omis d’évaluer adéquatement la preuve de la prestataire relative à son collègue de travail.

La position des parties

[80] La prestataire soutient que la division générale n’a pas compris sa preuve lorsqu’elle a conclu que son affirmation au sujet de son collègue était [traduction] « manifestement fausseNote de bas de page 35  » et qu’elle avait utilisé les problèmes personnels de son collègue pour [traduction] « étayer faussement sa causeNote de bas de page 36  ».

[81] La prestataire soutient que l’erreur de la division générale était importante. L’erreur a mené à une conclusion erronée quant à sa crédibilité. En effet, l’erreur était la principale raison pour laquelle la division générale a conclu que la prestataire n’était pas crédible.

[82] La prestataire soutient que si la division générale avait examiné sa preuve, elle aurait pu conclure qu’elle était crédible. Elle aurait pu également accepter qu’elle était fondée à quitter son emploi.

[83] La division générale a écrit ce qui suit :

[40] Je dois maintenant me pencher sur l’affirmation de la prestataire voulant qu’un collègue de travail, [...], ait quitté son emploi chez [l’employeuse] pour les mêmes raisons qu’elle. Cette affirmation s’est révélée manifestement fausse. Ce monsieur était aux prises avec des problèmes personnels qui l’ont obligé à s’absenter du travail pendant un certain temps. L’employeuse, lorsqu’elle a pris connaissance de sa situation, lui a accordé un congé. Lorsqu’il serait prêt à retourner au travail, son poste l’attendrait. Les circonstances entourant son départ étaient personnelles et n’ont été communiquées à personne. Cela montre que [la propriétaire et fondatrice de la firme] était une employeuse compatissante.

[41] Avec sa version des faits, la prestataire a tenté d’utiliser les problèmes personnels d’une autre personne pour faire avancer sa propre cause, ce qui soulève des questions quant aux efforts qu’elle est prête à déployer pour faire croire que cette employeuse agit comme une ogresse au travail. Le seul résultat est que sa propre crédibilité est remise en question. Si, dans le cadre de ses fonctions de directrice des services administratifs, elle a recueilli des renseignements au sujet du congé de cet homme, les divulguer à quelque fin que ce soit dénote un grand manque de professionnalisme.

[84] La prestataire prétend que la preuve concernant son collègue était la suivante :

  • La prestataire était assise près de ce collègue, donc elle était dans une position privilégiée pour observer comment la propriétaire le traitait. Elle a observé la propriétaire maltraiter ce collègue, de façon semblable à comment on la maltraitaitNote de bas de page 37 .
  • La propriétaire lui a dit que son collègue avait subi une dépression nerveuseNote de bas de page 38 .
  • Le collègue a quitté son emploi. La prestataire indique que l’employeuse a utilisé les termes [traduction] « démissionné » et [traduction] « a pris un congé » pour parler de son départNote de bas de page 39 . L’employeuse a écrit : [traduction] « Elle a tout faux quant aux raisons de sa démission; en fait, elle n’a aucune idée pourquoi il a démissionné...Note de bas de page 40  » (mise en évidence par la soussignée)

[85] La prestataire soutient que cet élément de preuve montre que les affirmations au sujet de son collègue n’étaient pas [traduction] « manifestement faux ».

[86] Elle soutient aussi que la division générale a commis une erreur en tirant une conclusion négative sur la crédibilité de la prestataire parce qu’elle avait présenté cet élément de preuve. La prestataire soutient que cet élément de preuve était pertinent. Il montrait qu’il était habituel pour la propriétaire de maltraiter ses employés.

[87] La prestataire nie qu’elle ait agi de mauvaise foi en divulguant des renseignements sur son collègue. Elle soutient que son collègue ne subira aucune conséquence de cette divulgation puisque le Tribunal caviarde ses décisions pour assurer l’anonymat.

[88] L’employeuse soutient que la division générale n’a pas fait d’erreurs de fait concernant le collègue. La propriétaire nie les allégations de la prestataire au sujet de son collègue. Plus précisément, elle nie que le collègue en question ait quitté l’entreprise. Elle affirme qu’il était en congé temporaire pour des raisons personnelles. L’employeuse soutient que de toute manière, la prestataire a enfreint le droit à la vie privée de son collègue.

Mes conclusions

[89] La division générale a laissé entendre que la prestataire avait inadéquatement utilisé les problèmes personnels de son collègue pour faire avancer ses propres intérêts. Cela dit, aussi malheureux soient les problèmes de son collègue, il n’y a aucune raison pour laquelle la prestataire n’aurait pas pu se fonder sur cet élément de preuve, tant et aussi longtemps que c’était pertinent dans le cadre de l’affaire, même si, comme l’allègue l’employeuse, les renseignements relatifs au collègue devaient être maintenus confidentiels.

[90] Il n’y avait rien d’inapproprié dans le fait que la prestataire fournisse des éléments de preuve quant à ce qu’elle avait observé et quant à ce que la propriétaire a pu lui dire. Lors de l’audience devant la division générale, la prestataire a témoigné que la propriétaire lui avait dit que son collègue avait subi une dépression nerveuse et qu’il avait besoin de prendre congé. Elle a aussi dit : [traduction] « Je l’ai vue vraiment le maltraiter aussiNote de bas de page 41  ».

[91] De façon notable, la division générale n’est pas allée jusqu’à dire que la prestataire ne pouvait pas se fonder sur cet élément de preuve ou que cet élément de preuve était inadmissible.

[92] Il revenait à la division générale d’établir la véracité ou la crédibilité de la preuve de la prestataire et d’évaluer si ses observations ou son interprétation des communications avec elle étaient justes. Cependant, la division générale a semblé avoir jugé que les affirmations de la prestataire devaient forcément être fausses puisqu’elle avait [traduction] « tenté d’utiliser les problèmes personnels d’une autre personne pour faire avancer sa propre causeNote de bas de page 42  ». Il ne s’agissait pas d’un fondement pour examiner la preuve. Pour cette raison, la division générale a omis d’examiner adéquatement la preuve de la prestataire relative à son collègue de travail.

[93] Dans les faits, la prestataire était dans l’erreur lorsqu’elle a laissé entendre que son collègue avait démissionné. Le collègue est apparemment retourné travailler pour l’entreprise après son congé. Toutefois, la propriétaire a renforcé l’erreur de la prestataire lorsqu’elle a écrit que le collègue avait démissionnéNote de bas de page 43 .

[94] Cela étant dit, bien que la prestataire a écrit que son collègue avait soudainement démissionné en janvier, elle a également écrit, dans le même courriel, qu’il avait pris un congé de maladieNote de bas de page 44 . On ne sait pas si la prestataire a compris qu’un congé de maladie était différent d’une démission.

v. La division générale a-t-elle omis d’appliquer le critère pour la discrimination?

[95] Oui. Il n’est pas évident de savoir si la division générale s’est demandé si la prestataire avait été maltraitée lors de l’incident avec les traiteurs.

La position des parties

[96] La prestataire soutient que la division générale a omis d’examiner adéquatement si elle avait subi de la discrimination en milieu de travail. Plus précisément, elle affirme que le membre a omis d’appliquer le critère à trois volets établi par la Cour suprême du CanadaNote de bas de page 45 . De plus, elle soutient que la division générale a examiné des éléments de preuve non pertinents et qu’elle a ignoré des éléments de preuve pertinents.

[97] La prestataire soutient que si la division générale avait appliqué le critère à trois volets, elle aurait conclu qu’il y avait discrimination fondée sur les motifs de distinction illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Elle aurait également reconnu qu’elle était fondée à quitter son emploi.

[98] La prestataire affirme qu’il y a une discrimination à première vue :

  1. lorsqu’une personne employée revêt une caractéristique protégée dans la Loi sur les droits de la personne.
  2. lorsqu’elle subit de la maltraitance en lien avec son emploi;
  3. parce que ses caractéristiques protégées par la loi étaient un facteur dans la maltraitanceNote de bas de page 46 .

[99] La division générale a conclu qu’il n’y avait aucune preuve de discrimination fondée sur la race ou un quelconque autre facteur, à part les accusations lancées par la prestataire. La prestataire soutient qu’elle n’a pas simplement fait d’allégation de discrimination sans preuve. Elle a cité des exemples de ce qu’elle avait observé et de ce dont elle avait eu l’expérience.

[100] La prestataire affirme que, pour évaluer s’il y a eu discrimination, la division générale aurait dû appliquer le critère à trois volets à la preuve.

[101] Elle affirme aussi que la division générale aurait dû ignorer tout élément de preuve concernant le fait que l’employeuse avait donné une présentation sur la diversité lors d’une conférence. La prestataire affirme que la participation de l’employeuse à ce type de formation n’était pas pertinente à la question de savoir si elle avait fait preuve de discrimination à son endroit.

[102] La prestataire s’identifie comme étant hispanique. Elle soutient que l’employeuse a fait preuve de discrimination à son endroit en raison de sa race, de son origine ethnique et de la couleur de sa peau. Elle affirme que d’autres employés racisés subissaient le même traitement. Elle a dressé une liste d’exemples de situations discriminatoires :

  • La propriétaire corrigeait l’anglais de la prestataire, qui n’était pas sa première langue; la propriétaire la [traduction] « corrigeait constammentNote de bas de page 47  »; la propriétaire lui demandait de répéter constamment une phrase; la propriétaire disait constamment [traduction] « pardon » jusqu’à ce qu’elle soit satisfaite de la réponse de la prestataireNote de bas de page 48 .
  • La propriétaire adoptait ouvertement un ton condescendant avec la prestataire. Elle soulignait les erreurs de la prestataire devant les autres ou dans des échanges de courriel. La prestataire a observé la propriétaire traiter ses collègues caucasiens avec respectNote de bas de page 49 .
  • Un collègue, un immigrant espagnol, a été hospitalisé. La prestataire affirme que ce collègue lui avait dit que la propriétaire lui imposait beaucoup de stress. Le collègue a quitté son poste peu après que la prestataire a commencé à travailler.
  • La prestataire a observé la propriétaire maltraiter un autre employé racisé. La propriétaire corrigeait aussi les erreurs de ce collègue devant les autres collègues. Elle affirme qu’il a eu un choc émotionnel et qu’il a dû prendre un congé de maladieNote de bas de page 50 .
  • Une collègue caucasienne n’a reçu aucune mesure disciplinaire lorsqu’elle est arrivée de 60 à 90 minutes en retard après l’ouverture des bureauxNote de bas de page 51 . Cette même collègue ne travaillait pas d’heures supplémentaires, contrairement à la prestataireNote de bas de page 52 .

[103] L’employeuse reconnaît que la prestataire a peut-être mal pris certains des commentaires de la propriétaire. Cependant, l’employeuse soutient que le critère pour le harcèlement ou la discrimination est d’établir si l’employeuse savait raisonnablement que son comportement pouvait embarrasser, humilier ou causer une blessure psychologique ou physiqueNote de bas de page 53 . L’employeuse soutient que la prestataire n’a pas prouvé qu’elle a répondu au critère pour la discrimination selon les faits de l’affaire.

[104] La propriétaire nie que l’employeuse a fait preuve de harcèlement ou de discrimination à l’endroit de la prestataire ou d’un quelconque autre employé. L’employeuse indique qu’elle a donné une présentation sur la diversité en milieu de travail lors d’une conférence.

[105] L’employeuse nie avoir critiqué la qualité du travail de la prestataire. Elle soutient que si elle a fait des commentaires, ils étaient factuels et avaient pour but d’être constructifs. Plutôt, la propriétaire ne faisait que donner de la rétroaction et corriger des erreurs. La propriétaire a indiqué avoir soulevé des erreurs relatives au genre des prénoms et à des numéros de téléphone erronés, afin que la prestataire ne commette pas de nouveau ces erreurs à l’avenir.

[106] En tout cas, l’employeuse réfute les allégations de la prestataire, y compris l’allégation selon laquelle la propriétaire lui aurait dit à cinq reprises de ne pas passer de nouvelle commande d’un traiteur en particulier. La propriétaire affirme qu’elle a dit cela à la prestataire une seule fois. L’employeuse indique qu’il avait demandé à la prestataire de passer la commande à un autre traiteur la première fois.

Mes conclusions

[107] La prestataire soutient qu’elle avait une justification au titre de l’article 29(c)(iii) de la Loi sur l’assurance-emploi parce qu’elle était victime de discrimination fondée sur les motifs de distinction illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[108] Comme je l’ai indiqué précédemment, l’article 29(c)(iii) de la Loi sur l’assurance-emploi indique qu’il peut y avoir justification si la personne n’avait pas d’autre solution raisonnable que de démissionner, s’il y avait discrimination fondée sur les motifs de distinction illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[109] La prestataire soutient que la division générale a omis d’examiner s’il y avait discrimination parce qu’elle n’a pas appliqué le critère à trois volets dont elle a fait mention.

[110] C’est dans le droit établi qu’il existe un critère à deux volets pour établir s’il y a discrimination au travailNote de bas de page 54 . La prestataire a fait mention du premier volet du critère. Il comprend les trois étapes énoncées par la prestataire : établir si la personne qui fait plainte revêt une caractéristique protégée contre la discrimination, si elle a subi des mauvais traitements dans le cadre de son emploi ou selon les modalités de cet emploi et si ces caractéristiques étaient un facteur des mauvais traitements. Le critère ne s’arrête pas à ce premier volet.

[111] Une fois qu’une employée ou un employé fait une prétention de discrimination établie à première vue, il incombe à l’employeuse de justifier sa conduite ou sa pratique. Cela comprend la recherche d’exemptions dans la législation sur les droits de la personne applicable. Il s’agit du second volet du critère. Si l’employeuse est incapable de justifier sa conduite ou sa pratique, on conclut à l’existence de discrimination.

[112] La division générale a tenté d’établir si la prestataire était fondée à quitter son emploi au titre de l’article 29(c)(iii) de la Loi sur l’assurance-emploi.Elle a reconnu les allégations de la prestataire selon lesquelles elle avait été victime de discrimination. Elle a toutefois rejeté ces allégations selon lesquelles elle avait été victime de mauvais traitement dans le cadre de son emploi. Puisqu’elle estimait qu’il n’y avait aucune preuve pour appuyer les allégations de la prestataire, la division générale a écrit ce qui suit : « Je juge que les accusations de la prestataire sont sans fondementNote de bas de page 55  ». De plus, la division générale a conclu que la conduite de l’employeuse était justifiée.

[113] La division générale s’est concentrée sur l’incident relatif au traiteur. La prestataire soutient que la propriétaire lui a dit à cinq reprises de ne pas passer de commande de nouveau chez un traiteur en particulier. La division générale a écrit ce qui suit :

En ce qui concerne l’incident impliquant le traiteur, l’employeuse a tout à fait le droit de dicter les choix de fournisseurs pour son entreprise. Si la prestataire ignore délibérément une directive de son employeuse à ce sujet, elle peut s’attendre à se faire [traduction] « rencontrer » et réprimander. La prestataire fait référence à un comportement non professionnel de la part de l’employeuse, mais il s’agit d’un exemple flagrant d’un tel comportement de sa partNote de bas de page 56 .

[114] Ce n’est pas clair si la division générale a accepté ou rejeté les allégations de la prestataire selon lesquelles la propriétaire lui avait dit à cinq reprises de ne pas passer de commande auprès d’un traiteur en particulier. De toute façon, comme le membre l’a écrit « l’employeuse a tout à fait le droit de dicter les choix des fournisseurs ».

[115] Cela dit, les conclusions de la division générale selon lesquelles l’employeuse était dans son droit de dicter le choix des fournisseurs n’abordent pas adéquatement une partie du critère pour la discrimination. Bien que l’employeuse ait clairement le droit de choisir ses fournisseurs, la division générale devait tout de même établir si la prestataire avait subi des mauvais traitements et si ses caractéristiques protégées, qu’elle décrit comme étant sa « race, son origine ethnique et la couleur de sa peau », étaient un facteur dans ces mauvais traitements.

[116] La prestataire a aussi cité d’autres exemples de mauvais traitement. Le membre de la division générale n’était pas tenu d’aborder chaque élément de preuve et d’expliquer comment il l’avait abordé. Cependant, lorsque le membre a laissé entendre que l’employeuse pouvait gérer ses employés de la façon qu’elle jugeait appropriée, cela soulève la question de savoir si la division générale a adéquatement appliqué le critère pour la discrimination aux exemples fournis par la prestataire.

[117] Je ne laisse pas entendre ici que la prestataire a forcément établi qu’elle avait été victime de discrimination au travail. Par exemple, elle soutient que l’employeuse a souligné ses erreurs dans des échanges de courriels et qu’elle avait copié d’autres personnes de l’entreprise. Cela ne semble pas ressortir des courriels fournis par l’employeuseNote de bas de page 57 .

[118] La prestataire fait aussi référence au fait qu’une collègue n’a pas reçu de mesure disciplinaire après être arrivée de 60 à 90 minutes en retard après l’ouverture des bureaux. Ce n’est pas clair, à partir de la preuve, si l’employeuse s’attendait à ce que ce collègue en question, qui travaillait à temps partiel, commence à la même heure que les autres.

[119] Je ne dis pas que la prestataire devait fournir d’autres éléments de preuve pour appuyer ses allégations de discrimination. En effet, la division générale a pu commettre une erreur de droit lorsqu’elle a laissé entendre que la prestataire devait produire des éléments de preuve pour étayer ses allégations de discrimination. Ces éléments de preuve ne sont pas requis et ils ne sont pas toujours disponibles.

[120] Il y a d’autres raisons pour lesquelles la division générale estimait que la prestataire n’était pas très crédible. Elle n’avait pas fait mention du racisme dans ses déclarations initiales à la Commission comme l’une des raisons de sa démission. Lorsque la prestataire a soulevé la question du racisme plus tard, le membre a conclu que cela lui a été fourni « dans l’intention de faire annuler une décision défavorableNote de bas de page 58  ».

[121] Pourtant, les allégations subséquentes sur la façon dont la propriétaire l’a traitée étaient cohérentes avec ses déclarations initiales. Les déclarations initialesNote de bas de page 59 de la prestataire manquaient de détails, mais la prestataire a affirmé que la propriétaire était dégradante et condescendante à son endroit, et elle la mettait dans l’embarras devant les autres.

[122] En bref, la division générale a présumé que la prestataire ne pouvait pas être crédible puisque 1) elle n’avait pas fourni d’éléments de preuve pour appuyer ses allégations de discrimination et 2) elle n’avait pas fait mention du racisme dans sa demande de prestations d’assurance-emploi. Ces conclusions n’étaient pourtant pas justes.

[123] La division générale s’est fondée sur la présomption que la prestataire n’était pas crédible lorsqu’elle a établi que la prestataire n’avait pas subi de mauvais traitement. En tirant une telle conclusion, la division générale n’aurait pas eu à examiner le reste du premier volet ou le second volet du critère pour la discrimination.

[124] Toutefois, la division générale a fondé ses présomptions sur la crédibilité de la prestataire sur une combinaison d’erreurs de droit et d’erreurs de fait.

[125] Dans le cas de l’incident relatif au traiteur, la division générale n’a tiré aucune conclusion, qu’elle aille dans un sens ou de l’autre, pour établir si la prestataire avait subi des mauvais traitements. Dans ce cas-ci, la division générale a omis d’appliquer le critère à deux volets pour la discrimination.

Réparation

[126] Comment puis-je réparer les erreurs de la division générale? J’ai diverses optionsNote de bas de page 60 . Je peux rendre ma propre décision ou je peux renvoyer l’affaire devant la division générale aux fins de réexamen. Si je décide de rendre ma propre décision, cela signifie que je peux tirer des conclusions de faitNote de bas de page 61 .

[127] Une personne est fondée à quitter son emploi si elle n’avait aucune autre solution raisonnable que de démissionner compte tenu de toutes les circonstances, y compris de ce qui suit : il y a présence de harcèlement ou de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite, les conditions de travail posent un danger pour la santé ou la sécurité, on exige de travailler des heures supplémentaires excessives ou on refuse de payer pour les heures supplémentaires.

La position des parties

[128] La prestataire affirme que le dossier est suffisamment complet pour que je puisse rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Elle soutient que la preuve montre clairement qu’elle a été victime de harcèlement et de discrimination au travail, que les conditions de travail étaient dangereuses et qu’il y avait des heures supplémentaires excessives. Elle soutient que compte tenu des conditions de travail, elle n’avait aucune autre solution raisonnable que de démissionner. Elle affirme que la preuve montre qu’elle était incapable d’obtenir de l’aide médicale avant de quitter son emploi. La prestataire soutient que de protéger sa santé de façon proactive comportait moins de risques que le chômage.

[129] L’employeuse réfute les allégations de la prestataire, particulièrement les déclarations selon lesquelles la propriétaire l’avait harcelée ou selon lesquelles elle avait agi de façon discriminatoire à son endroit. De toute manière, l’employeuse soutient que la prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de démissionner. L’employeuse affirme que la prestataire aurait pu obtenir de l’aide médicale ou une note médicale avant de démissionner. Sinon, elle aurait pu chercher un autre emploi ou demander à l’employeuse de réduire ses heures ou sa charge de travail. L’employeuse me demande de rejeter l’appel ou sinon, de renvoyer l’affaire devant la division générale aux fins de réexamen en raison de présence de renseignements conflictuels.

[130] La Commission soutient que malgré la présence d’éléments de preuve conflictuels qui ne seront peut-être jamais éclaircis, il y a des lacunes dans la preuve sur des questions importantes. Elle affirme qu’en raison de ces lacunes, il serait approprié de renvoyer l’affaire devant la division générale.

La question des parfums

[131] J’ai déjà établi que la question des parfums n’était pas un facteur dans la démission de la prestataire. Ainsi, je conclus que la prestataire n’avait pas de justification au titre de l’article 29(c)(iv) de la Loi sur l’assurance-emploi.

Crédibilité

[132] En ce qui concerne les autres questions, les parties ont présenté deux perspectives fort différentes sur l’atmosphère de travail.

[133] La division générale a tiré des conclusions de fait négatives sur la crédibilité de la prestataire, mais elles étaient largement fondées sur des erreurs factuelles tirées sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance. Sans la présence de ces erreurs, la preuve de la prestataire aurait pu être aussi crédible et convaincante que celle de l’employeuse.

[134] En fait, il semble que la division générale ait accepté d’emblée les allégations de l’employeuse sans les soumettre à un examen rigoureux pour s’assurer que la preuve était généralement cohérente et plausible.

La crédibilité des témoins concernés, en particulier en cas de contradiction entre les preuves, ne peut pas être évaluée uniquement en fonction du fait que l’attitude personnelle du témoin particulier était convaincante ou non quant à la justesse des faits. Le critère doit raisonnablement assujettir sa version des faits à un examen de sa cohérence avec les probabilités qui entourent les conditions actuellement existantes. En résumé, le véritable critère de la véracité de la version des faits d’un témoin dans un tel cas doit être sa cohésion avec la prépondérance des probabilités qu’une personne sensée et informée reconnaîtrait facilement comme étant raisonnable à cet endroit et dans ces conditionsNote de bas de page 62 .

[135] La division générale estimait que la propriétaire était honnête et crédible dans son témoignage et dans ses observationsNote de bas de page 63 . Pourtant, la division générale ne s’est pas questionnée sur les descriptions contradictoires de la prestataire que l’employeuse a fournies.

[136] La propriétaire a indiqué qu’elle ne voulait pas que la prestataire quitte la firme parce qu’elle estimait qu’elle faisait [traduction] « un très bon travail et [commençait] à maîtriser un peu toutNote de bas de page 64  ». Pourtant, dans l’avis d’appel à la division d’appel, la propriétaire a écrit que la prestataire [traduction] « n’était tout simplement pas capable de répondre aux exigences du posteNote de bas de page 65  ». La propriétaire a aussi décrit la prestataire comme étant [traduction] « grossière, désobligeante et condescendanteNote de bas de page 66  ». La propriétaire n’a pas dépeint la prestataire sous un jour très favorable.

[137] La description de la prestataire par l’employeuse était peut-être juste, mais il ne semble pas logique que malgré les forces qu’elle a perçues chez celle-ci, elle ait voulu continuer d’avoir à son emploi une personne qu’elle percevait comme étant inadéquate pour le poste.

[138] Je soulève ceci à titre d’exemple parce que la crédibilité des témoins est cruciale à l’issue de l’affaire. On ne sait pas au juste si la division générale a examiné cette incohérence apparente dans la preuve de l’employeuse ni si elle lui a donné la chance de l’expliquer.

Heures supplémentaires excessives

[139] La charge de travail de la prestataire est un autre élément de preuve sur lequel les parties ne sont pas d’accord. La prestataire affirme qu’elle travaillait trop au point de devoir se priver de pauses-dîner et de devoir travailler des heures supplémentaires non payéesNote de bas de page 67 .

[140] Il y a des éléments de preuve contradictoires de la prestataire concernant la quantité d’heures supplémentaires qu’elle devait travailler. Lorsqu’elle a écrit à la propriétaire en décembre 2019, elle a signalé qu’elle devait travailler en moyenne de 3 à 3,5 heures supplémentaires par semaineNote de bas de page 68 . Cependant, lorsqu’elle a demandé à la Commission de réviser sa décision, elle a indiqué qu’elle travaillait environ 11 heures supplémentaires par semaineNote de bas de page 69 .

[141] La propriétaire réfute les allégations de la prestataire selon lesquelles elle avait une importante charge de travail et que la prestataire faisait le travail de trois personnesNote de bas de page 70 . La propriétaire affirme que la prestataire prenait du temps à se rattraper dans son travailNote de bas de page 71 .

[142] Malgré les éléments de preuve contradictoires, je suis prête à conclure qu’il y avait des heures supplémentaires excessives et que la prestataire a quitté son emploi en partie en raison de cela. Il y a une incohérence dans le nombre d’heures supplémentaires signalées par la prestataire, mais elle s’est plainte de façon constante de devoir faire des heures supplémentaires. Aussi, même si le nombre d’heures supplémentaires qu’elle devait réellement travailler était celui le plus bas qu’elle a signalé, elle devait travailler ces heures sur une base hebdomadaire. La régularité des heures supplémentaires peut aussi être considérée comme étant excessive.

[143] La charge de travail n’était peut-être pas comme telle importante. Cela dit, la prestataire était fréquemment interrompue pendant la journée par les demandes des autres, y compris celles de la propriétaire. En conséquence, la prestataire était incapable de terminer son travail pendant la journée. Elle a affirmé qu’elle travaillait des heures supplémentaires pour répondre aux exigences du travail. La propriétaire ne conteste pas les affirmations de la prestataire selon lesquelles elle était fréquemment interrompue et qu’elle devait donc souvent travailler des heures supplémentaires.

[144] En effet, personne ne conteste que des heures supplémentaires étaient parfois nécessaires pour respecter les échéanciers des clients. Le contrat de travail indiquait clairement qu’il y aurait des heures supplémentairesNote de bas de page 72 . Le contrat précisait également que [traduction] « les heures supplémentaires ne seraient pas payées ».

[145] Le contrat indiquait aussi qu’il pourrait y avoir des heures supplémentaires excessives. On y stipulait que les employés étaient tenus de [traduction] « le signaler » et que les parties discuteraient ensuite de la façon de gérer la situation des heures supplémentaires excessives.

[146] C’est d’ailleurs ce que la prestataire a fait. Elle a avisé l’employeuse qu’elle travaillait des heures supplémentaires chaque semaineNote de bas de page 73 . L’employeuse n’a pas immédiatement abordé les préoccupations de la prestataire concernant les heures supplémentaires, jusqu’à ce qu’elle démissionne en janvier.

[147] Les démarches de l’employeuse pour répondre aux besoins de la prestataire appuient les allégations de la prestataire selon laquelle il y avait tellement de travail qu’elle devait travailler des heures supplémentaires. La propriétaire a aussi donné à la prestataire l’autorisation d’embaucher une personne pour l’aider. La propriétaire a reconnu que la prestataire devrait déléguer des tâches à d’autres, comme à la nouvelle personne que la prestataire devait embaucher. En plus de cela, la propriétaire a laissé entendre qu’un autre employé qui pourrait commencer à travailler à temps plein pourrait l’aiderNote de bas de page 74 .

[148] Le fait que l’employeuse a offert d’embaucher une autre personne et la possibilité de l’aide d’un employé existant indique fortement que jusqu’à ce point, la prestataire devait travailler des heures supplémentaires excessives.

[149] De façon générale, une personne qui prend des mesures raisonnables pour trouver des solutions à des conditions intolérables est fondée à quitter son emploi si ces mesures n’ont pas porté leurs fruits. La prestataire a pris des mesures pour aborder la question des heures supplémentaires excessives et l’employeuse a répondu aux préoccupations de la prestataire.

[150] Toutefois, la prestataire a quitté son emploi avant d’avoir elle-même embauché une personne, avant que l’entreprise embauche quelqu’un et avant qu’un collègue commence à travailler à temps plein. L’employeuse a déclaré que la prestataire n’avait pas accordé une période raisonnable pour que ces mesures aient un effet. Elle affirme qu’ainsi, la prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi parce qu’elle avait d’autres solutions raisonnables qu’elle n’a pas réellement essayé d’adopter.

Harcèlement

[151] La prestataire affirme qu’elle n’avait pas d’autres solutions que de démissionner parce que la propriétaire la harcelait et la discriminait. Elle affirme qu’elle n’était pas traitée de façon égale aux autres travailleurs. Elle soutient qu’elle n’avait pas à rester pendant qu’elle cherchait un autre travail. Sinon, elle aurait été obligée de continuer à subir de la discrimination et du harcèlement.

[152] La prestataire soutient que l’environnement de travail était toxique. Elle prétend que la propriétaire la harcelait et la discriminait, elle et d’autres employés racisés. La propriétaire réfute les allégations de la prestataire, particulièrement celles selon lesquelles elle était abusive envers certains employés.

[153] Il semble que la prestataire a lié certains actes de harcèlement à ce qu’elle percevait comme étant une vague incessante de tâches à accomplir. Par exemple, la prestataire a écrit ce qui suit : [traduction] « Elle me harcelait au travail et m’envoyait des courriels et elle ne me laissait pas travailler [...] Je ne pouvais pas me concentrer parce que j’étais intimidée et dépassée par ses demandes. Elle était humiliante et je sentais qu’elle me harcelait par courriel, par téléphone et en personneNote de bas de page 75 . »

[154] Au même moment, la prestataire a écrit que la propriétaire la mettait dans l’embarras et la diminuait devant les autres. Elle a soutenu que la propriétaire la faisait souvent sentir inadéquate, l’insultait et lui disait souvent qu’elle la décevait. Beaucoup de cela était lié à la charge de travail. La prestataire affirme que cela se produisait devant les autres et dans des échanges de courriels. Étrangement, la prestataire n’a pas conservé de copies de ces échanges de courriel dans lesquels elle se sentait harcelée, bien qu’elle ait produit des copies d’autres courriels.

[155] Les quelques courriels préparés par la propriétaire sont relativement courts. Ils manquent de formules de gentillesse. Cependant, ces courriels à eux seuls ne suffisent pas à établir qu’il y a eu harcèlement. Certains des courriels comprennent ce qui suit :

  • Courriel du 18 décembre 2019. La propriétaire a écrit ce qui suit : [traduction] « Je ne savais pas que quiconque dans notre bureau était allergique aux parfums. Qui a des allergies? À l’avenir, pourriez-vous vérifier ce genre de chose avant de les envoyer aux occupants du bureau?Note de bas de page 76  »
  • Courriel du 6 janvier 2020. La propriétaire a écrit ce qui suit : [traduction] « Son nom de famille n’est PAS PNote de bas de page 77 . »
  • Courriel du 22 janvier 2020. La propriétaire a écrit ce qui suit : [traduction] « J. qui? Quel dossier? N’oublie pas que j’ai des douzaines de dossiers en tout temps, j’ai donc besoin de plus de détails qu’un simple prénomNote de bas de page 78 . »
  • Courriel du 26 janvier 2020. La propriétaire a écrit ce qui suit : [traduction] « C’est le mauvais numéro de téléphone cellulaire. S.V.P., t’assurer d’écrire le bon numéro de téléphone et le bon nom de la personne. Confirme avec la personne pour t’assurer d’avoir les bonnes coordonnéesNote de bas de page 79 . »
  • Courriels du 27 janvier 2020. La propriétaire a écrit ce qui suit : « C’est le mauvais numéro de téléphoneNote de bas de page 80 . » Elle a ensuite écrit : [traduction] « Exactement. Je l’ai déduit pendant la fin de semaineNote de bas de page 81 . »
  • Courriel du 28 février 2020. La propriétaire a écrit : [traduction] « Désolée, je n’ai pas le temps pour çaNote de bas de page 82 . »

[156] À première vue, ces courriels ne sont pas agressifs, blessants ou offensants. Certains de ces courriels ont peut-être été abrupts, mais ils ne sont pas dévalorisants ni dénigrants, et ne causent pas d’embarras personnel ou d’humiliation. À mon avis, ces séries de courriels ne constituent pas du harcèlement. Ils relèvent de l’exercice légitime et approprié de l’autorité par l’employeuse. L’employeuse nie également qu’elle savait ou aurait dû raisonnablement savoir que ses courriels pouvaient offenser ou blesser.

[157] Malgré cela, la propriétaire laisse entendre que certaines des affirmations de la prestataire pourraient bien avoir été vraies.

[158] Lorsque la prestataire a démissionné la première fois, elle a écrit : [traduction] « Il semble qu’on me fasse sentir inadéquate lorsque je n’arrive pas à suivre le rythmeNote de bas de page 83 . » La prestataire n’a pas fourni de détails, mais l’employeuse n’a pas nié que sa conduite ou son comportement a pu avoir cet effet sur la prestataire, même si ce n’était pas intentionnel.

[159] Lorsque la propriétaire a répondu au premier courriel de démission de la prestataire, elle a écrit ce qui suit : [traduction] « Oui, parfois les gens (moi y compris) ne communiquent pas avec suffisamment de délicatesse, peut-être parce qu’on est occupé ou pressé ou parce qu’on est nous-même sous pression. Il ne faut pas en faire une affaire personnelleNote de bas de page 84 . »

[160] Le courriel de la prestataire aurait dû alerter l’employeuse, même si elle ne percevait pas déjà que la prestataire se sentait rabaissée et diminuée par son comportement ou sa conduite.

[161] La prestataire a démissionné une deuxième fois. Elle a alors écrit :

[traduction]
Il était très difficile de travailler [avec la propriétaire]. Je me sens honnêtement abusée émotionnellement par les interactions de la propriétaire avec moi. Il semble que quand [la propriétaire] est d’humeur sombre, elle trouve UNE personne à intimider et il semble que cette personne soit moi. [La propriétaire] me rabaissait, m’abusait émotionnellement et me manquait de respectNote de bas de page 85 .

[162] La prestataire a aussi écrit à un collègue, affirmant qu’elle avait beaucoup de difficulté à interagir avec la propriétaireNote de bas de page 86 .

[163] La prestataire affirme que l’employeuse la harcelait aussi autrement que par courriel. La prestataire a décrit, en plus de l’incident relatif au traiteur, que la propriétaire exigeait d’elle qu’elle répète ses réponses jusqu’à ce qu’elle soit satisfaite. Elle a aussi affirmé que la propriétaire corrigeait son anglais et lui demandait de répéter ses phrases.

[164] La réponse de la propriétaire, qui a dit avoir manqué de sensibilité, semble appuyer les allégations de la prestataire, même si l’employeuse percevait ses critiques comme étant constructives.

[165] Le harcèlement a pris une forme plus subtile lorsque la propriétaire transmettait des courriels à l’ensemble du personnel pour obtenir des commentaires sur la disposition des places assisesNote de bas de page 87 . En fin de compte, l’employeuse a établi que la prestataire était incapable de traiter avec le personnel et que le personnel n’avait aucun désir d’interagir avec elle. L’employeuse a donc fait asseoir la prestataire [traduction] « à l’écart du personnel [de l’entreprise]Note de bas de page 88  », mais elle pensait que la prestataire aurait un endroit plus calme pour travailler. La prestataire a toutefois résisté. (La prestataire avait précédemment laissé entendre qu’il valait mieux déplacer l’imprimante et un collègue de travail pour régler le problème de bruit.)

[166] Le déplacement et l’isolation qui s’en s’est suivie ont rabaissé la prestataire, même si la propriétaire avait l’intention d’adoucir les interactions impliquant la prestataire.

Solutions raisonnables autres que de démissionner

[167] Il y a aussi la question de savoir si la prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de démissionner. La prestataire affirme qu’elle a tenté de trouver une solution, mais a échoué. Elle soutient qu’il n’y avait eu aucune amélioration des conditions de travail, et qu’elle n’avait donc aucune autre solution raisonnable que de démissionner. L’employeuse soutient que la prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de démissionner.

[168] Puisque la prestataire a conclu que les conditions de travail étaient intolérables, il n’était pas réaliste qu’elle continue à travailler sous ces conditions pendant qu’elle cherchait un autre emploi. Bien que la possibilité d’obtenir un congé temporaire existait (le congé lui aurait été probablement disponible, si on se fonde sur le fait qu’un collègue était en congé), il était déraisonnable de s’attendre à ce que la prestataire tolère d’être hantée par le spectre du harcèlement. Ainsi, la prestataire vivait déjà du stress et de l’anxiété. Elle a dit que ce stress et cette anxiété étaient non mesurablesNote de bas de page 89 . Elle a affirmé avoir de l’anxiété à l’idée de retourner au travail après la fin de semaineNote de bas de page 90 . Elle dit que le stress et l’anxiété l’ont menée à devoir obtenir de l’aide médicale. Elle affirme qu’elle continue de vivre de l’anxiété en raison de cette expérience.

[169] L’employeuse soutient que la prestataire aurait dû obtenir un traitement médical pour son stress et son anxiété, mais cela n’aurait pas réglé le problème de harcèlement et le sentiment d’être diminuée de la prestataire.

[170] De plus, la prestataire travaillait toujours des heures supplémentaires non payées. Elle ne pouvait pas s’attendre à ce que l’employeuse la paie pour ses heures supplémentaires puisque son contrat de travail stipulait que ces heures ne seraient pas payées. Ce n’était pas une solution raisonnable pour la prestataire de continuer à travailler pendant qu’elle attendait que sa charge de travail soit réduite ou pendant qu’elle cherchait un autre travail si elle devait continuer à travailler des heures supplémentaires non payées.

Discrimination

[171] Je n’ai pas encore abordé ni tranché la question de savoir si la prestataire avait été victime de discrimination. Cela n’est pas nécessaire, à la lumière de mes conclusions. Cependant, en apparence, la preuve semble être insuffisante pour établir qu’il y avait une discrimination à première vue. Bien que la prestataire a vécu des mauvais traitements, il ne semble pas que ses caractéristiques protégées contre la discrimination étaient nécessairement un facteur dans ces mauvais traitements. Je prends par exemple l’incident du traiteur. La prestataire a cité cet incident comme étant un exemple de harcèlement particulièrement grave. Elle a affirmé que la propriétaire lui avait dit à cinq reprises de ne pas passer de commande auprès d’un traiteur en particulier. Je ne vois aucune notion qui m’indique que la propriétaire était influencée par l’une des caractéristiques protégées de la prestataire.

Résumé

[172] Je conclus que la prestataire était fondée à quitter son emploi, particulièrement au titre de l’article 29(c)(viii) de la Loi sur l’assurance-emploi. Il y a eu des heures supplémentaires excessives et le refus de payer pour ces heures. Le contrat de travail stipule que l’employeuse refuse de payer les heures supplémentaires. Il n’y a aucune preuve que l’employeuse a offert de payer à la prestataire les heures supplémentaires qu’elle travaillait.

[173] L’employeuse a tenté de régler la question de la charge de travail et des heures supplémentaires excessives. Malgré les mesures adoptées par l’employeuse, la prestataire a continué de travailler des heures supplémentaires non payées. L’entreprise n’avait pas encore embauché un nouvel employé pour aider la prestataire. Il semble clair, à la lecture du message texte de la collègueNote de bas de page 91 que la prestataire ne pouvait pas compter sur le soutien de cette collègue non plus. (S’il se trouve, l’attitude condescendante de sa collègue dans son message texte a contribué au sentiment d’humiliation de la prestataire, ce que l’employeuse semblait tolérer.)

[174] De plus, la prestataire a reçu des messages importuns de l’employeuse qui [traduction] « manquaient de sensibilité ». Les messages ont eu comme effet de faire sentir la prestataire diminuée et humiliée. Elle était fréquemment interrompue et était incapable de suivre le rythme. Elle a reçu des commentaires fréquents sur sa productivité au travail. Elle trouvait ces commentaires rabaissants. Il était irréaliste de s’attendre à ce que la prestataire effectue son travail compte tenu des interruptions et du volume de travail. Elle a affirmé qu’elle était intimidée et mise à l’écart par la propriétaire, et on la faisait sentir inadéquate.

[175] La prestataire n’avait pas d’autre choix raisonnable que de démissionner puisqu’il était irréaliste de s’attendre à ce qu’elle continue à travailler des heures supplémentaires non payées et qu’elle continue de subir de l’intimidation et de l’humiliation.

Conclusion

[176] J’accueille l’appel de la prestataire.

 

Date de l’audience :

Le 16 mars 2021 et le 10 mai 2021

Mode d’instruction :

Vidéoconférence

Comparutions :

Francesca Allodi-Ross (avocate), représentante pour l’appelante

Josée Lachance, représentante de l’intimée

M. R., représentante pour la partie mise en cause

J. Jamil (avocat), représentant pour la partie mise en cause

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