Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : ZW c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2021 TSS 276

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : Z. W.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de
l’assurance-emploi du Canada (0) datée du 3 mars 2021
(communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Christianna Scott
Mode d’audience : Questions et réponses
Date de la décision : Le 10 juin 2021
Numéro de dossier : GE-21-388

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel.

[2] Selon moi, la Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas tenu compte de facteurs importants au moment de décider d’accorder ou non plus de temps à Z. W. (prestataire) pour demander à la Commission de réviser sa décision originale.

[3] Après avoir tenu compte de tous les faits, j’estime que le prestataire a démontré qu’il avait une explication raisonnable pour son retard à présenter sa demande de révision et qu’il avait une intention constante de le faire.

[4] Cela signifie que la Commission doit accorder au prestataire plus de temps pour demander une révision de la décision originale.

Aperçu

[5] Le prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi. La Commission lui a versé des prestations. Environ quatre ans plus tard, la Commission a enquêté sur la période de prestation du prestataire. La Commission a décidé que le prestataire avait sciemment fait de fausses déclarations dans sa demande de prestations. La Commission a décidé que, pour une partie de la période de prestations, le prestataire n’était pas disponible pour travailler et qu’il était également travailleur indépendant. La Commission a rendu cette décision le 22 novembre 2019 (décision originale).

[6] Le 24 juillet 2020, le prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision originale. La Commission a refusé de réviser sa décision originale, car elle a décidé que le prestataire avait attendu trop longtemps pour en faire la demande.

[7] La Commission a fait valoir que lorsque le prestataire a reçu la décision originale, on lui a dit qu’il avait 30 jours pour demander une révision. Toutefois, il n’a pas agi et a attendu trop longtemps pour enfin demander une révision.

[8] Le prestataire n’était pas d’accord. Il a soutenu que la Commission n’aurait pas dû refuser la révision de son dossier. Il a mentionné qu’il avait reçu la décision originale juste avant un voyage à l’étranger pour recevoir des soins médicaux. Il a affirmé qu’une fois de retour au Canada, il était trop malade pour rassembler l’information dont il avait besoin pour demander une révision.

[9] Donc, le prestataire a décidé de faire appel de ce refus de la Commission de lui accorder plus de temps pour demander une révision de sa décision originale. Il a interjeté appel du refus de la Commission devant le Tribunal de la sécurité sociale du Canada.

Question que je dois examiner en premier

[10] Une autre membre de la division générale du Tribunal avait initialement traité cet appel. Le prestataire n’était pas d’accord avec la décision de la division générale. Le prestataire estimait que la division générale avait fait des erreurs dans sa décision. Il a porté l’affaire en appel devant la division d’appel du Tribunal. La division d’appel a accueilli l’appel du prestataire puisqu’elle a décidé que la division générale avait fait une erreur de droit dans sa décision. L’affaire m’a été renvoyée pour révision sans directives précises. La division d’appel a seulement commenté que le dossier de preuve présenté devant la membre initiale de la division générale était incomplet.

[11] J’ai examiné l’affaire initiale présentée devant la division générale et la division d’appel. Cela comprend l’écoute de l’enregistrement de I’audience orale devant la division générale. J’ai décidé de trancher cet appel au moyen de questions et de réponses. J’ai procédé ainsi pour les raisons suivantes :

  • Le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale prévoit que les audiences doivent se dérouler de la façon la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettentNote de bas de page 1 . J’ai ainsi considéré que la façon la plus expéditive et rigoureuse de procéder était d’examiner le dossier et de combler l’information manquante au moyen de questions et de réponses.
  • Le législateur m’a donné un vaste pouvoir discrétionnaire pour décider de la preuve dont il faut tenir compte et de la façon de procéder lorsqu’une affaire est renvoyée à la division générale. Puisque la division d’appel n’a donné aucune directive précise, j’ai le pouvoir discrétionnaire de décider de la façon de procéder selon les particularités de l’affaire devant moiNote de bas de page 2 .
  • L’appel ne soulève aucune question sur la véracité des déclarations du prestataire. Selon moi, une audience au moyen de questions et de réponses est la façon la plus appropriée de procéder dans la présente situation.

Questions en litige

[12] Est-ce que le prestataire a attendu trop longtemps pour demander une révision de la décision originale de la Commission?

[13] Le cas échéant, la Commission a-t-elle exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire, soit de manière juste, en tenant compte de toute l’information importante et en ignorant celle qui ne l’était pas?

[14] Si la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire, je dois décider si le prestataire aurait dû obtenir plus de temps pour demander une révision. Dans ce but, je devrai décider si le prestataire a démontré :

  • une explication raisonnable liée au retard;
  • une intention constante de demander une révision.

[15] Si je conclus que le prestataire a démontré ces deux points, la Commission devra alors lui accorder plus de temps pour demander une révision de la décision originale. Cependant, si je conclus que le prestataire n’a pas démontré ces deux points, la Commission n’aura pas besoin de lui accorder plus de temps pour demander une révision.

Analyse

[16] La Loi sur l’assurance-emploi prévoit qu’une partie prestataire peut demander à la Commission de réviser sa décision dans les 30 jours suivant la date à laquelle la décision a été communiquée à la partie prestataireNote de bas de page 3 .

[17] Si une demande de révision est transmise après le délai de 30 jours, la Commission peut accorder plus de temps à la partie prestataire pour présenter une demande de révisionNote de bas de page 4 . La décision de la Commission d’accorder plus de temps est un pouvoir discrétionnaireNote de bas de page 5 . Cela signifie que je ne peux pas intervenir pour modifier la décision de la Commission à moins d’estimer qu’elle n’a pas utilisé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire. J’expliquerai plus loin ce qu’il faut pour démontrer que la Commission n’a pas agi de manière judiciaireNote de bas de page 6 .

[18] Une partie prestataire doit démontrer qu’elle satisfait à certaines exigences pour prouver qu’une prolongation du délai est justifiée. Lorsqu’une partie prestataire demande à la Commission de réviser sa décision plus de 30 jours, mais moins de 365 jours, après avoir obtenu la décision originale, elle doit démontrer :

  • qu’il y a une explication raisonnable pour le retard;
  • qu’elle avait une intention constante de demander une révision de la décisionNote de bas de page 7 .

Question en litige no 1 : Est-ce que la demande du prestataire a été faite après le délai de 30 jours?

[19] J’estime que le prestataire a demandé une révision de la décision de la Commission après le délai de 30 jours.

[20] Le prestataire convient avoir présenté sa demande de révision après le délai de 30 jours. Il mentionne avoir reçu la décision originale de la Commission le 17 décembre 2019Note de bas de page 8 . Le prestataire convient également que la Commission a reçu sa demande de révision le 24 juillet 2020Note de bas de page 9 .

[21] Je conclus alors qu’il n’y a pas de preuve dans cet appel me portant à croire que le prestataire a fait sa demande de révision de la décision dans les 30 jours suivant la communication de la décision originale.

Question en litige no 2 : Est-ce que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire?

[22] Non, j’estime que la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire.

[23] Une décision de la Commission concernant la prolongation du délai pour demander une révision est discrétionnaireNote de bas de page 10 . Cela signifie que je ne peux pas intervenir dans la décision de la Commission à moins d’estimer qu’elle n’a pas utilisé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaireNote de bas de page 11 . Un pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé de manière judiciaire si la personne qui prend la décision : a agi de mauvaise foi; a agi dans un but ou pour un motif irrégulier; a pris en compte un facteur non pertinent; a ignoré un facteur pertinent; ou a agi de manière discriminatoireNote de bas de page 12 .

[24] La Commission a décidé que le prestataire n’avait pas d’explication raisonnable pour le retard et n’avait pas démontré une intention constante de demander une révision de la décision. La Commission a tiré cette conclusion en se fondant sur les points suivants :

  • Le prestataire connaissait la décision, laquelle conclut que le prestataire était travailleur indépendant depuis le 20 octobre 2014 et n’était pas disponible pour travailler depuis le 1er septembre 2014. La décision mentionne également que la Commission a décidé que le prestataire avait fait sciemment de fausses déclarations.
  • Le prestataire a été informé dans la décision originale qu’il avait 30 jours pour demander une révision s’il était en désaccord avec celle-ci.
  • Même si le prestataire a déclaré être à l’extérieur du pays en raison de la maladie, il n’a pas précisé la durée. Cette raison n’est donc pas prise en compte dans le retard.
  • Il n’a pas démontré une intention constante de faire un suivi au moyen d’une demande de révision, car il a attendu 214 jours avant de communiquer avec la CommissionNote de bas de page 13 .

[25] J’estime que la Commission n’a pas examiné des renseignements importants concernant les raisons du retard du prestataire. La Commission savait que le prestataire était malade et voyageait pour être soigné. Toutefois, il y a peu de précisions dans le dossier au sujet d’éléments essentiels qui ont permis à la Commission de bien comprendre les raisons du retard du prestataire et s’il avait une intention constante de demander une révision. Ces éléments comprennent notamment :

  • la manière dont le prestataire a passé son temps entre le 17 décembre 2019 et la journée où il a voyagé à l’étranger pour obtenir un traitement médical;
  • la durée du séjour du prestataire à l’étranger pour obtenir un traitement médical;
  • la nature de son problème de santé;
  • le type de traitement qu’il a reçu;
  • la durée de sa convalescence;
  • la manière dont il a passé son temps entre son retour au Canada après le traitement et la date où il a présenté sa demande de révision.

[26] J’estime que toute cette information, qui est essentielle pour comprendre les événements liés au retard de la demande de révision, manquait dans l’analyse de la Commission.

[27] Je conclus donc que la Commission n’a pas agi de manière judiciaire lorsqu’elle a refusé d’accorder plus de temps au prestataire pour demander une révision. La Commission n’avait pas toute l’information importante pour évaluer les raisons sous-jacentes du retard de sa demande de révision.

Question en litige no 3 : Devrait-on accorder plus de temps au prestataire pour demander à la Commission de réviser sa décision originale?

[28] Le prestataire a expliqué de manière détaillée la chronologie des événements qui ont mené à sa demande de révision. Le prestataire affirme :

  • Avoir réservé son voyage aller-retour de l’étranger environ un mois et demi avant son départ. Le but de ce voyage était de subir un examen médical approfondi et, si possible, de recevoir un traitement.
  • Avoir reçu la lettre de la Commission le 17 décembre 2019.
  • Être parti en voyage le 18 décembre 2019.
  • Avoir pris un congé du travail entre le 18 décembre 2019 et le 13 janvier 2020.
  • Avoir eu un examen médical pendant qu’il était à l’étranger. Il a dû avoir une chirurgie et il a été hospitalisé du 30 décembre 2020 [sic] au 2 janvier 2020Note de bas de page 14 .
  • Être revenu au Canada le 12 janvier 2020Note de bas de page 15 .
  • S’être rendu au travail le 15 janvier 2020 pour parler à son patron. Il a expliqué qu’il ne pouvait pas reprendre ses tâches régulières. Le travail du prestataire se résumait par la suite à assister chaque semaine à des réunions d’équipe par vidéoconférence et à répondre à des courriels.
  • Avoir été en convalescence de sa chirurgie jusqu’en juin 2020. Au début de juin 2019 [sic], il a commencé à travailler plus d’heures. Il a commencé à travailler trois heures par jour pour augmenter jusqu’à sept heures par jourNote de bas de page 16 .
  • Avoir conduit jusqu’à Toronto le 7 juin 2020 pour reprendre son ordinateur portable qu’il avait donné à un ami en 2014.
  • Avoir rassemblé, entre le 7 juin et juillet 2020, l’information pour préparer sa demande de révision.

Y avait-il une explication raisonnable pour le retard?

[29] J’estime qu’il y avait une explication raisonnable pour le retard.

[30] La Commission a déclaré que le prestataire n’avait pas démontré qu’il avait une explication raisonnable pour avoir pris tant de temps avant de présenter sa demande de révision. La Commission a mentionné que même si le prestataire était malade et à l’extérieur du pays, il n’a pas fourni suffisamment d’information pour expliquer le retard.

[31] Le prestataire affirme qu’il n’a pas été en mesure de demander une révision avant juillet 2020 parce qu’il a voyagé à l’extérieur du pays pour des raisons médicales et qu’il a ensuite été en convalescence pendant plusieurs mois.

[32] J’estime que pour les raisons suivantes, le prestataire a donné une explication raisonnable pour le retard.

  • Le prestataire a reçu la décision de la Commission une journée avant son départ à l’étranger pour recevoir des soins médicaux. Le prestataire a présenté une preuve de la date de son départ. Il a expliqué qu’il souffrait et préparait son départ. Par conséquent, je suis d’accord avec son explication qu’il ne pouvait pas présenter sa demande de révision avant de partir.
  • Le prestataire a été hospitalisé à l’étranger et a eu une chirurgie. Il a expliqué que pendant son séjour à l’étranger, il n’était pas en mesure de demander une révision. Je suis d’accord avec l’explication du prestataire. Il a transmis de l’information de ses médecins traitants démontrant qu’il a été hospitalisé et qu’il a eu une chirurgie.
  • Le prestataire a expliqué qu’il a été en convalescence entre janvier et le début de juin 2020. Il a fourni de l’information sur les activités restreintes qu’il pouvait mener au cours de cette période. Il a décrit qu’il ne pouvait pas se concentrer en raison de la douleur.
  • Surtout, il a souligné qu’il n’avait pas accès à son ordinateur portable qui contenait toute l’information dont il avait besoin pour présenter sa demande de révision. Le prestataire a expliqué que cette information se trouvait sur un ordinateur portable qu’il avait donné à un ami qui vivait à Toronto. Le prestataire a expliqué qu’il ne pouvait pas prendre l’autobus ou l’avion pour se rendre à Toronto en raison de la pandémie de COVID-19. Il a également expliqué qu’il s’est senti suffisamment en forme pour conduire de chez lui à Toronto au début de juin 2020.

[33] En raison de ces circonstances, j’estime qu’il y avait des obstacles réels qui ont empêché le prestataire de présenter sa demande de révision à temps. J’estime également que ces obstacles offrent une explication raisonnable pour le retard. J’accepte la déclaration du prestataire comme quoi il ne pouvait pas présenter une demande de révision sans avoir accès aux documents dont il avait besoin. La décision originale de la Commission est en lien avec des événements survenus plus de quatre ans avant qu’elle ne soit rendue. Dans sa demande de révision, le prestataire a fourni à la Commission une liste détaillée de ses recherches d’emploi pour défendre son point.

[34] Par conséquent, j’accepte l’argument du prestataire. Il avait une explication raisonnable pour le retard en raison de sa situation médicale qui l’a empêché d’agir plus tôt et d’accéder à l’information dont il avait besoin pour préparer sa demande de révision.

Y avait-il une intention constante de demander une révision de la décision à la Commission?

[35] J’estime que le prestataire a démontré qu’il avait une intention constante de demander à la Commission de réviser sa décision.

[36] La Commission a fait valoir que le prestataire n’avait pas une intention constante de demander une révision de la décision parce qu’il n’avait pas communiqué avec la Commission une fois de retour au Canada. La Commission a mentionné que le comportement du prestataire démontrait qu’il ne concentrait pas ses efforts de manière constante pour demander une révision.

[37] Le prestataire n’était pas du même avis. Il a mentionné qu’il a continué son processus de demande de révision dès qu’il s’est senti assez bien pour le faire. Il a fait valoir qu’il avait une intention constante puisqu’il était en désaccord avec la décision de la Commission et qu’il souhaitait demander à la Commission de la réviser.

[38] J’accepte l’argument du prestataire, il avait une intention constante de demander à la Commission de réviser sa décision. D’abord, j’accepte qu’il était en désaccord avec la décision de la Commission et qu’il avait l’intention de s’en occuper dès qu’il se sentirait suffisamment bien. Cela est dû au fait que le prestataire était cohérent dans ses déclarations comme quoi il était stupéfait et surpris de la décision de la Commission.

[39] J’ai également estimé que les interventions du prestataire, lorsqu’il a été assez bien pour conduire jusqu’à Toronto pour obtenir son ordinateur portable, confirment son degré d’engagement pour poursuivre le processus de demande de révision. Les documents présentés par le prestataire pour soutenir sa demande de révision démontrent un effort important de fournir à la Commission toute l’information qui, à son avis, pouvait soutenir sa demandeNote de bas de page 17 .

[40] Enfin, je n’accepte pas la déclaration de la Commission voulant que l’omission du prestataire de communiquer plus tôt avec elle démontre qu’il n’avait pas une intention constante de présenter une demande de révision. Comme le prestataire l’a mentionné, il n’avait pas accès aux documents pour soutenir sa demande. Je suis donc du même avis que le prestataire : le fait qu’il n’a pas communiqué avec la Commission plus tôt n’est pas lié au fait qu’il ne souhaitait pas demander une révision. C’est plutôt parce qu’il était incapable de présenter une demande de révision sans les documents.

[41] J’estime donc que le prestataire a démontré qu’il avait une intention constante de demander une révision de la décision originale à la Commission.

Conclusion

[42] L’appel est accueilli.

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